Traitement des bouches sèches : pièges et solutions - Clinic n° 12 du 01/12/2019
 

Clinic n° 12 du 01/12/2019

 

Pathologie

Kelly LY*   Sixtine BORDEAUX**   Franck DECUP***   Marjolaine GOSSET****  


*Interne en médecine bucco-dentaire
**Service d'odontologie de l'Hôpital Charles Foix (AP-HP)
***Ivry-sur-Seine
****Pratique libérale
*****Service d'odontologie de l'Hôpital Charles Foix (AP-HP)
******Ivry-sur-Seine
*******Pratique libérale
********MCU-PH Département Odontologie conservatrice et Endodontie
*********Université Paris Descartes, Universités de Paris
**********Hôpital Charles Foix (AP-HP)
***********Ivry-sur-Seine
************PU-PH
*************Département de Parodontologie
**************Université Paris Descartes, Universités de Paris
***************Hôpital Charles Foix (AP-HP)
****************Ivry-sur-Seine

La sensation de « bouche sèche » touche 1 patient sur 5 (22 % de la population adulte). Elle peut survenir de manière physiologique (ex. : vieillissement, stress) ou être associée à un état pathologique (ex. : prise de médicaments sialoprives). Elle représente un enjeu majeur dans certaines maladies, telles que le syndrome de Gougerot-Sjögren. Au sein de notre service d'odontologie, notre équipe porte une consultation dédiée aux patients atteints du syndrome de...


La sensation de « bouche sèche » touche 1 patient sur 5 (22 % de la population adulte). Elle peut survenir de manière physiologique (ex. : vieillissement, stress) ou être associée à un état pathologique (ex. : prise de médicaments sialoprives). Elle représente un enjeu majeur dans certaines maladies, telles que le syndrome de Gougerot-Sjögren. Au sein de notre service d'odontologie, notre équipe porte une consultation dédiée aux patients atteints du syndrome de Gougerot-Sjögren. Nous souhaitons ici partager notre expertise dans le traitement de ces patients et apporter des informations extrapolables aux bouches sèches en général.

Identifier une « bouche sèche » est, en pratique courante, plus complexe qu'il n'y paraît : les patients ne parviennent pas toujours à verbaliser leur problème. Ils se plaignent de difficultés à parler longtemps, de sensations de brûlures dans la bouche, de « langue qui colle au palais » ou encore de difficultés à déglutir. Ces plaintes sont autant de signes d'appels qui doivent nous alerter. De même, un tableau clinique atypique de polycaries chez l'adulte (fig. 1 et 2), sans que l'on puisse en identifier les causes, doit conduire à rechercher une explication salivaire.

La bouche sèche, de quoi parle-t-on ?

Deux définitions sont à distinguer. La xérostomie décrit une sensation subjective de bouche sèche tandis que l'hyposialie correspond à une évaluation objective de la diminution du flux salivaire. Xérostomie et hyposialie peuvent être concomitantes mais ce n'est pas forcément le cas : un patient peut se plaindre de xérostomie sans qu'on objective de défaut salivaire et un autre peut ne ressentir aucune gêne alors qu'il présente un flux salivaire diminué.

Si la xérostomie est décrite sous forme de sensation subjective, l'hyposialie peut être mise en évidence par des tests cliniques, notamment le test de sialométrie qui mesure le flux salivaire (encadré 1). Pour un sujet sain, le débit salivaire moyen est de 1 mL/min. Si le débit de salive non stimulé est inférieur à 0,1 mL/min, le sujet présente une hyposialie. C'est cette hyposialie (diminution du débit salivaire) qui est responsable du déséquilibre intra-buccal, qu'elle soit ou non associée à une xérostomie (sensation de la « bouche sèche »).

Encadré 1

Mesure du débit salivaire

Préalables à la réalisation du test

- Ne pas boire, ni manger, ni fumer 1 h avant l'examen.

- Le patient est installé confortablement dans un fauteuil au moins 5 minutes avant la réalisation du test, afin qu'il soit le plus détendu possible.

Temps par temps

- Faire cracher le patient toutes les minutes pendant 5 minutes dans un tube.

- Les échantillons recueillis sont pesés à l'aide d'une balance analytique.

- L'élément d'analyse s'exprime en mL/min.

- Le débit salivaire est anormal s'il est inférieur à 0,1 mL/min.

Rôle de la salive

La salive est un fluide biologique constitué majoritairement d'eau (à 99 %), de protéines salivaires et de substances ioniques inorganiques (calcium, sodium, phosphates). Elle est produite par les glandes salivaires principales (parotides, submandibulaires et sublinguales) ainsi que par de multiples glandes salivaires accessoires (GSA) dispersées dans la cavité buccale (encadré 2).

La salive s'étale en un film protecteur de 0,1 mm d'épaisseur dans l'ensemble de la cavité buccale pour en protéger les tissus durs et les tissus mous. Elle permet le maintien de l'homéostasie de la cavité buccale grâce à plusieurs fonctions : physiquement, elle assure un auto-nettoyage des surfaces et la lubrification des muqueuses par son flux continu ; chimiquement, elle exerce un effet tampon face aux agressions acides extrinsèques ou intrinsèques. Enfin, elle présente des propriétés biologiques : antibactérienne, antivirale et antifongique.

Encadré 2

Composition de la salive [1, 2]

Les composants inorganiques de la salive regroupent des ions sodium, chlorure, calcium, magnésium, phosphate et bicarbonate. Ils assurent essentiellement le pouvoir tampon de la salive.

Les composants organiques (le protéome salivaire compte près de 3 000 protéines différentes) peuvent être d'origine salivaire ou non (d'origine sanguine par exemple). Les protéines les plus retrouvées sont les mucines, les amylases, la lactoferrine, les protéines riches en proline, les histatines et les immunoglobulines A (IgA).

Caractéristiques de la salive lors d'une diminution du débit salivaire

Les modifications de la quantité ou de la qualité de la salive changent ses propriétés. Un flux salivaire diminué réduit son pouvoir tampon et sa protection face aux attaques acides (fig. 3). La baisse du débit salivaire entraîne également une diminution des quantités d'enzymes et du taux d'IgA, provoquant une baisse de l'immunité et une croissance des espèces bactériennes acidogènes. De plus, la salive est plus épaisse (moins d'eau) et plus visqueuse (plus de protéines) (fig. 4) et présente des propriétés physiques diminuées.

Répercussions des modifications salivaires sur la cavité buccale

C'est lorsqu'elle est perturbée que le rôle essentiel de la salive est cliniquement mis en évidence. La perte de son rôle protecteur a des conséquences sur les différents tissus de la cavité buccale : les dents, le parodonte et les muqueuses peuvent être affectés.

Augmentation du risque carieux

La diminution de l'auto-nettoyage physiologique, la baisse de l'immunité et la croissance d'espèces bactériennes acidogènes favorisent l'organisation d'un biofilm persistant et pathogène. De plus, une chute du pH de la cavité buccale est observée en raison de la diminution du pouvoir tampon. On retrouve des valeurs de pH proches du seuil de déminéralisation des tissus durs (pH = 5,3 à 5,7 pour l'émail et pH = 6 pour la dentine), ce qui facilite le développement des maladies carieuses.

Les études montrent que les patients atteints d'hyposialie due au syndrome de Gougerot-Sjögren ont un risque carieux 4 fois plus élevé que les contrôles [5]. Cliniquement, ces lésions carieuses ont un aspect atypique : leur évolution est rapide et elles sont retrouvées majoritairement au niveau des surfaces lisses et cervicales (normalement peu touchées) (fig. 5 et 6).

Prévalence des lésions d'usure

Sans salive et donc sans lubrifiant renouvelé sur les surfaces dentaires, les usures attritives et abrasives sont souvent plus fréquentes. De même, avec la diminution du pouvoir tampon, la salive ne peut équilibrer les processus de déminéralisation des tissus dentaires. Ainsi, il a été montré que les patients atteints d'hyposialie sont plus atteints d'érosion chimique [6] (fig. 7).

Inflammations gingivales

L'hyposialie est associée à une inflammation gingivale accrue [7] (fig. 8). Ceci peut s'expliquer en partie par le fait que la baisse du flux salivaire est accompagnée de la baisse du taux d'immunoglobulines et d'autres médiateurs de l'immunité dans la salive. Selon l'étiologie de l'hyposialie (ex. : diabète non équilibré), un risque accru de parodontite peut exister.

Fragilité muqueuse

L'hyposialie a également des conséquences au niveau des muqueuses. L'hyposialie est associée au déséquilibre du microbiote buccal avec une augmentation de Candida albicans et donc du risque de candidose – perlèche (fig. 9), érythémateuse... – et d'irritation des muqueuses – langue rôtie (fig. 10). De plus, en raison du manque de salive, le port des prothèses amovibles est complexe, caractérisé par un manque de rétention et la multiplication de blessures de contact.

Globalement, les patients atteints d'hyposialie sévère présentent des besoins en soins multiples et complexes, d'où l'importance d'un dépistage précoce et de la mise en place d'une prise en charge adéquate. Il est donc recommandé aux praticiens d'être vigilants quant à ces symptômes : savoir reconnaître les signes d'appels de l'hyposialie et questionner systématiquement les patients pour savoir s'ils ressentent une bouche sèche permettront de dépister et de conduire une démarche diagnostique de l'hyposialie, élément essentiel pour une prise en charge globale de ces patients.

Synthèse diagnostique des patients avec hyposialie

Lorsqu'un patient est atteint d'hyposialie, deux diagnostics doivent être établis : l'étiologie de l'hyposialie et les conséquences globales sur les tissus environnants et la qualité de vie du patient.

De nombreux facteurs peuvent entraîner une baisse de la production de salive et des altérations de sa composition (encadré 3).

Ainsi, lors de l'entretien médical initial (rappelons l'importance d'utiliser systématiquement un questionnaire médical pour tout nouveau patient, à actualiser tous les ans), l'existence de pathologies et d'antécédents médicaux (encadré 3) devra pousser le clinicien à investiguer si le patient est atteint de bouche sèche et, si oui, depuis quand (mise en rapport avec un nouveau traitement éventuel). Des questions simples permettent d'investiguer l'existence d'une sécheresse buccale (ex. : « vous réveillez-vous la nuit car vous avez une bouche sèche ? » « devez-vous boire pour avaler des aliments ? » « arrivez-vous à manger du pain, des gâteaux secs ? »...). Le praticien devra également rechercher d'autres manifestations de sécheresses (ophtalmique, génitale, cutanée...).

Encadré 3

Étiologie de l'hyposialie

Médicaments sialoprives : psychotropes, antidépresseurs, neuroleptiques, opiacés faibles, antihistaminiques...

Tabac, cannabis.

Vieillissement (> 65 ans +++).

Irradiation cervico-faciale.

Maladies systémiques : diabète non équilibré (polyurie, polyphagie).

Maladies auto-immunes et inflammatoires (syndrome de Gougerot-Sjögren, polyarthrite rhumatoïde, sarcoïdose, amylose...).

Diagnostic des répercussions tissulaires intra-buccales

Lors de l'examen clinique, des signes objectifs mais parfois discrets sont recherchés. La cavité buccale avec hyposialie apparaît quand même humide. Cependant, l'examen attentif montre une salive plus épaisse et stagnante au fond des vestibules. Les muqueuses sont parfois rouges, irritées et plus sèches. La langue peut être plicaturée/rôtie.

On recherchera par l'examen dentaire des lésions carieuses multiples, localisées au niveau des faces lisses et cervicales, et des altérations d'usure mécanique ou chimique. Très souvent, de nombreux traitements sont déjà présents, des récidives sont constatées, des dents sont manquantes et une inflammation gingivale existe.

Prise en charge

La persistance d'une quantité de plaque qui semble importante malgré de bonnes techniques d'hygiène orale ainsi que la multiplication des lésions carieuses (en particulier cervicales) et de récidives fréquentes chez un patient adulte sans facteur de risque évident doivent interpeller le praticien.

La prise en charge des patients doit tenir compte de toutes les spécificités liées à l'hyposialie. Elle s'adapte au patient dont le parcours de soin a souvent été erratique et accompagné de récidives. Elle intègre la notion d'inconfort et de baisse de qualité de vie au quotidien. Elle s'adapte aux facteurs étiologiques modifiables ou non. Les traitements proposés cherchent à préserver les tissus, à les reconstruire, mais également à les protéger des récidives. Lorsqu'elle est irréversible, l'hyposialie impose un suivi extrêmement régulier sur le long terme et une indispensable implication du patient. Trois phases répondent à ces objectifs : expliquer et éduquer, prévenir et contrôler, traiter et accompagner.

Expliquer et éduquer

Pour s'impliquer dans leur traitement, les patients ont besoin de comprendre leurs pathologies bucco-dentaires et l'importance de l'hyposialie dans leur apparition et leur évolution. L'éducation du patient est la clé de la réussite du traitement : c'est un pré-requis au développement de comportements de santé compatibles avec une bonne santé bucco-dentaire.

L'objectif est de faire comprendre au patient le processus pathologique pour qu'il prenne conscience des enjeux pour sa santé générale et bucco-dentaire. Les objectifs de la phase éducative comprennent toujours l'acquisition des bonnes techniques de brossage, l'éducation face à l'alimentation et la connaissance pour choisir les bons produits d'hygiène orale et les substituts salivaires.

Certains patients présentent une souffrance évidente face à leur état bucco-dentaire d'autant plus dans le cadre d'une maladie chronique telle qu'un syndrome de Gougerot-Sjögren. Il faudra identifier ces patients et dépasser la simple transmission d'informations et de conseils pour adopter une posture éducative. L'éducation thérapeutique est un mécanisme long que nous devrons développer tout au long des séances de prise en charge. Elle sollicitera les connaissances propres du patient par des questions ouvertes (ex. : « comment choisissez-vous un dentifrice ? » « quels sont vos facteurs de choix et pourquoi ? ») et cherchera à les enrichir. Elle permet des changements de comportement progressifs au cours desquels c'est le patient qui se fixera les objectifs à atteindre et s'engagera à le faire (fig. 11 et 12). L'utilisation de supports d'informations synthétiques (plaquettes, liens numériques) est utile pour soutenir le processus éducatif.

Prévenir et contrôler

Contrôler les répercussions pathologiques multiples chez ces patients représente le principal défi thérapeutique. Cela passe par le contrôle des facteurs de risque modifiables et la prévention des pathologies tissulaires. Seuls certains facteurs de risque généraux (tabac, médicaments sialoprives dans certains cas, diabète non équilibré) peuvent être corrigés. Le cas échéant, l'élimination de la cause améliore le pronostic de manière significative. Pour les autres étiologies, notre action se fait par le contrôle des facteurs locaux tels que l'absence de clairance salivaire, l'accumulation de plaque et la présence des niches bactériennes.

• Traitement symptomatique salivaire

Des propositions simples peuvent être données au patient comme l'hydratation fréquente par petites gorgées d'eau, la mastication de chewing-gums sans sucres ou la stimulation des glandes salivaires par des massages.

Des substituts salivaires peuvent être prescrits. Ils n'agissent pas sur les glandes mais visent à remplacer (temporairement) le film salivaire perdu. On retrouve souvent Artisial®, BioXtra® ou encore Xeroleave Spray®. Bien qu'efficaces chez certains patients, ils ont néanmoins des effets très limités et fugaces. Le rapport coût/bénéfice de ces traitements ne favorise pas la compliance du patient.

Les stimulants salivaires ont, quant à eux, une réelle action au niveau des glandes salivaires en activant le système nerveux parasympathique. Les dérivés de chlorhydrate de pilocarpine sont très efficaces mais leurs nombreux effets secondaires (sudation accrue, baisse de l'acuité visuelle, bradycardie) et leur perte d'efficacité poussent souvent les patients à interrompre le traitement. Ils se prescrivent sous forme de préparation magistrale remboursable à but thérapeutique (encadré 4) car il n'existe pas de spécialité équivalente disponible.

• Contrôle de plaque

Ces patients doivent bénéficier d'un enseignement à l'hygiène orale adapté (fig. 13 et 14) et d'une réévaluation constante de leur contrôle de plaque. Les techniques classiques de brossage sont enseignées jusqu'à obtenir des habitudes de brossage dont l'efficacité est maximale.

• Fluoration

Les traitements prophylactiques sont systématisés par la mise en place d'un protocole de fluoration : vernis (Duraphat®, Fluor protector®) et dentifrices fluorés (Fluocaryl bi-fluoré 250 mg, Fluodontyl®) pendant les soins puis gouttières de fluoration (Fluogel®) après les soins.

Traiter et accompagner

Quand les besoins de soins curatifs sont présents, ils sont souvent complexes. L'atteinte des dents est souvent globale, les lésions sont actives et localisées dans des sites d'accès difficile (lésions sous-gingivales). Des lésions carieuses, d'usure et d'anciens traitements défectueux cohabitent parfois. La demande esthétique est également présente tant l'ensemble des dents, secteur antérieur compris, est atteint.

Devant ces situations complexes, il est nécessaire d'organiser les soins par étapes avec les objectifs suivants :

• stopper les processus actifs (maladie carieuse, maladie d'usure, maladie parodontale) ;

• protéger les structures et restaurer selon une préservation « raisonnée » tenant compte de la nécessité de protection des surfaces ;

• éliminer les dents au pronostic défavorable et préférer le remplacement par des implants si possible.

La proposition de traitement s'appuie sur une synthèse diagnostique regroupant les problématiques des tissus dentaires, parodontaux, ostéo-muqueux ainsi que les aspects occluso-fonctionnels et esthétique. Cette vision globale est nécessaire à une prise en charge contrôlée de l'ensemble des besoins.

Encadré 4

Exemple d'ordonnance de chlorhydrate de pilocarpine (Traitement pour 6 mois)

Gélules de chlorhydrate de pilocarpine à 2 et 4 mg :

- une gélule à 2 mg au petit déjeuner et au coucher pendant 5 jours puis,

- une gélule à 2 mg, 3 fois par jour pendant 5 jours puis,

- 2 mg le matin et à midi et 4 mg au coucher pendant 5 jours puis,

- 4 mg le matin, 2 mg à midi et 4 mg au coucher pendant 5 jours puis,

- 4 mg 3 fois par jour.

Si pas d'efficacité après 2 semaines à 4 mg 3 fois par jour, augmenter la dose à 4 mg 4 fois par jour.

Organisation des soins

Chez certains de ces patients, les traitements restaurateurs s'avèrent très complexes et méritent de rationaliser leur approche. Le traitement dent par dent doit être évité (hors urgences) pour préférer une prise en charge sectorielle fondée sur un projet global.

Au sein de notre consultation spécialisée, nous avons choisi de scinder notre stratégie thérapeutique en deux étapes :

 la première étape est un temps de « contrôle biologique ». Elle a pour but de réaliser la préparation initiale des tissus : éradication des foyers infectieux, gestion des pathologies actives, protection du complexe dentino-pulpaire... À ce stade, les techniques et matériaux utilisés sont des substituts dentinaires (CVI, composites, bio-céramiques) utilisés en technique directe et des couronnes provisoires si nécessaire ;

 après réévaluation, le temps de « restauration bio-mimétique » est engagé. Son but est de réaliser des restaurations esthétiques et fonctionnelles durables. Le plus souvent, des restaurations indirectes partielles et périphériques sont utilisées dans le cadre d'un projet global validé avec le patient.

Au cours du traitement sur une vingtaine de patients avec hyposialie, notre expérience permet de faire ressortir des points particuliers.

• L'émail de la périphérie des cavités doit être parfaitement sain pour assurer la meilleure étanchéité de l'obturation (fig. 15).

• Seul l'émail déminéralisé au niveau de surfaces lisses, facile à nettoyer et à fluorer, peut être préservé (fig. 16).

• Très souvent, les techniques de curetage partiel avec préservation pulpaire ont pu être mises en œuvre. Elles doivent être privilégiées [8].

• À chaque fois que cela est possible, privilégier les traitements par secteur d'arcade pour faciliter les accès, diminuer le nombre de séances et améliorer rapidement l'élimination du biofilm (fig. 17 et 18).

• L'utilisation d'aides optiques paraît indispensable au traitement de ces cas complexes. Elles accélèrent les traitements et sécurisent les résultats.

• Compte tenu des localisations souvent très cervicales des lésions, un accès chirurgical par lambeau de pleine épaisseur, sans décharge, est parfois nécessaire. Il permet un meilleur contrôle des curetages et de l'adaptation des matériaux (fig. 19 à 21).

• Toutes les surfaces dentaires étant vulnérables, le recours à des restaurations périphériques est souvent justifié dans de nombreux cas d'atteinte étendue. Des limites sous-gingivales sont également souvent indiquées. Néanmoins, les matériaux céramiques actuels permettent de réaliser des limites peu profondes et préserver ainsi la quantité de tissus dentaires tout en proposant des restaurations esthétiques.

• Il est utile d'informer le patient de la longueur de certains actes groupés et de proposer de boire de l'eau avant la séance (verre d'eau), un spray Évian au cours du soin, des substituts salivaires locaux avant la séance (Elgydium Clinic Bouche sèche®).

Accompagnement du patient et suivi du traitement

Tous les patients souffrant d'hyposialie, comme les patients atteints de maladie chronique, doivent faire l'objet d'un accompagnement bisannuel. À chaque séance de suivi, le questionnaire médical et la sensation d'hyposialie seront réévalués. De plus, on évalue les comportements du patient avec un entretien simple pour rééduquer le cas échéant (hydratation constante, stimulants ou substituts salivaires).

La qualité de l'hygiène orale est vérifiée (brossage avec du dentifrice fluoré quotidiennement).

Les techniques de fluoration sont contrôlées (utilisation de gouttières de fluoration). Le dépistage de nouvelles lésions carieuses et d'usure est systématique avec une fréquence de 6 mois à 1 an suivant le risque carieux du patient (observation clinique, radiographique, photographies). Les traitements restaurateurs sont suivis et réévalués (gouttière de protection occlusale).

Le patient doit être soutenu dans ses efforts et l'accompagnement du praticien doit être visible pour assurer au patient une confiance retrouvée dans sa santé bucco-dentaire.

Conclusion

Après plus d'un an d'une consultation spécialisée (encadré 5), organisée pour recevoir des patients atteints du syndrome de Gougerot-Sjögren, nous avons cherché à partager ce début d'expérience. Notre premier constat a été que le diagnostic et la prise en charge des patients souffrant de bouche sèche méritent des connaissances adaptées à leurs pathologies autant qu'à leur inconfort de vie.

Le profil de certains tableaux cliniques avec récidives carieuses multiples devrait être un élément d'alerte pour cette maladie. Chez les patients avérés, la recherche de nouvelles lésions doit être systématique et, en cas de doute, il faut investiguer.

Les besoins de soins étaient souvent importants et manquaient de cohérence. Il ressort que les traitements restaurateurs doivent se fonder sur une stratégie globale incluant une prévention adaptée. La mise en place d'un suivi bisannuel est indispensable pour limiter les aggravations et soutenir le patient dans ses difficultés quotidiennes.

Encadré 5

Une consultation dédiée aux patients atteints de Gougerot-Sjögren

Grâce aux liens forts établis avec le service de rhumatologie de Bicêtre qui héberge un centre de références pour les maladies auto-immunes rares (dirigé par le Pr Xavier Mariette), notre équipe a développé au sein de l'hôpital Charles-Foix une consultation spécialisée dirigée par le Pr Marjolaine Gosset et le Dr Franck Decup. Elle réunit un groupe constitué de 2 attachés (Sixtine Bordeaux, Lucas Lustman), d'internes en médecine bucco-dentaire (Bryan Knafo, Kelly Ly et Mathilde Grassin) et 2 externes en dernière année de formation clinique TCEO1 (Margaux Thauro et Philippine Danvers).

Cette consultation s'est renforcée grâce à l'appui de l'Association des Patients atteints de Gougerot Sjögren (AFGS).

Au cours de cette consultation, nous recevons les patients récemment diagnostiqués pour une maladie de Sjögren. Nos objectifs sont d'évaluer l'importance de la sécheresse buccale, de dépister les maladies bucco-dentaires (carieuses, usures, parodontales), d'évaluer les besoins en soins de réhabilitation fonctionnelle et les besoins esthétiques et d'éduquer les patients à leur santé orale (une démarche de prévention par fluoration est notamment systématisée).

Chaque patient bénéficie d'un circuit organisé de 3 consultations :

• Consultation 1 - recueil des demandes du patient, évaluation des demandes, examen de dépistage général ;

• Consultation 2 - recueil des éléments nécessaires au diagnostic (examens cliniques et complémentaires) ;

• Consultation 3 - synthèse diagnostique et besoins de traitements sont exposés au patient.

Les traitements ne sont pas obligatoirement réalisés dans notre service. De nombreux patients sont réadressés à des confrères libéraux.

Pour tous cependant, une séance d'éducation thérapeutique et de prévention par fluoration est réalisée. Et un suivi est proposé à l'ensemble des patients.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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1 Signes d'appel : patient de 71 ans présentant un tableau clinique de polycaries et d'usure sévère attritive et érosive malgré un indice de plaque faible. 2 Signes d'appel : patiente de 69 ans présentant un indice de plaque important associé à des lésions carieuses multiples concentrées dans les zones cervicales. 3 Aspect caractéristique de l'accumulation d'une salive « bulleuse » dont la viscosité est augmentée. 4 Aspect clinique d'une muqueuse sèche caractéristique d'un flux salivaire réduit. 5 Lésions carieuses atypiques dans le secteur maxillaire chez un patient de 45 ans. 6 Lésions carieuses cervicales multiples et restaurations dont le vieillissement est prématuré (perte d'étanchéité, carie secondaire). 7 Accumulation de lésions érosives occlusales et cervicales (aspect caractéristique en cupule sur les pointes cuspidiennes). 8 Aspect parodontal inflammatoire très souvent associé à l'hyposialie. 9 Perlèche parfois associée à l'hyposialie. 10 Langue dite « rôtie » en réaction à l'irritation des surfaces muqueuses liée au défaut de lubrification salivaire.

Cas clinique 1 (fig. ABC)

Cas clinique 2 (fig. DEF)

Cas clinique 3 (fig. GHI)

11 Situation clinique initiale d'une patiente souffrant d'un état de santé bucco-dentaire pathologique dans le cadre d'un syndrome de Gougerot-Sjögren. 12 Situation clinique après traitement restaurateur des dents maintenue durablement grâce à une éducation thérapeutique comprise et suivie. 13 L'enseignement de l'hygiène orale passe par l'acquisition d'une méthode de brossage adaptée avec une brosse à dents à poils souples. 14 Il est nécessaire d'implémenter des moyens d'hygiène interdentaire dans les habitudes d'hygiène orale quotidienne du patient. 15 Situation clinique au cours du curetage de la jonction amélo-dentinaire. 16 Vue clinique d'un secteur antérieur mandibulaire avec bords libres reminéralisés. 17 et 18 Situation clinique d'un soin en une séance. 19 à 21 Pose du champ opératoire après levée d'un lambeau faible étendue