Hypertrophie gingivale mandibulaire localisée - Clinic n° 10 du 01/10/2017
 

Clinic n° 10 du 01/10/2017

 

DERMATOLOGIE BUCCALE

Maxime GUILLEMIN*   Grégoire HUGUET**   Élisabeth CASSAGNAU***   Philippe LESCLOUS****   Saïd KIMAKHE*****  

Un patient âgé de 30 ans sans antécédents médico-chirurgicaux particuliers ni addiction alcoolo-tabagique ni traitement médicamenteux en cours consulte en urgence en mai 2017 car il s’inquiète de l’évolution rapide d’une lésion gingivale hypertrophique mandibulaire droite.

Histoire de la lésion

L’histoire de cette lésion commence en janvier 2017, date à laquelle elle est apparue, sans provoquer ni signe fonctionnel ni douleur, ni aucune autre symptomatologie locale ou générale. Un confrère consulté alors a prescrit une antibiothérapie par voie orale de 1 semaine : amoxicilline (2 × 1 g/j) associée à une antisepsie locale (chlorhexidine 0,2 % gel 2 fois par jour). Devant l’inefficacité de ce traitement de première intention, le patient retourne voir quelque temps après son praticien qui lui prescrit alors une nouvelle antibiothérapie orale de 1 semaine : spiramycine (1,5 M UI) + métronidazole (250 mg 3 fois par jour). Malgré ce traitement, la taille de la lésion continue d’augmenter toujours sans aucune symptomatologie associée.

Examen clinique

L’examen exobuccal est tout à fait normal. L’examen endobuccal montre un niveau d’hygiène orale très correct. Il révèle une hypertrophie gingivale d’un diamètre de 5 mm environ située dans l’espace interdentaire entre 45 et 46 (fig. 1). Le revêtement muqueux est d’aspect normal bien que légèrement hyperkératinisé en lingual. Cette hypertrophie sessile, rose et molle ne saigne pas au contact des instruments. Les 45 et 46 sont saines et aucune atteinte parodontale ou osseuse profonde n’est décelée à la radiographie panoramique (fig. 2).

Démarche diagnostique

Devant une hypertrophie gingivale limitée à un petit secteur, sans incidence osseuse sous-jacente apparente, sans aucun symptôme ni signes généraux associés, il convient d’abord de privilégier une étiologie locale sans toutefois perdre de vue un éventuel processus malin. En seconde intention, l’expression buccale d’un processus plus général n’est pas à exclure.

Sur le plan local, un épulis inflammatoire est l’hypertrophie gingivale le plus fréquemment retrouvée mais, dans le cas présent, aucun facteur inflammatoire local (spicule de tartre, restauration dentaire débordante, lésion carieuse proximale…) n’est retrouvé. Des processus tumoraux bénins (fibrome gingival ou osseux, granulome pyogénique, granulome périphérique à cellules géantes…) peuvent ensuite être évoqués et le diagnostic est alors avant tout histologique.

Plusieurs étiologies d’ordre général peuvent aussi être avancées même si l’aspect très localisé de cette hypertrophie ne plaide pas en leur faveur :

• une prise de médicaments tels que des immunosuppresseurs (cyclosporine), des antihypertenseurs antagonistes du calcium (nifédipine) ou encore des antiépileptiques (diphénylhydantoïne), ce qui n’est pas le cas ici ;

• une origine génétique, en particulier une collagénose. Le patient ne mentionne rien de tel ;

• une carence en vitamine C. Cette hypothèse n’est pas retenue car le régime alimentaire du patient semble équilibré ;

• une anomalie hormonale (hypothyroïdie ou hyperparathyroïdie, la grossesse et la puberté étant écartées d’emblée). Un bilan biologique thyroïdien et parathyroïdien est donc nécessaire.

Enfin, un diagnostic de malignité ne peut être formellement écarté même si l’aspect clinique avec un revêtement muqueux normal et la rapide évolution ne sont guère évocateurs. À côté du carcinome épidermoïde, il faut aussi penser à une hémopathie maligne (leucémie myéloïde plus particulièrement) qui peut se manifester précocement sous forme d’une hypertrophie gingivale plutôt érythémateuse, ce qui n’est pas le cas ici. Cependant, une numération formule sanguine (NFS) est un examen clé pour ce type de diagnostic.

Finalement, une hypothèse locale est privilégiée et une exérèse avec examen histologique de la pièce est programmée. Une NFS et un bilan biologique thyroïdien et parathyroïdien (TSH et PTH) sont prescrits.

Prise en charge thérapeutique

Les bilans biologiques sont normaux. L’exérèse en deux parties (vestibulaire et linguale) de l’hypertrophie emportant aussi la papille interdentaire entre 45 et 46 est réalisée par gingivectomie simple sous anesthésie locale à l’aide d’un bistouri équipé d’une lame 15. Deux semaines plus tard, le contrôle postopératoire montre une cicatrisation muqueuse, en vestibulaire comme en lingual, de bonne qualité (fig. 3 et 4). À ce jour, aucune récidive n’a été constatée.

Histologie

L’examen microscopique (grandissement × 100) montre, en surface, un épithélium malpighien un peu hyperplasique et présentant une discrète kératinisation. La lésion d’intérêt se situe au niveau du tissu conjonctif (chorion). Elle est caractérisée par des éléments mononucléés, assez monomorphes, se mêlant à un petit nombre de cellules géantes multinucléées et à quelques hématies extravasées. On observe quelques travées osseuses néoformées. On note de nombreux capillaires et un infiltrat inflammatoire lymphoplasmocytaire (fig. 5).

En conclusion, il s’agit d’une lésion bénigne dont les caractéristiques microscopiques peuvent s’accorder avec un granulome à cellules géantes de type périphérique, siège de lésions inflammatoires aiguës, ulcérées et chroniques.

Commentaires

Touchant le plus souvent les femmes de 50 à 60 ans et dans une moindre mesure les hommes de 20 à 30 ans, le granulome périphérique à cellules géantes est une réaction hyperplasique bénigne se développant à partir du ligament parodontal ou du périoste et pouvant entraîner une résorption de l’os alvéolaire sous-jacent, ce qui n’est pas le cas ici.

Cliniquement, la lésion est classiquement ferme, de taille variable mais souvent inférieure à 20 mm, sessile ou pédiculée, rouge violacé, ulcérée en surface et non douloureuse. La mandibule est davantage atteinte que le maxillaire, avec une préférence pour la localisation antérieure de la denture. Parfois, on retrouve la lésion sur les deux versants de l’arcade dentaire. L’évolution clinique peut être rapide. Cette description clinique cardinale correspond en tout point au cas présenté ici.

L’étiopathogénie du granulome périphérique à cellules géantes reste encore mal connue ; le plus souvent secondaire à une irritation locale ou à un traumatisme chronique, il peut également être, comme ici, de nature idiopathique.

Le cliché panoramique dentaire est essentiel pour juger de l’éventuelle extension osseuse du granulome. Le traitement consiste en l’exérèse complète de la lésion et la réalisation d’un curetage de l’os alvéolaire en regard.

Une découverte précoce permet une chirurgie plus conservatrice et moins délétère vis-à-vis des dents et de l’os adjacent qu’une découverte tardive.

Il existe un risque non négligeable de récidive, notamment si l’exérèse est incomplète ou si les facteurs favorisants, lorsqu’ils sont retrouvés, n’ont pas été éliminés.

À lire

Collège hospitalo-universitaire français de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie. Item 256 : Lésions dentaires et gingivales. Université médicale virtuelle francophone, 2010-2011.

Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Courrier B, Samson J. La muqueuse buccale : de la clinique au traitement. Paris : Éditions Med’Com, 2009.

Nekouei A, Eshghi A, Jafarnejadi P, Enshaei Z. A review and report of peripheral giant cell granuloma in a 4-year-old child. Case Reports in Dentistry 2016;2016:ID 7536304.