À quoi servent vraiment les URPS ? - Clinic n° 04 du 01/04/2015
 

Clinic n° 04 du 01/04/2015

 

ENQUÊTE

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

Créées pour être les interlocutrices de la profession auprès des agences régionales de santé (ARS), les unions régionales de professionnels de santé (URPS) des chirurgiens-dentistes ont été installées dans chaque région à l’issue d’élections au mois de décembre 2010. Quatre ans plus tard, elles restent peu connues dans la profession. Que font les URPS ? Quel est leur impact ? Tour de France de ces structures régionales d’un nouveau type appelées à perdurer.

Élu à la tête de la petite URPS du Limousin - 320 chirurgiens-dentistes -, Olivier Cane a installé le siège de cette association loi de 1901 à la même adresse que son cabinet dentaire, à 300 mètres de l’ARS. Cette proximité a favorisé d’« excellentes » relations pour mener à bien le projet qui lui tenait à cœur : l’accueil, dans l’unité de soins du CHU de Limoges, d’étudiants en odontologie de la fac de Bordeaux. L’ARS a financé 90 % du projet. L’URPS verse une prime mensuelle de 470 euros par étudiant qui s’ajoute aux indemnités de déplacement - 130 euros mensuels - attribués par l’ARS. L’URPS a aussi lancé d’autres initiatives, comme une campagne de communication sur les anticoagulants, et des formations dans plusieurs villes de la région qui accompagnent la diffusion, auprès de tous les praticiens, du manuel de l’ADF sur les risques infectieux. Malgré ces réalisations, Olivier Cane s’interroge toujours sur l’intérêt de cette nouvelle structure représentative de la profession qui se superpose à celles de l’Ordre et des syndicats.

Un rouage de plus

Voulues par le législateur en 2009, les URPS ont été créées en même temps que les ARS (loi sur l’hôpital, les patients, la santé et les territoires HPST), sur le modèle des URML (unions régionales des médecins libéraux) qui fonctionnaient déjà depuis plusieurs années. Des élections professionnelles en décembre 2010 ont fixé pour 5 ans la composition du bureau de chaque URPS. La Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), arrivée majoritaire, a pris la tête de la quasi-totalité des URPS, à l’exception de celle d’Île-de-France, la plus grande, ainsi que Mayotte et la Guyane qui sont revenues à la Fédération des syndicats dentaires libéraux (FSDL). Au sein des bureaux, les trois syndicats représentatifs - la CNSD, la FSDL et l’Union des jeunes chirurgiens-dentistes (UJCD) - se sont retrouvés pour monter des projets. Une première ! « Il a fallu apprendre à travailler ensemble, à se respecter », se souvient Régis Méresse, président de l’URPS du Nord-Pas-de-Calais.

« Dès le départ, nous avons voulu que le bureau soit respectueux de la profession et non partisan de tel ou tel syndicat », raconte Philippe Balagna, président de l’URPS Rhône-Alpes. Par exemple, toutes les décisions sont prises à l’unanimité de son bureau qui compte 3 représentants de la CNSD, 2 de la FSDL et 1 de l’UJCD.

Objectif santé publique

Ces nouvelles structures sont financées par des fonds prélevés sur la profession pour répondre à 6 missions (voir encadrés p. 10 et 11). Des missions bien différentes des préoccupations syndicales ! « Débarquant du syndicalisme, de la défense de la profession, je ne connaissais rien à la santé publique. Il m’a fallu 2 ans pour comprendre », se souvient le président de l’URPS de Poitou-Charentes, Jean Desmaison. Mais une fois ses marques prises, le courant passe bien avec son ARS. Les projets prennent forme. La création d’un service d’odontologie au CHU de Poitiers est en bonne voie. Des programmes de prévention dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et dans les instituts médico-éducatifs (IME) sont soutenus par l’ARS. L’URPS va aussi rédiger le projet bucco-dentaire qui sera intégré dans le prochain projet régional de santé (PRS) quinquennal.

Pour élaborer ces diverses actions avec une grosse administration comme l’ARS, Jean Desmaison, de même que plusieurs de ses confrères, a professionnalisé son URPS. La secrétaire embauchée dès les premiers pas de l’URPS a été remplacée par un chargé de mission bac + 5 à temps plein capable de rédiger des projets de santé et de défendre le point de vue de l’URPS.

Mission impossible

D’autres URPS ne bénéficient pas d’aussi bonnes relations avec leur ARS. Le président de l’ARS de Bretagne prévient l’URPS dès ses débuts que « le dentaire n’est pas une priorité ». Dès lors, « travailler efficacement » avec l’agence régionale a été « mission impossible », raconte le responsable de l’URPS de Bretagne, Dominique Le Brizault. La chirurgie dentaire est systématiquement oubliée. En particulier lorsqu’il s’agit d’organiser le parcours des soins des patients atteints de diabète. Et contre l’avis de l’URPS, l’ARS est tentée de soigner les personnes dépendantes dans les EHPAD en ayant recours aux services d’un chirurgien-dentiste itinérant transportant une valisette pour effectuer les soins. Dominique Le Brizault peine à faire entendre que cette méthode ne peut être envisagée que comme du dépannage.

Jacques Fabre, en Midi-Pyrénées, vit un peu la même situation. Malgré son opposition, l’ARS promeut des structures de soins à domicile et finance aussi un bucco-bus avec 5 praticiens de la mutualité qui sillonne les villages du nord des Landes. « On nous dit être des interlocuteurs privilégiés, on nous parle de démocratie sanitaire, d’organisation des soins. La réalité, c’est que l’ARS nous exclut de ses réflexions. Nous ne sommes même pas écoutés », regrette ce praticien qui s’évertue pourtant à faire comprendre depuis 4 ans que la bouche n’est pas isolée et que le rôle des chirurgiens-dentistes est aussi médical. « Nous assistons à des réunions qui ne nous concernent pas. On peut même me demander mon avis sur l’installation d’un scanner à l’hôpital de Foix… À la différence des médecins, je pense que l’ARS ne sait pas très bien quoi faire de nous », en conclut Jacques Fabre.

… et déceptions

Les méandres des décisions de l’ARS et sa lourdeur administrative déconcertent et démotivent les praticiens libéraux. Des travaux entamés avec enthousiasme n’aboutissent pas. Encouragée par l’ARS, l’URPS de Basse-Normandie avait préparé le volet prévention du PRS. Pas une ligne n’a finalement été retenue. « Le médecin nous a avoué que ce n’était pas dans les orientations ministérielles. Alors pourquoi avoir passé tout ce temps sur ce sujet ? » s’indigne François Corbeau qui, sur d’autres projets, a cependant bénéficié du soutien de l’ARS.

À force de persuasion, Marc Aymé, président de l’URPS de Lorraine, avait réussi à convaincre son ARS de copiloter un programme de soins pour résidants en EHPAD. Ce projet, mûri pendant toute l’année 2014, a fédéré les compétences de nombreux acteurs qui se sont investis : la faculté, le conseil général, la direction des EHPAD, les mutuelles et des praticiens libéraux. Mais depuis décembre, l’ARS est muette. Le président de l’URPS craint un revirement qui ferait échouer le projet. « Cela refroidit. On est fatigué car rien ne débouche », s’impatiente Marc Aymé qui, sur d’autres fronts aussi, se heurte à un mur.

Cavalier seul

Les relations difficiles avec l’ARS n’empêchent pas les URPS de mener leurs propres actions grâce aux moyens financiers qui leurs sont attribués. L’URPS du Nord-Pas-de-Calais a jusqu’à présent renoncé à mener des actions conjointes avec l’ARS. « Cela demandait des échanges administratifs à n’en plus finir. Nous n’étions pas prêts. Nous n’avons pas le personnel adapté », explique Régis Méresse qui a choisi de diffuser gratuitement un ouvrage de référence* sur le dépistage du cancer des voies aéro-digestives auprès de tous les chirurgiens-dentistes de la région. Cette diffusion, couplée à des formations données par l’auteur dans plusieurs villes de la région, obtient un franc succès.

Dans plusieurs régions, les URPS cherchent à favoriser les rencontres avec de futurs praticiens dans des zones sous-dotées. En Aquitaine, Jean-Albert Roger, observant que l’ARS persiste à implanter des maisons médicales sans parvenir à y fixer des professionnels de santé, a pris le problème démographique différemment. Et apparemment avec succès. L’URPS a affrété un bus pour emmener des étudiants à une soirée-rencontre avec des praticiens en Dordogne. Résultat : trois cabinets ont trouvé des successeurs…

L’URPS en Rhône-Alpes a également privilégié des opérations menées en propre pour favoriser la reprise de cabinets dans des zones sous-dotées en praticiens. Le succès d’une journée ski-rencontre entre étudiants et praticiens en Maurienne l’incite à en programmer une autre en Ardèche avec un thème différent. « Si nous avions demandé l’appui de l’ARS, nous n’aurions encore rien fait », note le président de l’URPS Philippe Balagna. « Notre légitimité, notre responsabilité, nos compétences ne sont pas contestées par l’ARS. Mais nous avons beaucoup de difficultés à être reçus ou consultés. Le dentaire n’est pas à l’ordre du jour de la plupart de ses axes de travail qui sont plutôt hospitalo-médicaux centrés. »

Prendre sa place

Le constat est unanime, les ARS n’attendent pas - ou rarement - les chirurgiens-dentistes lorsqu’elles prennent des décisions ou lancent des actions. « Pour être entendu, il faut être visible, participer », affirme le président de l’URPS des Pays de Loire, Dominique Brachet, qui est aussi membre de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA), membre du bureau de l’Observatoire régional de santé, membre du Comité stratégique du Groupement de coopération sanitaire de santé et de diverses autres commissions. Mais, prévient-il, « si on vient dans les réunions pour faire du syndicalisme, cela n’intéresse personne. Si on est capable de donner son avis sur d’autres questions, comme par exemple des ouvertures de services d’hôpitaux, on sera en revanche plus écouté sur des questions dentaires. Ce temps passé et l’énergie dépensée en valent la peine ». En 2014 par exemple, toutes ses casquettes ont conduit Dominique Brachet à participer à une soixantaine de réunions. Il compte en recueillir les fruits puisque l’ARS des Pays de Loire a retenu les soins bucco-dentaires aux personnes handicapées comme grand projet pour 2015. Déjà, en participant à ces différentes instances, Dominique Brachet fait passer des messages et cela lui « permet de résister aux bus dentaires, à l’installation de cabinets dentaires dans les EHPAD et au bénévolat des praticiens. Et, au contraire, de promouvoir l’installation de structures intermédiaires et de militer pour une formation et une rémunération correcte des praticiens ».

Gagner en maturité

Oublier les chirurgiens-dentistes au sein des ARS n’est pas « inéluctable », renchérit Pierre-Olivier Donnat, président de l’URPS de Bourgogne. « Les URPS ont une autonomie budgétaire ; c’est à elles d’avoir des idées, de monter des projets et d’investir au départ pour ensuite trouver des relais dans les institutions. » Dans sa région, l’ARS s’est associée financièrement à l’opération de maîtrise du risque infectieux dans les cabinets dentaires que mène l’URPS. Elle finance aussi un programme d’éducation thérapeutique du patient qui a été lancé au départ par six professions de santé.

Aujourd’hui, les URPS « n’ont peut-être pas encore atteint leur maturité du point de vue organisationnel et politique. C’est normal. Il a fallu deux à trois mandats aux URML pour construire leur politique régionale », remarque le responsable bourguignon. Mais pour lui, la pérennité des URPS ne fait aucun doute. Car l’échelon régional prend de l’importance au niveau sanitaire et est devenu « incontournable ». Et le redécoupage régional ne fait qu’accentuer cette tendance. « C’est donc à ce niveau-là » continue Pierre-Olivier Donnat, « que la représentativité professionnelle peut s’inscrire et exprimer le point de vue et la problématique des chirurgiens-dentistes. Les URPS doivent être les conseillers techniques des ARS, notamment dans le domaine bucco-dentaire si peu connu ».

* D. Gauzeran. Des lésions à risque aux cancers des muqueuses orales. Editions CdP ; 2014.

URPS : des missions…

La loi a donné 6 missions aux URPS :

• préparation et mise en œuvre du projet régional de santé ;

• analyse des besoins de santé et de l’offre de soins, en vue notamment de l’élaboration du schéma régional d’organisation des soins ;

• organisation de l’exercice professionnel, notamment en ce qui concerne la permanence des soins, la continuité des soins et les nouveaux modes d’exercice ;

• actions dans le domaine des soins, de la prévention, de la veille sanitaire, de la gestion des crises sanitaires, de la promotion de la santé et de l’éducation thérapeutique ;

• mise en œuvre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les réseaux de santé, les centres de santé, les maisons de santé et les pôles de santé, ou des contrats ayant pour objet d’améliorer la qualité et la coordination des soins-déploiement et l’utilisation des systèmes de communication et d’information partagés ;

• mise en œuvre du développement professionnel continu.

… et des ressources

Les URPS sont financées par un prélèvement de l’URSSAF de 0,3 % sur les revenus des chirurgiens-dentistes, dans la limite de 178 euros par an. La somme globale est redistribuée : 40 % de la somme est partagée de façon équivalente entre les régions et le reste au prorata du nombre de confrères qui ont cotisé. Ainsi, par exemple, le budget de l’URPS d’Île-de-France atteint 800 000 euros par an pour 7 800 praticiens tandis que celui du Limousin atteint 115 000 euros pour 320 praticiens.

Jacques Fabre, Midi-Pyrénées

« Je ne vois pas l’intérêt de l’URPS. Est-ce à terme la volonté d’éliminer les syndicats ? »

Olivier Cane, Limousin

« La taille de la région joue dans les relations avec l’ARS. Dans une petite région, la chirurgie dentaire a sa place. Avec les regroupements régionaux, quand l’ARS sera à Bordeaux, ce ne sera pas gérable. »

François Corbeau, Basse-Normandie

« Il est peut-être encore un peu trop tôt pour dire si l’URPS est vraiment un apport. Aujourd’hui, on a l’impression que l’ARS applique des consignes et qu’on ne peut intervenir qu’à la marge. »

Marc Aymé, Lorraine

« Les réunions avec l’ARS ne servent qu’à rendre visible le bucco-dentaire au sein de la médecine. »

Dominique Le Brizault, Bretagne

« Mener des projets avec l’ARS a été mission impossible. Le dentaire n’est pas une priorité. »

Bernard Briatte, Languedoc-Roussillon

« Quand on parle de moyens à l’ARS, on a du mal à se faire comprendre ! »

Pierre-Olivier Donnat, Bourgogne

« L’échelon régional est devenu la pierre angulaire d’un certain nombre de dispositifs de la politique sanitaire. Les URPS ont donc toute leur place. Mais elles bouleversent le paysage professionnel. »

Jean-Albert Roger, Aquitaine

« Chaque fois que nous avons un projet, nous nous trouvons face à un mur. Par contre, si nous ne sommes pas d’accord avec un projet de l’ARS, elle le réalise tout de même. »

Régis Méresse, Nord-Pas-de-Calais

« En créant les URPS, le but des pouvoirs publics est probablement à terme d’éviter les syndicats et d’avoir un interlocuteur unique. »

Dominique Brachet, Pays de Loire

« Faire du syndicalisme à l’ARS ne marche pas. C’est en participant aux instances de démocratie sanitaire et en donnant notre avis sur divers sujets que l’on sera plus écouté sur les questions dentaires. »

Jean Desmaison, Poitou-Charentes

« Les URPS sont utiles face aux ARS qui prennent de plus en plus d’importance. Si nous ne sommes pas là, nous n’existons pas. »

Jean-François Chabenat, Île-de-France

« Nous n’avons pas été informés de l’ouverture d’une permanence de soins dentaires urgents dans le Val-d’Oise ! C’est curieux compte tenu des missions de l’URPS… »

Philippe Balagna, Rhône-Alpes

« La tâche est exaltante, nous avons le sentiment de bâtir quelque chose d’original. On pourrait penser que les URPS peuvent faire de l’ombre soit au conseil de l’Ordre soit aux syndicats. Il faut trouver sa juste place qui est définie par les missions données par la loi HPST. »

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