« Il faut une volonté politique pour financer la formation en odontologie » - Clinic n° 10 du 01/10/2016
 

Clinic n° 10 du 01/10/2016

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

La volonté de réforme en créant une 4e année en orthopédie dento-faciale (ODF) et en médecine bucco-dentaire (MBD), les réticences des doyens face aux projets de mise en place de facultés de santé et de licences de santé, l’élaboration d’un plan hôpital-odontologie pour obtenir des financements… En ce début d’année, Robert Garcia, président de la Conférence des doyens détaille pour Clinic les sujets en discussion et leurs enjeux.

Quelle est la réforme à l’étude pour l’internat ?

Après la mise en place de la réforme du 3e cycle des études médicales qui prendra effet à la rentrée 2017, nos deux ministères de tutelle, la santé et l’enseignement supérieur, souhaitent mettre en œuvre cette réforme en pharmacie et en odontologie.

La CNEMMOP1 est chargée de poursuivre ce travail sur le modèle de celui effectué pour les sciences médicales.

Pourquoi mettre en place une 4e année d’internat ?

Mis à part la médecine générale, tous les DES de spécialité médicaux se font en 4 ans. Je ne voudrais pas que nos internes, qui ont les mêmes statuts et qui sont régis par les mêmes textes que ceux de médecine et de pharmacie, n’aient plus les mêmes droits et accès aux mêmes formations que les médecins et les pharmaciens en raison d’une « sous-formation ». Cela fait vraiment partie de l’intégration hospitalière de notre discipline. C’est la raison pour laquelle l’ODF et la médecine bucco-dentaire réfléchissent, dans le cadre de la CNEMMOP, à la mise en place d’une 4e année d’études afin d’élever leur niveau de compétences.

C’est une volonté politique et stratégique même si, dans la profession, certains ont du mal à le comprendre. Nous ne devons pas rester en « sous-formation » par rapport aux autres disciplines médicales.

Comment concevoir cette 4e année ? Prenons le cas de l’ODF…

Il faut d’abord être conscient que si la formation de cette spécialité était déjà organisée dans le cadre du CECSMO2, l’internat qualifiant lui a donné une orientation beaucoup plus hospitalière qu’avant. Avec une formation de 7 650 heures et un temps plein à l’hôpital en lieu et place des 2 300 heures et un mi-temps hospitalier, l’orientation médicale de la spécialité devenait évidente.

C’est ce qui a été mis en place depuis maintenant 4 ans. Nous devons poursuivre dans cette voie en donnant aux futurs spécialistes les compétences orthodontiques leur permettant d’aborder les situations les plus délicates de la discipline. C’est cette capacité à prendre en charge tous les patients, de la naissance au « 4e âge », qui doit orienter notre réflexion. Cela va de la prise d’empreinte à un nouveau-né dans le cadre du traitement des grands syndromes, des maladies rares et des fentes faciales jusqu’à la prise en charge des patients apnéiques et aux traitements pluridisciplinaires complexes des patients hypermédicalisés.

Il ne s’agit donc pas de faire en 4 ans ce qui est actuellement réalisé en 3 ans mais bien d’augmenter le champ de compétences des futurs spécialistes.

Quels sont les projets pour la chirurgie orale ?

Cet internat n’a pas mal fonctionné. Les internes sont bien formés et sont nombreux à vouloir pratiquer à l’hôpital. Toutefois, le conflit persiste avec certains chirurgiens maxillo-faciaux qui refusent ce cursus. Le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes a dû aller jusqu’à la Cour européenne de justice pour défendre ce dossier ! Cet internat est aujourd’hui entériné par les instances ordinales médicales qui avaient instruit ce recours.

Mais les étudiants issus de médecine ne sont pas assez nombreux faute de terrains de stage dans les services de chirurgie maxillo-faciale. Il semble que les choses s’améliorent du côté médecine, l’avenir le dira.

Par ailleurs, dans le cadre de la réforme des DES de médecine, nous étions en négociation avec nos collègues de chirurgie maxillo-faciale pour créer un DES commun de chirurgie orale et de chirurgie maxillo-faciale, dans lequel, avec une formation médicale pour les dentistes et avec une formation odontologique pour les médecins, les internes auraient obtenu un double diplôme. Il n’était pas question pour les premiers de pratiquer la médecine ni pour les seconds l’odontologie, mais de donner à tous ces internes un niveau de compétence leur permettant d’obtenir une reconnaissance européenne et de pouvoir ainsi exercer cette spécialité dans l’ensemble de l’Union européenne. Ce projet est bloqué parce que les médecins souhaitaient imposer aux étudiants odontologistes de passer l’examen national classant (ECN), en plus du concours de l’internat en odontologie, et d’être classés au minimum au niveau du dernier reçu en maxillo-facial. Autant dire que les étudiants odontologistes non préparés à cet examen n’avaient aucune chance ! Dans ces conditions, ce projet est mort.

L’internat en médecine bucco-dentaire suscite des interrogations dans la profession…

Cette troisième spécialité, pourtant bien maquettée par rapport à la cible, n’est pas toujours comprise par les libéraux. Elle était nécessaire pour pratiquer des soins particuliers sur des populations spécifiques. Le Pr Reza Arbab-Chirani, doyen de la faculté de Brest et ancien interne, vient d’ailleurs de réaliser une enquête sur cette spécialité. En fait, les disciplines non qualifiantes n’ont pas forcément trouvé leur niche dans cette formation. Et un grand nombre de praticiens ne comprend pas cette spécialité parce qu’elle est un mélange de disciplines pour une pratique généraliste sur des populations bien définies.

Le passage de cette spécialité à 4 ans d’études lui donnerait plus de lisibilité, notamment au niveau hospitalier. Une idée serait que les étudiants choisissent une option orientée en 4e année (prothèses, odontologie conservatrice et endodontie, odontologie pédiatrique, parodontologie). Ils auraient ainsi une formation disciplinaire plus ciblée, ce qui faciliterait leur recrutement s’ils choisissaient de faire une carrière hospitalo-universitaire.

Cette 4e année permettrait aussi à l’interne d’acquérir le statut d’étudiant spécialiste. Ce n’est pas une nuance ! Notre filière pourrait ainsi avoir accès à un statut de chef de clinique en odontologie. Cela formerait le creuset de recrutement des futurs cadres de la formation hospitalo-universitaire.

Les ministères vous suivent-ils dans la mise en place de cette 4e année ?

Pour le moment, nous en sommes à une lettre de mission à la CNEMMOP ! C’est donc leur volonté de voir évoluer la formation en odontologie.

Cela va dans le sens d’une uniformisation de toutes les études médicales. Mêmes statuts hospitalo-universitaires, mêmes cursus en durée d’études… Nous voyons arriver une volonté de création de facultés de santé. Et là, nous sommes sur la réserve. Car qui dit faculté de santé dit regroupement de la médecine, de l’odontologie, de la pharmacie et sans doute aussi de la maïeutique. S’il n’y a plus qu’une UFR (unité de formation et de recherche) de santé pour les quatre disciplines, l’odontologie risque d’y perdre son identité et son autonomie !

La Conférence des doyens exprime ses plus grandes réserves quant à ce projet de regroupement qui, aux dires des conseillers ministériels, ne nous sera pas imposé par voie réglementaire.

Qu’est-ce qui est prégnant dans le fait que l’odontologie reste une filière indépendante ?

Une UFR d’odontologie gère le budget et les effectifs qu’elle négocie avec l’université. Dans le cas d’un regroupement, le risque est que les disciplines vitales, par exemple la cardiologie, soient toujours mises en avant au détriment de l’odontologie. Et on peut comprendre l’opposition farouche de nombreux doyens. La constitution de « collegiums » au sein desquels on mettrait en commun des formations et on partagerait des moyens tout en conservant une certaine indépendance pourrait être une autre solution. Mais l’idée du ministère est aussi d’intégrer le processus de Bologne dans le monde de la santé…

Qu’est-ce que l’intégration de la santé au processus de Bologne changerait pour l’odontologie ?

La PACES3 suivie des deux premières années de dentaire permet aujourd’hui d’obtenir un grade de licence mais pas un diplôme. Le ministère réfléchit à la mise en place d’une licence santé à l’issue de laquelle les étudiants choisiraient une filière. En 3e année de licence, ils pourraient suivre des unités d’enseignement spécifiques à la filière qu’ils souhaiteraient intégrer. Par exemple, un enseignement de gestuelle qui apprenne à faire des points de suture pourrait être un préalable à l’entrée en odontologie ou en chirurgie générale. Dans ce schéma, l’odontologie redeviendrait une filière des sciences médicales, comme l’était la stomatologie. Ce type de cursus n’emporte pas non plus l’enthousiasme dans la profession. Mais c’est une tendance. Et s’il y a une volonté politique, cela se fera probablement quelle que soit la couleur politique des décideurs.

On observe déjà que, lors du recrutement des maîtres de conférences des universités (MCU) et des professeurs des universités (PU), les ministères imposent aux candidats odontologistes de présenter, en plus des prérequis officiels, trois publications internationales de rang 1 pour les MCU et cinq pour les PU, comme cela est demandé aux médecins et aux pharmaciens. Cette exigence est difficile à atteindre car il existe peu de revues scientifiques de ce niveau en odontologie par rapport au nombre de revues médicales. Cela étant, les candidats parviennent maintenant à ce ?niveau de recherche.

Quand l’odontologie réclame des moyens depuis de nombreuses années, est-elle entendue ?

La création de l’internat qualifiant conjointement au recrutement des hospitalo-universitaires à temps plein, et celle de la 6e année ont été des changements majeurs à moyens constants. Nous formons des étudiants, des internes mais il faut aussi que les praticiens hospitaliers à temps plein qui les encadrent puissent pratiquer. Je rappelle que leurs missions sont l’enseignement, la recherche et les soins. Or, ils n’en ont pas la possibilité par manque de fauteuils.

S’agissant des étudiants, les délocalisations comme à Rouen, au Havre ou à Caen ne suffisent pas. L’avantage est certes que les étudiants ont beaucoup de pratique mais leur expérience est limitée à celle du praticien hospitalier qui les accompagne. Ce n’est pas satisfaisant.

Une autre idée serait de faire revenir les étudiants dans le CHU où ils ont obtenu leur PACES quand il n’y a pas de faculté d’odontologie. Ces étudiants seraient formés par les praticiens hospitaliers odontologistes des services de stomatologie ou de chirurgie maxillo-faciale des hôpitaux du CHU. Mais pour cela, il faut des praticiens hospitaliers pour les former !

Nous en manquons terriblement. Au niveau régional, d’autres spécialités vitales sont toujours servies avant nous. Il faut une volonté politique qui permette de dégager le financement pour mettre à niveau l’odontologie par rapport aux besoins de formation.

Nous sommes en train d’identifier les besoins humains et en plateaux techniques dans les 16 facultés de chirurgie dentaire afin d’élaborer un plan hôpital-odontologie. L’objectif est que ce soit le ministère de la Santé qui tranche et qui finance…

La fusion des facultés parisiennes est-elle toujours d’actualité ?

Nous essayons de fusionner avec Montrouge depuis 6 ans. Nous sommes prêts au niveau de la recherche, de l’enseignement mais pas de l’offre de soins parce qu’il nous manque un bâtiment commun de 27 000 m2 pour ces trois missions. Tout le monde s’enthousiasme pour notre projet de prise en charge des étudiants d’Île-de-France mais, pour le moment, un conflit qui nous dépasse totalement entre l’État, qui occupe des bâtiments parisiens sans payer de loyer, et la Mairie de Paris, bloque l’avancée du projet de fusion.

Qu’avez-vous pensé des résultats de l’enquête de l’UNECD montrant que 35 % des étudiants interrogés sont témoins ou victimes d’actes ou de paroles indignes venant d’enseignants ?

Le comportement de certains de nos enseignants m’attriste. Cette enquête a été encouragée par la Conférence des doyens car des problèmes de harcèlement inacceptables ont été décelés. L’afflux de réponses dès le premier jour du lancement de l’enquête, 2 000 sur les 8 500 étudiants, montre qu’il y a vraiment une demande de réponses. Il n’est pas normal qu’un étudiant ne se sente pas bien quand il arrive dans une structure d’enseignement. Si certains étudiants disent très mal vivre leurs études, en revanche, l’enquête montre aussi qu’ils sont généralement très contents du contenu de leur formation.

1. CNEMMOP : Commission nationale des études médicales, de maïeutique, d’odontologie et de pharmacie

2. CESMO : certificat d'études cliniques spéciales, mention orthodontie

3. PACES : première année commune aux études de santé