Quel substitut dentinaire pour une restauration biomimétique ? - Clinic n° 11 du 01/11/2018
 

Clinic n° 11 du 01/11/2018

 

RESTAURATION

Roxane BARBOTIN LARRIEU*   Mohamed KRIMI**   Franck DECUP***  


*Chirurgien-dentiste Paris
Attaché HU Paris-Descartes
**Attaché HU en postgraduate d’endodontie,
ACTA, Amsterdam
Exercice privé
Paris
***Chirurgien-dentiste Paris
MCU-PH Paris-Descartes

Restaurer une dent n’est pas seulement réaliser un comblement par un matériau. Aujourd’hui, l’objectif recherché est de rendre à l’organe abîmé ses capacités les plus proches du naturel, assurées normalement par l’architectonie de l’émail, de la dentine et par la pulpe vivante. Une restauration biomimétique vise à maintenir l’équilibre biologique, à recréer un comportement mécanique adapté et à restituer l’aspect anatomique. Pour le moment, aucun matériau à lui seul n’est capable de répondre à l’ensemble de ces besoins mais il est possible de scinder les rôles pour mieux s’approcher du résultat. On qualifie de substitut dentinaire ceux qui s’inscrivent à la place du volume de dentine détruit et qui cherchent à en imiter les fonctions.

Le biomimétisme est un concept proposé dans les années 1950 et repris récemment dans le domaine dentaire par Pascal Magne. Il se définit en dentisterie restauratrice comme étant « l’étude de la structure, la fonction et la biologie de l’organe dentaire comme modèle pour la conception et la fabrication de matériaux permettant de reconstituer ou remplacer des dents » [1].

L’émail est une structure rigide servant de « coque » protectrice à la dentine qui, elle, représente le « noyau » amortisseur. Ce binôme de structures s’oppose d’un point de vue biomécanique mais s’assemble parfaitement pour résister à l’environnement fonctionnel bucco-dentaire [1].

La dentine constitue le principal du volume de la couronne dentaire. C’est elle qui protège physiquement la pulpe et en assure la défense biologique. C’est aussi essentiellement elle qui règle la capacité de déformation plastique et élastique de la dent, et ses possibilités d’absorber les contraintes de mastication. C’est enfin elle qui soutient la coque très rigide, mais plus fragile, que constitue l’émail (fig. 1).

Toute perte de substance coronaire affaiblit l’organe dentaire. Elle entraîne une plaie du complexe dentino-pulpaire par exposition du réseau tubulaire perméable, et une réduction de l’épaisseur de la barrière tissulaire qui isole la pulpe. Elle aboutit à une diminution de la cohésion physico-chimique du noyau dentinaire initial. Les caractéristiques mécaniques sont modifiées par le changement de l’anatomie, laissant des parois dissociées et non soutenues, de moindre résistance.

En s’appuyant sur ces observations, nous pouvons envisager, pour compenser les pertes de structures, la restauration la plus « biomimétique », cherchant à copier la nature, en utilisant des matériaux substituts dentinaires puis amélaires, s’approchant le plus possible des propriétés biologiques, mécaniques et fonctionnelles de chaque tissu. C’est ce que nous faisons en remplissant une cavité profonde par un ciment avant de la recouvrir d’un onlay ou d’un overlay. C’est ce que nous faisons en réalisant une restauration corono-radiculaire (noyau interne) avant de la recouvrir avec une couronne (superstructure externe).

Les caractéristiques de ces matériaux substituts [2] sont représentées par différents critères, mesurables et comparables entre eux et avec la dentine. Citons les principales :

• le module d’élasticité correspond à la rigidité du matériau, affectant l’amortissement des contraintes occlusales dans l’organe dentaire. Celui de la dentine est évalué à 18 Gpa ;

• la résistance en compression représente la capacité du matériau à subir des forces occlusales et à se déformer avant la rupture. La dentine a une résistance en compression de 297 Mpa ;

• la résistance à la flexion est surtout pertinente pour les dents du secteur antérieur. Elle définit la résistance à la déformation plastique du matériau. La dentine a une valeur de 80 à 250 Mpa.

Parmi les matériaux proposés actuellement, susceptibles d’être substituts dentinaires, nous pouvons retenir les familles suivantes : les CVIMAR (ciment verre ionomère modifié à la résine) et CVIHV (ciment verre ionomère haute viscosité), les composites microhybrides et les composites bulk, et enfin les biocéramiques.

L’objectif de cet article est, par une analyse de la littérature, de comparer les matériaux dans leurs données biologiques et physico-chimiques, afin de mettre en évidence leur qualité biomimétique se rapprochant de la dentine. Cette comparaison a pour but clinique de nous aider dans notre démarche décisionnelle de traitement et d’aider au choix du matériau le mieux adapté.

Les matériaux « substituts dentinaires »

Le cahier des charges d’un substitut dentinaire fait apparaître trois objectifs [3] :

• assurer une étanchéité du complexe dentino-pulpaire pour préserver la pulpe dans le cas de la dent pulpée ; ou du réseau endodontique pour empêcher les pénétrations bactériennes et dérivés dans le cas de la dent dépulpée ;

• compenser le volume dentinaire détruit par l’apport d’une masse aux caractéristiques proches de la dentine ;

• obtenir un noyau qui permette de s’adapter durablement au tissu dentaire persistant et aux autres matériaux susceptibles de compléter la restauration anatomique.

Plusieurs familles répondent à ces critères :

Les ciments verres ionomères/CVI [4]

Ils se présentent soit sous forme de poudre et de liquide à mélanger, soit sous forme de capsules pour automélangeur. Ils peuvent être photopolymérisables ou chémopolymérisables, et on distingue :

• les CVIMAR constitués de ciment verre ionomère auquel s’ajoute une résine à base de l’hydroxyethylmethacrylate (HEMA) permettant l’adhésion à la dentine.

Ex : Ketac Universal 3M® (chémopol./poudre et liquide) ; Ketac Universal Applicap 3M® (chémopol./capsule) ; Fuji II LC Improved®, GC (photopol./photo) (fig. 2 à 4) ;

• les CVI haute viscosité [5], qui se différencient par l’absence de résine et par la présence d’acide polyacrylique dans leur formule, augmentant leurs capacités d’adhésion aux tissus dentaires. L’absence de résine améliore les propriétés biologiques du matériau.

Ex : Equia Forte®, GC (chémopol./capsule) (fig. 5).

Les CVIMAR et les CVIHD sont biocompatibles [6] et ne présentent pas d’effet néfaste sur le complexe dentino-pulpaire lorsqu’il existe une épaisseur suffisante de dentine résiduelle (> 0,5 mm). Ils n’ont pas de capacité à induire une régénération ou une réparation d’une plaie dentinaire ou pulpaire.

Le module d’élasticité du CVIMAR est acceptable mais ses valeurs de résistance en compressions (120 à 200 Mpa) et en flexions (20 à 50 Mpa) ne le positionnent pas comme le matériau de choix. Des études mettent en évidence des propriétés de cohésion mécanique intrinsèques faibles entraînant la propagation de fissure au sein du matériau [7].

Les CVIHV présentent des propriétés biomécaniques un peu supérieures au CVIMAR (tableau 1) sans améliorer le module d’élasticité par rapport aux valeurs attendues.

Cependant, on sait que les restaurations « sandwich », combinant un ciment verre ionomère surmonté d’une résine composite, aboutissent à une diminution significative du stress lié aux contraintes de la polymérisation, à une meilleure adaptation entre les interfaces et à une augmentation de la stabilité cuspidienne [8]. Ces matériaux injectables sont pratiques et faciles à utiliser dans beaucoup de situations.

Les composites

Les plus fréquents sur le marché sont les composites microhybrides (par exemple G-ænial®, GC ; Quixfil Dentsply Sirona® ; Herculite XRV®, Kerr) et nanochargés (Filtek®, Bulk Fill 3M ; Grandio®, Voco ; SDR®, Dentsply Sirona (fluide) ; Tetric EvoCeram Bulk Fill®, Ivoclar Vivadent) (fig. 6 à 9).

Le composite n’est pas considéré comme très biocompatible. La polymérisation ne s’effectuant qu’à 40 %, persiste une couche de monomères libres. Ces derniers peuvent avoir une action cytotoxique sur les cellules pulpaires, mais elle semble être minimisée.

Le composite n’a pas d’action biologique positive sur la pulpe.

Le module d’élasticité [9] des composites microhybrides est très proche de la dentine (18,6 Gpa) et ses valeurs en compression, traction et flexion sont aussi satisfaisantes pour la majorité des situations (tableau 1), puisqu’elles se rapprochent des valeurs dentinaires.

Concernant les composites Bulk Fill [10], ils peuvent être classés de manière topographique selon leur utilisation : les composites bulk de base intermédiaire (CBBI) et les composites bulk de restauration (CBR). C’est la première famille qui nous intéresse ici. Ces CBBI sont utilisés sous la forme de composite injectable devant ensuite être recouvert d’un composite conventionnel. Le composite bulk [11] ne montre pas de propriétés mécaniques supérieures par rapport au composite hybride : le module d’élasticité du bulk est compris entre 4,5 et 9 Gpa versus 17 Gpa pour les microhybrides. Bien que l’utilisation de ce matériau soit plus facile et rapide, nous manquons encore de recul clinique.

Silicate tricalcique, biocéramique

Les silicates tricalciques sont des dérivés des ciments de Portland.

Deux ont une consistance épaisse qui les rend utilisables en tant que substituts dentinaires. La Biodentine® (Septodont) est un ciment de haute pureté (fig. 10). Elle est constituée d’une poudre composée de silicate tricalcique, d’oxyde de zirconium, de carbonate de calcium et d’un liquide contenant de l’eau modifiée par du chlorure de calcium et un polymère hydrosoluble.

Aucun traitement de surface n’est nécessaire avant son application. La consistance est pâteuse mais le matériau est thixotrope, ce qui permet de le modeler facilement. L’inconvénient du matériau est son temps de pose, défini à 12 minutes, et sa maniabilité.

Le matériau est parfaitement biocompatible avec le système pulpaire.

La Biodentine® [12] produit de l’hydroxyde de calcium, ce qui induit la formation de dentine réactionnelle et de cristaux d’hydroxyapatite.

Le contact Biodentine®/dentine génère la libération de facteur de croissance « TGF-ß1 » par les cellules pulpaires et induit leurs différenciations en odontoblastes-like. La Biodentine® s’infiltre dans les tubules dentinaires, ce qui lui permet de diminuer les sensibilités post-opératoires. Le matériau est parfaitement biocompatible avec le système pulpaire [13]. Ce matériau est aussi bioactif et assure une biominéralisation et l’induction de la différenciation des cellules pulpaires.

Il n’existe que très peu d’études évaluant les propriétés biomécaniques de la Biodentine®.

Son module d’élasticité est semblable à celui de la dentine (18 Gpa). Une étude in vitro, réalisée en 2013 [14], teste la résistance à la compression de la Biodentine® à 1 h, 24 h, 7 jours et 28 jours, versus un CVIMAR et du MTA. Les valeurs sont similaires à la dentine et correspondent à 300 Mpa, valeur stable obtenue à 1 mois. La force de flexion du matériau est mesurée à 34 Mpa.

La biocéramique TotalFill® (FKG) est une biocéramique contenant des silicates de calcium (di- et tri-calciques), du phosphate de calcium monobasique, de l’oxyde de zirconium, de l’oxyde de tanatale et des agents épaississants (fig. 11 et 12). Une de ses présentations est proposée pour reconstituer du tissu dentinaire (RRM Root Repair Material). Elle-même se présente sous deux viscosités différentes : une formule basse viscosité conditionnée en seringue, et une formule haute viscosité conditionnée en pâte condensable dans un pot pour une meilleure maniabilité. C’est celle-ci qui peut être utilisée comme substitut dentinaire.

Comparaison des matériaux substitut dentinaire

Dans une recherche de restauration biomimétique d’une dent, l’ensemble des données biologiques et physico-chimiques des différents matériaux ont été compilées et comparées pour faire ressortir les similitudes et les écarts existants avec les tissus dentaires et entre les différents matériaux (tableau 1).

Le premier constat est que, actuellement, aucun matériau ne peut remplacer idéalement les tissus naturels en imitant toutes leurs caractéristiques.

Certaines valeurs s’en rapprochent beaucoup mais l’ensemble n’est jamais entièrement satisfaisant. Nous ne pouvons pas désigner un matériau comme étant un biomimétique idéal de la dentine.

Pour effectuer un choix de matériau, nous pouvons développer une démarche analytique en fonction d’une situation donnée et de la priorité sur les propriétés recherchées.

Considérerons que le traitement de l’organe dentaire est d’abord un acte biologique, qui vise à protéger la dent et à garantir son pronostic vital. Le statut pulpaire et le niveau d’atteinte du complexe dentino-pulpaire constituent la première base du raisonnement dans la prise de décision. Dans un second temps, les propriétés biomécaniques interviendront selon les besoins de compensation des pertes tissulaires.

Considérations biologiques

Sur une dent pulpée, la perte de substance expose le réseau de canalicules dentinaires. L’objectif biologique est d’obtenir un bon niveau d’étanchéité permettant d’isoler efficacement cette surface du milieu extérieur. L’assemblage chimique et micromécanique et l’étanchéité durable de la restauration sont attendus. Tous les matériaux décrits sont considérés comme acceptables sur ce point (le classement serait : biocéramique > CVIHD > CVIMAR > composite). Le choix se fera sur des critères de faisabilité de la mise en œuvre clinique (le classement serait alors : CVIHD > CVIMAR > biocéramique > composite) et de moindre coût (le classement serait : CVIHD > CVIMAR > composite > biocéramique).

Dans les cas d’une carie ou d’une perte de substance profonde, nous avons aujourd’hui des possibilités de préservation de la vitalité pulpaire. Actuellement, la biocéramique est le seul matériau capable d’induire une réaction bioactive de la pulpe tout en assurant l’étanchéité et le comblement de la perte de dentine.

Sur une dent dépulpée, le traitement endodontique - même avec une obturation radiculaire performante - expose le réseau canalaire et ses communications apicales, avec le parodonte profond, aux agressions bactériennes. Tous les matériaux permettent théoriquement d’assurer l’étanchéité nécessaire : le CVIMAR ou le CVIHV, les techniques adhésives bien contrôlées, directes ou indirectes, associées au composite ou à la céramique, ou le scellement de pièce métallique (inlay-core). Ici, le choix sera surtout fonction de critères biomécaniques, particulièrement importants quand les dents présentent un fort niveau de délabrement.

Considérations biomécaniques

Sur ce point, l’analyse des besoins intervient dans un second temps mais conditionne la fonction principale de la dent : la résistance mécanique.

Les performances biomécaniques d’une dent restaurée doivent lui permettre de résister durablement aux contraintes de mastication.

Dans le cas de pertes de substances importantes et fragilisantes, le recours à un substitut dentinaire comblant d’abord la cavité, tout en reconstituant le socle cohésif d’absorption des contraintes (avant son recouvrement par une restauration superficielle anatomique et résistante à l’usure), constitue une approche biomimétique. Le but consiste donc à combler le volume tissulaire détruit par une masse de matériau (soutien des structures restantes), le plus adhérent possible aux parois fragilisées (cohésion du noyau), pour limiter leur déformation sous la contrainte et diminuer le risque de fracture.

Des restaurations anatomiques, généralement indirectes, y sont associées. L’objectif du substitut dentinaire est aussi de soutenir et de limiter les déformations de ce matériau de surface, généralement plus rigide pour résister à l’usure et maintenir la stabilité occlusal.

Cette étape préalable d’utilisation d’un substitut dentinaire peut être vue comme une simplification et une préservation lors de la réalisation de la préparation, préfigurant une meilleure régularité des pièces prothétiques, moins sujettes aux contraintes intrinsèques. L’ensemble représente une bonne garantie de pérennité même si aucune évaluation scientifique ne l’a encore démontré.

Le choix de la forme de restauration (partielle ou périphérique) et de son matériau constituant dépend de la dent, de la localisation de la perte de substance, de son volume et des risques de déformation (et donc de fracture) des parois restantes.

Le choix du matériau substitut dentinaire constituant le socle de cohésion interne dépend, lui, des caractéristiques du tissu dentinaire et des niveau et type de contraintes reçues par la dent.

Et pour la dent dépulpée ?

Même si on peut citer quelques spécificités mécaniques de la dent dépulpée, les procédures endodontiques (cavité d’accès, mise en forme et obturation) n’ont pas d’influence significative sur la résistance mécanique d’une dent dépulpée. Les études actuelles soulignent la similitude de comportement entre les tissus d’une dent pulpée et ceux d’une dent dépulpée [15]. Le volume de la perte de substance, l’épaisseur des parois restantes et leur risque de déformation (déflection) restent donc des éléments d’analyse.

Ce qu’il est convenu d’appeler « la restauration corono-radiculaire » d’une dent dépulpée n’est autre que la recréation d’un corps dentinaire (substitut dentinaire), nécessaire pour soutenir la restauration périphérique.

On sera surpris que l’inlay-core, qui a longtemps été le standard pour ces reconstitutions, soit fait d’un alliage métallique dont les caractéristiques sont bien éloignées du tissu dentinaire ! Néanmoins, malgré un module d’élasticité bien supérieur à la dentine (à l’origine de risques de fractures radiculaires fréquentes), les valeurs de résistance à la flexion et à la compression en font encore des candidats défendables, surtout quand des forces transversales importantes s’appliquent sur les dents (dents antérieures fragilisées, prémolaires avec angle cuspidien fermé, fortes contraintes d’usure occlusale).

Sur les dents postérieures, le choix systématique d’un alliage n’est plus justifié. Les restaurations corono-radiculaires adhésives avec un substitut dentinaire composite évalué dans cet article tendent à devenir la norme. Avec ce matériau, la mise en place d’un tenon d’ancrage radiculaire n’augmente pas la résistance mécanique d’une dent dépulpée, au contraire [16]. Il n’est donc pas recommandé sauf s’il est utile pour augmenter la surface d’adhésion et la cohésion de la restauration adhésive par l’intermédiaire du prolongement dans la racine [17]. C’est le cas lorsqu’il manque une paroi en regard d’une racine. Dans ce cas, la longueur du logement n’est utile que sur les quelques millimètres du tiers cervical de la racine, car le collage n’est plus suffisamment efficace au-delà.

Quand cela est possible, les restaurations partielles offrent ici aussi des possibilités intéressantes en alternative aux couronnes périphériques.

Choix du substitut dentinaire selon les critères mécaniques

Lors de la mastication, les valeurs de contrainte s’élèvent à 220 N pour les incisives, 450 N pour les prémolaires et jusqu’à 650 N pour les molaires selon Craig et al. Dans le secteur postérieur, les contraintes s’exercent surtout en compression, alors que dans le secteur antérieur, les forces de flexion sont prépondérantes. Pour chaque zone, la résistance des matériaux doit s’adapter à ces efforts spécifiques pour assurer la résistance de l’organe dentaire.

Les matériaux ne sont pas tous égaux pour y répondre.

Les composites

Les composites ont un module d’élasticité proche de la dentine (18,6 Gpa) et leurs valeurs en compression, traction et flexion restent satisfaisantes pour la majorité des situations. On le choisira pour les secteurs postérieurs où les surfaces de collage disponibles sont importantes et où les contraintes sont essentiellement axiales. Sur les dents antérieures, bien que ses caractéristiques optiques soient adaptées à l’intégration esthétique nécessaire, sa résistance en flexion (110 Mpa) est faible. Néanmoins, une étude de Magne et al. en 2017 [16] suggère la mise en place d’un noyau en composite sur une dent antérieure s’il y a un « ferrule effect ». Il compare son utilisation avec ou sans tenon en fibre de verre et affirme, par le biais d’études in vitro, l’intérêt de ne pas les utiliser. Cette étude introduit la notion de noyau dentinaire en composite pour dent antérieure et met en avant la capacité du matériau et de son protocole à finalement renforcer les propriétés mécaniques de la dent.

La contraction de prise et le stress engendré sur les parois doivent être limités pour le substitut dentinaire. Pour cela, il est intéressant de placer une résine fluide en fond de cavité [18].

Par ailleurs, avec l’avènement des composites bulk type CBBI fluide, leur utilisation en fond de cavité réduit encore plus les stress engendrés par la polymérisation. Mais ils doivent impérativement être recouverts par un composite hybride pour obtenir une résistance adaptée aux forces de mastication.

Le composite bulk ne montre pas de propriétés mécaniques plus satisfaisantes que l’hybride et nous manquons encore de recul clinique sur ce matériau.

Les conditions opératoires doivent être prises en compte car ses procédures de collage sont exigeantes. Son coût est acceptable.

Les ciments verres ionomères (CVI)

Concernant les ciments verres ionomères, le module d’élasticité du CVIMAR reste satisfaisant mais ses valeurs en compressions (120-200 Mpa) et flexions (20-50 Mpa) ne le positionnent pas comme le matériau biomécaniquement idéal pour un substitut dentinaire. Il n’est pas capable d’absorber suffisamment les contraintes ni en postérieur, ni en antérieur. La longévité des restaurations au CVIMAR, selon une étude de Mjör, serait évaluée entre 3 et 5 ans. Pour le CVIHV, les études rapportent que ses propriétés mécaniques sont meilleures que pour les CVIMAR. Cependant, les valeurs sur le module d’élasticité manquent et on ne peut pas encore conclure sur ses avantages. Ce matériau semble néanmoins intéressant pour la reconstitution du noyau dentinaire sur les dents postérieures quand il reste au moins deux parois dentinaire ≥ 2 mm, car il est facile et pratique d’utilisation, peu exigeant à la manipulation et tolère l’humidité.

Les biocéramiques

Les biocéramiques ont des caractéristiques proches d’un substitut dentinaire biomimétique. Cependant, leur résistance à la flexion est faible et les rend fragiles dans la masse et incapables de renforcer les parois restantes. En outre, leurs coûts actuellement élevés les réservent à une utilisation orientée vers des situations où le potentiel biologique les rend indispensables.

Afin d’obtenir les meilleurs résultats en termes de propriétés mécaniques, Hashem DF et al. ont révélé l’intérêt de retarder la mise en place d’un composite sur la Biodentine® à 2 semaines. En effet, cette période laisserait le temps au matériau d’acquérir l’adhésion et les forces nécessaires pour supporter les forces compressives liées au composite [19].

Situations Cliniques

Situation 1 : dent pulpée avec perte de substance à distance de la pulpe (fig. 13 à 20)

Chez ce patient de 38 ans, la dent 16 présente une carie secondaire sous un amalgame volumineux. Il n’y a pas de symptôme clinique. La dépose du matériau met en évidence le tissu carié et une fêlure distale. À la fin de la préparation, on constate que la dentine parapulpaire est une dentine réactionnelle (elle assure une bonne isolation pulpaire naturelle), mais la perte de substance est importante et la résistance mécanique de la dent est affaiblie. Pour le remplissage de cette cavité profonde, il est plus intéressant de choisir un matériau permettant de reproduire les caractéristiques biomécaniques de la dentine, car les caractéristiques biologiques ne prédominent plus.

Pour rappel, le module d’élasticité de la dentine est évalué à 18 Gpa, sa résistance en compression à 297 Mpa et sa force de flexion entre 80 et 250 Mpa.

Ainsi, suivant les données, le matériau avec les valeurs biomécaniques les plus proches de la dentine est le composite microhybride. Son utilisation est recommandée pour cette situation. Il permet de recréer un noyau cohésif qui, après préparation pour un overlay, sera recouvert par une restauration céramique partielle.

Cas clinique 2 (fig. 21 à 32)

Un patient de 40 ans présente des symptômes de pulpite réversible associée à une lésion carieuse profonde sur 36 et 37. Lors du curetage de 37, une effraction pulpaire a lieu et une pulpotomie partielle est réalisée pour contrôler le curetage et préserver la vitalité pulpaire.

Dans ce contexte, la guérison pulpaire est le facteur décisionnel qui prédomine. Le matériau substitut dentinaire a pour premier objectif d’« étanchéifier » l’effraction et de réisoler la pulpe. On attend également de lui des capacités de bioactivité pour induire la cicatrisation pulpaire et la formation d’une nouvelle paroi de réparation dentinaire, préservant l’espace endodontique sur le long terme. Longtemps, l’utilisation d’hydroxyde de calcium, couplé à du ciment à base d’eugénate ou à du ciment verre ionomère, a été indiquée, mais avec des résultats difficiles à obtenir et assez aléatoires. Selon les données actuelles, le matériau le plus « bioactif », capable d’induire cette « régénération pulpaire », et répondant de façon satisfaisante d’un point de vue mécanique, reste la Biodentine® (Septodont).

Sur la 36, la carie étant moins profonde, la cavité préparée expose une dentine distante de la pulpe. Sur cette dent, du CVIHD (Equia Forte®, GC) a été choisi car il est plus facile d’utilisation, possède de bonnes propriétés biologiques et présente des caractéristiques mécaniques acceptables dans cette situation de moyenne perte de substance.

Après réévaluation pulpaire positive, une préparation pour onlay est réalisée afin de recouvrir la surface par un matériau de forte résistance à l’usure (Onlay Emax®, laboratoire Tissier).

Situation 3 (fig. 33 à 38)

Face à une situation difficile, où l’étanchéité demeure compromise, il est nécessaire de réagir en utilisant un matériau adapté mécaniquement, et adapté à la situation. Le CVI, et surtout le CVIHV, devient alors un matériau de choix.

Conclusion

Une approche biomimétique de la restauration cherche à reproduire, par les caractéristiques des matériaux utilisés, le comportement des structures dentaires.

Au niveau du noyau dentinaire, les substituts disponibles les plus proches sont les résines composites, les ciments verres ionomères et les biocéramiques.

Aucun d’eux ne rassemble toutes les conditions biologiques et biomécaniques idéales.

Grâce à la connaissance de leurs caractéristiques comparées, il est possible pour le praticien d’évaluer la situation clinique en vue de choisir le matériau le mieux adapté.

L’approche analytique proposée est :

• d’évaluer d’abord les besoins biologiques, si l’intégrité pulpaire est impliquée, on préférera les biocéramiques ;

• d’évaluer sinon en second lieu les besoins biomécaniques, en fonction de la localisation de la dent, du volume de la perte de structure et des parois restantes garantes du maintien d’un ferrule effect au niveau cervical. Le composite reste souvent le matériau le plus adapté à ces situations. Les CVIHV présentent des propriétés intéressantes mais les données restent encore trop restreintes.

La biomimétique en dentisterie aspire vers la création de matériaux idéaux se substituant pleinement à la dentine d’une part et à l’émail d’autre part. Néanmoins, l’apparition de matériau hybride tel que l’Enamic (VITA) pourra nous interroger sur la pertinence de cette démarche vis-à-vis d’un substitut « tout en un ».

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À RETENIR

• Sur le plan mécanique, les composites, les CVIHD et les biocéramiques répondent aux objectifs d’un substitut dentinaire pour les dents postérieures.

• Pour les dents antérieures, les composites répondent aux objectifs pour la dent pulpée.

• Sur la dent dépulpée, les alliages (inlay-core) gardent de l’intérêt mais peuvent aussi être remplacés par du composite quand les parois cervicales persistent.

Liens d’intérêts :

Les auteurs déclarent n’avoir aucun liens d’intérêts concernant cet article.

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