Formation continue (suite)Y a-t-il un chercheur dans la salle ? - Clinic n° 06 du 01/06/2019
 

Clinic n° 06 du 01/06/2019

 

De bouche à oreille

Frédéric BESSE  

frbesse@hotmail.fr

Depuis l'avènement du raisonnement scientifique au XIXe siècle, la démarche intellectuelle qui sous-tend chaque avancée est toujours la même : un chercheur a une intuition. Il la formalise sous la forme d'une hypothèse, la valide par l'expérimentation et publie sa découverte pour qu'elle soit analysée et critiquée par d'autres afin de la confirmer ou de l'invalider.

Cette démarche, individuelle d'abord, fruit d'un travail d'équipe ensuite, a permis la...


Depuis l'avènement du raisonnement scientifique au XIXe siècle, la démarche intellectuelle qui sous-tend chaque avancée est toujours la même : un chercheur a une intuition. Il la formalise sous la forme d'une hypothèse, la valide par l'expérimentation et publie sa découverte pour qu'elle soit analysée et critiquée par d'autres afin de la confirmer ou de l'invalider.

Cette démarche, individuelle d'abord, fruit d'un travail d'équipe ensuite, a permis la totalité des avancées scientifiques des deux derniers siècles. Elle a cependant un inconvénient : elle s'appuie parfois sur un nombre restreint de cas, voire sur des cas uniques, ce qui est préjudiciable en recherche médicale où l'infinité des facteurs intervenants est mal appréhendée. Cette constatation a conduit à l'émergence de l'épidémiologie, qui permet de valider des études sur de grands nombres. L'arrivée de cette science dans la médecine a permis des progrès immenses grâce à ses deux branches les plus connues : la descriptive, qui identifie les problèmes de santé, et l'explicative, qui en recherche les causes. Elle possède aussi une troisième branche, l'évaluative, qui analyse les résultats des actions de santé, des médicaments ou des nouvelles techniques.

Mais voilà, si les deux premières parties sont d'une efficacité redoutable, les évaluations des résultats scientifiques fondées sur des statistiques sont régulièrement sujettes à caution. En effet, cette méthode, connue sous le nom de Evidence Based Medicine ou médecine fondée sur les preuves (preuves uniquement statistiques), souffre d'un grave défaut : afin de faire entrer des phénomènes complexes dans des équations mathématiques rigides, il faut les simplifier. Et traduire en équations simples la croissance cellulaire ou le potentiel régénérateur d'une pulpe dentaire entraîne des schématisations qui finissent par s'éloigner de la réalité biologique. Les économistes, contraints par les mêmes complexités, ont simplifié de la même manière le fonctionnement de nos économies, engendrant la société juste, égalitaire et paisible que nous connaissons...

Pour résumer, l'Evidence Based Medicine, c'est parfois l'horreur de la réduction mathématique contre les évidences cliniques. Même si, bien souvent, la clinique finit par l'emporter, il faut désormais attendre que tous les aspects d'un problème soient modélisés et inclus dans des statistiques pour en profiter.

Une version encore plus lourde est apparue avec le développement d'internet et l'addiction aux ordinateurs : la méta-analyse, ou analyse d'un grand nombre d'articles sélectionnés sur le net (recherche plus facile sur ordinateur). Juste parce que le nombre de cas analysés est plus grand, elle serait plus pertinente. Mais, souvent, ces recherches ont été conduites selon des critères différents. Ce qui, selon le principe du PPDC (plus petit dénominateur commun, puisque l'on parle de maths), conduit à une nouvelle simplification. Une simplification de simplifications... et des conclusions parfois réductrices ! Résultat : les conférenciers qui présentent des études fondées sur de semblables statistiques parfois contraires aux évidences cliniques ne sont pas toujours pris au sérieux par les confrères qui préfèrent continuer à improviser dans leurs cabinets en s'appuyant sur les conseils des copains. Un sentiment émerge : les enseignants chercheurs ne passent-ils pas trop de temps devant leurs ordinateurs ? Nous préfèrerions qu'ils renfilent leurs blouses et retrouvent les labos, les microscopes et autres boîtes de Pétri pour étudier le vivant dans un milieu adapté afin de nous faire bénéficier de vrais progrès. Autrement dit, nous voulons moins de mathématiques et plus de clinique !