Médecine dentaire du sommeil : une autre compétence du chirurgien-dentiste - Clinic n° 05 du 01/05/2018
 

Clinic n° 05 du 01/05/2018

 

PHYSIOLOGIE

Emmanuel d’INCAU*   Radhia BENBELAÏD**   Maria Clotilde CARRA***   Bernard FLEITER****   Jean-François LALUQUE*****   Jean-Arthur MICOULAUD-FRANCHI******  


*Docteur en chirurgie dentaire
DU en anthropologie biologique
MCU-PH, UFR d’odontologie de Bordeaux
UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux
CHU de Bordeaux
**Docteur en chirurgie dentaire
DU en sciences
***MCU-PH, faculté de chirurgie dentaire
de Paris Descartes
AP-HP Pitié-Salpétrière – Charles Foix
****Docteur en chirurgie dentaire
DU en sciences biomédicales
*****MCU-PH, faculté de chirurgie dentaire
de Paris Diderot UMS 011, Inserm, Villejuif
AP-HP Rothschild, service d’odontologie
******Docteur en chirurgie dentaire
DU en sciences
*******MCU-PH, faculté de chirurgie dentaire
de Paris Descartes
AP-HP Pitié-Salpétrière – Charles Foix
********Docteur en chirurgie dentaire
*********Docteur en sciences odontologiques
**********Ancien AHU à l’UFR d’odontologie de Bordeaux
***********Docteur en médecine
DU en neurosciences
************MCU-PH, UFR des sciences médicales de Bordeaux
USR CNRS 3413 SANPSY, université de Bordeaux
Clinique du sommeil, CHU de Bordeaux

Le sommeil est un état de quiescence physique et psychique qui occupe un tiers de l’existence des humains. Il assure de nombreuses fonctions physiologiques qui peuvent être perturbées en présence de troubles du sommeil. Certains d’entre eux établissent une interaction réciproque avec certaines pathologies orofaciales ou dentaires. Il est donc nécessaire d’étendre les compétences du chirurgien-dentiste afin d’améliorer les différentes prises en charge. C’est l’objectif principal de cet article qui expose dans un premier temps, quelques données fondamentales du sommeil normal puis, dans un second temps, les causes et conséquences bucco-dentaires et maxillo-faciales de certains troubles du sommeil.

Sommeil normal

Définition

Le sommeil est un état physiologique périodique durant lequel la vigilance est diminuée et la réactivité aux stimulations internes et externes réduite. Il est rythmique, réversible, adaptatif et associé à une position comportementale particulière et un endroit spécifique [1].

Différentes fonctions fondamentales sont assurées au cours du sommeil :

• la maturation cérébrale et la cognition, notamment chez l’enfant ;

• la régulation cognitive et émotionnelle (importance des rêves) ;

• la sécrétion hormonale (e.g. hormone de croissance) ;

• la régulation synaptique (maintien, suppression) ;

• la régulation des systèmes mono amines (e.g. dopamine, sérotonine) ;

• la régulation du système immunitaire (e.g. libération d’interleukines, de TNF ×).

Le sommeil est donc un élément essentiel pour la santé.

Structure

Le sommeil d’un adulte est constitué d’une succession d’états. Chacun présente des spécificités en rapport avec le type de mouvements qu’effectuent les yeux, le tonus musculaire et l’activité électrique cérébrale.

• Les mouvements oculaires sont déterminés à l’aide d’un électro-oculogramme (EOG). Lors du sommeil, ils sont de deux sortes : non rapides (Non-Rapid Eye Movement – NREM) ou rapides (Rapid Eye Movement – REM).

• Le tonus musculaire durant le sommeil est enregistré au niveau du muscle mentonnier à l’aide d’un électromyogramme (EMG). Il peut être important, modéré ou quasi absent (hypotonie).

• L’activité électrique du cerveau est déterminée à l’aide d’un électroencéphalogramme (EEG). Cet enregistrement permet de déterminer des états selon la fréquence et l’amplitude des ondes cérébrales et selon la présence de figures caractéristiques nommées grapho-éléments.

À partir de ces enregistrements (EOG, EMG, EEG), il est possible de déterminer deux types de sommeil : le sommeil lent et le sommeil paradoxal [2] (fig. 1).

Sommeil lent

Il comporte trois stades.

• Le stade 1 est caractérisé par des mouvements oculaires non rapides, un tonus musculaire important ou modéré et une activité cérébrale d’amplitude variable et lente (3 à 7 hertz). Il s’agit de l’activité thêta qui est associée à un type de grapho-élément particulier appelé pointe vertex. Ce stade est un stade de transition entre l’éveil et le sommeil. Il représente environ 5 % de la durée totale du sommeil et il est facilement réversible.

• Le stade 2 suit généralement le stade 1 si les conditions le permettent : le sujet est alors réellement endormi. Ce stade est caractérisé par une activité thêta qui occupe tout le tracé. Elle est interrompue par deux types de grapho-éléments caractéristiques, les « complexes K » (grandes ondes biphasiques) et les « fuseaux » (spindles) d’allure sinusoïdale. Ce stade est également caractérisé par des mouvements oculaires non rapides. Il représente entre 50 et 60 % de la durée totale du sommeil. Notons que les stades 1 et 2 (encore nommés N1 et N2) correspondent au sommeil lent léger.

• Le stade 3 (N3) voit le ralentissement de l’activité cérébrale s’amplifier. Il est caractérisé par des ondes lentes et de forte amplitude (ondes delta de 0,5 à 4 hertz). Ce stade est dit lent profond ou encore récupérateur. Il représente environ 15 % de la durée totale du sommeil et advient surtout en début de nuit. Le tonus musculaire est diminué mais encore présent.

Sommeil paradoxal

Il survient après une période de sommeil lent. Il est caractérisé par des mouvements oculaires rapides, un EEG rapide (voisin de celui de l’éveil) et une atonie musculaire. Il représente environ 25 % de la durée totale du sommeil et est surtout présent en fin de nuit. C’est un sommeil que seul un stimulus important peut interrompre. L’association apparemment contradictoire d’une activité corticale électrique, de mouvements oculaires rapides (signes d’éveil) et d’une atonie musculaire (signe de sommeil profond) a fait nommer cet état « sommeil paradoxal » par Michel Jouvet.

La succession de ces différents stades détermine un cycle ultradien de sommeil qui se termine par une période de sommeil paradoxal. Plusieurs cycles (3 à 5) d’environ 90 minutes se succèdent au cours d’une nuit normale. Il est possible de les représenter à l’aide d’un hypnogramme. Ce graphique est réalisé grâce à l’enregistrement EEG. L’axe des abscisses indique le temps écoulé et l’axe des ordonnées indique l’activité du cerveau (fig. 2).

L’hypnogramme permet également de mettre en évidence les périodes de veille qui ont lieu avant l’endormissement (latence d’endormissement) et au cours d’une nuit de sommeil. Ces périodes d’éveil intra-sommeil (éveil électro-encéphalographique > 15 s) et de micro-éveils (éveil électro-encéphalographique d’une durée comprise entre 3 et 15 s) sont présentes chez tous les individus, de manière physiologique. Certains troubles du sommeil augmentent cependant leur durée et/ou leur fréquence.

Sommeil au cours des âges de la vie

Les changements physiologiques de l’organisme au cours du vieillissement ont des répercussions sur le sommeil [3, 4] (fig. 3). Celui d’un nouveau-né à terme dure en moyenne 16 heures et il est caractérisé par des phases de sommeil calme (30 à 40 %), de sommeil agité (40 à 50 %) et de sommeil transitionnel (10 à 15 %). De 3 mois à 1 an, le sommeil lent (NREM) de l’enfant augmente alors que la durée de son sommeil REM diminue. Vers 1 an, l’enfant dort entre 12 et 14 heures par jour avec une durée de sommeil de nuit comprise entre 10 et 11 heures et un sommeil diurne réparti en deux épisodes (siestes). De 3 à 12 ans, la durée totale de sommeil diminue et la sieste disparaît. Chez le jeune adulte, la durée moyenne du sommeil est comprise entre 7 heures et 7 h 30 la semaine mais elle peut s’allonger le week-end (jusqu’à 9 h). Quelques individus nommés « courts dormeurs » ne dorment cependant que 6 heures à 6 h 30 par nuit. Ils n’ont que peu de veille intra-sommeil et de stade 1. Leur efficacité de sommeil (temps de sommeil réel/temps passé au lit) est donc importante. À l’opposé, d’autres individus nommés « longs dormeurs » dorment plus de 9 h 30 par nuit. Leurs deux dernières heures de sommeil comportent essentiellement du sommeil REM et du sommeil lent de stade 2 [5] (fig. 4). Chez le sujet âgé, le sommeil est profondément modifié (fig. 5). L’efficacité du sommeil diminue, le nombre d’éveils intra-sommeil augmente et la durée du sommeil lent profond (stade 3) diminue [4].

Évaluation du sommeil

L’évaluation du sommeil vise à dépister ou diagnostiquer un éventuel trouble du sommeil. Chez l’adulte ou l’adolescent, elle s’effectue généralement en deux étapes. Tout d’abord, elle débute par un bilan clinique qui est parfois suffisant pour poser un diagnostic. Dans d’autres cas, des examens complémentaires doivent être envisagés afin d’identifier le trouble du sommeil et sa cause.

Le bilan clinique repose d’abord sur un entretien semi-directif et/ou sur des questionnaires spécifiques. L’index de qualité du sommeil de Pittsburgh (Pittsburgh Sleep Quality Index – PSQI) développé par Buysse et al. [6] est fréquemment utilisé. Il concerne le sommeil au cours du dernier mois et comprend 19 questions d’auto-évaluation ainsi que 5 questions qui sont posées au compagnon de chambre. Sept composantes sont évaluées avec un score de 0 (aucune difficulté) à 3 (difficulté majeure). Le score global varie de 0 à 21 et un score ≥ 5 indique un problème de sommeil sans pouvoir cependant mettre en évidence un trouble du sommeil en particulier. D’autres questionnaires plus spécifiques sont proposés. Ils reposent sur la mise en évidence de signes (e.g. les ronflements, l’obésité) et de symptômes (e.g. la somnolence, la fatigue) évocateurs de certains troubles du sommeil (tableau 1). L’examen clinique complète le plus souvent l’entretien clinique et, au terme du bilan, des examens complémentaires sont parfois indiqués.

Ces examens paracliniques s’effectuent préférentiellement en unité spécialisée. Ils permettent d’évaluer la somnolence et d’explorer le sommeil. Cette exploration s’effectue grâce à une polysomnographie qui permet d’enregistrer, au cours du sommeil, différentes variables physiologiques (rythme respiratoire, rythme cardiaque, saturation en oxygène, électroencéphalogramme, électro-oculogramme, électromyogramme du muscle mentonnier, des muscles jambiers et éventuellement des masséters et des temporaux, activité comportementale grâce à la vidéo, système audio), afin d’évaluer objectivement la présence et la sévérité d’un ou de plusieurs troubles du sommeil [7] (fig. 6). Cet examen est considéré comme le gold standard mais il est chronophage et coûteux. Il est parfois remplacé par d’autres types d’examens plus accessibles comme la polygraphie ventilatoire lorsque seuls certains troubles respiratoires durant le sommeil sont suspectés.

Troubles du sommeil

Les troubles du sommeil sont des troubles médicaux qui concernent près d’un individu sur trois à un moment donné de la vie. Ils peuvent avoir des causes physiologiques, environnementales ou comportementales. Certains d’entre eux interfèrent sur les fonctions physiologiques, cognitives et/ou émotionnelles normalement assurées par le sommeil. Ceci peut entraîner des répercussions majeures sur la santé, le bien-être, la scolarité, la vie sociale et professionnelle [8] ainsi que d’importants coûts économiques [9]. Il est donc fondamental que les professionnels de santé en général et les chirurgiens-dentistes en particulier s’investissent dans le dépistage et l’éventuelle prise en charge de certains troubles du sommeil.

Cadre nosologique

Les troubles du sommeil sont répertoriés dans la classification internationale des troubles du sommeil (International Classification of Sleep Disorders – ICSD 3) dont la troisième version a été actualisée en 2014 par l’Académie américaine de médecine du sommeil (American Academy of Sleep Medicine –AASM) [10]. Elle comprend sept catégories.

1. Trouble insomnie (e.g. chronique, de court terme).

2. Troubles respiratoires liés au sommeil (e.g. syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil – SAHOS, syndrome d’apnées centrales du sommeil, syndrome d’obésité-hypoventilation).

3. Troubles hypersomnies d’origine centrale (e.g. narcolepsie avec cataplexie, hypersomnie idiopathique, syndrome de Klein-Levin).

4. Troubles du rythme circadien du sommeil (e.g. syndrome d’avance de phase, syndrome de retard de phase, travail posté).

5. Troubles parasomnies (e.g. somnambulisme, terreur nocturne, énurésie).

6. Troubles des mouvements liés au sommeil (e.g. syndrome des jambes sans repos, bruxisme du sommeil, mouvements périodiques des membres).

7. Symptômes isolés (e.g. ronflement, myoclonies, somniloquie).

Les troubles du sommeil les plus fréquemment rencontrés en population générale sont le trouble insomnie, les troubles respiratoires du sommeil dont le SAHOS, le syndrome des jambes sans repos, le bruxisme du sommeil et les parasomnies [8].

Troubles du sommeil et odontologie

Les enjeux médicaux et économiques du dépistage et de la prise en charge des troubles du sommeil ont précédemment été évoqués. Afin d’améliorer la réponse à la double problématique trouble du sommeil/pathologie odontologique, il est important que la médecine dentaire du sommeil soit intégrée aux programmes de formation initiale et continue des chirurgiens-dentistes [11]. Cette discipline, encore confidentielle en France, a été développée par Gilles Lavigne et al. il y a près de 20 ans au Canada [12-14]. Elle se consacre à l’étude des causes et des conséquences bucco-dentaires et maxillo-faciales de certains troubles du sommeil ainsi qu’à leur prise en charge [15]. Elle ne se restreint donc pas qu’au SAHOS mais englobe de nombreux troubles comorbides (fig. 7) :

• les douleurs orofaciales qui peuvent perturber le sommeil ou, à l’inverse, qui peuvent être liées à la présence d’un trouble du sommeil tel que le SAHOS ou l’insomnie chronique ;

• les troubles respiratoires du sommeil, comme le SAHOS fréquemment associé à la maladie parodontale ;

• le reflux gastro-œsophagien (RGO) durant le sommeil qui peut provoquer une importante érosion dentaire ou être associé au SAHOS et/ou au bruxisme du sommeil ;

• certains troubles des mouvements mandibulaires comme les dyskinésies, les dystonies ou le bruxisme du sommeil qui peuvent perturber le sommeil ou avoir des effets délétères sur l’appareil manducateur (douleur, attrition dentaire, fractures dentaires, etc.) ;

• certains troubles de l’hydratation endo-buccale comme la sécheresse buccale ou l’hypersalivation qui peuvent perturber le sommeil ou accentuer l’usure dentaire.

Différents articles seront ultérieurement publiés dans cette revue afin de faciliter le dépistage et la prise en charge de ces troubles comorbides. Nous ne les présenterons donc ici que de manière succincte.

• Les douleurs orofaciales qui sont susceptibles de perturber le sommeil comprennent les douleurs dento-alvéolaires (liées aux dents et aux structures parodontales environnantes), les douleurs musculo-squelettiques (liées aux muscles et aux articulations temporo-mandibulaires), les douleurs neuropathiques (liées à une atteinte périphérique ou centrale du système somato-sensoriel) et les céphalées. Elles peuvent affecter le sommeil en augmentant la latence d’endormissement ou en provoquant des réveils intra-sommeils. Les éventuelles conséquences sont une sensation de sommeil non réparateur, une asthénie, une somnolence diurne, une baisse de la pression artérielle, un syndrome du côlon irritable et/ou une dépression [15]. Le lien entre la douleur et le sommeil n’est cependant pas univoque puisque certains troubles du sommeil comme l’insomnie chronique ou le SAHOS sont susceptibles d’initier et/ou d’entretenir les douleurs orofaciales en général [16-18] et les douleurs musculo-squelettiques de l’appareil manducateur en particulier [19, 20].

• Les troubles respiratoires durant le sommeil que les chirurgiens-dentistes sont amenés à dépister et à prendre en charge sont les ronflements et le SAHOS. Les ronflements sont des bruits respiratoires émanant des voies aériennes supérieures qui sont liés aux vibrations des parties molles de l’oropharynx. Leur fréquence qui augmente avec l’âge est supérieure à 50 % après 65 ans. Lorsqu’ils sont sonores (jusqu’à 100 décibels), ils perturbent significativement le sommeil du partenaire de chambre et leur présence quotidienne doit évoquer un SAHOS. Ce dernier est caractérisé par des épisodes récurrents de collapsus (apnées) ou de rétrécissements (hypopnées) des voies aériennes supérieures au cours du sommeil. Ces épisodes entraînent une désaturation en oxygène et de fréquents micro-éveils qui fragmentent le sommeil et sont associés à un risque d’hypertension artérielle, de syndrome métabolique et/ou de dépression [21]. De récentes études rapportent également des interactions réciproques entre le SAHOS et la maladie parodontale [22]. La prise en charge de ces deux pathologies est donc interdépendante [23].

• Le RGO est un flux rétrograde d’acide gastrique vers l’œsophage distal, le larynx, le pharynx et éventuellement la cavité buccale. Son diagnostic est souvent difficile à établir car il est parfois asymptomatique et/ou occasionnel. Lorsqu’il advient durant le sommeil, son principal symptôme est le pyrosis. Entre 50 et 75 % des individus qui ressentent cette brûlure rétro-sternale durant leur sommeil ont des épisodes de RGO qui engendrent des micro-éveils ou des éveils qui détériorent significativement la qualité du sommeil [24]. Les régurgitations acides provoquent également un goût aigre ou amer dans la bouche ainsi que des lésions dentaires érosives. Notons que le RGO est fréquemment associé au SAHOS et au bruxisme du sommeil, de manière non aléatoire [25]. Ces troubles sont donc comorbides.

• Les troubles des mouvements mandibulaires concernent tout d’abord les dyskinésies orofaciales. Ces dysfonctionnements moteurs se caractérisent par des mouvements involontaires, principalement chorégraphiques, du visage, des lèvres, de la langue et de la mandibule. Leur origine peut être associée à des pathologies psychiatriques ou à des médicaments comme les neuroleptiques ou des substances dopaminergiques. Les dyskinésies orofaciales ont un impact important sur la qualité de vie et sur la qualité du sommeil. Leur impact sur les structures manducatrices impliquées n’est en revanche pas encore totalement déterminé [15]. La dystonie oro-mandibulaire est un autre trouble des mouvements qui est également caractérisé par des contractions du visage, de la mandibule et/ou de la langue. Lorsqu’elle se produit avec un blépharo spasme, elle se nomme syndrome de Meige. Elle est dite en fermeture (lorsqu’elle est associée à un serrage involontaire des dents), en ouverture (lorsqu’elle se manifeste par une ouverture involontaire de la bouche) ou mixte (lorsque tous les muscles sont impliqués par la dystonie). La mastication et la phonation sont alors affectées de même que le sommeil [26]. Le bruxisme du sommeil est caractérisé par le serrement ou le grincement des dents et/ou par des mouvements toniques ou de poussée de la mandibule sans contact dentaire [27]. Sa prévalence chez l’adulte est estimée à 8 %. Son étiologie n’est pas encore totalement élucidée mais son aspect multifactoriel et l’implication du système nerveux central sont cependant admis. Même si les épisodes de bruxisme ne perturbent pas la qualité du sommeil, ils sont susceptibles d’induire des signes et des symptômes délétères comme une importante usure dentaire (attrition), des douleurs musculo-squelettiques, des fractures dentaires, des échecs implantaires ou prothétiques. Le partenaire de chambre peut également être réveillé par les grincements dentaires sonores. Tous ces signes et symptômes ne sont pas toujours présents, ce qui laisse penser que le bruxisme du sommeil n’est pas toujours pathologique. Cette dernière connotation (trouble, facteur de risque ou simple comportement ?) est d’ailleurs de plus en plus débattue [28].

• Les troubles de l’hydratation endo-buccale concernent tout d’abord la sécheresse qui peut être liée à un faible débit salivaire (physiologique au cours du sommeil) ou à une xérostomie (sensation subjective). Cette condition est très fréquente et doit évoquer une respiration buccale et des pathologies comme le diabète, le syndrome de Gougerot-Sjögren ou encore certains médicaments dont les antidépresseurs. La sécheresse intra-buccale peut également être liée à des troubles du sommeil comme le SAHOS, le RGO ou le bruxisme du sommeil [29, 30]. Cela occasionne de nombreux réveils afin de se désaltérer, ce qui perturbe considérablement le sommeil. L’hypersalivation est moins fréquente mais elle peut également occasionner des éveils intra-sommeil. Elle peut être liée à des pathologies comme la maladie de Parkinson ou la parodontite mais également à des médicaments [15].

Conclusion

La médecine dentaire du sommeil s’intéresse aux causes et aux conséquences bucco-dentaires et maxillo-faciales de certains troubles du sommeil. La plupart des affections qui entrent dans cette catégorie entretiennent des liens réciproques et comorbides. Leur dépistage et leur prise en charge sont parfois difficiles, ce qui impose à tout chirurgien-dentiste d’acquérir des connaissances spécifiques dès la formation initiale mais également tout au long de la formation continue. Les enjeux sont fondamentaux puisqu’ils doivent permettre d’améliorer la santé et la qualité de vie des patients tout en limitant les dépenses de santé.

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