« Protéger la profession et assurer une mission de santé publique » - Clinic n° 09 du 01/09/2018
 

Clinic n° 09 du 01/09/2018

 

GRAND ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

Élu président de l’Ordre, Serge Fournier, chirurgien-dentiste libéral à Toulouse, et élu ordinal depuis une trentaine d’années, s’est présenté comme le « candidat de la réforme ». Sa connaissance de l’activité ordinale et sa volonté de « passer à l’action » expliquent la rapidité avec laquelle il a revêtu son nouvel habit au début de l’été, enchaînant rendez-vous et prises de contact. Les données de santé, l’information et la publicité, les assistants dentaires et la réforme des études sont les 4 « dossiers capitaux » dont il s’est saisi. Il est aussi très attentif aux nouveaux modes d’exercice qui émergent. Serge Fournier mise sur la communication pour afficher en toute clarté l’action de l’Ordre. L’une de ses priorités sera de forger, dans la plus grande transparence, une image positive de la profession.

Vous vous êtes présenté comme le candidat de la réforme. Comment l’entendez-vous ?

Mon premier axe de réforme concerne l’institution elle-même. L’Ordre agit dans de nombreux domaines et je rends hommage à l’action des deux précédents présidents : Christian Couzinou et Gilbert Bouteille.

Toutefois, cette action s’avère insuffisamment lisible. Trop de question du type « Que fait l’Ordre ? » se font encore entendre. La communication interne, pour les différents échelons ordinaux et les praticiens, ainsi que la communication externe destinée aux médias semblent contre-productives.

Que comptez-vous faire pour mieux communiquer ?

L’idée est de travailler avec tous les acteurs : universitaires, ADF, Académie, syndicats, organismes institutionnels et pouvoirs publics, pour affirmer l’image positive du monde dentaire. L’Ordre doit valoriser l’exercice quotidien des 43 000 chirurgiens-dentistes en activité, tant auprès des médias que du grand public. Il faut casser les codes trop entendus : les chirurgiens-dentistes ne font pas qu’introduire du mercure et des prothèses dans la bouche des patients ! Nous devons promouvoir l’action de nos confrères pour favoriser l’accès aux soins spécifiques, en particulier sur les personnes vulnérables, et d’autres moins connues comme la prévention ou la courageuse participation à l’identification des victimes de catastrophes (Bataclan, etc.).

S’agissant de la communication interne, le travail a déjà commencé. Depuis début juillet, nous fournissons une revue de presse hebdomadaire aux conseils régionaux et départementaux. Le président du Conseil départemental de l’ordre doit être au cœur du dispositif ordinal alors que le président du conseil régional devra coordonner l’action des conseils départementaux en organisant des rencontres régulières. Le conseil national a déjà entendu les présidents des conseils régionaux en juillet ; les présidents des conseils départementaux le seront en septembre. Et le bureau ira à la rencontre des confrères et des étudiants pour répondre à leurs questions. Je crois que ce sera déterminant pour la lisibilité de notre action.

Quels sont les dossiers urgents à traiter ?

Il y en a 4 aujourd’hui : l’élaboration d’un protocole et d’un dossier complet relatif au RGPD (nouvelle règlementation des données de santé), l’information et la publicité suite au rapport du conseil d’État, l’évolution du métier d’assistant dentaire et la réforme des études du troisième cycle.

Comment réagissez-vous aux recommandations du conseil d’État concernant la publicité par les professions de santé ?

Ce rapport affole à tort. Il ouvre la possibilité d’un droit élargi à l’information. Ce n’est pas une révolution ; juste une évolution. Les recommandations s’appuient sur une règlementation européenne que le conseil d’État a voulu transposer et sont dans la ligne de la politique gouvernementale. Nous devons instaurer une équité entre les confrères libéraux et les centres dentaires.

Le conseil d’Etat nous invite à réfléchir à cette question. Notre objectif est de mettre en place un système moderne et équitable tout en gardant toujours à l’esprit que, in fine, le patient doit être protégé.

À mon sens, l’Ordre doit assumer les missions qui lui sont dévolues : administrer, protéger et soutenir les 43 000 chirurgiens-dentistes en exercice mais aussi assurer sa mission de santé publique.

La réforme du 3e cycle des études d’odontologie est en cours. Comment comptez-vous l’aborder ?

Nous chercherons à travailler avec toutes les instances de la profession : conférence des doyens, syndicats, Académie, ADF et sociétés scientifiques. Après avoir siégé 18 ans au conseil des facultés, il va de soi que ce thème m’intéresse. Il faudra préparer les nouvelles générations et tenir compte de leur exercice futur avec le numérique, les plateformes, la télémédecine et la téléconsultation. Mon mandat sera centré sur les évolutions à apporter à la formation et à la transformation des modes d’exercice.

La réforme est importante, avec un sentiment perçu de segmentation de la profession. Je suis favorable à la mise en place de pôles de haut niveau dans certains domaines tout en élevant le niveau général.

Où en est le dossier des assistants dentaire ? Quelle évolution souhaitez-vous ?

Notre réflexion portera sur l’évolution du métier d’assistant dentaire et sur celui d’hygiéniste. Ce dossier est prioritaire, inspirons-nous de l’expérience de certains pays étrangers toute en limitant les dérives et ce en concertation avec toutes les instances de la profession.

Reprenez-vous le combat mené depuis de longues années par l’Ordre contre les centres dits « low cost » ?

Nous continuons tout en recentrant nos actions vers l’essentiel. Tout sera mis en œuvre pour régler définitivement l’ensemble des problèmes dans ces affaires. L’Ordre a largement pris à sa charge, financièrement et logistiquement, l’archivage des dossiers des patients. Reste à définir les responsabilités des parties pour permettre une reprise de soins chez des patients en détresse.

Les évolutions s’accélèrent dans le domaine de la santé avec la télémédecine et l’intelligence artificielle. Quel rôle l’Ordre peut-il et doit-il jouer ?

L’Ordre doit anticiper les problèmes et poser un cadre juridique aux praticiens qui travailleront sur des plateformes de télémédecine. En 2016, le pôle numérique avait édité un rapport sur le numérique et l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, les orientations de la ministre en faveur du dépistage et de la prévention renforcent encore son intérêt. La télémédecine sera une des pièces de l’engrenage qui facilitera l’accès aux soins des personnes dépendantes et des patients issus des zones désertifiées. Il faudra en convaincre les ARS pour le financement des projets de télémédecine buccodentaire parce que la loi réserve la télémédecine aux médecins !

Notre idée est de créer une relation ville-hôpital forte avec des chirurgiens-dentistes universitaires et libéraux. Un pré-diagnostic pourrait être réalisé en téléconsultation afin de prévoir les soins à réaliser. L’Ordre doit être un soutien juridique et logistique pour les réseaux animés de gens dévoués souhaitant mettre en place des expérimentations.

Un conseil ordinal plus jeune et féminin

Le conseil national a été profondément renouvelé lors des élections du 7 juin, avec une équipe de 19 membres, « plus féminine » et « plus jeune ». Il en ressort « une image plus dynamique », se félicite Serge Fournier.

Les 7 nouveaux conseillers sont les deux binômes Estelle Genon et Philippe Pommarede ainsi que Brigitte Ehrgott et Steve Toupenay pour la région Île-de-France ; le binôme représentant la région Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse Marie-Anne Baudoui-Maurel et Vincent Vincenti ; ainsi que René Garnier, qui représente les Antilles-Guyane.

Les 8 membres du bureau sont en très grande majorité en exercice : 3 vice-présidents, André Micouleau, Myriam Garnier (Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées) et Christian Winkelmann (Bourgogne-Franche-Comté) ; 2 secrétaires généraux, Dominique Chave (Basse Normandie-Bretagne) et Steve Toupenay, (Ile-de-France) ; un trésorier, Guy Naudin (Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine) et son adjoint, Jean-Baptiste Fournier (Auvergne-Limousin-Poitou-Charentes).

Près de 30 années de fonctions ordinales

Élu conseiller pour la première fois en 1990, Serge Fournier, diplômé de la faculté de Toulouse en 1976, a siégé 16 ans au conseil départemental de la Haute-Garonne, puis 12 ans à la présidence du conseil régional de Midi-Pyrénées. Il a également siégé 12 ans à la chambre disciplinaire de première instance. Devenu conseiller national en 2015, Serge Fournier a été président de la commission d’odontologie médico-légale, puis assesseur titulaire de la chambre disciplinaire nationale et de la section des assurances sociales. Il a aussi été chargé de constituer un groupe de réflexion sur le numérique, groupe qui est devenu une commission du Conseil national. Des responsabilités locales et nationales qui lui permettent aujourd’hui d’avoir « une vision globale sur toute l’activité de l’Ordre ».