Les prothésistes s’interrogent sur leur avenir avec les chirurgiens-dentistes - Clinic n° 06 du 01/06/2014
 

Clinic n° 06 du 01/06/2014

 

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ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

Les évolutions techniques de ces dernières années dans un contexte de mondialisation, et alors que les réglementations se multiplient, bouleversent la profession de prothésiste. Les chirurgiens-dentistes étaient invités par l’UNPPD* à débattre de l’avenir lors du dernier Dental Forum.

« Nous ne sommes pas en crise, nous sommes en mutation de société », affirmait Bernard Detrez, devant les prothésistes et des responsables ordinaux et syndicaux des chirurgiens-dentistes, lors du dernier Dental Forum qui se tenait au Parc floral de Vincennes, du 10 au 12 avril derniers. Une manière d’insister sur l’importance des changements passés et à venir. « L’ampleur des investissements à réaliser non seulement sur un plan matériel mais aussi sur celui du savoir-faire, de la veille réglementaire… va nécessiter une mutualisation au sein de la profession », a estimé Fred Picavet, président du Comident. Ainsi, la vague de regroupements chez les prothésistes va se poursuivre. Pour ne parler que des seuls équipements, la CFAO a imposé et impose toujours des investissements très élevés. Mais déjà la course à l’innovation se poursuit. Et avec elle de nouvelles interrogations. La technologie 3D pointe son nez… et baisse ses prix. Des pièces uniques sont aujourd’hui fabriquées avec des imprimantes 3D. Face à cette technique encore balbutiante mais qui s’annonce plus économe en la matière que la CFAO puisqu’il s’agit de construire un objet et non de détruire, « la CFAO résistera-t-elle ? » interroge Fred Picavet. Nul ne le sait aujourd’hui.

Des frontières « métier » qui s’estompent

Parallèlement aux investissements importants et aux restructurations prévisibles dans la profession, les prothésistes s’inquiètent de la disparition des frontières entre les métiers. « Ne laissons pas croire que le cabinet dentaire qui s’équipe d’une machine d’usinage et qui fait des formations de glaçage va s’en sortir. C’est une fausse idée », s’élève Thierry Beaune, membre de l’UNPPD. Ce responsable de laboratoire ne s’oppose pas au fait que certains chirurgiens-dentistes possèdent leur unité de production mais, pour lui, « le prothésiste doit être inté­gré dans cette démarche. Sachons progresser ensemble et définir des rôles qui font que demain il y aura toujours des prothésistes à même d’apporter un service, du design, de l’usinage, du glaçage qui sont de ­notre ressort », demande Thierry Beaune, président du CNIFPD*.

Daniel Viard, délégué général du Comident, se veut rassurant. « Les quelques déplacements de production entre les prothésistes et les cabinets dentaires ne bousculeront pas une tendance générale à la spécialisation de chaque métier. »

À chacun son métier

Les prothésistes veulent jouer l’apaisement entre les deux professions. En témoigne d’ailleurs la tenue de cette table ronde politique. Les représentants de la profession veulent cependant clarifier les rôles. « Nous sommes dans les labos, nous ne cherchons pas à voir les patients », affirme Laurent Munerot, responsable politique de Dental Forum. Chacun à sa place, donc. « Le prothésiste dépend de l’artisanat, le chirurgien-dentiste n’est pas prothésiste. Nous pouvons nous entraider », explique-t-il en citant l’exemple de la prothèse amovible pour laquelle le prothésiste propose une expertise qui peut être utile au chirurgien-dentiste. « Nous sommes deux professions qui doivent avancer ensemble », renchérit Bernard Detrez, tout en rappelant que, sur le terrain, les deux professions entretiennent de très bons rapports.

Délocalisation…

Mais le gros danger, pour la prothèse française, c’est la concurrence des pays à bas coûts. « Nous voulons continuer à travailler et savoir quel sera notre devenir quand on nous dit qu’avec le numérique, en appuyant sur un bouton, les prothèses seront produites dans des grands centres de production », s’inquiète Laurent Munerot.

… relocalisation

Pour Philippe Denoyelle, président de l’UJCD*, la généralisation de la CFAO va au contraire être un bon moyen de relocaliser la production. « Si on importe de la prothèse chinoise, c’est que le coût de la main-d’œuvre est bas en Chine. La machine en France va limiter ce coût et donner la capacité de relocaliser. » Les prothésistes comme les chirurgiens-dentistes ont tout à y gagner. Car la proximité est un argument fort. « Comment faire une retouche quand la prothèse est fabriquée en Chine ? » interroge Philippe Denoyelle.

Autour du patient

Pour l’heure, Serge Deschaux, conseiller technique à la CNSD*, est clair sur le fait qu’on ne peut pas empêcher un chirurgien-dentiste de se procurer ses prothèses de l’autre côté de la frontière si elles y sont fabriquées dans les normes et avec toutes les assurances. Pour lui, c’est au patient « informé » de faire son choix : « Le lieu de fabrication et l’éventuel sous-traitant doivent être portés à la connaissance du patient dès la signature du devis. Cette transparence est voulue et actée dans le devis. Et c’est au patient de décider de façon éthique s’il veut faire travailler un Chinois ou un Français à un coût qui sera différent. » Le patient est donc au centre du système. « On se doit de lui fournir un maximum d’informations objectives pour lui permettre d’avoir la capacité de décider », ajoute le représentant syndical. C’est l’objectif du kit de transparence mis en place par la CNSD, qui fournit au patient les informations sur l’origine et la sous-traitance éventuelle de la prothèse.

Nouveaux défis

« Je ne pense pas qu’il faille craindre les nouvelles technologies », conclut Alain Moutarde, secrétaire général de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, qui veut en revanche associer les prothésistes à une lutte contre « d’autres enjeux plus compliqués pour l’avenir ». Le défi majeur est celui de « la démographie professionnelle et des cabinets low cost qui vont sûrement tirer les professions de chirurgien-dentiste et de prothésiste vers le bas. Nous allons vers des marchés d’offre à bas coûts ; bien loin des préoccupations de santé publique », poursuit Alain Moutarde. Les deux professions ne seront pas de trop pour affronter ce « phénomène de société ».

* UNPPD : Union nationale patronale des prothésistes dentaires. CNIFPD : Centre national d’innovation et de formation des prothésistes dentaires, qui dépend de l’UNPPD. UJCD : Union des jeunes chirurgiens-dentistes. CNSD : Confédération nationale des syndicats dentaires.