« Ce dont je suis fière avant tout, c’est de la qualité des soins qu’on offre ! » - Clinic n° 02 du 01/02/2015
 

Clinic n° 02 du 01/02/2015

 

PASSIONS

OLIVIER BLANCHARD  

Dans le centre-ville de Pau, « Le phare » est un centre d’accueil de jour pour les personnes en grande précarité. En plus des services habituels de première nécessité (douches, conciergerie, personnel social et infirmiers), il propose dans ses murs un cabinet dentaire complet ouvert tous les après-midi pour des soins gratuits. Marie-France Ceglarec est celle qui a donné l’impulsion de ce cabinet et elle continue à y prodiguer des soins une fois par semaine. Rencontre avec une Basque béarnaise au cœur franc.

D’où vous est venue l’idée de ce projet ?

J’ai exercé pendant 40 ans à Pau dans le même appartement que mon mari qui était médecin généraliste. Dans ma tête tout était très simple, je me disais qu’avec le temps, des plus jeunes s’installeraient autour de moi, que ma clientèle diminuerait doucement et qu’alors je pourrais partir à la retraite en vendant mon cabinet. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça ! Au contraire, plus le temps passait et plus ma clientèle se renforçait ; alors en 2012, à plus de 68 ans, j’ai dû fermer mon cabinet contre la volonté de mes patients pour qui, si je les avais écoutés, j’y serais encore… Sauf qu’à ce moment-là, je me suis rendu compte que personne ne voulait me racheter quoi que ce soit. Je me suis donc retrouvée avec tout ce matériel sur les bras dont personne ne voulait alors qu’il marchait très bien ! C’est là que j’ai contacté pour la première fois Médecins du monde*. Au début, je pensais envoyer ce matériel en Afrique mais j’ai vite compris que c’était absurde : un cabinet comme ça, il faut pouvoir l’entretenir et le réparer avec des pièces neuves rapidement sinon, en 6 mois, il est hors d’usage et c’est du gâchis. C’est l’association qui m’a proposé de l’installer ici. J’ai payé moi-même le déménagement et puis, de fil en aiguille, j’ai commencé à venir y travailler un après-midi par semaine ; je me suis dit que tant que j’avais la santé, je pouvais continuer un peu… J’ai contacté d’autres collègues qui partaient à la retraite, ils ont tous dit oui et maintenant on est quatre et on ouvre tous les jours.

Vous n’avez pas eu envie de profiter de votre retraite ?

Si, bien sûr, mais quand il y a des mères de famille qui doivent choisir entre aller chez le dentiste et faire manger leurs enfants - et je vous assure qu’on en est là, je le vois tous les jours -, laisser tout ça se perdre m’a semblé impossible, tout simplement. Quand je prends ma voiture le matin et que je vois qu’il a fait des températures négatives dans la nuit, qu’il fait souvent quelques degrés dehors et que des gens dorment dans la rue, il faut bien faire quelque chose ! Comment peut-on vivre sinon ? Enfin, mon travail a toujours été ma force dans ma vie, ma boussole, alors on ne peut pas non plus tout quitter d’un coup…

Quels soins faites-vous ici ?

Presque tout ! Rien de luxueux évidemment - on utilise plus de résine que de céramique par exemple - mais on peut faire toutes les prothèses mobiles, fixes et même esthétiques ! C’est même ce dont je suis fière avant tout, la qualité des soins qu’on offre. Je fais aussi très attention à conserver au maximum chaque dent parce que c’est précieux. Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’on fasse les mêmes soins en humanitaire en France que dans les pays en développement. En France, les difficultés sont parfois simplement une mauvaise passe ; or, une mauvaise hygiène dentaire est un marqueur social énorme. Les enjeux ne sont pas comparables, on ne peut donc pas faire les mêmes soins et arracher en première intention.

Étiez-vous en contact avec les sans-abri quand vous travailliez en cabinet ?

Pas du tout ! J’ai dû en soigner deux en quarante ans. Par contre, j’ai toujours accepté tous les patients CMU et ça se savait, je pense même que mon cabinet était fléché… Avec des limites aussi, par exemple après deux rendez-vous ratés, j’arrêtais la prise en charge. Quand on travaille en cabinet, on ne peut pas tout se permettre, c’est normal.

Aujourd’hui, comment faites-vous pour que vos patients viennent aux rendez-vous ?

Vous savez, ce sont des gens qui ont été tellement malmenés, et par tout le monde : par leur famille, par l’école, par la société, par la police, par la prison souvent… Si on veut construire avec eux, il faut leur laisser du temps. Alors quand ils ne viennent pas aux rendez-vous, je descends dans la cour et j’attends. Là-bas, je rencontre d’autres patients, on discute, que voulez-vous faire ? Mais c’est aussi la preuve que je ne prends le travail de personne, à part ici ils n’iraient nulle part. Et puis, quand on mène à bien une série de soins, souvent je leur serre la main parce que c’est une victoire pour eux… et pour moi.

Avez-vous un message pour vos collègues en activité ?

D’abord qu’il ne faut pas avoir peur des gens précaires ; même s’ils sont impressionnants quand ils sont en groupe dans la rue, une fois en relation de soin tout se passe toujours bien. Il ne faut pas non plus oublier que ces patients ont peur eux aussi et il faut les rassurer mais, en revanche, je n’ai jamais eu le moindre problème d’hygiène ! Ensuite, ce n’est pas normal que ce soient toujours les mêmes cabinets dentaires qui acceptent les patients CMU. On devrait tout de même arriver à s’organiser pour que chacun en prenne un peu ou indique un autre collègue quand on ne peut vraiment pas. Ça ne devrait quand même pas être si compliqué que ça de s’organiser…

* Marie-France Ceglarec intervient dans le centre sous contrat bénévole avec Médecins du monde (NDLR).

Appel au don

Le cabinet du Phare fonctionne actuellement avec le matériel fourni par les dentistes à la retraite qui travaillent au centre. Mais les réserves s’épuisent. En particulier, le centre aurait besoin d’un arrache-couronne, de turbines, de fraises, de consommables, etc. Si vous avez ces types de matériels ou que vous souhaitez faire un don, contactez le 06 07 48 54 77.