Cariologie : le point sur l’infiltration résineuse - Clinic n° 04 du 01/04/2014
 

Clinic n° 04 du 01/04/2014

 

ODONTOLOGIE CONSERVATRICE

Raphaël DUCAMP*   Christopher HOLMGREN**   Stéphanie LÉGER***   Sophie DOMÉJEAN****  


*Chirurgien-dentiste, attaché universitaire
**Centre de recherche en odontologie clinique EA 4847
63000 Clermont-Ferrand
***Consultant, Santé bucco-dentaire publique
****Aide odontologique internationale
1, rue Maurice-Arnoux
92120 Montrouge
*****Maître de conférences
******Département de mathématiques
Université Blaise-Pascal,
63177 Aubière
Service de santé publique – CHU
63003 Clermont-Ferrand
*******Professeur des Universités,
praticien hospitalier
********Service d’odontologie, Hôtel-Dieu, CHU
63001 Clermont-Ferrand
Université Clermont 1 – UFR d’odontologie
1 boulevard Charles-de-Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
Centre de recherche en odontologie clinique EA 4847
63000 Clermont-Ferrand

Une nouvelle option thérapeutique pour les lésions carieuses débutantes des surfaces lisses a été récemment mise au point : l’infiltration résineuse. Les preuves scientifiques issues d’études cliniques réalisées in vivo chez l’homme montrent que le traitement permettrait d’arrêter la progression des lésions carieuses proximales non cavitaires.

La prise en charge des lésions carieuses a considérablement évolué au cours des dernières décennies, glissant des traitements restaurateurs traditionnels vers des stratégies préventives, non invasives ou invasives a minima [1].

Plusieurs thérapeutiques non invasives ont ainsi été proposées pour les lésions carieuses non cavitaires : la reminéralisation par le fluor [2, 3] ou par un dérivé de caséine de lait (casein phosphopeptide-amorphous calcium phosphate ou CPP-ACP) [4] et le scellement thérapeutique [5, 6]. Depuis peu, une thérapeutique micro-invasive a été introduite pour les lésions carieuses non cavitaires des surfaces lisses ; il s’agit de l’infiltration d’une résine de basse viscosité à travers les porosités de l’émail déminéralisé [7-9]. Si un scellement thérapeutique consiste en l’application d’un matériau adhésif sur la lésion de manière à constituer une barrière de surface contre la pénétration des bactéries et de leurs sous-produits, l’infiltration se propose, elle, de créer une barrière interne à la lésion en remplaçant le minéral perdu par une résine de basse viscosité photopolymérisable [10]. Actuellement, le seul produit d’infiltration résineuse commercialisé est l’Icon® (DMG, Hambourg) (fig. 1 et 2).

Le but de cet article est de recenser et d’évaluer les preuves scientifiques existantes concernant l’efficacité, in vivo, de l’infiltration résineuse sur la progression des lésions carieuses initiales des faces proximales.

Matériels et méthodes

Critères de recherche de la littérature scientifique

Les études ayant évalué les effets de l’infiltration carieuse sur la progression du processus carieux ont été recherchées dans la base de données PubMed (1er octobre 2013). La requête a été réalisée à l’aide des combinaisons de mots clés suivants : « resin infiltration, dental caries », « resin infiltration, carious lesions », « resin infiltration, caries lesions », « caries infiltration », « Icon DMG », avec une limite de langue en anglais.

Critères d’inclusion

Les articles ont été sélectionnés en utilisant les critères d’inclusion suivants : études cliniques, réalisées in vivo, prospectives, contrôlées et randomisées ayant évalué l’effet de l’infiltration résineuse sur la progression des lésions carieuses initiales des faces proximales.

Données extraites

Pour les études sélectionnées, les données suivantes ont été extraites :

• caractéristiques de l’étude ;

• qualité du protocole ;

• proportion de lésions carieuses ayant évolué dans chaque groupe d’étude.

Indicateur choisi pour évaluer la progression carieuse

Le risque relatif (RR) et son intervalle de confiance à 95 % ont été calculés pour chacune des études sélectionnées. Le risque relatif illustre la proportion de lésions carieuses ayant progressé dans le groupe test (infiltration résineuse) par rapport au groupe contrôle.

Éléments de qualité

Pour les trois études retenues, différents critères de qualité ont été identifiés [11] :

• évaluation des résultats en aveugle : l’évaluateur ne sait pas à quel groupe la lésion évaluée appartient (test ou contrôle) ;

• critère (s) d’évaluation clairement décrit (s) ;

• information sur les perdus de vue.

Résultats

Sélection des études

Parmi les 123 articles identifiés grâce aux mots clés précédemment énumérés, seuls 4 articles se rapportant à 3 études différentes ont été inclus dans le présent travail [12-15]. En effet, 2 articles portaient sur la même étude mais avec 2 intervalles de suivi différents : respectivement 18 et 36 mois pour les travaux de Paris et al. [14] et de Meyer-Lueckel et al. [15]. En tout, 119 articles ont été exclus pour les raisons suivantes : 3 étaient des rapports de cas, 8 des revues de littérature, 14 des études in vitro sur dents humaines, 18 des études sur dents de bovins et 76 références étaient hors sujet.

Description des études retenues

Toutes les études retenues (tableau 1) étaient réalisées en bouche fractionnée (split mouth design) : chaque patient était à la fois test et contrôle avec une répartition des lésions entre groupes test et contrôle de manière randomisée. Ce protocole correspondait aux critères CONSORT pour les essais cliniques [11].

Toutes les études comportaient ainsi 1 ou 2 groupes contrôle, soit « vernis fluoré » [12], soit « application d’eau » [14, 15], ou encore « groupe 1 : scellement » et « groupe 2 : passage d’une microbrosse ». Selon l’étude, le groupe test a reçu soit un traitement par infiltration résineuse [13-15], soit une infiltration résineuse associée à une application de vernis fluoré [12].

La variable étudiée était la proportion de lésions ayant progressé durant la période d’étude. L’évaluation reposait sur une comparaison du stade d’évolution des lésions scorées sur radiographies rétrocoronaires (avant/après) (comparaison par paire, ou CP) et/ou sur la technique de soustraction d’images (SI) après numérisation des radiographies (avant/après). Martignon et al. [13] et Ekstrand et al. [12] ont choisi la comparaison par paire pour l’évaluation principale alors que Meyer-Lueckel et al. [15] ainsi que Paris et al. [14] ne l’ont considérée que pour l’évaluation secondaire, privilégiant la soustraction d’images. Martignon et al. [13] ont, eux, utilisé la soustraction d’images uniquement pour le suivi intermédiaire à 1 an (durée totale de l’étude : 3 ans). Ekstrand et al. [12] ont aussi fondé leur évaluation secondaire sur l’évolution des scores ICDAS (international caries detection and assessment system) [16] des lésions entre le début et fin d’étude.

Les pourcentages de perdus de vue dans les travaux retenus variaient de 5,1 à 12,5 % et ne compromettaient donc pas l’interprétation des résultats.

Synthèse des données des études

Le tableau 2 présente la synthèse des résultats de ces 3 études. Une différence a été observée dans les 3 études entre les groupes test et contrôle. Ainsi, le risque relatif (RR) était de 0,38 (IC 95 % : 0,2-0,7) au bout de 12 mois chez les enfants à haut risque carieux et respectivement de 0,11 (IC 95 % : 0,02-0,82) et de 0,46 (IC 95 % : 0,28-0,77) chez les adultes à risques carieux modéré et faible au bout de 36 mois.

Discussion

Le but de cette revue est d’évaluer les preuves scientifiques concernant l’efficacité in vivo de l’infiltration résineuse des lésions carieuses proximales non cavitaires. Seuls 4 articles se rapportant à 3 études in vivo ressortent de la requête informatique réalisée via PubMed.

L’homogénéité entre les études en termes de protocole et d’indicateurs utilisés permet de faire une analyse descriptive des résultats. En revanche, un calcul de méta-analyse n’a pas été possible car, parmi les études retenues, 1 a été réalisée sur dents temporaires [12] et 2 autres (3 articles) sur dents permanentes [13-15].

Malgré le faible nombre de patients inclus dans les études sélectionnées, de 22 [14, 15] à 48 [12], des différences statistiquement significatives existent entre groupes test et contrôle. En effet, le risque relatif est de 0,38 à 12 mois chez les enfants à haut risque carieux et respectivement de 0,11 et de 0,46 chez les adultes à risque carieux modéré et faible à 36 mois.

Dans une récente étude évaluant la faisabilité de l’infiltration résineuse dans la pratique quotidienne des chirurgiens-dentistes, Altarabulsi et al. [17] ont montré une réelle satisfaction du patient pour cette procédure. De plus, du point de vue du praticien, la difficulté de l’acte a été perçue comme étant comparable, voire plus facile, qu’une restauration avec un composite. Le champ d’indication de l’infiltration résineuse ne se limiterait pas à l’arrêt du processus carieux ; en effet, il semble que l’infiltration résineuse permette d’améliorer considérablement les propriétés optiques des dents porteuses de taches blanches dans le cas de fluorose, d’hypominéralisation molaires-incisives (MIH) ou de lésions amélaires non cavitaires (white-spots) [18-20]. Cette approche esthétique de l’infiltration résineuse au niveau des faces vestibulaires n’a pas été abordée dans le présent travail.

Conclusion

Les résultats des études cliniques montrent que l’infiltration résineuse semble prometteuse pour contrôler la progression des lésions carieuses proximales à la fois pour les dents permanentes et temporaires. L’inhibition de la progression carieuse par infiltration doit donc désormais être considérée comme une intéressante solution de remplacement aux restaurations plus invasives, mais elle implique une détection précoce des lésions et ne dispense pas d’un suivi approprié du risque carieux [21]. D’autres essais cliniques de haute qualité, avec un suivi à plus long terme, sont cependant indispensables pour confirmer l’efficacité de l’infiltration résineuse pour la prise en charge des lésions carieuses précoces des dents temporaires comme permanentes.

Bibliographie

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Remerciements

Les auteurs remercient chaleureusement le Pr Hervé Tassery (UFR d’odontologie, université Aix-Marseille) pour les documents photographiques.