Mécanismes et diagnostic des résorptions cervicales externes - Clinic n° 03 du 01/03/2018
 

Clinic n° 03 du 01/03/2018

 

ENDODONTIE

Guillaume JOUANNY  

Ancien AHU, Paris 5
Certificat en endodontie
(Université de Pennsylvannie)
Exercice privé limité à l’endodontie

Les résorptions cervicales externes sont des destructions non infectieuses du tissu dentinaire dont le départ se situe au niveau du collet d’une dent. Elles sont la conséquence d’un phénomène inflammatoire local qui affecte les tissus dentaires minéralisés. Il est nécessaire de bien connaître l’anatomie des structures impliquées et de comprendre les mécanismes cellulaires en jeu afin de savoir les diagnostiquer et de pouvoir les prendre en charge cliniquement de façon appropriée. La prise en charge clinique des résorptions cervicales externes fera l’objet d’un autre article.

Point sur l’histologie

L’organe dentaire est composé de plusieurs « couches » anatomiques distinctes. On distingue, de l’extérieur vers l’intérieur, la couche de pré-cément, le cément, la dentine, la pré-dentine et la pulpe (fig. 1).

– Le pré-cément est une couche non minéralisée, déposée par les cémentoblastes. Sa minéralisation progressive entraîne la formation du cément.

– Le cément est une couche minéralisée à environ 60 % qui tapisse la surface de la racine dentaire. Il s’appose tout au long de la vie grâce aux cémentoblastes.

– La dentine est un tissu conjonctif minéralisé à 70 % qui compose la majeure partie de la dent [1].

– La pré-dentine est une couche non minéralisée déposée par les odontoblastes. Sa minéralisation entraîne la formation de la dentine tout au long de la vie.

– La pulpe est l’élément vascularisé situé au centre de la dent. Elle est composée de différents types de cellules dont les odontoblastes situés en périphérie de la pulpe, de tissu conjonctif et d’un système vasculaire complexe.

Les couches externes (cémentoblastes et pré-cément) et interne vont jouer un rôle important dans les mécanismes de protection de la dent contre les phénomènes de résorption pathologiques.

Cellules clastiques responsables de la résorption des tissus minéralisés

On peut distinguer les cellules clastiques selon les substrats qu’elles résorbent : ostéoclastes (os) et odontoclastes (tissus dentaires minéralisés). Ce sont des cellules géantes multi-nucléées.

Les ostéoclastes dérivent de la lignée monocyte/macrophage. Les odontoclastes dérivent de la même lignée mais sont généralement plus petits en taille, possèdent moins de noyaux et forment des lacunes de résorption plus petites.

Lorsqu’elles sont matures et fonctionnelles, les cellules clastiques se fixent aux surfaces minéralisées exposées (cément, dentine ou os indifféremment) par le biais d’une interaction entre les récepteurs de type intégrine exprimés à leur surface et les peptides contenant la séquence RGD (arginine, glycine, asparagine) exprimés à la surface des tissus minéralisés (fig. 2 à 4) [2].

Mécanismes de protection de l’organe dentaire contre les résorptions

Les tissus non minéralisés entourant la dent et la pulpe n’expriment pas cette séquence RGD à leur surface, empêchant du même coup la liaison des ostéoclastes et leur résorption.

Le pré-cément protège donc la dent lors d’une résorption osseuse, par exemple dans le cas d’une atteinte osseuse parodontale. La dent ne subit pas de résorption alors que l’os est résorbé par des ostéoclastes fonctionnels (fig. 5).

La pré-dentine protège également la pulpe de la résorption. De la même manière que pour la couche de pré-cément, les ostéoclastes ne peuvent pas se fixer sur la pré-dentine et la pulpe est donc anatomiquement protégée. Un autre phénomène impliquant une réponse pulpaire non encore élucidée consiste en l’élaboration d’une couche minéralisée autour de la pulpe la protégeant de la résorption des ostéoclastes.

Cette couche, baptisée récemment PRRS (Pericanalar Resorption-Resistant Sheet) [3], est souvent visible ; elle est un signe pathognomonique des résorptions cervicales externes (fig. 6 et 7).

L’existence de cette couche pourrait être due à une réaction de la pulpe qui entraînerait localement l’augmentation de l’oxygénation et diminuerait donc l’activité ostéoclastique (augmentée dans des conditions d’hypoxie).

Cette couche pourrait également être la conséquence d’une augmentation de la minéralisation due à une réponse pulpaire de la couche dentinaire proche de la pulpe en réaction à la résorption [4]. Ceci expliquerait l’hyper radio-opacité de la PRRS visible sur une radio.

Mécanismes cellulaires de la résorption

Les résorptions osseuses et dentaires sont des processus complexes qui impliquent une interaction entre les ostéoblastes (cellules responsables de la formation osseuse) et les cellules clastiques (cellules responsables de la résorption osseuses). Cette interaction est modulée par les systèmes RANK (Receptor Activator of Nuclear factor-KappaB), RANKL (Receptor Activator of Nuclear factor-KappaB Ligand) et OPG (ostéoprotégérine).

Activation

RANKL est secrété entre autres par les ostéoblastes. La liaison entre RANKL et RANK présent à la surface des précurseurs des ostéoblastes est à l’origine de voies de signalisation impliquées dans la différenciation, l’activation et la survie des odontoclastes.

Suite à la liaison RANKL-RANK, les précurseurs des ostéoclastes fusionnent pour donner un ostéoclaste fonctionnel. Pour contrebalancer l’effet de RANKL, les ostéoblastes sécrètent également OPG qui est un inhibiteur compétitif de RANKL [5].

L’équilibre RANKL/OPG est donc un déterminant majeur de l’activité ostéoclastique.

L’inflammation est, entre autres, responsable de l’activation des ostéoclastes via le déplacement de l’équilibre RANKL/OPG en faveur de la sécrétion de RANKL.

Activité résorptive

Une fois les ostéoclastes liés à la surface osseuse et la zone étanche formée, ils sécrètent des ions H+ et Cl- par le biais de pompes à protons et de canaux chlorure, ce qui entraîne une diminution rapide du pH et, donc, une acidification de la zone étanche et une déminéralisation de la surface minéralisée. D’autres sécrétions d’enzymes comme la cathepsine K participent à la déminéralisation [6]. Les cellules clastiques se déplacent de proche en proche et résorbent ainsi progressivement la surface osseuse en contact jusqu’à une modification de l’environnement et des voies de signalisation responsables de leur activation.

On peut observer le même phénomène déclenché par les odontoclastes au niveau des tissus dentaires minéralisés.

Diagnostic clinique des résorptions cervicales externes

Caractéristiques cliniques des résorptions externes

Les résorptions cervicales externes sont des lésions lacunaires d’origine inflammatoire qui affectent les surfaces dentaires radiculaires. Elles débutent au niveau de l’attache conjonctive. Elles progressent de façon plus ou moins rapides si elles ne sont pas traitées. Cliniquement, les dents paraissent souvent normales avec dans les cas les plus avancés, une inflammation locale du parodonte marginal en rapport avec la porte d’entrée de la lésion résorptive. Lorsque la résorption atteint la dentine coronaire, le tissu de granulation peut être visible à travers l’émail donnant une couleur rose à la portion résorbée de la couronne.

La plupart du temps, les signes d’appel cliniques sont très faibles. Le diagnostic des résorptions cervicales externes est confirmé radiographiquement. Une nouvelle classification tridimensionnelle a été publiée récemment [7] en prenant compte à la fois de l’extension corono-apicale et circonférentielle de la lésion et de la proximité pulpaire (tableau 1).

Caractéristiques radiologiques des résorptions cervicales externes

Les résorptions cervicales externes sont souvent confondues avec les résorptions internes, principalement parce qu’elles peuvent apparaître centrées radiologiquement sur les dents concernées. Le diagnostic entre résorption interne ou externe est primordial pour décider du traitement approprié.

Pour pouvoir distinguer les résorptions internes des résorptions externes, il est important de connaître les caractéristiques qui leur sont propres.

Elles ne sont pas centrées sur la racine

La progression des résorptions cervicales externes est centripète, ce qui signifie que le point d’entrée de la résorption se situe au niveau cervical dans l’attache conjonctive au niveau de la partie externe de la racine (fig. 8) et que le défaut progresse en direction pulpaire [8]. Cette porte d’entrée peut être facilement identifiable sur un examen radiologique en 3 dimensions (fig. 9 et 10).

Cliniquement, il est rare de pouvoir mettre en évidence une résorption cervicale externe, sauf à un stade très avancé (fig. 11 à 14).

Lorsque le point d’entrée est mésial ou distal, l’identification se fait facilement (fig. 15). En revanche, lorsque le point d’entrée et le défaut de résorption se situent en palatin (ou en lingual pour les dents mandibulaires) ou en vestibulaire, le défaut de résorption peut apparaître centré radiologiquement en raison de la direction vestibulo-linguale du faisceau radiologique (fig. 16).

Il est alors possible de prendre d’autres clichés avec des incidences mésiales et distales (règle d’Ewan et Clark). Avec une incidence mésiale, le défaut se déplace en mésial sur le cliché pour une résorption cervicale palatine ou linguale. Avec une incidence distale, le défaut se déplace en distal sur le cliché pour une résorption cervicale vestibulaire (fig. 17 et 18).

L’espace pulpaire est dissocié du défaut de résorption

Comme expliqué plus haut, la pulpe est protégée et se protège naturellement contre la résorption. Le défaut dû à la résorption n’atteint donc pas la pulpe, sauf à des stades très avancés. Il est fréquent que la résorption s’enroule autour de la pulpe sans jamais l’atteindre (fig. 19).

Radiologiquement, plusieurs profils sont identifiables :

– la résorption aux limites nettes (fig. 20). L’atteinte est parfaitement radioclaire. Ses limites sont nettes et facilement identifiables. L’atteinte est généralement importante et les contours de l’espace canalaire restent objectivables ;

– la résorption aux limites floues (fig. 21). C’est le profil le plus fréquent et le plus difficile à diagnostiquer. Les contours du défaut de la résorption sont difficilement identifiables sur la radio. L’atteinte peut être profonde et s’étendre apicalement.

La résorption est un processus dynamique résorption/réparation. Il peut exister des espaces reminéralisés au sein du défaut de la résorption (fig. 22). Seul un CBCT peut mettre en évidence la progression de ce type de lésion.

L’espace pulpaire est dissocié de la résorption.

Caractéristiques radiologiques différentielles des résorptions internes

Elles sont centrées sur le canal radiculaire

Contrairement aux résorptions cervicales externes, la prise de différentes incidences ne modifie pas le centrage du défaut de résorption puisque le défaut est toujours centré sur la pulpe. Sur un examen radiologique tridimensionnel, on voit une absence de communication entre le canal et la partie externe de la racine (fig. 23 et 24).

La pulpe est confondue avec le défaut de résorption

La progression des résorptions internes est centrifuge, ce qui signifie que leur point de départ est pulpaire et que leur progression est isotropique (dans toutes les directions) vers la surface radiculaire externe. Les contours de l’espace pulpaire ne sont donc plus identifiables (fig. 25).

Conclusion

Les résorptions cervicales externes sont causées par des phénomènes inflammatoires qui touchent les tissus dentaires minéralisés. Les résorptions cervicales externes ont une progression centripète et n’atteignent jamais la pulpe grâce à des mécanismes de protection anatomiques et cellulaires. Leur diagnostic différentiel avec les résorptions internes se fait grâce à un examen radiologique. Un examen CBCT est très fortement recommandé pour appréhender au mieux la localisation et l’étendue de ces lésions [8]. Seul un diagnostic précis peut permettre une prise en charge optimale dans l’espoir de sauver les dents atteintes.

Bibliographie

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  • [6] Clarke B. Normal bone anatomy and physiology. Clin J Am Soc Nephrol 2008;3 (suppl. 3):S131-S139.
  • [7] Patel S, Foschi F, Mannocci F, Patel K. External cervical resorption: a three-dimensional classification. Int Endod J. 2018 Feb;51 (2):206-214.
  • [8] Patel S, Kanagasingam S, Ford PT. External cervical resorption: a review. J Endod 2009;35:616-625.
  • [9] Patel S, Durack C, Abella F, et al. European Society of Endodontology position statement: the use of CBCT in endodontics. Int Endod J 2014;47:502-504.