Une langue géographique douloureuse - Clinic n° 09 du 01/09/2018
 

Clinic n° 09 du 01/09/2018

 

Dermatologie buccale

Kévin HAESE*   Maxime GUILLEMIN**   Adrien DRILLEAUD***   Élisabeth CASSAGNEAU****   Philippe LESCLOUS*****   Saïd KIMAKHE******  

Une femme de 72 ans, édentée totale portant une prothèse bi-maxillaire, consulte initialement pour des douleurs linguales à type de brûlure et pour une gêne sous-prothétique associées à une hyposialie particulièrement gênante la nuit.

Une histoire peut en cacher une autre

Entretien médical, histoire de la lésion

Elle présente pour principaux antécédents un trouble dépressif chronique traité par benzodiazépines, une hypertension artérielle traitée et équilibrée par un inhibiteur de l’enzyme de conversion, ainsi que de l’arthrose pour laquelle elle prend du paracétamol.

Son dentiste traitant suspectant une candidose a tenté un traitement par amphotéricine B (Fungizone®) et un spray buccal pour traiter l’hyposialie, sans amélioration notable.

Examen clinique

L’examen endobuccal révèle la présence d’une langue géographique avec des plages érythémateuses dépapillées en avant du V lingual (fig. 1). Les papilles filiformes médianes apparaissent normales, excepté au niveau de la pointe de la langue qui présente un aspect dépapillé.

Les lésions sont stationnaires et peu modifiées au fil du temps à plusieurs mois d’intervalle (fig. 2). Le reste est inchangé. Classiquement, dans le cas d’une langue géographique, ces plages érythémateuses évoluent rapidement, apparaissent et se déplacent en quelques jours. Devant ce tableau, il a été décidé de réaliser une biopsie bilatérale afin d’éliminer un potentiel psoriasis associé. La patiente n’ayant pas de lésion cutanée, on cherche à déterminer si ces lésions correspondent à un psoriasis buccal uniquement qui peut prendre un aspect voisin ou identique à celui de la langue géographique. Un prélèvement mycologique est également réalisé en laboratoire. Il ne retrouve pas de colonisation fungique pathologique.

Histologie

L’examen histologique révèle une hyperplasie de l’épithélium malpighien avec une architecture papillomateuse, voire légèrement verruqueuse (fig. 3). L’aspect est par endroit leucoplasique ou parakératosique. On observe de façon éparse quelques éléments inflammatoires mononucléés. Il n’y a pas de filament mycélien identifié par la coloration PAS.

Ces résultats n’apportent pas d’argument en faveur d’un psoriasis. L’hyperplasie épithéliale focale peut faire évoquer une maladie de Heck qui est une papillomatose orale atteignant la langue et le reste de la cavité buccale liée à un HPV (Human Papilloma Virus) avec des petites lésions multiples et disséminées. Toutefois, compte tenu de l’aspect général avec absence de lésions multiples millimétriques, on ne peut retenir ce diagnostic. On retiendra donc le diagnostic de langue géographique atypique avec quelques leucoplasies focales sans autre lésion associée.

Diagnostic et prise en charge thérapeutique

Dès l’interrogatoire, compte tenu du contexte (femme âgée, douleurs et paresthésies buccales, sensation de sécheresse buccale), le praticien doit aussi évoquer une paresthésie buccale psychogène, glossodynie ou encore paresthésie buccale médicalement inexpliquée. Il est alors important de ne pas méconnaître une affection objective : trouble lié à un traitement (antihypertenseur notamment), psoriasis, candidose… Sur le plan médicamenteux, ces traitements peuvent provoquer une xérostomie et des dysgueusies tout comme l’irbésartan. Toutefois, les paresthésies et douleurs ne sont pas imputables à ces traitements.

Une fois ces hypothèses écartées, on peut donc retenir le diagnostic de glossodynie à côté de celui de langue géographique atypique sans relation de cause à effet entre les deux.

Le traitement des paresthésies buccales médicalement inexpliquées se fait par étapes.

• Un interrogatoire et un examen minutieux, avec si besoin des examens complémentaires (biopsie, NFS, tests salivaires…). Le diagnostic doit être expliqué à la patiente et son caractère subjectif lié à l’affect est progressivement introduit sans la dévaloriser ni nier ses souffrances.

• Expliquer à la patiente le caractère rassurant de l’examen et de l’aspect bénin des lésions qu’elle observe avec une attention trop marquée par des auto-examens trop fréquents.

• Supprimer les traitements locaux superflus et inutiles comme les traitements antifongiques ou les bains de bouche.

• Maintenir simplement une hygiène orale et dentaire efficace.

• Adresser la patiente à son médecin traitant pour un traitement antidépresseur pendant au moins 6 mois avec une dose efficace à rechercher. Si la patiente l’accepte ou le souhaite, un traitement par psychothérapie peut également être mis en place.

À lire

Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Samsom J. La muqueuse buccale, de la clinique au traitement. Paris : Med’Com, 2009.

Minguez-Sanz MP, Salort-Llorca C, Silvestre-Donat FJ. Etiology of burning mouth syndrome: a review and update. Med Oral Patol Oral Cir Bucal 2011;16:e144-148.

Commentaires

La langue géographique classique n’est généralement pas douloureuse et ne nécessite pas de traitement particulier. Un très faible pourcentage de ces lésions idiopathiques est cependant douloureux pour les patients. Il convient alors de s’assurer qu’il s’agit bien d’une langue géographique et qu’aucune pathologie n’est associée (candidose, lichen plan, psoriasis, Gougerot-Sjögren). Le contexte médico-psychologique du patient qui se plaint de douleurs chroniques sans lésion les expliquant doit orienter le praticien vers le diagnostic de glossodynie. Il doit alors éviter les traitements locaux inutiles qui provoquent une frustration importante et une perte de confiance de la part du patient. L’écoute et l’empathie sont généralement les meilleures armes du praticien pour satisfaire celles-ci.