La movida du dentiste - Clinic n° 11 du 01/11/2016
 

Clinic n° 11 du 01/11/2016

 

ÉQUIPE ET ESPACE

CATHERINE FAYE  

À 2 minutes du Passeig de Gràcia, l’une des plus grandes artères huppées de Barcelone, le cabinet dentaire d’Alfredo Riviello ne manque pas de caractère. Installé dans un ancien magasin de textiles du début du XXe siècle, il fait figure d’îlot de résistance face à une concurrence… Pas toujours loyale.

« Des cabinets dentaires, il y en a beaucoup à Barcelone. Mais il n’en existe qu’un seul différent des autres. » L’accroche du site Internet d’Alfredo Riviello peut surprendre. Mais nous sommes en Espagne. Et les rivalités entre les cabinets dentaires sont parfois rudes. Quelque 6 000 chirurgiens-dentistes rien qu’en Catalogne, un dentiste pour 1 000 habitants dans le pays, une situation économique et financière bouleversée par la crise, des mois restés sans gouvernement, un difficile retour des exilés… Dans ce contexte tendu, l’Espagne peine à se redresser et la profession dentaire joue des coudes. À n’importe quel prix. Trop d’universités privées (11 500 € le diplôme), pas de numerus clausus, des spécialisations postuniversitaires créées par les professeurs de facultés eux-mêmes dans le but d’obtenir des financements de banques, d’assurances ou de mutuelles privées (lesquelles montent leurs propres cabinets dentaires et les imposent à leurs adhérents), racolage publicitaire, sans compter la mainmise des centres dentaires low cost : le tableau est déconcertant. « Ici, après 5 années d’études sans pratique ni aucune expérience, les étudiants se retrouvent sur un marché saturé, incapables de soigner un patient. Ils ne savent même pas ce qu’est du silicone ! » se désole celui pour qui soins rime avec éthique et qualité. Récupérés par les franchises des grands groupes low cost, ces jeunes praticiens se lancent alors dans la profession, à tâtons, pour quelque 1 000 € mensuels. De piètres soins dentaires sur fond de corruption, l’Espagne n’en est pas loin. En 10 ans, la situation est devenue un problème de santé publique. Dans un tel environnement, comment Alfredo Riviello a-t-il su tirer son épingle du jeu ?

Le grand saut

Arrivé en Espagne il y a une vingtaine d’années, cet Argentin n’en est pas à un coup d’essai. Il a su tirer des enseignements de son parcours et de ses expériences. Diplômé en 1994 de la Universidad Nacional de Cuyo, à Mendoza, ce féru d’architecture s’entend dire par sa mère, médecin et directrice d’hôpital : « Si tu restes ici, tes horizons seront limités. » Sa carrière commence néanmoins dans un cabinet argentin, loué avec deux autres praticiens avec qui il partage un seul fauteuil. Au bout de 2 ans, l’appel du large se fait sentir. Il s’envole pour l’Espagne. Après une première expérience dans un cabinet à Séville, il se tourne vers Barcelone et rachète, avec un associé, un cabinet et sa patientèle, au cœur de la ville, face au Corte Inglés, la célèbre enseigne de prêt-à-porter. Cinq ans plus tard, lassé par l’exiguïté de son local et l’obsolescence de son matériel, il s’adresse aux premiers chirurgiens-dentistes argentins installés à Barcelone dans les années 1970, Juan Carlos Balla et Víctor Oro Espinola. Le second lui propose de venir travailler dans son cabinet dans l’un des quartiers les plus cossus de la ville. Là, outre l’omnipratique, son cheval de bataille, il découvre l’esthétique qui le passionne et l’amène à aller se former à Madrid et à Bruxelles. Mais, en 2010, le praticien prend sa retraite. Alfredo rachète alors une patientèle et un local dans ses moyens. Situé au nord-ouest de la ville, dans le quartier populaire de Sants, le cabinet se trouve dans un entresol. Le changement est radical. « Je ne me sentais pas dans mon élément, le cabinet manquait de charme et mon carnet de rendez-vous ne se remplissait pas autant que je l’espérais avec la crise économique qui battait son plein. Pourtant j’avais constitué une bonne équipe avec une assistante, un implantologue et une orthodontiste qui m’ont d’ailleurs suivi par la suite. »

Fin 2014, il se met en quête d’un nouveau lieu. Rêve de revenir s’installer non loin de l’agréable Passeig de Gràcia, bordé d’immeubles de style moderniste catalan. Central, haut de gamme et facilement accessible (train, transports en commun, parkings), le quartier abrite de nombreux bureaux et des Barcelonais aisés. Un tel environnement lui offrirait une perspective de développement et de réussite professionnelle en cohésion avec sa conception du soin. Les visites se succèdent jusqu’à ce qu’il découvre un ancien magasin de tissus dans le style moderniste du quartier, un espace unique, haut de plafond, de 180 m2, situé au rez-de-chaussée. Autant d’éléments qui le décident à signer tout de suite et à convaincre sa banque de lui octroyer un prêt de 100 000 € pour une partie des travaux. Il demande à son compagnon, Agustín, responsable marketing, d’apporter son savoir-faire à ce nouveau départ. Sans tomber dans la caricature des spots publicitaires prônant les prix cassés des centaines de cabinets dentaires de Barcelone, celui-ci fait le choix de mettre en avant les valeurs de service, de qualité et de soins personnalisés d’Alfredo via Internet*, Facebook, affiches dans les kiosques à journaux et à l’entrée du cabinet (et ce en langue catalane, sous peine de verbalisation !), kits dentaires offerts, flyers, cartes de visite et logo. « Il fallait s’adapter pour gagner ce pari. » Mais pour que le concept mis en œuvre trouve toute sa force, c’est l’entente et la cohésion de l’équipe qui vont permettre de relever le défi. « Nous sommes comme une famille et nos patients apprécient l’atmosphère chaleureuse dans laquelle ils sont accueillis. » Au-delà de leurs compétences, Alfredo, Mireille Frehner, orthodontiste, et Miguel Angel González Sánchez, chirurgien maxillo-facial et implantologue, proposent des plans de traitement élaborés dans l’écoute du patient. Et surtout, sans artifice.

À deux pas des monuments de Gaudí

Le cabinet ouvre ses portes en juin 2015, à l’issue des travaux. « J’ai voulu conserver les hauteurs de plafond, les différents matériaux, l’âme des lieux. Nous avons récupéré d’anciens panneaux vitrés en bois, qui séparaient à l’époque les vendeurs entre eux, pour délimiter un salon d’attente cosy. La banque d’accueil est également d’origine : elle servait de comptoir. » L’ossature est mise à nu, les parois curetées, les sols nettoyés, tous les circuits électriques, d’eau et de chauffage dissimulés dans des conduits apparents en aluminium. L’effet, brut, calleux et authentique, instaure d’emblée un climat apaisant. Le choix des couleurs - beige, brun, bronze - apporte une note chaude. Les éclairages, par un jeu subtil de faisceaux directs et indirects, prolongent la lumière naturelle de l’accueil plongeant sur la rue par une large baie vitrée. Peu de tableaux ou d’objets, mais chacun raconte une histoire, comme cette malle retrouvée parmi les rebuts de l’ancienne boutique. Les meubles ajoutent une touche design. Signés, ils allient esthétisme et confort. L’alternance d’échappées verticales ou horizontales et d’espaces plus intimistes favorise une variation des atmosphères d’une salle de soins à l’autre. La première, moins vaste, jouit de deux colonnes blanches et d’un microscope Zeiss OPMI, un des choix stratégiques d’Alfredo. « Ergonomique et ultra-performant, il me permet de travailler debout, avec plus de précision. » Un avantage pour le praticien victime d’un accident de moto peu de temps avant l’ouverture du cabinet et blessé à la jambe, ainsi que pour le patient « qui se sent moins envahi pendant les soins ». Ce microscope est une des clés de voûte du cabinet. « Il y en a très peu à Barcelone : cela me permet de proposer des formations aux néophytes, de leur en montrer l’apport et les capacités, notamment en endodontie, en périodontie, en chirurgie ou en implantologie. » Ainsi, la moitié de la très vaste seconde salle de soins, équipée d’un fauteuil Siemens SIRONA comme la première, est destinée à recevoir étudiants ou praticiens. La stérilisation sépare les deux salles de soins où tout est rangé à l’identique dans les tiroirs, de façon à pouvoir passer d’un fauteuil à l’autre sans erreur possible. Hormis une radio Kodak CS 2100, les panoramiques sont, quant à elles, effectuées dans un centre de radiologie voisin.

Pour obtenir son numéro de registre sanitaire, toute l’équipe assistée d’Elena et d’Elayde – en cours de formation d’hygiéniste– , a mis en place une hygiène de tous les instants, dans le respect des contraintes et des protocoles sanitaires et de sécurité exigés par le département de la Santé du gouvernement catalan : panneaux de signalisation, descriptifs des manipulations, contrôle de rayons X, assurances, normes pour les personnes en situation de handicap, cahiers de registre avec un récapitulatif de toutes les étiquettes des produits utilisés, des dates de péremption et de soins, contrôle hebdomadaire des micro-organismes qui pourraient contaminer la stérilisation… Et ce en langue catalane, sous peine de verbalisation ! Mais à l’impossible nul n’est tenu et Alfredo Riviello peut se targuer d’avoir su créer un cabinet qui ne désemplit pas et où la relation avec le patient garantit un plan de traitement de qualité. Alors que de nombreux praticiens commencent à mettre la clé sous la porte, celui-ci a conçu un lieu à son image : original, ouvert et honnête. Un changement dans le paysage dentaire espagnol s’amorce.

* www.riviello.es

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