Substituabilité et qualité - Clinic n° 12 du 01/12/2016
 

Clinic n° 12 du 01/12/2016

 

C’EST MON AVIS

Guillaume SAVARD  

Notre profession vit des heures curieuses. Des centres low-cost produisent ici les mêmes ravages qu’ils ont produits en Espagne. Des magazines expliquent aux lecteurs comment négocier les tarifs. Des praticiens s’interrogent sur leur avenir. Même marginal, le tourisme médical est une réalité. Dans ce brouhaha, peut-on encore s’en sortir par le haut et par la qualité ?

L’une des principales difficultés actuelles est la logique de marchandisation qui imprègne les...


Notre profession vit des heures curieuses. Des centres low-cost produisent ici les mêmes ravages qu’ils ont produits en Espagne. Des magazines expliquent aux lecteurs comment négocier les tarifs. Des praticiens s’interrogent sur leur avenir. Même marginal, le tourisme médical est une réalité. Dans ce brouhaha, peut-on encore s’en sortir par le haut et par la qualité ?

L’une des principales difficultés actuelles est la logique de marchandisation qui imprègne les comportements des patients. Tant que le patient consommateur pensera que tous les actes se valent, il préférera le moins cher. Or, à l’extrémité de ce raisonnement se trouve le low-cost (qui ne devrait pas être une option en fait de santé et de traitement des affections). Cette « équivalence supposée » des actes pose aussi problème vis-à-vis des grands « acheteurs de soins ». Là encore, l’assurance ou le réseau ira au moins coûteux immédiatement et tentera, tôt ou tard, de contrôler toute la chaîne de production*. Le péril est donc avéré d’une course déjà entamée au « bas-coûtisme » dont il n’a pas fallu longtemps pour constater le dommage sans prix sur la santé. Nous sommes dans un monde marchand où la clarté de la valeur santé a disparu sous le brouillard épais du coût des services des « offreurs de soins ».

L’économie définit la notion de substituabilité comme le fait que deux biens sont jugés équivalents par le consommateur. On peut sans perte substituer l’un à l’autre. On préférera normalement le moins cher. Cela nécessite cependant un état de concurrence pure et une parfaite information du consommateur. Ce qui est rare en général et l’est particulièrement en médecine.

Cette course au low-cost est rendue donc fondamentalement possible par un défaut d’information. Il est nécessaire que nous redonnions une image positive et inébranlable de notre fonction médico-chirurgicale, de la noblesse de notre art si particulier dont certains voudraient qu’il se pratique comme un commerce. Ce n’en est ni l’usage ni la nature intime. Devant les payeurs (assurances, patients), nous avons besoin d’un véritable outil de non-substituabilité : un organe de juste information sur la nature des actes médico-chirurgicaux et sur leur qualité. La profession doit se doter d’un système positif, ouvert et confraternel d’information-qualification sur la qualité des soins dispensés**.

C’est en introduisant la diversité naturelle de nos pratiques et tropismes, de notre expertise relative dans les différentes disciplines, du plateau technique et de la mise en œuvre des procédures de sécurité sanitaire ainsi que de la tenue des dossiers que nous pourrons faire levier sur la « demande » et rendre sa noblesse à notre profession. C’est en aspirant à la qualité et en le faisant reconnaître individuellement, tout en certifiant le degré d’indépendance relative du praticien  –l’absence de conflit d’intérêts ou d’irruption d’un tiers non soumis au Code de déontologie dans le processus thérapeutique – que nous pourrons, en cette heure menaçante, aspirer à sortir par le haut du non-sens dans lequel logique bureaucratique et logique financiaro-assurantielle nous ont précipités.

Tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une entaille dans notre déontologie  –ce qui n’est que la reconnaissance des tropismes et expertises de chacun –, ce petit sacrifice vaut mieux à mon sens aujourd’hui que de laisser sombrer corps et âme le Code tout entier dans la spirale féroce de forces parfaitement étrangères à la noblesse du soin de l’autre.

* Qu’il me soit permis de renvoyer là le lecteur à l’article « Après les éleveurs de poulets, les chirurgiens-dentistes ? » du SFCD.

http://www.sfcd.fr/content/files/Article%20poulet2016%20 (1).pdf

** Dans ses conférences à la profession, l’économiste Frédéric Bizard nous y invite sans échappatoire.