Vers la fin de la liberté d’installation ? - Clinic n° 10 du 01/11/2014
 

Clinic n° 10 du 01/11/2014

 

JURIDIQUE

Audrey UZEL  

Cabinet Houdart et associés - Avocat au
barreau de Paris

L’avant-projet de loi de santé fait couler beaucoup d’encre et satisfait peu de monde. Les professionnels libéraux sont également concernés par les réformes envisagées. L’une devrait faire bouger les lignes de la profession si elle était adoptée par le Parlement. L’avant-projet prévoit en effet de revenir sur le sacro-saint principe de liberté d’installation.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les chirurgiens-dentistes qui souhaitent s’installer (que ce soit en primo-installation ou en exercice complémentaire) se tournent vers l’Ordre auprès duquel ils souhaitent être rattachés, qui les inscrit au tableau. Actuellement, les chirurgiens-dentistes sont libres de choisir leur lieu d’installation. En primo-installation, l’Ordre ne peut refuser l’installation d’un professionnel dans une grande ville de la région PACA par exemple, alors même que l’offre de soins y est d’ores et déjà très importante. Cela est un peu différent en exercice complémentaire puisque le praticien doit démontrer que les besoins des patients le justifient. Ainsi, aujourd’hui, l’installation d’un professionnel exerçant des soins de premier recours ne répond pas au même régime que celui des établissements de santé envisageant la poursuite d’une activité de soins de second recours (médecine, chirurgie…) : l’établissement doit demander une autorisation à l’Agence régionale de santé (ARS) qui ne peut l’accorder que si la demande répond aux besoins de santé sur le territoire concerné. L’État ne peut donc imposer un lieu d’installation aux chirurgiens-dentistes, qui disposent du principe de liberté d’installation.

Qu’est-il envisagé ? Pour apprécier le bien-fondé d’une demande de soins de second recours, l’ARS établit un « projet régional de santé », contenant un « schéma régional d’organisation des soins » (SROS) qui fixe les besoins par territoire de santé. Cela permet de répartir les nouvelles demandes sur des zones moins dotées et d’éviter une concentration des établissements dans des zones bien ou surdotées. Cette cartographie des besoins de santé n’est pas opposable aux professionnels libéraux. C’est pourquoi les Ordres ne sont pas tenus de s’y référer pour inscrire un nouveau confrère au tableau. Mais l’avant-projet de loi propose de revenir sur ce principe et d’opposer le SROS aux professionnels libéraux. Cela reviendrait à restreindre le principe de liberté d’installation car les chirurgiens-dentistes devront s’installer là où il existe des besoins identifiés par le SROS. C’est donc par une méthode coercitive que la ministre de la Santé entend mettre un frein à la désertification médicale. Si cette disposition était adoptée, les Ordres seraient en effet contraints de vérifier que la demande d’installation d’un nouveau professionnel ou la demande d’exercice complémentaire est compatible avec les besoins identifiés par le SROS. Ainsi, si un chirurgien-dentiste exprime le souhait de s’installer à Nice, il pourra se voir opposer un refus au motif que l’offre de soins dentaires est suffisante pour cette ville. Il pourra en revanche s’installer dans un endroit certainement plus isolé, là où la demande existe.

À RETENIR

Les chirurgiens-dentistes, déjà contraints d’exercer une profession en fonction du classement obtenu en première année de médecine et d’aller poursuivre leurs études parfois dans une faculté très éloignée de leur domicile, pourraient bientôt voir peser une nouvelle contrainte sur leur lieu d’installation si l’avant-projet de loi en cours de discussion poursuit son chemin en l’état. Le syndicat des médecins généralistes s’est soulevé contre cette proposition. Il y a fort à parier qu’il ne sera pas le seul…