Système sanitaire français : des institutions à foison - Clinic n° 02 du 01/02/2017
 

Clinic n° 02 du 01/02/2017

 

ENQUÊTE

Laure Martin  

Le ministère de la Santé peinait à s’imposer face aux médecins et aux industriels. Alors l’État a multiplié les agences… Dans le système sanitaire à la française, les organismes sont nombreux mais tendent aujourd’hui à se rapprocher. Quel rôle jouent-ils dans le paysage français ? Quelle place pour les chirurgiens-dentistes ?

Après 20 mois de travail, une nouvelle agence de sécurité sanitaire, Santé publique France, a vu le jour le 1er mai 2016. Outre la volonté de suivre la tendance au regroupement, l’objectif de cette création est aussi de doter la France d’une grande agence de santé publique, à l’instar des autres pays industrialisés – Centers for Disease Control and Prevention aux États-Unis, Public Health England en Grande-Bretagne, Institut national de santé publique au Québec. Prévue par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, Santé publique France regroupe 4 organismes : l’Institut national de veille sanitaire (InVS), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) et Addictions, drogues, alcool info service (Adalis).

Cette dernière-née des grandes agences permet désormais à la Direction générale de la santé (DGS), service du ministère de la Santé, d’avoir à ses côtés un dispositif d’agences complet et mieux identifié.

Une construction récente en France

Cette appétence pour les agences n’est pas propre à la France. Les pays anglo-saxons, dont le Royaume-Uni, en sont friands également. Cependant, leur création ne revêt pas la même finalité. « En Angleterre, les agences ont fait exploser les institutions étatiques », souligne Frédéric Pierru, sociologue et politiste. « L’objectif était de débureaucratiser l’administration de la santé héritée de l’après-guerre et alors considérée comme la représentation d’une forme d’immobilisme et d’une incapacité à s’adapter. » Dans ces pays, l’administration a ainsi été éclatée en petites agences supposées être plus flexibles, plus responsables et plus souples.

En France, la création des agences est née d’une autre réalité : s’affranchir du pouvoir des médecins. « Historiquement, le ministère de la Santé était un nain administratif face à un géant médical », lance Frédéric Pierru. « L’administration n’a pas réussi à se doter de corps techniques et prestigieux pour contrebalancer les élites de la profession médicale et les intérêts industriels. Elle a donc longtemps été une administration fragile structurellement et politiquement, dotée d’une faible expertise avec peu de moyens humains et matériels. » Avec un ministère de la Santé mi-ignoré, mi-méprisé, il n’y avait pas d’État sanitaire. Les agences ont donc été créées pour le renforcer. « Alors que de nombreuses admi?nistrations se sont construites, comme l’Éducation nationale, dès le xixe siècle, les administrations de la santé n’ont pas existé avant les années 1970-1980 », complète Didier Tabuteau, responsable de la chaire Santé à Science Po Paris et codirecteur de l’Institut Droit et Santé. La crise de la sécurité sanitaire a été l’élément clé car, au moment du sang contaminé, « un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 1992 a notamment souligné “la très grande faiblesse” de l’administration de la santé », précise-t-il. C’était sans compter le scandale des hormones de croissance. L’État s’est donc saisi du problème et, à partir de cette époque, chaque crise, chaque scandale sanitaire a donné lieu à la naissance d’une agence spécialisée. « Les dates de création* des instances montrent leur montée en charge », ajoute Michelle Bressand, infirmière de formation, actuelle conseillère générale des établissements de santé à l’IGAS et ancien membre de la Commission nationale de matériovigilance et du Comité consultatif national d’éthique.

« Pseudopodes »

« L’agence est donc devenue la nouvelle forme de la bonne gouvernance de l’État », rapporte Frédéric Pierru. Mais le système connaît des imperfections puisque les agences sont à la fois dépendantes et indépendantes de l’État. « Elles sont en réalité des pseudopodes** d’une administration faible », complète-t-il. Ces structures sont des établissements publics administratifs, financés par l’État, qui ont des objectifs sanitaires à remplir via des contrats d’objectifs et de moyens. « C’est là tout le paradoxe des agences d’inspiration anglo-saxonne dans un État jacobin comme la France », pointe du doigt le sociologue et politiste. « Elles sont très politiques et symboliques. Et dès qu’il y a un scandale, elles sont rebaptisées et le directeur change. Mais ce n’est qu’une réponse médiatique, ce changement n’a pas d’influence sur les politiques publiques mises en œuvre. »

La multiplication des agences permet cependant de garantir et d’assurer l’indépendance de l’expertise et des savoirs de l’État, afin d’éviter les conflits d’intérêts dans la prise de décision. Il faut comprendre les décideurs politiques : si, par exemple, l’évaluation du médicament se faisait directement au niveau de l’État, il risquerait d’y avoir immédiatement des suspicions de conflits d’intérêts. Il n’y a qu’à voir l’exemple du sang contaminé avec l’accusation de l’ancien Premier ministre socialiste, Laurent Fabius (finalement relaxé). « En donnant une image d’indépendance, on ne peut pas accuser le politique d’avoir manipulé la situation », estime Frédéric Pierru. Et si une situation tourne mal, s’il y a un scandale sanitaire, c’est l’agence qui est mise en cause, avant même le cabinet du ministre. C’est un moyen de mettre à distance la décision, même si les agences sont proches de l’État. C’est le cas dans l’affaire du Mediator(r) avec la mise en accusation de la Haute Autorité de santé (HAS).

Malgré tout, à la tête des agences, les directeurs jouissent d’une forte légitimité car ils ont la confiance du gouvernement via une nomination publique. « Certes, il y a des réseaux politiques, mais il ne faut pas croire que cela cache une absence de compétences », signale Frédéric Pierru. « Le processus de décision est long. » En revanche, les directeurs se trouvent dans une position ambiguë. D’ailleurs, la démission l’an dernier de Thomas Dietrich, haut fonctionnaire de 25 ans, secrétaire général de la Conférence nationale de santé, a fait grand bruit. Parti en claquant la porte, il a laissé derrière lui un opus d’une trentaine de pages dans lequel il dénonce la mainmise du ministère de la Santé sur le travail de cette structure.

Le regroupement « n’est pas terminé »

L’administration de la santé qui était « squelettique » s’est donc renforcée grâce à ces agences. Cependant, aujourd’hui, le système sanitaire français se trouve dans une logique de fusion et de « rationalisation ». Le regroupement est une « étape de maturité, mais le processus n’est pas forcément terminé », considère Didier Tabuteau. En santé publique, il existe selon lui cinq pôles importants : la santé publique avec Santé publique France, les produits de santé avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le pôle alimentation et environnement avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, elle-même issue d’une fusion entre les ex-AFSSA et AFSSET), la sûreté nucléaire avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et, enfin, la pratique médicale et professionnelle qui regroupe l’Institut national du cancer (INCa), l’Agence de la biomédecine et la Haute Autorité de santé. « Ce dernier pôle est celui qui doit, selon moi, encore le plus évoluer », rapporte cet ancien directeur de cabinet du ministre de la Santé (1992-1993 et 2001-2002) et aussi, entre autres, directeur général de l’Agence du médicament (1993-1997). À côté des agences, des instances de concertation sont également mises en place par l’État pour obtenir des avis ainsi que des expertises et produire des rapports (annexe 1). Mais elles ne disposent pas de la personnalité morale. « Leur existence est une façon, pour le décideur politique, de ne pas paraître au centre du jeu », soutient Frédéric Pierru. « J’ai toujours regardé cela avec un sourire », ajoute Michelle Bressand. « Il y a 20, 30 ans, avoir autant de conseils, de hauts conseils, d’institutions, était une façon de botter en touche pour les politiques. Peut-être que leur existence était nécessaire à un moment donné pour faire face à un vrai sujet pour lequel il était utile d’avoir une instance réunissant toutes les parties prenantes. Mais lorsque le sujet est rodé, que la décision est prise, pourquoi ces conseils sont-ils conservés ? »

* Proches les unes des autres.

** En biologie, prolongements courts émis par certaines cellules.

Philippe ROCHER
Chirurgien-dentiste, membre du GPMed à l’ASN et de groupes de travail à l’ANSM

« Nous discutons de l’évolution réglementaire »

Depuis une quinzaine d’années, je participe à des réunions et à des groupes de travail au sein des institutions sanitaires en raison de mon expertise dans les domaines tels que la réglementation, la radioprotection ou encore la stérilisation. Généralement, lorsque les autorités décident de la création d’un groupe de travail, elles contactent l’Ordre, l’Association dentaire française (ADF) ou les principaux syndicats afin de solliciter un chirurgien-dentiste compétent sur la problématique traitée. Ce mois-ci, j’ai reçu ma troisième nomination de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour faire partie du GPMed, le Groupe permanent d’experts en radioprotection pour les applications médicales et médico-légales des rayonnements ionisants. J’interviens comme expert indépendant et, ensemble, nous discutons de l’évolution réglementaire dans le domaine de la santé. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir faire évoluer la réglementation pour la rendre le plus compatible possible avec les réalités du terrain.

Néanmoins, je n’ai pas l’impression qu’assez de chirurgiens-dentistes veulent s’impliquer pour leur profession. Je constate que nous avons des difficultés à intégrer des jeunes au sein de nos représentations et de ces instances.

Jean-François SERET
Chirurgien-dentiste, membre de la Commission des parcours et pratiques à la HAS

« Ce qui me plaît : le travail en interprofessionnalité »

Secrétaire général adjoint de l’ADF, passionné par l’amélioration des parcours de soins, l’interprofessionnalité et la place du chirurgien-dentiste dans les maladies chroniques, j’ai postulé à cette commission il y a 2 ans et été nommé pour 5 ans. Nous sommes 35 à analyser les projets et les travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) en lien avec cette thématique. Nous travaillons sur l’amélioration de la coopération hôpital/médecine de ville, l’analyse du ressenti des patients sur leur parcours ou l’optimisation de la sécurité du patient. Certains de mes confrères interviennent dans les groupes de travail de la HAS mais, au sein de cette commission, je suis le seul chirurgien-dentiste. En tant que professionnel libéral, je fais entendre une voix de la médecine de ville et lorsqu’un éclairage doit être donné sur le dentaire, je suis là pour le rappeler. Ce qui m’intéresse dans cette fonction, c’est de travailler en interprofessionnalité et de mieux connaître les problématiques qui se posent au niveau du système de santé. Intellectuellement, c’est très enrichissant. Un certain nombre d’entre nous sommes vraiment impliqués dans ces instances mais nos confrères ne sont pas forcément conscients de l’importance de ces rôles.

Didier GAUZERAN
Expert à l’INCa

« J’aime transmettre les connaissances »

J’ai travaillé comme expert à l’Institut national du cancer (INCa) qui m’a sollicité dans le cadre d’un travail de formation multimédia auprès des chirurgiens-dentistes et des médecins généralistes sur la détection précoce des cancers de la cavité buccale. Pour l’élaboration de ce DVD, l’INCa a constitué un groupe d’experts qui a travaillé pendant plus d’un an sur ce sujet. J’ai été contacté du fait de mon implication dans ce domaine puisque j’ai, entre autres, de nombreuses publications à mon actif sur ce type de lésions. Ce travail m’a vraiment intéressé car, faisant de la dermatologie buccale depuis 40 ans et étant impliqué en cancérologie du fait de ma pratique clinique, j’ai aimé participer à la mise au point de ce programme, faire passer des idées, transmettre des connaissances et avoir une action auprès de nos confrères chirurgiens-dentistes et médecins généralistes. L’objectif était de les informer et les inciter à examiner systématiquement les cavités buccales afin de diagnostiquer le plus tôt possible les cancers ou les lésions précancéreuses. J’ai aussi été réjoui de travailler sous l’égide de l’INCa, la référence française dans le domaine.