« Je soigne la conséquence, pas la cause » - Clinic n° 02 du 01/02/2017
 

Clinic n° 02 du 01/02/2017

 

DENISE PSAUME VANDEBEEK Kinésithérapeute, spécialiste de l’ATM

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

À deux pas du musée Rodin à Paris, Denise Psaume Vandebeek reçoit des patients qui souffrent de problèmes de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM). Ses 74 printemps n’ont pas altéré l’énergie qu’elle déploie pour inciter ses patients de tous âges à réaliser les exercices de rééducation exigeants qu’elle a mis au point voilà plus de 40 ans. Ses instruments de travail : une table de massage, un tabouret et un grand miroir…

Quelles pathologies soignez-vous ?

Les pathologies de l’articulation temporo-mandibulaire sont très diverses : suites d’un cancer, d’une chirurgie maxillo-faciale, d’un phénomène infectieux osseux ou articulaire, d’un traumatisme (contusion, fracture, luxation osseuse) ou d’habitudes nocives (tics, manies, serrements de dents, mouvements inappropriés de la langue, des lèvres, des muscles moteurs des articulations temporo-mandibulaires).

Ces habitudes nocives, souvent dues à une situation de stress, un vécu antérieur douloureux ou une souffrance émotionnelle, altèrent la posture et le fonctionnement des articulations. Elles peuvent entraîner un étirement excessif des ligaments ainsi que des luxations osseuses et du disque articulaire. En principe, les molaires ne se touchent que de 14 à 20 minutes toutes les 24 heures, à la fin de la déglutition. En serrant ses dents en permanence, une personne modifie ce fonctionnement naturel et détruit ses articulations.

Il s’agit d’une réaction de défense que le patient met en place pour compenser une situation que, sans en être conscient, il n’accepte pas. Cela peut survenir à tout âge, y compris dès la petite enfance.

Mon parcours professionnel m’a permis de développer une sensibilité particulière pour le comprendre et d’élaborer les exercices de rééducation les plus adaptés à chaque cas.

Quel a été ce parcours ?

D’abord auxiliaire de puériculture, j’ai été secrétaire médicale d’un stomatologiste qui traitait les becs de lièvre et les divisions palatines à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, avant de faire des études de kinésithérapie. Après mon diplôme, un stomatologiste de La Salpêtrière (Paris) m’a encouragée à me former en anatomie et en physiologie maxillo-faciale, des domaines qui étaient encore exclus du champ de la kinésithérapie officielle.

J’ai alors imaginé et créé des mimiques faciales et linguales permettant d’entraîner les muscles moteurs de la mandibule dans le but de récupérer les fonctions normales des articulations temporo-mandibulaires. Conjointement, j’ai estimé essentiel d’affiner le ressenti corporel du patient à travers des exercices et des postures qui facilitent le mouvement. Dans un premier temps, il s’agissait de faire découvrir au patient où se situaient les muscles moteurs de la mandibule responsables des mouvements qui, contrairement aux muscles des bras et des jambes, ne sont visibles que grâce à un miroir. D’où l’intérêt de l’utilisation des mimiques avec les muscles peaussiers du visage et de la langue. C’est cela ma création.

Vous évoquez l’importance du « ressenti » Pouvez-vous l’expliquer ?

C’est effectivement un aspect très important de la rééducation. Le patient doit apprendre à mouvoir son corps de façon à ne pas nuire aux fonctions articulaires et musculaires. Pour l’aider à adopter une posture qui ne soit pas traumatisante pour son corps, il faut lui apprendre à réaliser dans l’instant ce qu’il ressent d’agréable et ce qui lui est contraignant. Le rôle du kinésithérapeute est de lui faire prendre conscience de ses sensations corporelles.

Il doit aussi l’inciter à faire ses exercices de rééducation avec sérieux : rester concentré tout au long de son geste, utiliser ses capacités respiratoires maximales, être exigeant avec lui-même pour atteindre l’objectif fixé.

Le miroir est indispensable parce qu’il permet de contrôler une posture et de réaliser un mouvement correcteur. De plus, l’efficacité de la rééducation passe par l’acceptation de son image.

L’utilisation du miroir est bénéfique pour les personnes qui ont du mal à se regarder pour des raisons psychologiques.

Vous évoquez beaucoup les pathologies d’origine psychologique…

J’ai commencé à exercer à La Salpêtrière. Devenue la spécialiste de la rééducation des articulations temporo-mandibulaires, j’ai formé des kinésithérapeutes, des médecins spécialistes et des chirurgiens-dentistes.

À la fin des années 1970, j’ai pu faire rembourser par la Sécurité sociale cette nouvelle spécialité. Le service de stomatologie traitait alors des cas d’ankylose osseuse, de suites opératoires, de traumatisme, de fracture ancienne mal soignée…

Les stomatologistes et les chirurgiens ont aussi constaté un lien entre la limitation ou la dégradation des fonctions articulaires et la souffrance psychologique ou le stress. Ils ont prescrit la rééducation maxillo-faciale pour ces pathologies différentes.

Le kinésithérapeute est alors devenu le maillon de la chaîne permettant au patient de traiter la cause de son syndrome. Il l’incite en effet à faire un travail sur lui-même, grâce notamment à une psychothérapie. Petit à petit, des psychiatres, des psychothérapeutes et des psychanalystes ont intégré le service de stomatologie pour prendre en charge le plus tôt possible le traitement psychologique des patients.

Aujourd’hui, j’observe une augmentation considérable des cas de dysfonctionnement dû aux conditions stressantes de la vie professionnelle ou affective et aux traumatismes psychologiques anciens vécus par les patients.

Quel est votre rôle en particulier avec les patients qui ont des stress ou des problèmes psychologiques ?

En m’occupant de la bouche des patients, l’organe symbolique du plaisir et de la frustration, j’ai souvent entendu ce qui se dit en général « chez le psy ». Dans le cas de stress ou de problèmes psychologiques, j’essaie d’être le maillon de la chaîne qui fait passer le patient du corps à la psyché, afin qu’il soigne son mal-être à l’origine de la pathologie. Si la situation de stress est occasionnelle, le patient peut trouver une solution et perdre progressivement ses manies. Si la cause perdure, une solution corporelle peut survenir, mais le syndrome maxillo-facial se déplacera dans une autre région du corps et souvent plus gravement. Le travail de rééducation doit faire comprendre au patient que le kinésithérapeute s’attache à soigner la conséquence du traumatisme mais ne peut pas soigner la cause. Il est le plus souvent nécessaire de faire une thérapie.