La douleur postopératoire en endodontie - Clinic n° 09 du 01/09/2019
 

Clinic n° 09 du 01/09/2019

 

Endodontie

Marie SEVIN*   Arthur RÉAL**   Denis BOUTER***   Anne-Margaux Collignon****  


*Exercice libéral, Nanterre (92)
**Praticienne attachée, Hôpital Louis Mourier
***Colombes (92)
****Exercice libéral
*****Aubervilliers (93)
******Exercice Libéral, Paris (75)
*******MCU- PH, Université de Paris, Montrouge (92)
********Hôpital Henri Mondor AP-HP
*********Créteil (94)
**********MCU-PH, Montrouge (92)
***********Université de Paris
************Laboratoire EA 2496
*************Montrouge (92)
**************Hôpital Louis-Mourier - AP-HP
***************Colombes (92)

Les protocoles de traitement endodontiques sont de plus en plus simplifiés et standardisés mais, même lorsqu'ils sont respectés, des douleurs postopératoires peuvent apparaître. Ces complications sont fréquentes et imprévisibles. C'est pourquoi nous proposons ici des pistes afin de mieux les appréhender et les gérer.

La douleur postopératoire qui intervient dans les quelques heures à quelques jours après le traitement endodontique semble parfois une fatalité pour le...


Les protocoles de traitement endodontiques sont de plus en plus simplifiés et standardisés mais, même lorsqu'ils sont respectés, des douleurs postopératoires peuvent apparaître. Ces complications sont fréquentes et imprévisibles. C'est pourquoi nous proposons ici des pistes afin de mieux les appréhender et les gérer.

La douleur postopératoire qui intervient dans les quelques heures à quelques jours après le traitement endodontique semble parfois une fatalité pour le chirurgien-dentiste (24 % dans les 24 premières heures) [1]. Le patient présente des symptômes proches de ceux de la parodontite ou de l'abcès apical(e) aigu(e) (douleurs continues, exacerbées à la percussion et parfois à la palpation), le patient discrimine très bien la dent dans la majorité des cas. Les douleurs dues à une colonisation bactérienne initiale ou secondaire de l'endodonte, survenant plusieurs mois ou années après le traitement endodontique, ainsi que les douleurs faisant suite à un traitement d'urgence par pulpotomie, ne seront pas évoquées ici. Les diagnostics différentiels de syndrome du septum et de sur-occlusion auront été écartés.

L'objectif est ici d'aborder les symptômes consécutifs à une mise en forme jusqu'à l'apex avec obturation transitoire ou « définitive » que nous regrouperons sous le terme « flare up » [2] qui est défini par le Collège National des Enseignants en Odontologie Conservatrice comme « une exagération brutale des symptômes d'une maladie, d'origine inflammatoire ou infectieuse. En endodontie, cela concerne un accident aigu venant se greffer sur une pathologie pulpaire ou périradiculaire après ou lors d'un traitement endodontique » [3].

Physiopathologie

C'est au niveau de la zone apicale de la dent que tout se joue et l'apex radiologique ne donne pas une vision réelle de la complexité de cette zone (fig. 1).

Point de communication entre l'endodonte et le parodonte, il est constitué de tissus durs (dentine, cément) et de tissus mous (pulpe, ligament alvolo-dentaire), le tout cerclé de tissu osseux. Chacune des structures possédant sa physiologie propre, les réactions postopératoires peuvent être multiples et peu prévisibles.

Le traitement endodontique induit des lésions sur chacun de ces tissus et les phénomènes d'inflammation qui se mettent en place sont donc une réaction physiologique normale. Les irritations mécaniques sont dues à l'estimation de la longueur de travail qui amène à franchir la constriction apicale avec les limes de cathétérisme [4], puis à la préparation mécanique qui provoque l'expulsion de débris minéraux (dentinaires et cémentaires) ainsi que de débris biologiques (bactériens et pulpaires nécrotiques ou non) dans le péri-apex [5]. La situation particulière de la bio-pulpectomie peut entraîner des douleurs neurogéniques consécutives au traumatisme des fibres nerveuses [6].

Les facteurs d'irritation chimique sont dus aux différents produits utilisés lors du soin (hypochlorite de sodium, hydroxyde de calcium [7], eugénol...).

Quant à l'obturation du réseau endodontique (surtout s'il y a extrusion du matériau d'obturation), elle provoque à la fois des irritations physico-chimiques, mécaniques mais aussi thermiques sur le ligament alvéolo-dentaire et le parodonte profond.

Les bactéries présentes initialement dans le réseau canalaire ou bien apportées par le praticien sont responsables d'une réaction inflammatoire et de symptômes douloureux. Tous ces facteurs interagissent, pouvant entraîner une sommation d'inflammation (fig. 2).

Tout cela pourrait expliquer que quand bien même le protocole de traitement endodontique est rigoureusement respecté, l'inflammation physiologique peut induire des douleurs postopératoires rapidement après le traitement et entraîner la prise de rendez-vous en urgence.

Si cette douleur semble inéluctable, le chirurgien-dentiste possède un arsenal préventif et/ou thérapeutique afin de soulager au mieux les patients.

Prévention

Le respect du protocole opératoire

L'élément le plus important pour limiter les douleurs post-opératoires reste le respect strict du protocole. Cela permet de maintenir l'asepsie tout au long du soin et d'éviter une manœuvre iatrogène qui pourrait induire ou augmenter l'inflammation locale. Chacune des manœuvres de désinfection chimio-mécanique ainsi que d'obturation entrainent une inflammation physiologique. Suivre un protocole rigoureux est donc indispensable pour ne pas accroitre la complexité du traitement endodontique. L'étude pré-opératoire de la situation clinique avec réalisation des tests cliniques et des clichés radiologiques, la réalisation d'une anesthésie locale ou loco-régionale en fonction de la situation, la pose de la digue, l'utilisation de solution d'irrigation et l'instrumentations manuelles et rotatives dans le respect de la zone apicale et finalement l'obturation dans les limites radiologiques idéales sont des clés pour éviter une accentuation de l'inflammation.

Identification des facteurs de risque

Les patients ne sont pas tous égaux face aux douleurs. Bien que certains facteurs subjectifs échappent à l'évaluation du chirurgien-dentiste, les études ont mis en lumière des éléments qui doivent être pris en compte lors de la gestion des préventions de la douleur. Sans rentrer dans les détails, le tableau 1 récapitule ces éléments et leurs implications [8].

Lorsque le praticien identifie un patient « à risque » de développer des douleurs post-opératoires, il peut mettre en place un protocole de prémédication ainsi qu'une prise en charge comportementale adaptés au patient.

Prise en charge comportementale

La peur, l'anxiété et la douleur sont étroitement liées. La définition même de la douleur comprend une part « émotionnelle ». C'est pourquoi la prise en charge médicamenteuse peut être évitée ou réduite par une communication adaptée avec le patient.

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades stipule que le praticien doit délivrer à son patient « une information claire, détaillée et adaptée sur la douleur prévisible après l'intervention et sur les moyens de traitement et de prévention qui peuvent être mis en œuvre » (recommandations HAS douleur postopératoire). Le choix des mots, du placement de voix, le comportement non verbal (assurance du praticien et de son entourage, écoute active du patient...) sont autant de clés qui permettent aux chirurgiens-dentistes de donner une information claire mais non alarmiste. Avertir le patient des risques de douleurs suite au traitement fait partie des stratégies de prévention, cela contribue à rassurer le patient et à réduire ses douleurs [9].

Il est toutefois recommandé de prendre des précautions et d'adapter l'information délivrée face à des patients présentant un haut niveau d'anxiété ; un discours focalisé sur la douleur peut être anxiogène et augmenterait alors les risques de douleur.

L'écoute des craintes du patient ainsi que de ses antécédents de douleurs permet au chirurgien-dentiste d'adapter son discours, sa prémédication mais aussi son protocole de soin à chaque patient.

Prémédication antalgique

Les études s'accordent à dire que la médication par anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) prise soit avant le soin soit immédiatement après réduit significativement la douleur, surtout pour les 24 premières heures [10]. Cependant, les AINS exposent à de nombreux effets indésirables potentiels pouvant être graves, en particulier gastro-intestinaux, cardio-vasculaires et rénaux. Ils sont de plus contre-indiqués dans de nombreux contextes médicaux (insuffisance rénale ou cardiaque, ulcère gastroduodénal, grossesse...) et présentent plusieurs interactions médicamenteuses notamment chez les patients sous anticoagulants, corticothérapie ou inhibiteur de l'enzyme de conversion [11].

Le paracétamol a été très peu étudié dans les études, c'est pourquoi il n'est pas recommandé à l'heure actuelle.

Antibioprophylaxie

L'antibioprophylaxie est bien à différencier de l'antibiothérapie prescrite au patient lors d'un traitement d'urgence d'un abcès apical aigu ou d'un traitement endodontique associé à une cellulite.

Bien que la cause bactérienne soit réelle, l'origine de celle-ci résulte très souvent du déséquilibre provoqué entre les pathogènes et les mécanismes de défense, provoquant une réaction inflammatoire aiguë sans contamination ni prolifération bactérienne, d'où l'inefficacité des antibiotiques sur les symptômes engendrés. L'antibioprophylaxie n'est donc pas justifiée avant un traitement endodontique et ne devrait pas être systématiquement prescrite, hormis lorsque l'état de santé du patient le recommande [12].

Traitement de l'urgence

Lorsque le patient se présente en consultation d'urgence pour des douleurs suite à un traitement endodontique (en cours ou terminé), le praticien devra réaliser un examen clinique complet. La radiographie rétroalvéolaire ne sera indiquée que si le praticien n'est pas en possession du cliché de fin de séance (fig. 3) ou que ce n'est pas son patient. Lorsque le traitement endodontique a été finalisé, le praticien doit avoir en sa possession une radiographie de fin de traitement endodontique. L'inflammation étant installée, le patient n'arrive pas à « gérer » seul sa douleur. Seul un acte thérapeutique accompagné d'une prescription adaptée sera efficace.

Ce sont les symptômes qui guideront la prise en charge.

Flambée inflammatoire

Elle se caractérise par des symptômes proches d'une parodontite apicale aiguë. Les douleurs sont dues à la formation d'un œdème au sein des tissus périapicaux.

Le chirurgien-dentiste devra accéder de nouveaux à l'endodonte et réaliser un parage canalaire afin de compléter la désinfection et d'obtenir le drainage de l'œdème périapical. Une médication intracanalaire par un matériau anti-inflammatoire (hydroxyde de calcium) peut être mise en place. En fin de séance, le chirurgien-dentiste devra limiter les pressions interarcades sans mettre systématiquement la dent en sous-occlusion, ce qui pourrait limiter les indications prothétiques.

La prescription d'un antalgique de palier I (paracétamol, AINS ou les deux en alternance) ou de palier II (paracétamol codéiné, Tramadol, Lamaline...) sera prescrit en fonction de l'intensité de la douleur.

La prescription d'antibiotique n'est pas indiquée dans ce genre de « flare up ».

Flambée infectieuse

Elle se caractérise par des symptômes proches d'un abcès apical aigu (douleur spontanée, exacerbée par la percussion et la pression, ainsi que par la palpation apicale). Lorsque les bactéries envahissent les tissus du périapex en très grand nombre, la réaction inflammatoire s'accentue ; une zone de liquéfaction purulente se forme et détruit les tissus périradiculaires, souvent accompagnée d'un gonflement des tissus mous périphériques.

Comme pour la flambée inflammatoire, le chirurgien-dentiste devra accéder de nouveau à l'endodonte et réaliser un parage canalaire afin d'obtenir le drainage de l'abcès périapical. Une irrigation abondante à l'hypochlorite de sodium puis la pose d'une médication intracanalaire (hydroxyde de calcium) sera mise en place afin de compléter la désinfection et de baisser l'inflammation périapicale. En fin de séance, le chirurgien-dentiste devra limiter les forces de pression interarcades comme vu précédemment. Un drainage par voie muqueuse sera effectué si cela est possible et nécessaire.

La prescription d'un antalgique de palier I (paracétamol, AINS ou les deux en alternance) ou de palier II (paracétamol codéiné, Tramadol, Lamaline...) sera prescrit en fonction de l'intensité de la douleur.

Selon la ESE [13], la prescription d'antibiotique n'est indiquée que si la flambée infectieuse est accompagnée de symptomatologie loco-régionale (tuméfaction fluctuante, trismus, adénopathie, fièvre, altération de l'état général). Le traitement de première intention est l'amoxicilline (1 g matin et soir) ou la clindamycine (300 mg matin et soir) en cas d'allergie aux pénicillines. En deuxième intention, une bi-thérapie par adjonction d'acide clavulanique ou de métronidazole peut être envisagée.

Aparté

Les diverses recommandations sont claires sur le fait que l'accès à l'apex est le facteur qui favorise la baisse de l'inflammation. Cependant, dans certain cas, la réintervention est impossible ou présente un rapport bénéfice/risque désavantageux.

C'est souvent le cas en créneaux d'urgence où le praticien ne présente pas de créneaux horaires suffisamment long pour réaliser le soin de façon idéale. La reprise du traitement, quand bien même elle est entreprise en urgence, doit se faire selon des conditions d'asepsie rigoureuses (digue, hypochlorite de sodium, hydroxyde de calcium...). Ça peut être le cas, lorsque les conditions d'inflammations locales empêchent d'aboutir à un silence clinique complet, contre-indiquant le soin. Mais aussi quand le patient présente un état d'anxiété trop important vis-à-vis de l'acte à réaliser. Il peut être alors dangereux pour le praticien et le patient de commencer un soin. Le patient peut avoir des réactions exacerbées, des mouvements inattendus, allant jusqu'au malaise.

Un dernier élément peut amener le praticien à ne pas réintervenir : c'est dans le cas où le traitement a été réalisé par ses soins et/ou qu'il juge que la réintervention présente des risques majorés (obturation par un matériaux Biocéramique type MTA, Biodentine®..., une anatomie radiculaire complexe sujette aux fausses routes et fractures instrumentales lors de la réintervention...

Dans tous les cas, le praticien ne doit jamais laisser le patient seul face à ces douleurs. Dans un premier temps, il doit le rassurer, lui expliquer les causes et l'imprévisibilité de ces sensibilités. Une prescription (tableaux 2 à 4) adaptée à la symptomatologie et prenant compte des pathologies et contre-indications générales du patient doit être rédigée :

• Si les symptômes correspondent à une inflammation locale (douleur spontanée, douleur à la percussion mais pas à la palpation), la prescription d'anti-inflammatoire non stéroïdien type ibuprofène 400 mg, avec trois prises par jour est réalisée. Cette prescription peut être complétée par un antalgique de palier II, en alternance, dans le cas de douleur sévère.

• Si les symptômes correspondent à une flambée infectieuse (douleur spontanée, douleur à la percussion et à la palpation, sensation de dent « longue »), la prescription d'antibiotiques à large spectre type Amoxicilline (1 g matin et soir) ou clindamycine (300 mg matin et soir) pendant 7 jours en complément de l'AINS est réalisée.

Conclusion : une stratégie individualisée

Idéalement, le chirurgien-dentiste souhaiterait qu'il existe une « recette unique » pour éviter les douleurs à tous ses patients. De par l'évolution de la société, la douleur postopératoire devient de moins en moins tolérée par le patient. La « perte » de temps (consultation en urgence), d'énergie (douleur nocturne, manque de concentration au travail, irritation due à la douleur...) et de confiance envers le praticien est difficile à vivre pour le patient mais aussi par le praticien.

C'est pourquoi le praticien doit établir une stratégie propre au patient. En préopératoire, le praticien devra établir un diagnostic dentaire précis mais aussi apprendre à connaître son patient afin de lui apporter une explication adaptée (ni trop alarmante, ni minimisant les risques de douleur). En cas d'apparition ou d'augmentation de douleur préexistante, le praticien devra soulager le patient par un geste thérapeutique et une prescription médicamenteuse, sans prendre à la légère les doléances du patient.

Remerciements :

Les auteurs tiennent à remercier le Dr Jacob AMOR pour la relecture de cet article et son regard critique.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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