Les clés d’une bonne communication… pour que tout le monde aille chez le dentiste - Clinic n° 01 du 01/01/2018
 

Clinic n° 01 du 01/01/2018

 

ENQUÊTE

Catherine Faye  

Quatre Français sur dix ne vont jamais chez le dentiste. Un constat préoccupant tant est avéré le lien direct entre santé bucco-dentaire et santé générale. Et ce malgré nombre d’actions et de campagnes menées pour mieux communiquer. Quel est le défi à relever ? Le 18e colloque annuel de l’UFSBD, consacré à la « Prévention, de la communication à l’action. Combattre les idées reçues pour faire changer les comportements », a tenté d’y répondre. Et les initiatives innovantes ne manquent pas. Avec, au cœur, la relation humaine et la proximité.

On le sait. Toute la population peut être atteinte par les maladies carieuses ou parodontales. Elles sont en principe évitables et 98 % de la population dispose d’une couverture maladie obligatoire et complémentaire. Pourtant, les inégalités de santé se creusent. Et la mauvaise hygiène bucco-dentaire d’une partie des Français continue d’entraîner des maladies cardio-vasculaires, chroniques, de favoriser les risques d’accouchement prématuré, de malnutrition ou de carences. Tout l’enjeu est donc de passer d’une logique de politique de soins à une logique de politique de santé. Pour y parvenir, la communication a un rôle déterminant à jouer. Si elle ne permet pas, à elle seule, d’engendrer des changements socio-sanitaires, elle reste un vecteur de changement des comportements.

Comprendre les enjeux

Apparemment, malgré tout ce qui a déjà été mis en place, le message ne passe pas. « Les patients n’ont pas réellement conscience de l’enjeu, ils ne s’approprient pas le problème », déplore Sabine Barlette, chirurgien-dentiste au sein des Hôpitaux des Portes de Camargue et chez Qare, un site de vidéo-consultation où exercent médecins et professionnels de santé. Pourtant, « les patients savent tous qu’ils doivent se brosser les dents et aller chez le dentiste ». Alors, pourquoi ne le font-ils pas ? Et que faudrait-il changer ? « L’objectif est de trouver des axes pour communiquer dans la justesse par un message accessible et suffisamment attrayant pour les acteurs concernés », développe Jacques Wemaere, chirurgien-dentiste et vice-président de l’UFSBD*, qu’ils soient patients, professionnels de santé mais aussi enseignants ou intervenants d’associations ou de collectivités locales. Un message suffisamment ouvert pour permettre une réflexion individuelle et adaptée au profil de chacun, notamment des catégories de la population qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire celles qui sont le moins attentives à leur santé et le moins sensibles aux enjeux de santé.

Messages clairs

Probante, « Mois sans tabac », campagne de communication de santé générale, fait mouche. Promue par Tabac info service, elle pourrait être source d’inspiration. Lancée en 2016 par la ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine, l’opération vise à lutter contre le tabagisme. Le principe est simple : inciter un maximum de fumeurs à arrêter de fumer pendant au moins 30 jours, à partir du 1er novembre. « Parce qu’un mois sans fumer, c’est cinq fois plus de chances d’arrêter », affirme Olivier Smadja, chef de projet à Santé Publique France, agence de santé publique au service de la population. En Angleterre, cette mobilisation a été lancée en 2012 et a permis de doubler le nombre de tentatives d’arrêt pendant le mois de l’opération par rapport à un mois sans mobilisation. Pour faciliter la préparation et l’arrêt du tabac, un kit d’aide à l’arrêt est disponible sur le site de Tabac info service et en pharmacie, et un dispositif d’aide à distance est accessible au 39 89. Institutions, professionnels de santé, grandes entreprises publiques et privées, associations, fédérations et mutuelles s’engagent à relayer la campagne et à soutenir tous ceux qui feront une tentative d’arrêt. « La synergie. C’est là la clé de voûte d’une communication réussie », assure Jacques Wemaere. Par ailleurs, la force d’une telle campagne repose sur le fait que chacun peut se reconnaître, sans aucune culpabilisation. Et des personnalités suivent l’aventure comme l’animateur de télévision Laurent Romejko, accompagné du médecin Michel Cymes. « On n’est plus dans la logique du soignant qui sait tout et du patient infantilisé. On n’est pas dans les reproches mais dans le positif », remarque Olivier Smadja.

Source d’inspiration

Une telle approche ne peut toutefois se concevoir sans une mobilisation résolue des décideurs et des pouvoirs publics. Dans cette optique, le manifeste « Osons la santé bucco-dentaire pour tous ! », publié cette année par l’UFSBD, est un plaidoyer adressé à l’ensemble des politiques français pour inscrire rapidement dans leurs feuilles de route le défi bucco-sanitaire au centre d’une vision de santé globale. Huit mesures emblématiques sont inscrites à travers ce programme ambitieux.

Il s’agit notamment de réviser les mesures sur le fluor, de réévaluer la taxe soda, de baisser la TVA sur les produits d’hygiène bucco-dentaire, de mener de grandes campagnes d’information, de promouvoir des mesures de prévention dans la vie quotidienne, de favoriser les actions de proximité dans tous les lieux de vie, ou encore d’assurer la coordination entre professionnels de santé et médico-sociaux. L’UFSBD entend ainsi inscrire la santé dentaire comme maillon indispensable du parcours santé de tous les Français. Un enjeu crucial auquel nos dirigeants ne sembleraient, aujourd’hui, pas insensibles. Car, selon Sabine Barlette : « Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2018) affiche une forte volonté de favoriser les actions innovantes et de prévention, soit par financement direct, soit par une accélération de la procédure pour accorder aux actes pertinents une lettre clé permettant le remboursement. »

  • * Union française pour la santé bucco-dentaire.

  • *Aujourd’hui Santé Publique France

Avant toute chose, la prévention

La prévention est un argument majeur qui plaide en faveur d’une réduction des dépenses publiques en matière de santé et, pour Céline Poulet, de la Croix-Rouge française, un levier essentiel. En 2015, l’UFSBD et la Croix-Rouge française ont mis en place « Sourire pour tous », un programme de santé bucco-dentaire auprès des enfants en situation de handicap accueillis dans les centres de la Croix-Rouge. Formé à la santé bucco-dentaire des tout-petits, le personnel qui intervient au quotidien dans leur prise en charge mobilise son environnement familial par l’adoption précoce de comportements préventifs et sensibilise les jeunes enfants eux-mêmes à travers des ateliers ludiques.

De leur côté, certains laboratoires, comme Pierre Fabre Oral Care, leader européen dans le circuit pharmaceutique, organisent des actions d’information et de prévention auprès du grand public, plus spécifiquement des enfants, pour les former aux règles d’une bonne hygiène bucco-dentaire et à l’importance des visites de contrôle régulières chez le chirurgien-dentiste. Notamment en distribuant un poster de brossage pour expliquer la bonne méthode et un semainier de brossage pour que l’enfant suive ses brossages avec assiduité dans les écoles. Lucratif mais concluant.

La prévention ne peut plus être assurée par les seuls professionnels de santé, car l’appropriation de sa santé et de la prévention par un patient fait appel à d’autres mécanismes que le raisonnement médical rationnel. « Les professionnels de santé doivent se connecter non seulement entre eux pour faire passer ces messages, mais aussi avec d’autres professionnels », observe Sabine Barlette. Tels les professionnels de l’e-santé, pour qui la prévention est un pilier majeur de leur métier, les patients eux-mêmes bien sûr et, in fine, les professionnels de la communication qui sont à même d’étudier les ressorts des succès ou des échecs en matière de prévention.

Les atouts de la vidéo-consultation

Sabine Barlette Chirurgien-dentiste de l’équipe médicale de Qare

Le développement des moyens numériques peut permettre de sensibiliser plus rapidement la cible des programmes de prévention. Des sites de vidéo-consultation, comme Qare, offrant un bouquet de services médicaux d’une grande qualité préventive, didactique et médicale, sont de nouveaux outils complémentaires à la consultation en face à face dite « présentielle » avec son praticien habituel. Sabine Barlette, témoigne : « La vidéo-consultation se déploie avant un rendez-vous et permet à des patients tétanisés par le fait d’aller chez le dentiste d’avoir une interface derrière laquelle ils se sentent protégés. Certains de ces patients ne sont jamais allés chez le dentiste. »

La vidéo-consultation permet de prendre le temps de parler, d’expliquer, voire de communiquer des articles, des informations ou des schémas explicatifs sur un problème donné. Enfin, « l’interrogatoire médical et dentaire va cerner le problème de manière très précise », poursuit la praticienne. « Toutefois, l’insuffisance de l’accès à ces nouvelles technologies fait partie des facteurs d’exclusion des populations fragiles », ajoute Jacques Wemaere.

Pour remédier à cela, e-DENT, système pionnier de télé-expertise bucco-dentaire différée, a été créé pour les catégories de la population ayant des difficultés d’accès à un chirurgien-dentiste, comme les personnes en perte d’autonomie ou les détenus.

Mises au point au CHRU de Montpellier et financées à hauteur de 110 000 € par l’Agence régionale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon, les téléconsultations e-DENT fleurissent dans les maisons de retraite comme dans les prisons. Cette technologie permet le diagnostic à distance grâce à une caméra utilisant la lumière fluorescente pour détecter les dégradations dentaires de manière très précoce. La caméra, reliée à l’ordinateur, donne une vision des images en direct par le professionnel de santé réalisant l’acte – par exemple un (e) infirmier (ère) formée à cette technique au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – et leur enregistrement.

Le logiciel permet alors de réaliser le schéma dentaire du patient et de préparer la téléconsultation qui sera effectuée par le chirurgien-dentiste. Les informations recueillies lui permettront de mener une véritable première consultation à distance et de faire de la prévention à destination de toutes les catégories de la population, même les plus éloignées du soin.

« Une communication par et pour les futurs patients »

C’est le maître mot de l’UFSBD qui multiplie les opérations d’information, de prévention de proximité et de sensibilisation auprès de ses concitoyens sur tout le territoire, en cherchant à impliquer les patients dans la diffusion des messages. Un credo repris à son compte par le Groupe AG2R La Mondiale, assureur à but non lucratif. « Lorsque des campagnes nationales de prévention sont déjà mises en place, nous tentons de jouer un rôle de “caisse de résonance” vis-à-vis de nos assurés afin de les inciter à s’investir dans ces actions de prévention », relate David Giovannuzzi, directeur des Accords collectifs du Pôle alimentaire au sein du Groupe AG2R La Mondiale. En 2009 et 2011, l’assureur lance deux grandes campagnes de dépistage bucco-dentaire à destination des salariés des boulangeries artisanales en France. Cette branche emploie 120 000 personnes, une population souvent en situation de déshérence en matière de soins bucco-dentaires. Un document avec une liste d’une dizaine de questions a été défini en amont en ciblant les besoins, l’environnement et les motivations des employés avec la collaboration de professionnels de santé, et a été envoyé aux intéressés. Dix pour cent des salariés de cette branche ont pris un rendez-vous chez un chirurgien-dentiste dans le cadre de cette campagne. « Il est important de faire participer les malades aux campagnes elles-mêmes, de leur permettre d’évoquer leur expérience et de se mobiliser dans la diffusion des messages », observe Jacques Wemaere. Les réseaux sociaux peuvent aussi être des vecteurs privilégiés. Par la suite, une action intitulée « Travailler avec le sourire », lancée avec l’expertise de l’UFSBD, a été mise en place pour sensibiliser les jeunes des CFA (centres de formation des apprentis) aux bénéfices d’une bonne hygiène bucco-dentaire. La séance de sensibilisation collective a été suivie d’une séance de dépistage individuelle, organisée dans l’infirmerie du CFA. Cette campagne a permis de sensibiliser 6 000 apprentis. Et 3 672 jeunes ont fait l’objet d’un dépistage individuel. Un message avec un véritable écho.

Les enfants d’abord

Jacques Wemaere Chirurgien-dentiste et vice-président de l’UFSBD

C’est enfant que l’on acquiert les bonnes habitudes et un comportement en adéquation avec une bonne hygiène bucco-dentaire. De plus, la force de cette tranche d’âge est la réactivité. Quand les enfants rentrent de l’école, ils se font le relais de l’information auprès des parents, des frères et des sœurs. C’est la raison pour laquelle l’UFSBD a axé sa principale campagne sur la prévention dans les écoles. À la fin des années 1970, le développement des actions de dépistage avait conduit à un constat alarmant. Selon l’étude de dépistage réalisée par le Centre français d’éducation à la santé* (CFES) auprès de 144 000 enfants de 3 ans, 39 % présentaient déjà des atteintes carieuses. La campagne télévisée avait été relayée par un plan d’action local notamment destiné aux écoles. Le deuxième plan national, mis en place à l’initiative de l’UFSBD, s’est traduit en 2007 par l’opération M’T Dents. Le champ d’intervention portait sur la communication et le suivi des enfants au sein du cabinet dentaire. « En 2015, nous avons réalisé un plan d’étape qui nous a permis de constater que le taux d’enfants de cette classe d’âge se rendant chez le dentiste avait évolué à 60 %. Toutefois, 40 % des jeunes de cet âge ne font pas l’objet d’un suivi. En outre, ce taux est lié à de fortes disparités sociales. Cette cible nécessite donc le déploiement d’autres moyens », commente Jacques Wemaere. La campagne M’T Dents a donc été étendue jusqu’aux tranches d’âge de 21 et 24 ans. En mettant l’accent sur la nécessité d’un suivi plus précoce des enfants, avec pour objectif la mise en place d’un bilan bucco-dentaire à l’âge de 3 ans. Plus encore, les enfants devraient être amenés à une consultation chez le chirurgien-dentiste dès l’âge de 1 an. « Il faudrait d’ailleurs remplacer l’expression “dents de lait” par l’expression “dents d’enfant”. Cette évolution sémantique pourrait contribuer à l’efficacité de nos actions de communication. »

Pour aller plus loin

Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2018). https://issuu.com/ministere-solidarite/docs/22734

Stratégie nationale de santé 2018-2022. http://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/lancement-de-la-consultation-publique-sur-la-strategie-nationale-de-sante

Fiches santé BD. http://www.santebd.org/projet-santebd

UFSBD. http://www.ufsbd.fr/

e-DENT. http://www.telemedecine-360.com/le-projet-e-dent-presente-par-france-2-et-la-tv-e-sante/

QARE. https://www.qare.fr/

Les 3 principaux syndicats de chirurgiens-dentistes français, dont les négociations conventionnelles mettent en avant la prévention :

– CNSD. http://www.cnsd.fr/

– UD. http://www.union-dentaire.com/

– FSDL. http://www.fsdl.fr/