Fêlure de la dentine : à propos d’un cas clinique - Clinic n° 01 du 01/01/2014
 

Clinic n° 01 du 01/01/2014

 

DENTISTERIE RESTAURATRICE

Litzie ROLLET*   Gérard ABOUDHARAM**  


*Attachée hospitalière
UFR odontologie Marseille
Université de la Méditerranée
17-19, boulevard Mireille-Lauze
13010 Marseille
**Maître de conférences des universités, PH
UFR odontologie Marseille
Université de la Méditerranée
17-19, boulevard Mireille-Lauze
13010 Marseille

Les fêlures dentinaires sont des situations cliniques délicates aux traitements aléatoires. L’article qui suit est une réflexion sur leur traitement et leur rationalisation. Une résine bulk photopolymérisable est mise en place dans un premier temps. Elle permet de jouer le rôle d’un liner afin de figer la fêlure. La reconstitution en résine composite respectant les étapes de mise en forme est réalisée ensuite. Une réflexion est également menée sur le choix du système de matriçage mais aussi sur les systèmes adhésifs et leur évolution.

Les fêlures ne sont pas des pathologies anecdotiques, elles sont souvent à l’origine de symptômes très variés allant de la simple douleur à la mastication à des douleurs orofaciales importantes. Leur diagnostic est difficile car elles sont rarement décelables à la radiographie et le sont d’autant moins qu’elles ne s’accompagnent pas toujours de douleur. La transillumination peut apporter des éléments d’information lorsqu’elles concernent l’émail coronaire [1].

Plusieurs raisons principales peuvent être avancées face à ces traumatismes : la fatigue mécanique de la dent due aux précédents traitements (restaurateurs ou endodontiques), l’utilisation de matériaux considérés aujourd’hui comme iatrogènes - les amalgames dentaires -, des troubles fonctionnels se traduisant par des parafonctions et entraînant une sollicitation mécanique supplémentaire des dents. Cette liste d’étiologies n’est pas exhaustive.

Pour bien comprendre ces lésions irréversibles, on retrouve dans la littérature médicale des travaux portant sur la ­ténacité des dents : dans une étude sur la distribution spatiale de la ténacité de l’émail humain avec le vieillissement, les auteurs montrent que la valeur de ténacité moyenne de la couche d’émail extérieure est inférieure à celle des couches internes [2]. Cette ténacité diminue avec l’âge lorsque la teneur en minéraux augmente. La surface de l’émail devient plus sujette à des fissures, lors du vieillissement, en partie dues à la réduction de la matrice organique interprismatique observée avec la maturation de l’émail.

Pour d’autres auteurs, les fêlures de l’émail s’arrêtent la plupart du temps à la jonction amélo-dentinaire ; celle-ci, très solide, constitue une barrière contre la propagation de fissures multiples au sein de l’émail au cours d’une vie d’exposition aux forces masticatoires. Ce phénomène d’arrêt des fissures est décrit dans de nombreuses publications, mais il y a peu de consensus sur ses causes et le mécanisme sous-jacent. Les explications vont de la dureté supérieure de la jonction amélo-dentinaire à celle de l’émail et de la dentine à l’hypothèse que la jonction amélo-dentinaire elle-même provoque l’arrêt des fissures. Des expériences de flexion 3 points avec des barres de flexion composées de la jonction amélo-dentinaire et de ses environs émail et dentine ont été menées pour enquêter sur la propagation des fissures et leur arrêt dans la région de la jonction amélo-dentinaire [3]. Des intensités de contraintes calculées autour des fêlures ont été fortement influencées par des modules d’élasticité très différents entre l’émail et de la dentine et, par conséquent, le phénomène d’arrêt des fissures à la jonction amélo-dentinaire pourrait s’expliquer par cette discordance de modules d’élasticité selon les auteurs.

Le fait est que ces fêlures, malheureusement irréversibles, sont difficiles à traiter et de pronostic incertain. Elles constituent en fait le premier stade de la fracture.

Le but de cet article est de décrire la résolution d’un cas de fêlure asymptomatique d’origine mécanique et, en particulier, provoqué par un « effet de coin » d’un matériau utilisé auparavant (amalgame).

Cas clinique

Un patient se présente à la consultation pour un bilan bucco-dentaire. Parmi les soins à effectuer, la dent n° 16 présente un amalgame occluso-mésial infiltré (fig. 1). On perçoit des phénomènes de corrosion. Par ailleurs, le fluage du matériau a déformé la zone proximale et le point de contact avec la dent n° 15 n’est anatomiquement pas satisfaisant. La prémolaire adjacente présente aussi une cavité de carie en distal. Une radiographie est réalisée afin d’apprécier les volumes cavitaires et la proximité pulpaire. Les dents sont asymptomatiques (fig. 2).

La dépose de l’amalgame est effectuée ; un hydroxyde de calcium avait été mis en place au centre de la cavité comme protection pulpaire. On observe les dépôts de corrosion perçus avant la dépose de l’amalgame ainsi que de la dentine sclérotique (fig. 3).

La toilette de la cavité est effectuée : l’hydroxyde de calcium et les dépôts de corrosion sont éliminés et les zones de dentine cariée nettoyées. La carie sur la prémolaire est débridée à l’aide d’une fraise boule en carbure de tungstène à faible vitesse.

Une importante fêlure dentinaire (fig. 4) est mise en évidence dans le sens disto-mésial, au niveau de la molaire. Elle est probablement la résultante de l’effet de coin et du vieillissement de l’obturation à l’amalgame.

Le champ opératoire est mis en place (fig. 5). Il isole la cavité et permet la réalisation d’une restauration collée dans des conditions optimales. Il est posé à l’aide d’un crampon à ailettes sur la 17 et d’un Wedjets® Stabilizing Cord (Coltène/Whaledent) entre 14 et 13. Ce cordonnet élastique permet de bloquer la feuille de digue sans l’utilisation de crampon. Le champ opératoire permet d’objectiver parfaitement les limites cavitaires.

L’utilisation de l’air-abrasion humide paraît être un complément extrêmement utile pour la préparation cavitaire. La pulvérisation d’oxyde d’alumine et d’eau effectue le nettoyage final de la préparation (fig. 6). L’obtention d’une surface propre va permettre la mise en place d’un système adhésif sur la surface dentinaire dans des conditions optimales. Dans le cas particulier de cette fêlure asymptomatique, le microsablage permettra une infiltration optimale de la fêlure par le système adhésif.

Après la procédure de collage, la cavité de la prémolaire est restaurée avec une résine composite. Le composite choisi pour cette reconstitution est le Filtek™ Supreme XTE (3M ESPE). Il existe dans trois opacités : une mono-opacité avec les teintes Body, une opacité Émail et une opacité Dentine. Pour cette cavité de faible importance, c’est une opacité intermédiaire (teinte Body A2) qui est utilisée. Dans cet exemple clinique, les restaurations occluso-proximales ont été restaurées successivement afin de faciliter le processus.

Une matrice sectorielle du système Palodent® Plus (Dentsply) est mise en place pour restaurer la 16 (fig. 7). L’intérêt de l’utilisation des matrices sectorielles pour la restauration des cavités occluso-proximales et l’obtention d’un bon point de contact est décrit plus loin (annexe 1). Le système Palodent® Plus est particulièrement aisé à utiliser. Il permettra d’obtenir le point de contact recherché, indispensable à la bonne santé parodontale des dents.

Un coin en plastique creux est mis en force entre les deux dents au niveau cervical de façon à plaquer la matrice sur la limite cervicale (fig. 8). On obtient ainsi un déplacement physiologique. Cette mise en place du coin est déterminante. Après la reconstitution, le simple fait de l’éliminer va permettre aux dents de reprendre leur position initiale et le point de contact ainsi obtenu sera fonctionnel. Il faut noter la facilité d’utilisation du système par les anneaux de préhension. La pince adaptée permettra aisément, dans un second temps, la dépose du système de matriçage.

L’anneau de serrage du système Palodent® Plus est mis en place pour plaquer la matrice sectorielle sur les parois de la zone proximale. La conception des mors de cet anneau de serrage permet l’enfourchement de celui-ci sur le coin (fig. 9). Cela représente une évolution des systèmes sectoriels, les anciens systèmes ne présentant pas cet avantage.

Un système adhésif universel (annexe 2) a été choisi pour cette réalisation clinique. Il s’agit du Scotchbond™ Universal Adhesive (3M ESPE). Son utilisation prévoit plusieurs options : application du système adhésif soit sans mordançage soit avec mordançage de l’émail ou encore mordançage de l’émail et de la dentine. Afin de renforcer l’adhésion au niveau de l’émail, le mordançage de celui-ci est effectué au préalable. On constate un léger débordement sans conséquence de l’acide orthophosphorique sur la dentine. En raison de la fêlure, il a été choisi de ne pas appliquer d’acide orthophosphorique sur la dentine (fig. 10). L’acide est ensuite rincé et la cavité est séchée (sans être asséchée).

L’application du système adhésif Scotchbond™ Universal Adhesive est réalisée (fig. 11) ; le film adhésif est réparti uniformément et délicatement à l’aide d’un jet d’air puis il est photopolymérisé. On insiste sur l’application au niveau de la fêlure.

La première partie de la reconstitution consiste à ramener la cavité occluso-proximale à une simple cavité occlusale. Le dispositif de matriçage mis en place permet la reconstitution du mur proximal sans difficultés. Un incrément teinte Émail A2 du système Filtek™ Supreme XTE est mis en place au niveau de la partie mésiale de la cavité puis photopolymérisé (fig. 12).

Une résine bulk (Filtek™ Bulk Fill, 3M ESPE) (annexe 3) est mise en place dans le fond de la cavité en qualité de liner en une seule application avec un embout applicateur puis elle est photopolymérisée (fig. 13). On utilise ici sa grande mouillabilité et sa fluidité afin de combler et de figer la fêlure observée. La teinte choisie pour ce cas est une teinte A2 : on notera cependant une grande transparence du matériau.

Le composite est monté à l’aide d’une succession d’incréments de masse Dentine (A2D). Ces apports de teinte Dentine permettent de restituer la chaleur de la zone centrale de la dent tout en masquant la base réalisée avec une résine bulk. Les apports ont été mis en place de façon oblique afin de satisfaire aux impératifs de la contraction du matériau liés à la photopolymérisation. Ensuite, les incréments Émail (A2E) sont mis en place. Le dernier apport de composite teinte Émail (A1E) est modelé de façon à restituer l’anatomie occlusale de la molaire. La mise en forme du dernier incrément est faite avec un instrument conique à extrémité pointue (Suter Dental Manufacturing Co., Inc.). Le dernier apport est plaqué aux limites de la cavité avec une microbrossette. Une caractérisation de surface est réalisée à l’aide d’un agent de maquillage brun (Kolor Plus® Resin Colour Modifier Kit, KerrHawe). La résine de caractérisation discrète est déposée sur la molaire avec un instrument pointu ou à l’aide d’une fine lime endodontique puis est photopolymérisée (fig. 141516 à 17). Des excès éventuels peuvent être « essuyés » avec des microbossettes avant la photopolymérisation. La polymérisation finale est effectuée : pour pallier la non-polymérisation de la couche de surface de la résine composite inhibée par l’oxygène de l’air, un gel glycériné hydrosoluble est déposé sur les reconstitutions avant la polymérisation finale.

Après avoir retiré l’anneau de serrage, la matrice sectorielle et le coin interdentaire sont déposés pour faciliter les étapes de finition. On note la facilité de dépose grâce à la pince spécifique du système Palodent® Plus. On perçoit déjà visuellement le galbe obtenu grâce à la matrice sectorielle (fig. 18). Le fil dentaire permet d’apprécier la qualité du point de contact. Les étapes de finition sont réalisées : toutes les limites cavitaires sont revues, les excès proximaux sont éliminés avec des disques Sof-Lex™ (3M ESPE) de granulométrie moyenne puis fine et la limite cervicale est finie et polie avec les strips Sof-Lex™ (3M ESPE). Le strip doit être passé sous la zone de contact afin de ne pas réduire celle-ci. Le joint cavitaire au niveau occlusal est fini avec des pointes montées sur contre-angle rouge en pierre d’Arkansas blanche (Komet 661) à vitesse réduite. Une pointe montée en silicone permet de parfaire le polissage de la restauration. Le brillantage final est obtenu à l’aide d’une brossette dont les poils sont enduits de carbure de silice (Diatech Instrument, Coltène/Whaledent).

Une vue occlusale des reconstitutions permet d’apprécier la restitution de la morphologie des dents. L’occlusion a été révisée à ce stade et, pour ce cas, des retouches mineures ont été réalisées. On perçoit l’aspect naturel des reconstitutions et l’excellent ­mimétisme de la résine composite (fig. 19 et 20).

Conclusion

On observe, avec ce cas clinique, l’intérêt des résines bulk dans le traitement des fêlures de la dentine. Ce type de matériau, s’il ne peut pas être envisagé pour une reconstitution permanente, présente des avantages lorsqu’il est utilisé en base ou en liner du fait de sa grande fluidité. Le traitement de cette fêlure en est une bonne illustration. On notera également l’utilisation du système de matrices sectorielles Palodent® Plus. Ce système a permis de contourner la difficulté que constitue la réalisation d’un point de contact. L’utilisation de ces matrices a permis une reconstruction rationnelle et méthodique de la morphologie. Aucune sensibilité n’a été observée à la suite du traitement. La mise en place du champ opératoire et la bonne mise en œuvre du système adhésif ont joué un rôle déterminant dans la qualité de l’obturation.

Annexe 1
LES MATRICES SECTORIELLES ET LEURS POSSIBILITÉS

Une des principales causes d’échec d’une restauration postérieure collée est le défaut de point de contact. Il y a encore quelques années, nous ne disposions que de matrices circonférentielles. Or, ces matrices ne permettent pas de reconstituer de façon fiable et reproductible un point de contact satisfaisant en raison même de leur forme qui, tronconique, n’autorise pas à reproduire le galbe des faces proximales mais seul un plan oblique. Une utilisation raisonnée de ces nouvelles matrices sectorielles permet de restituer ce point de contact grâce à leur forme convexe [4]. Si l’on considère les études menées sur l’utilisation des matrices sectorielles, on constate qu’elles permettent d’obtenir un point de contact plus fort que les matrices circonférentielles [5]. La variété des matériaux utilisés pour remplir la cavité ne modifie pas ces résultats. Ces matrices sectorielles restituent la force du point de contact qui est appréciée non seulement par l’utilisation d’un fil de soie mais aussi par sa forme. En effet, si le point de contact est présent mais la forme du contour proximal non respectée, les tassements alimentaires pourront malgré tout avoir lieu.

Des études ont apprécié l’évolution à 6 mois du point de contact [6]. L’obtention d’un point de contact faible ne se renforce pas avec le temps, il reste stable. L’obtention d’un point de contact très fort tend vers une diminution de celui-ci par une adaptation parodontale, un léger mouvement orthodontique ou bien une usure du matériau. Un point de contact optimal, apprécié avec un fil de soie, reste donc indispensable pour sa stabilité dans le temps.

C’est au final une stabilité occlusale qui est obtenue lors d’une reconstitution proximale correcte. Cette stabilité est, de plus, un élément de prévention de la maladie parodontale. La reconstitution d’un point de contact mérite qu’on s’y attarde ; c’est un geste apparemment simple lorsqu’il est rationalisé. Sa bonne reconstitution permet d’éviter des conséquences néfastes pour l’ensemble de la denture. Dans une récente revue, Aboudharam et Cautain comparent les systèmes matriciels sectionnels métalliques et photoconducteurs selon la littérature médicale [7, 8]. Ces auteurs s’interrogent sur le type de matrice le plus approprié. Ils se demandent en particulier si les systèmes matriciels sectoriels photoconducteurs ou métalliques avec anneau écarteur sont plus ou moins efficaces avec les résines composites et permettent d’obtenir des points de contact plus ou moins forts. Dans cette revue, il résulte que les systèmes matriciels, qu’ils soient métalliques ou photoconducteurs, n’ont pas d’influence sur la qualité des restaurations [9, 10].

Si bon nombre de fabricants proposent aujourd’hui des matrices sectorielles, peu de systèmes sont complètement adaptés aux difficultés rencontrées en pratique quotidienne. Un de ces systèmes, le Palodent® Plus, prévoit dans son coffret d’introduction différents anneaux écarteurs avec, comme particularité, des mors bifides qui permettent d’enfourcher les coins interdentaires souvent gênants. Autre astuce du système : une pince spéciale pour éliminer les matrices. Ces dernières sont elles-mêmes poinçonnées pour permettre une préhension rapide. L’élimination de la matrice lorsque le point de contact est réalisé correctement reste souvent difficile. C’est l’utilisation de ce système qui est décrite dans cet article pour illustrer la restauration de la cavité occluso-proximale.

Annexe 2
L’ÉVOLUTION DES SYSTÈMES ADHÉSIFS

Historiquement, les systèmes adhésifs ont été classés par génération ; cependant cette classification, même si elle s’est avérée utile pendant de nombreuses années, ne correspondait plus à la réalité clinique. Van Meerbeek et al. [11] en ont proposé une nouvelle en 2003, qui a été reprise et largement diffusée en France par Degrange depuis 2004 [12]. Elle est fondée sur le fait de mordancer ou non la surface de la cavité à restaurer (émail et dentine) ainsi que le nombre d’étapes que comporte chaque système adhésif. Dans l’activité clinique quotidienne, elle a mis en exergue les avantages et les inconvénients de chaque catégorie de système adhésif en n’en excluant aucun.

Les points clés pour choisir son système adhésif sont :

• la prise en compte de la situation clinique ;

• la facilité de mise en œuvre dans la situation clinique considérée ;

• la tolérance à la manipulation que l’on s’accorde.

Cette tolérance à la sensibilité et à la manipulation des adhésifs complique la réalisation d’un joint dentine-adhésif de qualité. Une petite erreur dans le protocole de mise en œuvre peut compromettre la valeur d’adhésion [13, 14]. De plus, le constat est que les systèmes automordançants à 1 ou 2 étapes (SAM1 et SAM2) ne sont pas plus tolérants que les systèmes mordançage et rinçage à 3 étapes (MR3) [15].

La suppression du mordançage et l’utilisation des SAM ont constitué néanmoins une évolution importante car la pénétration des systèmes adhésifs et l’hybridation de la dentine sont très dépendantes de l’état plus ou moins humide de la dentine déminéralisée sur laquelle ils sont déposés [16, 17]. Cette évolution a permis une simplification du geste. Il n’est plus fondé sur une appréciation visuelle arbitraire du degré d’humidité. Dans les faits, les praticiens ont observé une réduction des sensibilités postopératoires.

Mais par ailleurs, l’utilisation des systèmes automordançants a fait perdre de la rétention au niveau de l’émail. Le fait qu’ils se comportent comme des membranes semi-perméables par hydrolyse du film adhésif est un inconvénient pour la pérennité du joint dentine-adhésif.

Dans une revue critique publiée en 2005, De Munck et al. [18], en se fondant essentiellement sur des études in vitro plutôt que cliniques pour prédire la durabilité des systèmes adhésifs, en mettant l’accent sur les modes de dégradation chimique par hydrolyse, la dissolution des composants à l’interface dentine-adhésif et en s’appuyant également sur des tests mécaniques, établissent sans surprise que les systèmes MR3 représentent le gold standard en matière de durabilité. Toute simplification dans le mode d’attaque ou le nombre d’étapes réduit la durabilité. Seuls les SAM2 approchent le gold standard en présentant quelques avantages supplémentaires [18].

Ces éléments sont confirmés dans une méta-analyse plus récente [19] où les MR3 continuent d’être plus résistants à l’hydrolyse que les MR2. Dans leur analyse, ces auteurs soulignent par ailleurs la nécessité d’évaluer non seulement la force d’adhésion immédiate obtenue mais encore le vieillissement pour évaluer l’adhésif à plus long terme.

La dernière orientation pour les systèmes adhésifs

Pour tous les praticiens, le souhait est de disposer d’un système unique qui réponde à toutes les situations cliniques, qui soit d’utilisation simple et pérenne. On a vu précédemment qu’il est difficile d’exclure tel ou tel système en fonction de la multiplicité des situations cliniques. Pour répondre à ce souhait, les industriels ont mis au point des systèmes dits universels. Ces systèmes présentent plusieurs options. Ils peuvent être utilisés avec l’option d’automordançage ou de mordançage et rinçage avec mordançage sélectif de l’émail ou encore de mordançage de l’émail et de la dentine. Ces options permettent de répondre à toutes les situations cliniques. Actuellement, trois systèmes sont proposés aux praticiens, celui qui a l’antériorité et le plus de recul clinique étant le Scotchbond™ Universal Adhesive. Quant aux deux autres, il s’agit du Peak Universal Adhesive System (Ultradent) et de l’All-Bond Universal™ (Bisco).

Actuellement, on considère que le Scotchbond™ Universal Adhesive est fiable. Il a été testé dans une étude clinique de 6 mois pour la restauration de lésions cervicales non carieuses [20]. Cette situation clinique étant à risque d’échec, quatre options ont été testées (mordançage et rinçage avec dentine humide, mordançage et rinçage avec dentine sèche, automordançant avec mordançage sélectif de l’émail et automordançant). Seules 4/200 restaurations ont été perdues tous critères confondus (3 automordançants et 1 mordançage et rinçage avec dentine humide). Les résultats observés ont montré que le comportement clinique de cet adhésif était fiable et statistiquement non dépendant du mode d’application.

Dans une autre publication et le suivi des mêmes cas à 18 mois, Perdigao et al. confirment cela [21]  -5 des 200 restaurations initiales ont été perdues - et ils concluent que la rétention clinique de l’adhésif multimode à 18 mois ne dépend pas de la stratégie de liaison. Seul le critère de l’adaptation marginale était plus élevé pour le groupe des automordançants par rapport aux autres groupes. Ces auteurs notent une différence sensible en fonction des critères d’évaluation : ceux de la Fédération dentaire internationale (FDI) étant plus sensibles que ceux de l’US Public Health Service (USPHS).

L’utilisation du Scotchbond™ Universal Adhesive a représenté une nouvelle possibilité de stabilisation de la fêlure décrite dans l’exemple clinique. L’option du mordançage sélectif de l’émail seul a été choisie, et ce afin d’éviter la pénétration agressive de l’acide dans la fêlure. Le système a été utilisé par ailleurs comme un automordançant avec un mordançage sélectif de l’émail pour augmenter la rétention, en particulier au niveau des marges de la restauration.

Annexe 3
LES RÉSINES COMPOSITES BULK

Les résines composites ont largement pris la place des amalgames dans la pratique quotidienne des praticiens. Cependant, pour certains, la mise en œuvre de ces matériaux est contraignante et longue. Le stress de polymérisation en est la principale raison ; la contraction du matériau lors de la photopolymérisation impose une mise en œuvre par apports successifs d’incréments de faible épaisseur. Cette mise en œuvre tient compte également du facteur cavitaire.

Pour améliorer l’ergonomie de l’acte, nos partenaires industriels nous proposent d’utiliser des résines à faible coefficient de rétraction qui permettent un remplissage rapide de la partie la plus profonde des cavités. Les incréments successifs de résine sont ainsi limités, la durée de la réalisation finale est réduite et, par ailleurs, ces résines offrent, selon les fabricants, plusieurs autres avantages, qui seraient :

• une faible contrainte de rétraction de polymérisation pour diminuer les microfissures et une polymérisation du matériau lente afin de limiter le stress de polymérisation ;

• du fait de leur haute translucidité, une photopolymérisation très favorable sous de grandes épaisseurs. L’épaisseur de matériau à photopolymériser pourrait aller jusqu’à 4 mm selon les fabricants, ce qui permet un remplissage rapide de la cavité ;

• d’excellentes caractéristiques physiques, comme une bonne résistance à la compression et à l’usure ;

• un geste est rapide et aisé cliniquement, les résines se déposant très facilement dans la cavité en raison de leur fluidité. Cette fluidité permet une bonne adaptation à la cavité, en particulier dans la zone cervicale qui est celle de la cavité la plus critique pour l’étanchéité. On parle d’auto-étalement.

Cependant, des restrictions sont à apporter à leur utilisation : dans une première étude, en se servant des tests de nano-indentation pour évaluer le fluage, El-Safty I et al. [22], en comparant 5 résines composites conventionnelles, 3 résines bulk et 2 résines fluides, montrent de deux façons que le fluage est plus important et irréversible avec les résines bulk qu’avec les autres sauf pour Venus Bulk Fill™. Cette étude montre à l’évidence que les résines bulk, si elles sont intéressantes cliniquement et offrent des avantages certains, doivent être utilisées en base ou en liner mais non comme des reconstitutions définitives. Dans une autre étude sur la teinte [23], les auteurs montrent la limitation de masquage de ces résines, d’où la nécessité également de les utiliser en base ou liner.

Si l’on considère le retrait à la polymérisation et l’épaisseur de matériau à utiliser (4 mm ainsi que le proposent les fabricants), El-Damanhoury et Platt [24] semblent montrer une réduction significative du retrait à la contrainte de polymérisation mais le maintien d’une efficacité de durcissement comparable pour 4 mm de remplissage pour 5 résines Bulk : SureFil® SDR® flow (Dentsply), Tetric EvoCeram® Bulk Fill (Ivoclar Vivadent), Venus® Bulk Fill (Heraeus Kulzer), X-tra fil (Voco) et Filtek™ Bulk Fill (3M ESPE). Dans cette étude, la résine composite Filtek™ Z250 (3M ESPE) a été utilisée comme témoin. Les auteurs, au vu des résultats obtenus, encouragent leur utilisation potentielle pour des restaurations postérieures.

Dans un travail plus récent encore, Finan et al. [25] confirment la possibilité d’utiliser cette famille de matériaux sous de grandes épaisseurs (4 mm et plus) pour les deux matériaux testés : SDR (Dentsply) et X-tra base (Voco) mais, par ailleurs, notent des résultats différents entre le SDR et X-tra base. Il explique cela par une chimie différente des matériaux testés.

Les avantages de ces résines composites, décrits plus haut, sont mis en évidence dans le traitement et la résolution de la fêlure dentinaire exposée. Pour ce cas, la résine composite fluide de restauration Filtek™ Bulk Fill a été utilisée.

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