Ergonomie et travail à 4 mains en endodontie - Clinic n° 03 du 01/03/2019
 

Clinic n° 03 du 01/03/2019

 

Endodontie

Eve LAURENT  

Ancienne AHU des hôpitaux de LyonDIU d'endodontieExercice libéralBourg de Péage - Serris (77)

L'acte endodontique est réputé chronophage, techniquement parmi les plus difficiles, et c'est un acte souvent ressenti comme anxiogène par les patients. Le praticien et son assistant(e) peuvent mettre en place une technique de travail standardisée, confortable pour chacun et efficace pour diminuer a minima les temps de traitement. La présence permanente d'une aide-opératoire formée au travail à 4 mains permet la réalisation de soins endodontiques d'une qualité optimale dans...


L'acte endodontique est réputé chronophage, techniquement parmi les plus difficiles, et c'est un acte souvent ressenti comme anxiogène par les patients. Le praticien et son assistant(e) peuvent mettre en place une technique de travail standardisée, confortable pour chacun et efficace pour diminuer a minima les temps de traitement. La présence permanente d'une aide-opératoire formée au travail à 4 mains permet la réalisation de soins endodontiques d'une qualité optimale dans un temps de traitement restreint.

En effet, l'aide apportée par l'assistante du début à la fin de l'acte permet, d'une part, de travailler avec une précision accrue, en respectant tous les principes de l'ergonomie physique, et d'autre part, de produire du soin sans interruption intempestive ni déconcentration.

Un travail efficace et ergonomique tant sur le plan physique qu'organisationnel et cognitif repose sur les paramètres suivants :

• une configuration de cabinet adaptée permettant un positionnement des soignants proche du patient ;

• le maintien de postures neutres sur le plan musculo-articulaire ;

• une instrumentation disponible proche des zones de transfert ;

• la rédaction de protocoles opératoires ;

• la connaissance des techniques de transfert de l'instrumentation ;

• une attitude proactive de l'aide-opératoire ;

• une économie de gestes.

Salle de soins

La conception de la salle de soin est primordiale pour permettre un travail à 4 mains efficace et confortable pour tous. La configuration spatiale du cabinet doit permettre un positionnement des soignants optimal par rapport au patient et à l'instrumentation.

Positions de travail autour du fauteuil

L'assistante et le praticien ont besoin d'être très proches l'un de l'autre, d'une part, et proches du patient, d'autre part, afin de diminuer la course moyenne des mouvements des mains pour transférer et utiliser en bouche l'instrumentation.

Si le praticien travaille sous microscope, sa position se situe à midi derrière le patient. En effet, si le travail sans aides optiques permet un positionnement dans une marge relativement souple comprise entre 10 heures et midi (praticien droitier), le meilleur positionnement sous microscope se situe à midi (gaucher ou droitier) (fig. 1). Le travail sous microscope se faisant de façon quasi exclusive en vision indirecte, ce positionnement permet au praticien une position symétrique par rapport au patient, avec un placement idéal des membres supérieurs proches du buste, sans élévation de l'épaule. La main non travaillante tenant le miroir pourra ainsi prendre appui sur la joue du patient, supprimant toute fatigue liée à une position prolongée non soutenue. De plus, ce positionnement autorise l'utilisation d'accoudoirs, lesquels permettent le repos des muscles posturaux de l'épaule jusqu'au poignet (fig. 2). Sur le plan postural, le travail sous microscope permet au praticien d'adopter une posture quasi idéale – a contrario du travail sous binoculaires – avec la tête non fléchie vers l'avant, le regard dirigé à l'horizon, le dos droit, position d'autant plus idéale que le réglage du siège opérateur permet une position de son bassin légèrement plus haute que les genoux. Le travail sans microscope opératoire se fera avec une position plus haute du patient pour diminuer la flexion cervicale du praticien (fig. 3).

L'assistant(e) prend place aux côtés du patient soit à 4 heures pour un praticien droitier, soit à 8 heures pour un praticien gaucher (fig. 1 à 4). Elle fait face au praticien et à la zone de travail. Son fauteuil opérateur sera réglé de façon à surplomber la cavité buccale du patient. Pour suivre le déroulement du soin, elle aura le choix soit d'une vision directe, soit – plus idéalement sur le plan postural – d'une vision indirecte par le biais de binoculaires microscopes ou d'une retransmission sur écran installé en face d'elle (fig. 5). Un siège opérateur avec accoudoir ventral permet de trouver les points d'appuis nécessaires à ses avant-bras pour diminuer la fatigue lors des positions prolongées (aspiration...). L'accoudoir ventral évite également les positions trop fléchies vers l'avant, néfastes à la zone lombaire. Le fauteuil sera choisi sans « crachoir » car il perturbe trop souvent le positionnement de l'assistante. L'utilisation de la digue et la présence permanente de l'assistante aux côtés du praticien rendent son utilisation inutile en endodontie.

Positionnement du patient (fig. 6 et 7)

Pour adopter une posture ergonomique, le praticien veillera à ne pas se pencher en avant pour visualiser sa zone de travail. Le patient sera allongé à l'horizontal (comme dans un lit), la tête en extension cervicale et la plus proche possible du praticien. Le patient sera placé en hyper-extension cervicale (autour de l'axe occipital-Cl) pour les dents maxillaires postérieures afin de s'affranchir de la vision du bloc incisif. Un coussin de type oreiller sera proposé aux patients souffrant de cervicalgies. Sous microscope, la dent traitée et le miroir doivent se trouver dans le halo lumineux. Le microscope est positionné en premier pour permettre une posture neutre du praticien. La position de la dent à traiter est ensuite ajustée soit par modification de la position de la tête du patient (extension/flexion, rotation gauche/droite, rapprochement du bord de la têtière), soit par modification de l'axe du fauteuil lorsque celui-ci est équipé d'un système de rotation.

Pendant le soin, qu'il soit effectué sous microscope ou non, pour préserver autant sa position que sa concentration, le praticien restera focalisé sur la dent traitée.

Instrumentation

L'organisation en « tub and tray » (bac et cassettes) est particulièrement adaptée à l'exercice endodontique.

Le « tub » (bac) contiendra tout le matériel consommable nécessaire au soin dans une quantité correspondant à une semaine d'exercice d'omnipratique ou à 2 jours en exercice spécialisé (pour limiter le nombre de réassorts hebdomadaires). Il permet le regroupement de tout le matériel sans aller « piocher » en cours de soin dans les tiroirs (fig. 8).

Le « tray » contiendra tout le matériel stérilisable nécessaire au soin (fig. 9). Son contenu doit permettre de traiter 90 % des cas ; le matériel spécifique (dépose d'instruments fracturé, apexification...) sera disposé dans des cassettes complémentaires.

L'assistant(e) devra avoir tout le matériel nécessaire à portée de main. Deux zones distinctes de stockage de l'instrumentation seront utilisées :

• la zone de stockage proche comportera uniquement l'instrumentation nécessaire à la phase de soins en cours. Cette zone se situe au-dessus du buste du patient, soit par l'intermédiaire de la tablette du fauteuil transthoracique, soit par un plan de travail de type « bodytray » posé à même le patient (fig. 10 et 11) ;

• la zone de stockage intermédiaire, comportant la casette et le consommable, fera face à l'assistante et sera située au maximum à longueur de bras, soit sur un plan de travail fixe, soit sur un meuble à roulettes. Le matériel nécessaire au soin sera présent et accessible dans la salle dès le début du soin, aucun matériel ne sera placé derrière le praticien. Si un meuble à tiroir se trouve dans le dos du praticien, l'assistante veillera à n'y stocker aucun matériel nécessaire pendant le soin.

Protocoles opératoires (fig. 12 et 13)

L'assistant(e) dentaire a pour rôle de mettre à disposition dans la main du praticien la totalité du matériel nécessaire à l'intervention, selon les protocoles opératoires établis entre eux. Ils décrivent, de façon très détaillée, étape par étape, les différentes phases du soin et le matériel nécessaire pour chacune d'entre elles.

Ces protocoles instaurent des ententes, standardisant l'exécution du soin endodontique et rationalisant l'environnement de travail. Souvent perçus comme des carcans, les protocoles représentent le socle de rigueur et d'automatisme que l'équipe doit s'imposer. Les variantes ou « fantaisies » du praticien peuvent se discuter lors du brieffing matinal s'il est possible d'anticiper des variations par rapport à la réalisation standard du soin.

Les traitements endodontiques ou les microchirurgies endodontiques sont des soins très séquencés et reproductibles dans leur exécution. L'assistant(e) peut ainsi anticiper les besoins en instrumentation du praticien, en limitant les temps morts et en évitant ainsi toute rupture dans la réalisation du soin. L'anticipation de tous les gestes du praticien par une attitude proactive de l'assistant(e) est la clé de l'efficacité de ce travail à 4 mains, qu'il soit exécuté sous microscope ou non.

Travail à 4 mains [1]

Sur le plan pratique, le travail à 4 mains repose sur :

• la parfaite connaissance et l'application rigoureuse des protocoles opératoires ;

• un positionnement des acteurs du soin qui assure le confort et la précision des gestes de chacun ;

• un « langage » des mains pour appeler et faciliter la préhension des instruments ;

• un transfert d'instrument aussi proche que possible de la position et de la zone dans lequel il sera utilisé ;

• l'anticipation de tous les besoins du praticien (« le coup d'avance ») ;

• l'économie de gestes tant pour le praticien que l'assistante.

La philosophie du travail à 4 mains est d'enchaîner rapidement les passages d'un instrument à un autre, selon la séquence : retour d'instrument/transfert du nouvel instrument/préparation du futur instrument. L'assistante doit pouvoir anticiper et constamment avoir en main le prochain instrument dont le praticien va avoir besoin. Les retours et transferts d'instruments peuvent s'effectuer avec deux mains différentes. En revanche, ils s'effectueront avec la même main si la main dominante de l'assistante est occupée par l'aspiration.

Un « langage de mains » sera mis en place pour faciliter l'appel, le transfert et le retour des instruments (fig. 14 à 21).

Les signes d'appel des instruments seront choisis aussi proches que possible de la façon dont ils seront utilisés. Les instruments doivent être donnés au praticien dans l'orientation et la position où ils vont être utilisés. Ils sont tenus par l'assistante pour les donner (transfert) et les reprendre (retour d'instrument) sur la partie du manche que n'utilise pas le praticien.

Le transfert d'instruments devra se faire aussi proche que possible de la zone d'utilisation afin d'éviter tout mouvement non productif. Les gestes parasites seront supprimés, selon le concept de l'« économie de geste ». Concernant l'instrumentation endodontique manuelle, il existe des systèmes de mousse (ex. : Endoring, Sybronendo) qui permettent d'échanger les limes sans avoir à toucher – et donc contaminer – la partie travaillante (fig. 22 et 23).

Par ailleurs, l'équipe soignante veillera lors des transferts d'instruments à appliquer des règles d'ergonomie simples et précises visant à les protéger des troubles musculo-squelettiques.

Selon Gary Carr, les mouvements d'ergonomie doivent être divisés en 5 classes [2] :

• mouvement de classe I : déplacement uniquement des doigts ;

• mouvement de classe II : déplacement des doigts et du poignet ;

• mouvement de classe III : déplacement entraînant un mouvement du coude ;

• mouvement de classe IV : déplacement entraînant un mouvement de l'épaule ;

• mouvement de classe V : mouvement de torsion du torse et de flexion de la taille.

L'objectif est de bannir définitivement tout mouvement de classe V et, dans la mesure du possible, de classe IV pour tous les protagonistes. Le praticien, travaillant sous aides optiques et restant focalisé sur sa zone de travail, devra alors recevoir les instruments directement dans ses mains en se limitant à des mouvements de classes I, II voire III.

Une phase d'apprentissage (et d'entraînement hors de la présence du patient) est nécessaire pour un praticien et son assistant(e) qui démarreraient le travail à 4 mains. Une des façons les plus efficaces de maîtriser les techniques de transfert des instruments et les différents enchaînements est de s'entraîner séquence par séquence à partir des protocoles opératoires (anesthésie, reconstitution pré-endodontique, pose de champ opératoire, cavité d'accès, mise en forme et obturation canalaire).

Conclusion

Au terme de ce travail d'apprentissage, le praticien et son aide-opératoire disposeront d'une solide technique de travail permettant :

• de maintenir des postures de travail correctes ;

• de diminuer la fatigue et de maintenir l'attention de l'équipe soignante ;

• d'améliorer la qualité de soin ;

• de diminuer les temps d'intervention déjà longs pour le patient ;

• d'augmenter la productivité du praticien (en secteur conventionné, il s'agit surtout de diminuer la perte financière liée à la réalisation de ces soins sous-honorés) ;

• de générer des répercussions positives sur le patient en terme de reconnaissance des compétences de l'équipe de soin.

Liens d'intérêts :

L'auteure déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

  • [1] Skovsgaard H. Dancing Hands. Quintessence, 2013.
  • [2] Carr GB, Murgel CA. The use of the operating microscope in endodontics. Dent Clin North Am 2010;54:191-214.