Dentisterie ou vivisection ? - Clinic n° 03 du 01/03/2014
 

Clinic n° 03 du 01/03/2014

 

DE BOUCHE À OREILLE

Frédéric BESSE  

Lors d’une récente analyse d’articles scientifiques, j’ai pu constater que nous, chirurgiens-dentistes, avec nos habitudes de bricoleurs formés aux essayages en bouche, avons transféré ces comportements à notre manière d’aborder la chirurgie.

En matière de recherche fondamentale, rappelons :

• primo, le principe de base. Un chercheur a une ­intuition, qu’il formalise par une hypothèse, validée, l’hypothèse est consolidée. Or, nous avons bien...


Lors d’une récente analyse d’articles scientifiques, j’ai pu constater que nous, chirurgiens-dentistes, avec nos habitudes de bricoleurs formés aux essayages en bouche, avons transféré ces comportements à notre manière d’aborder la chirurgie.

En matière de recherche fondamentale, rappelons :

• primo, le principe de base. Un chercheur a une ­intuition, qu’il formalise par une hypothèse, validée, l’hypothèse est consolidée. Or, nous avons bien souvent tendance à passer directement de l’intuition à l’expérimentation puis à la consolidation. Cela conduit à des impasses cliniques parfois préjudiciables à nos patients ;

• secundo, les types d’études scientifiques. Dans une étude prospective sont définis par avance la population étudiée avec les critères d’inclusion et d’exclusion, les différents paramètres et les critères de sortie d’essai. Il doit en outre exister un groupe contrôle pour valider la procédure, la répartition entre les deux groupes se faisant au hasard (étude randomisée). Enfin, l’évaluation des résultats devrait se faire à l’aveugle. Ce type d’étude est contraignant, demande de gros moyens et se trouve donc difficile à réaliser. En revanche, dans une étude rétrospective, la mesure de l’exposition survient après la réalisation de l’événement. Ce qui permet, en « ajustant » les paramètres, de lui faire dire ce que l’on veut. Dans notre spécialité, la plupart des études sont rétrospectives, ce qui les rend suspectes ;

• tertio, le principe de la méta-analyse, qui est la reprise d’un ensemble d’études comparables et leur analyse globale au moyen d’outils statistiques adaptés, apparaît de plus en plus fréquemment. Ce principe s’avère très pratique pour des chercheurs dépourvus de moyens et peu désireux de se trouver dans une impasse lors d’une vraie recherche expérimentale. En effet, il suffit d’un accès à Internet pour réaliser une méta-analyse. Mais nous devons rester vigilants afin de ne pas nous retrouver bientôt avec des méta-analyses de méta-analyses qui ne s’appuieraient plus sur aucune recherche fondamentale.

Mais il y a pire. En recherchant sur Medline par exemple sinus membrane perforation, 144 articles apparaissent. La moitié d’entre eux est constituée de rapports sur les conséquences cliniques des chirurgies, l’autre moitié d’articles proposant diverses techniques pour réaliser les augmentations de sinus. Seuls 6 d’entre eux, rédigés par 4 auteurs (Choi, Chan, Pommer, Reiser) présentent des résultats acquis sur le cadavre, le chien ou le lapin. Tous les autres articles présentent des techniques essayées directement sur les patients.

Ce n’est plus de la dentisterie, c’est de la vivisection !

Ces quatre dérives ne peuvent que porter préjudice à notre profession, qui commence à acquérir une certaine crédibilité dans le milieu médical, après des décennies d’ostracisme lié, justement, à son côté bricolage.