Comment s’adaptent les organismes de formation ? - Clinic n° 03 du 01/03/2014
 

Clinic n° 03 du 01/03/2014

 

Une année de DPC

Enquête

Anne-Chantal de Divonne  

Malgré les difficultés et les critiques, le DPC monte en puissance. Un chirurgien-dentiste sur six a suivi au moins une action de DPC cette année. Les organismes de formation ont proposé 860 sessions. Comment se sont-ils adaptés à cette nouvelle approche ? Quels sont les freins et les perspectives ?

Un an après sa mise en route officielle, le DPC* gagne du terrain. Près de 107 000 professionnels de santé, dont 10 230 chirurgiens-dentistes, ont créé un compte sur mondpc.fr. L’OGDPC* a enregistré l’inscription de 6 600 chirurgiens­dentistes différents à une action de DPC. Et ils ont suivi 8 000 programmes. Du côté des organismes, plus de 2 000 ont été évalués favorablement au titre de la période transitoire. Ils ont créé 15 300 sessions. Sur ce total, 756 programmes ont été déposés pour des chirurgiens-dentistes et 866 sessions créées à leur intention.

Parcours du combattant

À la lecture de ces données, on constate que la lourde machine du développement professionnel continu s’est mise en marche tant du côté de l’offre de formation que de celui des participants. La profession n’était pourtant pas acquise à ce DPC qui allie l’approfondissement et l’acquisition des connaissances à l’analyse de la pratique. Ce n’était pas le principe en lui-même qui rebutait. Dès le départ, le système était critiqué parce qu’il était imposé et parce qu’il prenait la place d’une formation continue organisée et gérée par la profession. Mais aussi parce qu’il est complexe à gérer. Les organismes de formation en font d’ailleurs l’expérience. Tous témoignent d’un vrai parcours du combattant : énormité et complexité du dossier à remplir, déclarations d’intérêt à n’en plus finir, lenteur des allers-retours avec l’organisme gestionnaire, l’OGDPC, qui ne fonctionne que par Internet… La liste des obstacles est longue. S’y ajoutent les contraintes liées à l’organisation de chaque session et à la gestion des questionnaires d’analyse des pratiques… Financièrement enfin, l’organisme de formation doit patienter plusieurs mois, jusqu’à ce que les participants aient rempli leur programme de DPC en entier, pour recevoir le règlement de la session par l’OGDPC.

Rester en dehors…

Face à ces difficultés, de petites structures ont jeté l’éponge. « Pour notre association locale de formation continue, le DPC est pour l’instant impossible à mettre en route », explique Bernard Lapostolle, responsable de l’ADFOC* des Pays de Savoie. En effet, comment recruter une personne pour gérer toutes les questions administratives alors que l’association ne compte que des bénévoles ? Par ailleurs, il est bien difficile d’obtenir des praticiens qu’ils s’inscrivent 2 mois avant la formation pour lancer un questionnaire et compiler les réponses ! Cette ADFOC a donc choisi de continuer à proposer 3 séances annuelles hors DPC en mettant toujours plus l’accent sur la qualité de ses journées.

… ou sauter le pas

D’autres ont sauté le pas dès le lancement. Parallèlement à ses journées classiques, Les Rendez-Vous Formation du syndicat des chirurgiens-dentistes de Vendée a organisé, dès 2013, 2 programmes de DPC sur l’orthodontie et la céramique. « Le DPC est une bonne démarche. C’est pourquoi, malgré les aspects administratifs et réglementaires qui peuvent apparaître rédhibitoires, nous avons organisé ces journées », explique la responsable de l’association vendéenne, Marie-Aimée Le Clézio, qui n’a pas ménagé son temps pour mettre en place les programmes avec l’appui d’une secrétaire à mi-temps. Cette jeune praticienne de 34 ans fait partie des quelques chirurgiens-dentistes « avertis ». Elle a participé à une expérience d’évaluation des pratiques professionnelles avec un groupe de chirurgiens-dentistes vendéens sous l’égide de la Haute Autorité de santé et l’ADF, et a aussi suivi 2 séminaires de la Haute Autorité de santé sur la méthodologie de l’amélioration de la pratique. Ce bagage l’incite à choisir avec soin le thème des programmes de DPC. « Tous ne s’y prêtent pas. Il existe de très bonnes techniques actuelles mais il n’y a pas de références scientifiques qui permettent un recul », remarque Marie-Aimée Le Clézio, qui s’attache à la distinction entre un DPC qui « concerne la pratique quotidienne au cabinet susceptible d’être optimisée » et les autres formations.

Quelques facultés ont aussi proposé des programmes DPC dès les premiers mois. À Toulouse, après le succès d’une première session conjointe avec les radiologues en mars 2013, la faculté propose 4 sessions au cours du premier semestre de 2014. Chaque programme se compose d’une journée présentielle autour d’un thème. Et la faculté offre la journée « ateliers » qui suit.

Une fréquentation encore timide

Pour les grands organismes de formation, entrer dans l’ère du DPC est incontournable. L’UNAFOC*, jusqu’alors très investie dans la formation continue conventionnelle, a proposé l’an dernier 14 séances de DPC (douleur, gériatrie, cancer des voies aéro-digestives supérieures, prothèse, gestion de cabinet, parodontie, troubles musculo-squelettiques). Leur fréquentation a déçu. Elles n’ont attiré que 60 % des participants aux séances conventionnelles précédentes. « Les confrères se sont méfiés du DPC qui a d’ailleurs souffert dès le départ d’une très mauvaise communication. Certains ont pensé que la méthode ne passerait pas l’année. Et puis, ils ont eu la sensation d’être mis sous tutelle par ce système », analyse le responsable de l’UNAFOC, Jean-François Largy, qui estime cependant qu’il est encore trop tôt pour faire un bilan. En 2014, pas moins de 40 sessions sont proposées.

Des grandes conférences…

La SOP* s’est, elle aussi, lancée dans l’aventure du DPC en organisant 4 journées présentielles dès l’an dernier. « Nous sommes rentrés facilement dans le format du DPC qui n’est pas très différent de ce que nous faisions sans nous en rendre compte. Nous sommes habitués à notre public » explique le président de la SOP, Bernard Schweitz, qui n’a pas changé les méthodes de travail en amont de chaque séance. Jusqu’à 3 réunions préparatoires sont organisées avec chaque conférencier. Les séances sont ouvertes à tous les praticiens, qu’ils suivent ou non un parcours DPC. À la séance de janvier, 20 % en suivaient un.

Pour le président de la SOP, « le vrai potentiel du DPC est à rechercher dans les nouvelles formes d’enseignement dont nous n’avons pas l’habitude ».

Les formats retenus jusqu’à présent restent assez classiques quels que soient les organismes : des séances de formation encadrées par des questionnaires d’autoévaluation. Mais si l’avantage est de ne pas trop dérouter les conférenciers et les participants, le risque pour les praticiens est que tous n’y trouvent pas un intérêt.

… aux petits groupes

La Haute Autorité de santé propose une liste de méthodes différentes. Les organismes sont invités à choisir la mieux adaptée aux objectifs poursuivis et aux attentes des professionnels.

La SOP réfléchit ainsi à des formats combinant une partie en ligne et une partie présentielle. Elle envisage aussi des petits groupes de 10 praticiens autour d’un médiateur sur le modèle des journal clubs anglo-saxons. L’objectif est de décortiquer et de commenter des publications scientifiques afin d’en tirer des enseignements pratiques. Sur le même schéma, d’autres structures s’intéressent aux groupes d’analyse de cas de patients ou d’analyse d’échecs.

100 % numérique

Des formats entièrement à distance prennent aussi forme. Les éditions CdP mettent en place un programme de DPC 100 % numérique en parodontie s’étalant sur 1 mois et demi. Le praticien peut approfondir et remettre en question ses connaissances grâce à 3 dossiers reçus successivement regroupant des chapitres de livres, des articles et des recommandations. Il est en même temps invité à remettre en question ses habitudes, notamment en testant sur 30 patients un questionnaire destiné à identifier leurs problèmes de parodontie.

Trop peu de référentiels

Outre les nouveaux schémas pédagogiques, les organisateurs de programmes de DPC veulent pouvoir proposer un choix de thèmes porteurs. Pas si simple. Car « les sujets doivent en principe être soumis à un référentiel qui détermine la bonne pratique », explique Christian Decloquement, responsable des sessions de DPC de l’ADF. Or, dans le domaine dentaire, ils sont rares. Et la procédure d’élaboration dictée par la Haute Autorité de santé n’est pas adaptée. Il faut près de 1 an et demi au Collège des bonnes pratiques (CBP) pour élaborer une recommandation qui permette d’établir un référentiel. « Le schéma conçu pour les médecins est extrêmement rigide », regrette Christian Decloquement, qui porte aussi la casquette de président du CBP. Il espère un assouplissement pour que le CBP puisse produire plus rapidement les textes attendus.

Une première recommandation du CBP sur le dossier patient devrait être prête pour la veille de l’été. Elle sera utilisée lors du prochain congrès de l’ADF. Mais il en faudra d’autres !

Pour organiser les 6 sessions du congrès 2013, des recommandations reconnues, notamment au niveau international, ont été retenues.

L’attrait des thèmes en même temps que la présence de conférenciers de renom et une préparation minutieuse : tout a été mis en œuvre pour réussir l’entrée du DPC au congrès. Car pour les organisateurs, il s’agissait de démontrer l’intérêt de la mise en place de ce type de session au sein même de l’ADF où les avis étaient très partagés.

Les sessions de DPC étaient d’ailleurs organisées parallèlement au programme scientifique du congrès et ouvertes uniquement aux praticiens effectuant leur DPC. Mais avec plus de 2 000 participants, les organisateurs ont rempli leur objectif. Et en 2014, les séances de DPC seront plus nombreuses, feront partie intégrante du programme scientifique et seront suivies par l’ensemble des congressistes, qu’ils effectuent ou non leur DPC. « L’objectif à terme est que toutes les séances de l’ADF puissent être suivies dans le cadre d’un programme de DPC », affirme Christian Decloquement. Qui sait si les nouveaux formats et les méthodes du DPC ne vont pas remodeler en profondeur la formation continue classique ?

* ADFOC : association départementale de formation odontologique continue. CSI : commission scientifique indépendante. DPC : développement professionnel continu. IGAS : Inspection générale des affaires sociales. OGDPC : organisme de gestion du développement professionnel continu. SOP : Société odontologique de Paris. UNAFOC : Union nationale des associations de formation odontologique continue.

Marie-Aimée Le Clézio résume : « Jouer le jeu du DPC, c’est : un conférencier qui n’a pas de lien commercial, un questionnaire d’évaluation en rapport avec des référentiels scientifiques et sur des points qui peuvent être améliorés, des praticiens qui analysent leur pratique et leurs réels besoins de formation, un conférencier qui informe sur les acquis par la science et des praticiens qui mettent en place ce qui est nécessaire pour améliorer leur pratique ».

Thierry Draussin, organisateur des sessions DPC de l’ADF : « Le DPC ne juge pas, ne sanctionne pas, c’est à nous de montrer qu’il peut apporter un plus. Le frein est vraiment administratif et réglementaire. » « L’auto-évaluation permet au praticien d’analyser sa pratique mais aussi au conférencier d’analyser l’impact de sa formation. »

Christian Decloquement : « Voté en 2009 par un gouvernement de droite, mis en application par un gouvernement de gauche le 1er janvier 2013, le DPC a de sérieuses raisons de poursuivre sa route. »

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