Sortir des sentiers battus - Clinic n° 11 du 01/11/2019
 

Clinic n° 11 du 01/11/2019

 

Équipe et Espace

Stéphanie FRISON  

Consultante Groupe Edmond Binhas

L'exercice libéral du chirurgien-dentiste est régulièrement abordé et, en même temps, il est des expériences et initiatives qu'il est intéressant de mettre en lumière. C'est ce que nous avons donc choisi ce mois-ci en partant dans le département des Hautes-Alpes à la rencontre de deux praticiennes, Carine Morcelet et Corine Royère. En parallèle de leurs cabinets installés à Gap, elles interviennent dans le Centre hospitalier Buëch-Durance, à la rencontre d'un public fragile...


L'exercice libéral du chirurgien-dentiste est régulièrement abordé et, en même temps, il est des expériences et initiatives qu'il est intéressant de mettre en lumière. C'est ce que nous avons donc choisi ce mois-ci en partant dans le département des Hautes-Alpes à la rencontre de deux praticiennes, Carine Morcelet et Corine Royère. En parallèle de leurs cabinets installés à Gap, elles interviennent dans le Centre hospitalier Buëch-Durance, à la rencontre d'un public fragile et où l'aventure humaine prend tout son sens.

Né de la fusion en 2012 entre le Centre hospitalier spécialisé et l'Hôpital local, le Centre hospitalier Buëch-Durance est installé sur un plateau dominant la ville de Laragne-Montéglin. Il est composé de plusieurs entités spécialisées et accueille un service de psychiatrie adulte, un service de psychiatrie infanto-juvénile, un service d'addictologie, une maison d'accueil spécialisée (MAS) pour les personnes atteintes de syndromes autistiques, deux EHPAD pour des personnes âgées en perte d'autonomie, quelques lits de médecine et de soins de suite et de réadaptation, une unité de soins de longue durée (USLD) pour personnes âgées dépendantes et un foyer d'accueil médicalisé (FAM). Le centre hospitalier vient d'ailleurs de célébrer, le mois dernier, ses soixante bougies avec l'ensemble du personnel, les patients et résidents, leurs familles et les acteurs de la vie locale.

Autant dire que les univers sont très variés tant au niveau des professionnels qui y travaillent que des patients de l'établissement. Des patients pour qui les soins dentaires pouvaient donc apparaître bien secondaires par rapport à leur pathologie. En effet, pour nombre d'entre eux, soit ils ne sont pas du tout pris en charge au niveau dentaire, soit ils sont obligés de subir des interventions au bloc opératoire en dehors de l'établissement sous anesthésie générale. Une situation insatisfaisante à laquelle la direction n'a pas voulu se résoudre. Et c'est ainsi qu'une solution intermédiaire a été trouvée.

Une unité dentaire dans un écrin de verdure

Une unité dentaire a vu le jour au Centre hospitalier Buëch-Durance au début des années 1960. Jean-Marc Duprat, désormais maire de la ville de Laragne-Montéglin, y a exercé pendant une vingtaine d'années. Et nos deux consœurs, Carine Morcelet il y a plus d'un an et Corine Royère depuis plus de 6 mois maintenant, lui ont donné un second souffle, aidées et soutenues par la direction et le parti pris de cette dernière d'investir dans l'intérêt des patients. Ainsi, elles tiennent plusieurs fois par mois des vacations dentaires pour tous les publics dans un espace qui leur est dédié au sein de l'établissement. Des publics auxquels elles ont dû s'adapter et qu'elles ont pu un moment craindre ou redouter tant certains comportements pouvaient être imprévisibles, voire violents, mais aussi décalés. Corine Royère nous a confié par exemple avoir soigné un patient qui s'est esclaffé pendant toute la séance de soins, situation plutôt cocasse lors de soins dentaires. Carine Morcelet, quant à elle, témoigne d'une rencontre avec un patient faisant régulièrement entrer des livres dans son régime alimentaire. Comment rentrer dans la sphère intime d'un patient autiste lorsque l'on sait que celui-ci n'accepte aucun contact, en particulier au niveau de la tête ? Ces interrogations et incompréhensions ont amené Carine Morcelet à initier des visites dans les différentes entités du centre hospitalier. Ces premières rencontres lui ont permis non seulement de se familiariser avec chacun des publics mais aussi d'échanger avec le personnel soignant. Il y a donc eu toute une approche en douceur comme une opération « séduction » pour se faire accepter des patients. Puis, il a fallu que, ensemble, les praticiennes adaptent leur palette thérapeutique avec notamment l'apport des techniques d'hypnose médicale et l'utilisation de la sédation consciente avec le MEOPA pour lesquelles elles se sont formées. Ces éléments leur apportent incontestablement à elles et aux patients un réel confort pour les soins et une qualité de la relation.

La richesse d'un travail d'équipe

Aujourd'hui, force est de constater que leur activité va bien au-delà de leurs séances de soins car c'est tout un travail collaboratif qui s'est mis en place avec une émulation collective. En effet, c'est déjà avec leur binôme d'infirmières, Lynsey et Sybille, avec lesquelles elles travaillent à chaque vacation, qu'une réelle complicité s'est créée. Ces infirmières non seulement gèrent l'aide au fauteuil, la stérilisation et les aspects administratifs, mais elles sont aussi d'une aide précieuse dans l'accompagnement des patients qui ont besoin de repères et dont elles connaissent les pathologies et les habitudes.

Mais c'est un travail d'équipe beaucoup plus large que l'on observe avec le personnel du Centre hospitalier Buëch-Durance. Le service informatique a travaillé au choix et à la mise en place du logiciel dentaire qu'ils ont dû acquérir, ainsi que sur le logiciel radio. La documentaliste, quant à elle, propose régulièrement des lectures et références à nos deux praticiennes pour les aider à mieux comprendre les différentes pathologies rencontrées et à faire le lien avec le dentaire. De quoi illustrer que la bouche est une porte d'entrée du corps humain et une fenêtre ouverte sur la vie et la personnalité de chacun. Carine Morcelet s'est même intéressée avec la diététicienne aux repas des résidents pour essayer de valoriser tous les aspects liés à la mastication d'un public pour lequel on privilégie davantage une alimentation molle. Mais on peut également citer les échanges réguliers avec l'addictologue et le pharmacien concernant les incidences des drogues comme le cannabis ou de certains médicaments sur la sphère buccale.

Cette activité dentaire est déficitaire, ce qui explique que peu d'établissements en disposent. Mais la Direction a souhaité la maintenir et la développer, convaincue que les soins bucco-dentaires font partie intégrante des soins somatiques et de la prise en charge globale en psychiatrie nécessaires au rétablissement du patient. Désireux d'approfondir ce service public apporté aux plus fragiles, M. Ludovic Voilmy, Directeur du Centre hospitalier Buëch-Durance, soutient le projet du Dr Morcelet qui souhaiterait proposer des interventions au bloc opératoire de l'hôpital de Gap afin d'éviter aux patients des déplacements compliqués jusqu'à Marseille. Des difficultés que les familles des résidents évoquent, tout en soulignant cette belle initiative du centre hospitalier de proposer des soins dentaires sur place. Certes, la maladie ou les problèmes demeurent mais on peut éviter, grâce à cette prise en charge, que la situation ne se détériore et apporter un peu de confort et de réconfort à chacun. Aux dires des familles, c'est une contribution qui fait chaud au cœur dans leur quotidien.

C'est donc une immersion complète dans un univers bien éloigné de leur pratique libérale que nos deux consœurs nous relatent. Une immersion qui se prolonge même lorsqu'elles sont sur place au cours du déjeuner dans le self partagé par les patients, les résidents et les professionnels. Censément, l'activité de ces deux praticiennes s'étend bien au-delà de leurs journées de vacations cliniques à l'hôpital et, sans empiéter sur leur activité libérale, bien au contraire l'enrichit. Elles nous ont chacune confié que, malgré la difficulté de se trouver parfois démunies face à certaines situations et bien qu'elles ne pratiquent que des soins curatifs, la richesse des rencontres et des échanges les conforte dans leur mission. Elles ont adopté les habitudes de l'établissement et l'on peut dire que l'établissement, la direction, les soignants, les soignés et leurs familles les ont eux aussi adoptées !

ON AIME

L'altruisme et l'enthousiasme de tous ces professionnels travaillant de concert pour des patients parfois en situation de handicap pour le plus grand réconfort des familles.