Un point sur les connaissances actuelles - Clinic n° 01 du 01/01/2017
 

Clinic n° 01 du 01/01/2017

 

BISPHÉNOL A

ACTU

ACD  

Force est de constater qu’il reste encore beaucoup à apprendre sur les effets du bisphénol A. Tandis que les recherches continuent, quelques gestes simples permettent de protéger les patients.

« Le bisphénol A a des effets sur beaucoup de choses mais on ne sait pas exactement quoi et à quelle dose », remarquait Marc Deviot (Paris Descartes) lors de la séance de l’ADF. Cette molécule, qui fait partie des quelque 800 recensées comme perturbant le système endocrinien, est suspectée d’avoir des effets toxiques sur les systèmes hormonal, œstrogénique et thyroïdien. On suppose que son action est potentiellement importante sur les organismes en développement. Les enfants et les femmes enceintes sont des populations particulièrement à risque. Elle pourrait être un des facteurs causal de l’hypominéralisation molaire-incisive (MIH, molar incisor hypomineralization), une pathologie quasi inexistante dans les années 1980 et qui touche aujourd’hui de 15 à 18 % des enfants dans le monde.

Le bisphénol A, connu depuis plus d’un siècle et très utilisé dans l’industrie plastique, a envahi notre quotidien. Qu’on le veuille ou non, nous y sommes tous exposés. On en retrouve systématiquement dans les eaux et la nourriture. Une étude de 2008 a montré qu’il est détecté dans 92,6 % des urines de la population, quels que soient son lieu de vie et son activité.

Pour en limiter l’exposition, la réglementation internationale s’est durcie depuis 2010. La France l’a interdit en 2015 dans les conditionnements à usage alimentaire. Pourtant, les substituts utilisés par les industriels, comme le bisphénol F et le bisphénol S, ne sont guère plus rassurants. Toutes les études in vitro montrent que ces molécules « ont globalement le même type d’action », note le toxicologue Xaviel Coumoul. Mais « comme peu d’études existent, il n’y a pas de réglementation ». En 2014, on ne recensait qu’une centaine d’articles sur le bisphénol S et le bisphénol F, alors qu’il en a été publié plus de 10 000 sur le bisphénol A ! L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a, depuis, lancé un programme de recherche sur ces molécules de substitution.

Et dans le dentaire ?

Le bisphénol A n’est pas directement présent dans les composites mais il l’est par l’intermédiaire de monomères dérivés du bisphénol A. Une analyse des fiches de sécurité de 214 composites, 33 ciments de scellement, et 20 composites de collage a montré que près de 80 % de ces matériaux contiennent un dérivé du bisphénol A. Les « informations sont insuffisantes » pour se prononcer sur les 20 % des matériaux restants, remarque Marc Deviot.

Adopter le principe de précaution

Que peut faire le praticien face à ces incertitudes ? Préférer, quand cela est possible, les matériaux de substitution exempts de système résineux, comme la céramique. Sinon, Marc Deviot recommande des « trucs » cliniques efficaces pour limiter l’exposition de patients au bisphénol A et autres monomères : la pose d’une digue, une bonne photopolymérisation et le nettoyage de la surface photopolymérisée avec un coton sec, puis un gargarisme de 30 secondes en recrachant permet de diviser par 10 la quantité de monomères relargués. Une observation intéressante car le pic de relargage est observé dans les 24 heures suivant la pose.

Les matériaux d’avenir

« On se veut assez serein avec une bonne utilisation de ces matériaux », remarquait Élisabeth Dursun (Paris Descartes), membre de la Société francophone des biomatériaux dentaires (SFBD) et responsable de l’évaluation biologique des matériaux, lors du colloque « Vers une dentisterie sans perturbateurs endocriniens » qui se tenait au Sénat en juin dernier. La SFBD étudie des matériaux de substitution comme les ciments verre ionomère condensables – des matériaux sans résine – dont les dernières formulations n’ont toutefois « pas encore les mêmes propriétés mécaniques et [dont] l’esthétique est à améliorer » mais, à l’avenir, « on peut espérer que cela concurrence les résines classiques », pense Élisabeth Dursun. Autre piste, les blocs en céramique ou en composite fabriqués sous haute pression pour être usinés et qui ne relarguent aucun monomère. La recherche se tourne aussi vers les résines issues de la chimie des plantes.