Les nouvelles clés de la relation patient-praticien - Clinic n° 02 du 01/02/2015
 

Clinic n° 02 du 01/02/2015

 

ENQUÊTE

Marie Luginsland  

Paternaliste, professorale ou orientée vers les services, la relation patient-praticien se conjugue sur tous les modes. La succession des lois « patients » et la place prise par les médias sociaux obligent cependant à un examen profond de ces modes de communication au fauteuil. Une approche globale du patient s’impose de plus en plus pour répondre aux besoins de transparence et d’information du patient. Une posture nouvelle du praticien qui n’est pas sans effets positifs sur l’adhésion au plan de soins.

« Nous faisons l’un des métiers les plus stressants », déclare Alain Amzalag, ajoutant que ce stress est partagé par le patient. Dans sa position sur le fauteuil - inédite dans les situations de soins -, « celui-ci se trouve livré aux mains du praticien, opéré les yeux ouverts, ne pouvant observer ce qui se passe », décrit le praticien auteur d’un ouvrage sur les relations ?patient-praticien. « Une posture qui influe sur les relations d’autant que dans l’imaginaire collectif et souvent même transgénérationnel, l’image du chirurgien-dentiste génère la peur de la douleur et bien d’autres angoisses », rappelle-t-il. Le chirurgien-dentiste partirait-il avec un handicap de départ dans les relations avec ses patients ? Il dispose pour le moins de circonstances aggravantes.

À nouveaux médias, nouveaux patients

De manière générale, le faisceau s’est resserré sur les relations patient-praticien au cours des dernières années. Les droits des patients ont été successivement matérialisés par les lois de 2002, 2004 et 2009 ainsi que par des dispositions comme le dossier patient. Conséquence, les patients, plus à l’aise face aux professionnels de santé et demandeurs de transparence, détiennent aujourd’hui une meilleure connaissance de leurs droits. Au risque parfois d’en occulter leurs devoirs comme le respect qu’ils doivent au praticien. Nombre de professionnels de santé, et parmi eux les chirurgiens-dentistes, regrettent un regain de tension se traduisant par des incivilités, voire de l’agressivité.

L’utilisation des médias sociaux affecte par ailleurs les relations patient-praticien dans la mesure où, servant souvent de défouloir, ils font fonction de plateforme pour des sujets qui ne devraient être traités que dans l’intimité du cabinet.

Cette influence de l’information, voire son parasitage sur les relations avec les professionnels de santé, n’est toutefois pas nouvelle. C’est le constat qu’en fait Yves Cottret, délégué général de la Fondation MACSF, dont l’objectif est de favoriser les relations patient-praticien (voir les résultats de l’enquête dans l’encadré 1) : « Le premier phénomène marquant a été l’apparition, dans les années 1980, des magazines de santé inducteurs de faux espoirs mais aussi de comportements erronés. Deuxième donne, les premiers classements des hôpitaux et cliniques au début des années 1990 et enfin, révolution ultime, le Web 2.0. », énumère-t-il.

Le dossier patient, vecteur de communication

Ces trois événements ont amené le praticien à se repositionner progressivement dans sa relation au patient, sinon à défendre sa légitimité. Cette nécessité suppose une maîtrise de la communication à laquelle ne préparent pas les études d’odontologie. C’est dire si l’arrivée du dossier patient a constitué une avancée décisive dans ce domaine. Nouveau vecteur de communication, il est devenu un support essentiel de la relation patient. « Le dossier patient a amené les professionnels de santé à être plus diserts sur leur pratique. Nous constatons qu’au cours des dix dernières années, la judiciarisation que l’on craignait n’est pas intervenue. Au contraire, il y a une réelle augmentation des règlements à l’amiable. Dans 70 % des cas, lorsqu’un praticien reconnaît une erreur, le patient n’attaque pas sur le plan judiciaire », relève Yves Cottret, ajoutant que « bien souvent, le patient questionne non pour critiquer mais pour comprendre. »

Le dossier patient aura eu le mérite d’instaurer (de restaurer ?) la relation de confiance. Il aura également fait évoluer les contours des postures traditionnelles du praticien au fauteuil. Des relations patient-praticien que Jean-Noël Vergnes, enseignant à l’UFR d’odontologie de l’université Paul-Sabatier de Toulouse, décline en quatre typologies : paternaliste, délibérative (sur le modèle prof-élève), interprétative (instauration d’un partenariat avec le patient, voir encadré 2) ou encore consumériste.

Une culture du service

Souvent présentée comme alternative au modèle paternaliste, l’approche consumériste ou marketing - calquée sur la distribution des biens et des services dans l’économie - vise à considérer le patient comme un client. Ses attentes en matière de soins sont comparables à celles portant sur les biens de consommation. Le chirurgien-dentiste n’échappe pas à la quête de transparence et de compréhension « à laquelle est confronté également l’inspecteur des impôts ou le concessionnaire automobile. La relation patient-praticien évolue à l’aune de ce que le citoyen développe dans ses autres relations », remarque Yves Cottret.

Pour autant, le soin dentaire peut-il être considéré comme le bien marchand auquel voudrait le réduire le marketing relationnel ? « À une époque récente, un courant qui avait identifié notre profession comme une “niche market”, a incité à considérer le patient comme une enveloppe de soins. Des séquelles en subsistent malheureusement », déplore Alain Amzalag. Pour autant, Benoît Meyronin et Benoît Aubert, enseignants à l’École de management de Grenoble, démontrent que la notion de marketing au cabinet est tout sauf péjorative dès lors qu’elle est appréhendée sous l’angle d’une expérience de soins globale. « La prise en charge du patient va être conduite par la servuction, c’est-à-dire par la production d’un service qui précède ou suit le soin », exposent-ils.

S’inspirant de diverses branches d’activité, ces enseignants proposent des exemples de servuction applicables au cabinet, comme l’accueil téléphonique, la mise en place d’un agenda électronique accessible aux patients et facilitant les prises de rendez-vous à toute heure ou encore l’aménagement des horaires d’ouverture du cabinet.

Formaliser l’acte thérapeutique

Cette nouvelle expérience de soins applique des éléments du marketing traditionnel comme le contrat et le service après-vente, qu’elle détourne au profit de l’optimisation des soins. Arnaud Jaumain, jeune praticien installé depuis 4 ans à Orléans, rappelle par écrit les explications du devis qu’il a préalablement exposées au patient. « J’aime diffuser l’information de vive voix, mais il est important qu’une trace écrite soit conservée », expose-t-il. Alain Amzalag aime rappeler ses patients après une intervention délicate, non sans leur avoir au préalable donné des recommandations écrites. « Cela fluidifie la relation future », décrit-il. Ce « recall » fait partie de la communication mise en place autour du patient. Ainsi, dès le premier rendez-vous, un petit questionnaire médico-dentaire et psychologique est remis au patient afin d’établir une prise en charge la plus holistique possible.

Comment, toutefois, être innovant tout en restant professionnel de santé ? Les dérives peuvent être évitées dès lors que l’unique objectif est d’améliorer la relation patient. Et l’adhésion au plan de soins. « Le praticien ne doit laisser transparaître aucun signal de fatigue, de stress ou d’émotion qui pourrait faire douter le patient de notre implication. C’est de cette maîtrise de la communication que dépend l’acceptation du plan de traitement, c’est ce que l’on pourrait appeler la pédagogie psycho-odontologique », propose Alain Amzalag. La communication avec le patient est également un moyen de formaliser l’acte thérapeutique. « Les avancées législatives ont joué en faveur de la relation avec le patient, car il est important pour le maintien de la pratique professionnelle de savoir l’exprimer. Quand on explique ce que l’on fait, on le fait mieux », croit Yves Cottret. Un arrêt sur image forcé par le patient et bénéfique pour le praticien. À en croire Alain Amzalag, on est encore loin de cet idéal. Il regrette même que la situation évolue peu depuis le signal d’alarme qu’il a tiré en 2007 avec son livre Codes de la relation dentiste-patient(1).

Une approche transatlantique

Les relations patient-praticien sont-elles figées pour autant ? Julien Rosenzweig, jeune praticien(2), déplore que les étudiants perdent de leur empathie au fur et à mesure de leurs études(3) : « On ne nous enseigne pas à reconnaître la souffrance des patients. » Certains de ses confrères, comme Arnaud Jaumain, notent cependant un progrès et affirment « détenir, contrairement à des praticiens plus anciens, une notion du patient dans sa globalité, on ne soigne pas qu’une bouche ! ». La relève semble en tout cas plus sensibilisée, à défaut d’être rodée. L’approche centrée sur le patient, dont la pratique commence à se répandre en France et au Canada, fournit l’espoir d’une nouvelle donne dans la relation patient-praticien. « Nous avons emprunté au milieu médical le modèle centré sur la personne, c’est-à-dire la prise en compte du patient dans toute sa dimension biopsychosociale. Sachant que nous sommes à moitié chirurgien et à moitié médecin, nous l’avons adapté car il ne s’appliquait pas aux situations d’intervention », décrit Nareg Apelian, praticien et enseignant à la faculté dentaire de l’université McGill à Montréal.

Le patient, matière d’enseignement à Toulouse

C’est sa pratique dans un quartier défavorisé de Montréal et l’intérêt que lui portaient des sociologues qui ont amené Nareg Apelian à approfondir sa recherche en lien avec l’université de Toulouse. « Les chirurgiens-dentistes ne pensent généralement pas à leur approche du patient. Celui-ci ne revendique aucune demande ouverte mais nous avons observé que sa satisfaction baisse. D’où la nécessité de ne plus limiter la qualité à l’acte dans la bouche, mais de l’étendre à la prise en charge globale », déclare le praticien.

Les recherches de part et d’autre de l’Atlantique portent leurs fruits. Depuis cette année, les étudiants de 4e année à l’université de Toulouse bénéficient d’un enseignement de 22 heures. « Ces cours, durant la première année clinique, consistent à aborder la relation de soins en posant le cadre psychologique de l’approche centrée sur la personne. Nous nous sommes inspirés des concepts du Guide Calgary-Cambridge que nous avons adaptés à la prise en charge de patients en odontologie. Nous les avons utilisés pour mettre au point des temps chronologiques de la consultation et un recours à des compétences transversales pour construire cette relation », indique Julien Rosenzweig.

Tout comme, affirme-t-il, des études ont prouvé qu’une telle approche en cardiologie réduisait les risques d’infarctus, « on peut espérer d’une telle approche en odontologie une amélioration sensible des résultats thérapeutiques ». Le patient ne devrait pas en être le seul bénéficiaire. Selon Jean-Noël Vergnes, enseignant à l’UFR d’odontologie de Toulouse et co-initiateur de ce concept, l’approche centrée sur la personne bénéficie également au soignant. « Elle permet au praticien de prendre conscience qu’il a tout mis en œuvre pour aider le patient sans manipulation ni agressivité, se libérant ainsi de nombreuses frustrations. L’approche est centrée sur la personne, et non sur le patient, car le dentiste est également inclus en tant que personne », déclare-t-il. Un remède essentiel pour une profession plus exposée que jamais au burn-out et autres ?pathologies graves.

(1) Elsevier/Masson 2007.

À paraître au printemps, Le Guide du médecin dentiste, chez EDP Sciences, en collaboration avec Jérémy Amzalag.

À paraître en juin 2015, Les soins dentaires pour les nuls chez First Édition en collaboration avec Jérémy Amzalag.

(2) Auteur d’une thèse : Principes de communication patient-praticien dans le cadre d’une approche centrée sur la personne en odontologie. Université Toulouse III-Paul-Sabatier, mars 2014.

(3) Une étude sur l’évolution de l’empathie pendant les études est menée actuellement sur ce sujet par l’université de Toulouse en collaboration avec les facultés de Lille, Paris et Clermont-Ferrand.

ENQUÊTE MACSF

Six patients sur dix souhaitent une relation plus pédagogique

Interrogés par l’Institut Harris Interactive pour la fondation MACSF (en mars 2014), 1 000 patients et 500 professionnels de santé ont ausculté leurs relations de communication. Celles-ci sont qualifiées de bonnes par 99 % des soignants et 94 % des patients. La communication est d’ailleurs considérée comme prioritaire par 97 % des soignants et autant de patients. Ils se sentent eux-mêmes impliqués à 85 % pour les professionnels et à 77 % pour les patients. Mais si soignants et patients estiment s’écouter pour 99 et 96 % d’entre eux, seuls 84 voire 82 % se sentent compris. Pour s’informer, 75 % des patients interrogent Internet avant de voir leur soignant et une proportion identique y fait allusion lors de la consultation.