La diapneusie linguale chez l'enfant - Clinic n° 06 du 01/06/2019
 

Clinic n° 06 du 01/06/2019

 

Pathologie

Jalila HAMMOUTI**   Chaimaa HAJBAOUI****   Hakima CHHOUL******  


** Résidente
**** Professeur assistant
****** Professeur de l'enseignement supérieur
****Service de Pédodontie-Prévention
CHU Ibn Sina
Faculté de médecine dentaire
Université Mohammed V
Rabat

La diapneusie, ou nodule d'hyperplasie fibro-épithéliale, est une tumeur bénigne fréquente dans la cavité buccale (16 % des tumeurs bénignes) [1-5]. Elle peut se développer n'importe où sur la muqueuse. Il s'agit d'une formation nodulaire de 1 à 2 cm de diamètre, sessile ou pseudo-pédiculée, molle ou ferme et indolore, généralement localisée sur la muqueuse jugale ou...


La diapneusie, ou nodule d'hyperplasie fibro-épithéliale, est une tumeur bénigne fréquente dans la cavité buccale (16 % des tumeurs bénignes) [1-5]. Elle peut se développer n'importe où sur la muqueuse. Il s'agit d'une formation nodulaire de 1 à 2 cm de diamètre, sessile ou pseudo-pédiculée, molle ou ferme et indolore, généralement localisée sur la muqueuse jugale ou labiale ou encore sur le bord latéral de la langue [1, 2, 4].

La diapneusie est toujours située en regard d'un facteur traumatisant au cours de la mastication ou de la succion répétée au travers d'un diastème dentaire ou d'une béance [1, 2, 6-8]. Cliniquement, la lésion est asymptomatique. La suppression du facteur mécanique ne permet pas toujours de faire disparaître la lésion, une exérèse est parfois nécessaire [8].

Observations

Nous rapportons le cas d'un jeune garçon âgé de 10 ans, ayant consulté au Centre de consultations et de traitements dentaires de Rabat (CCTDR) pour une excroissance non douloureuse au niveau du bord latéral de la langue.

Lors de l'entretien, l'enfant, accompagnée de sa mère, a rapporté que cette lésion est présente depuis 1 an, évolue et augmente de volume entraînant ainsi une gêne fonctionnelle. Nous avons noté un tic de morsure permanente du bord droit de la langue.

L'examen général n'a révélé la présence d'aucune pathologie générale particulière, ni d'antécédent familial.

L'examen clinique exo-buccal a révélé une symétrie faciale respectée, des téguments bruns, avec absence d'adénopathie au niveau de la région sous-mandibulaire et cervicale.

L'examen endobuccal a montré la présence d'une formation nodulaire mesurant 0,7 × 0,7 × 0,6 cm localisée sur le bord latéral droit de la langue et recouverte d'une muqueuse d'aspect normal en rapport avec le tic déjà mentionné (fig. 1). À la palpation, le nodule est sessile, de consistance molle et indolore.

L'examen clinique et surtout la palpation non douloureuse qui n'entraîne pas de saignement nous ont permis d'écarter une lésion maligne. Le diagnostic évoqué a été celui d'une diapneusie.

Avant de prendre en charge la lésion, des explications ont été données à la mère sur la lésion, sur son origine étiologique et sur la nécessité d'arrêter le tic de morsure du bord de la langue pour éviter la récidive.

Nous avons opté pour une exérèse complète de l'excroissance au bistouri à lame 15. L'anesthésie se fait par infiltration locale de la zone péritumorale à l'aide d'une solution de lidocaïne adrénalinée pour limiter le saignement (fig. 2). La tumeur a été amarrée à l'aide d'un fil de suture placé à la base de la pièce opératoire, ce qui a permis de l'individualiser (fig. 3). Par la suite, la tumeur a été sectionnée à la base à l'aide de la lame du bistouri (fig. 4 à 6). Des sutures en un plan ont été réalisées à l'aide de fil résorbable (fig. 7 et 8).

La pièce opératoire est immédiatement mise dans un flacon de liquide de formol tamponné à 10 % (fig. 9) et adressée au laboratoire pour réaliser l'analyse anatomopathologique.

Sur la prescription destinée au médecin anatomopathologiste ont été précisés l'âge du patient, les antécédents médicaux éventuels ainsi que les caractéristiques cliniques de la lésion (localisation, taille, morphologie). L'examen histologique a confirmé le diagnostic et la bénignité de la lésion en montrant une formation nodulaire bordée par un épithélium hyperplasique de type malpighien avec souvent une membrane basale épaisse. Le chorion est fibreux, dense et fait de fibres collagènes épaisses séparées par des capillaires à parois hyalinisées (fig. 10 et 11).

Un antalgique avec un bain de bouche ont été prescrits en postopératoire pour remédier aux éventuelles suites possibles.

Des visites de suivi ont été programmées pour surveiller l'évolution du site opératoire. À 15 jours, l'enfant a été revu, l'entretien a révélé que les suites postopératoires étaient normales et sans particularité. L'examen clinique a révélé une bonne cicatrisation du site de la lésion (fig. 12).

Le contrôle à 3 mois a montré l'absence d'irritation mécanique et de récidive au niveau du bord latéral de la langue (fig. 13).

Discussion

La diapneusie, appelée également nodule d'hyperplasie fibro-épithéliale, est une pseudo-tumeur de la muqueuse buccale [1]. Cette lésion a une prédilection pour le sexe féminin et apparaît essentiellement chez les patients âgés de plus de 30 ans [5].

Elle est généralement localisée sur la muqueuse jugale ou labiale ou sur le bord latéral de la langue. Elle est asymptomatique et gêne souvent le patient lors de la mastication [1, 9]. Pour notre cas, la gêne fonctionnelle était le motif de consultation de l'enfant.

La diapneusie peut être provoquée par une morsure, une destruction ou une malposition dentaire, une prothèse mal adaptée, un diastème inter-dentaire, un édentement ou encore un tic de succion [1, 2, 6, 7]. Elle se manifeste cliniquement par un nodule sessile de quelques millimètres de diamètre, de consistance molle, indolore, souple, qui devient progressivement dur et parfois pseudo-pédiculé. Sa surface est recouverte d'une muqueuse d'aspect normal ; le sommet de la lésion peut présenter une ulcération associée au traumatisme masticatoire ou parfois être occupé par une plage kératosique [1, 2, 10]. La lésion est le plus souvent unique et arrondie. Cependant, dans certains cas, il peut s'agir de nodules multiples, alignés horizontalement sur la muqueuse de la lèvre inférieure qui viennent se loger entre les incisives supérieures et inférieures lors de la fermeture buccale [1].

Le diagnostic de la diapneusie doit être évoqué face à un nodule jugal ou labial en présence de l'une des étiologies citées ci-dessus. Toutefois, le diagnostic différentiel doit se faire avec les tumeurs bénignes et les pseudotumeurs de la muqueuse buccale [1, 12-19] (tableau 1).

Bien que le diagnostic clinique préliminaire de la diapneusie soit souvent évident, le diagnostic de certitude ne peut être que anatomopathologique [20]. Assimilable à une variation physiologique par son caractère bénin et sa fréquence, la diapneusie est, sur le plan histologique, une hyperplasie fibro-épithéliale [2]. Il s'agit d'un tissu conjonctif plus ou moins fibreux, riche en capillaires, pratiquement dépourvu d'infiltrat inflammatoire, sous un épithélium plus ou moins hyperplasique et kératinisé [1]. Pour notre cas, le diagnostic clinique de la diapneusie linguale était concluant, surtout après révélation du tic de morsure de la langue. Toutefois, une étude anatomopathologique a été réalisée pour confirmer le diagnostic clinique évoqué et faire le diagnostic différentiel avec les autres lésions bénignes ou encore les lésions malignes de la cavité buccale.

Le traitement chirurgical de la diapneusie est systématique en présence d'une gêne fonctionnelle et esthétique ressentie par le patient [20]. L'exérèse chirurgicale peut se faire classiquement avec une lame froide ou avec un bistouri électrique. Les lasers peuvent également être utilisés pour l'exérèse des tumeurs bénignes de la muqueuse buccale. Ils présentent l'avantage de rendre la procédure plus simple et plus rapide et améliorent le confort postopératoire grâce à l'absence de sutures et une meilleure cicatrisation [4, 20].

La diapneusie est une lésion qui récidive tant que l'étiologie n'a pas été éliminée [1, 2, 8, 20]. La prise en charge doit associer le traitement étiologique à l'exérèse chirurgicale [2]. Il convient de supprimer le facteur traumatisant responsable de l'apparition et du développement de la diapneusie. Pour ce faire, il faudra :

• enseigner et motiver le patient pour arrêter tout tic de succion et de morsure ;

• prendre en charge les béances, les malpositions, les diastèmes dentaires et les édentements ;

• réadapter et/ou refaire les prothèses et les restaurations défectueuses et traumatisantes.

Conclusion

La diapneusie est une des tumeurs bénignes les plus fréquentes de la muqueuse buccale. Il s'agit d'une formation nodulaire recouverte d'une muqueuse d'aspect normal, de localisation préférentielle sur les bords de la langue et sur les faces internes des muqueuses jugales. Son diagnostic clinique est très souvent concluant, notamment en présence de l'une des étiologies incriminées dans son apparition. Toutefois, le diagnostic de certitude reste histologique. Ce qui justifie l'intérêt de l'examen anatomopathologique de la lésion, après son exérèse chirurgicale, pour établir le diagnostic différentiel et écarter toute malignité. Il n'existe pas de transformation maligne rapportée de la diapneusie. Cependant, si le facteur étiologique n'est pas éliminé, la récidive reste fréquente.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

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