TROIS « LÉGENDES » DE L’IMPLANTOLOGIE - Clinic n° 06 du 01/06/2021
 

Clinic n° 06 du 01/06/2021

 

Interview

Guillaume HELLER  

Trois personnalités, grands cliniciens et enseignants, se sont prêtés à l’exercice de l’interview pour CLINIC. Leurs premiers contacts avec l’implantologie moderne, leurs débuts, les clés de la réussite implantaire d’après eux… Ils ont en commun d’avoir assisté en France, en Europe et aux États-Unis à la diffusion des techniques issues des études sur l’ostéo-intégration alors tout juste publiées par P. I. Brånemark au début des années 80.

CLINIC : Pouvez-vous nous rappeler votre première expérience en implantologie orale ?

Torsten JEMT : En tant que dentiste prothésiste, je n’ai jamais posé d’implant, je me suis toujours focalisé sur la phase prothétique du traitement. Malgré tout, je me rappelle très bien de mon premier patient ayant reçu des implants il y a plus de 40 ans, que j’ai pu suivre pendant de nombreuses décennies. Cela faisait partie de ma formation de dentiste prothésiste à l’université de Göteborg. C’est aussi là que j’ai commencé à travailler avec le Pr Brånemark ou qu’il a commencé à collaborer avec moi. À l’époque, nous utilisions des pièces prothétiques et des implants différents mais, aujourd’hui, nous travaillons toujours avec les mêmes concepts biologiques. En 1982, ma première publication, dans le Journal of Prosthodontics, concernait la façon dont devait être conçue l’occlusion chez les patients édentés complets porteurs d’implant, un sujet très important à l’époque.

Quels conseils donneriez-vous à un praticien qui commence la chirurgie implantaire aujourd’hui ?

Tout d’abord, je suggère de prendre en considération la biologie et, de ce point de vue, de prendre conscience qu’un implant est bien différent d’une dent.

Ensuite, il faut écouter l’expérience des collègues en qui vous avez confiance et, enfin, choisir une situation clinique pour remplacer une prémolaire maxillaire sans nécessité d’augmentation de volume osseux, en utilisant un protocole fiable avec des bonnes marges de sécurité, et également envisager une implantation en 2 temps ou une mise en charge différée.

Il faut essayer de garder une approche biologique solide : plus vous serez prudent et moins vous prendrez de risques biologiques et techniques, meilleur en sera le résultat. Votre jugement et votre attitude sont les plus grands risques pour vos patients. Ne croyez pas tout ce que l’on vous dit ou ce que vous lisez à propos des implants, fiez-vous surtout à votre « bon sens » biologique.

CLINIC : Pouvez-vous nous rappeler votre première expérience en implantologie orale ?

Henri TENENBAUM : En tant qu’enseignant de parodontologie, j’ai consacré ma carrière à l’étude des tissus de soutien de la dent. En 1982, quand les premières publications de Brånemark ont été diffusées, on a découvert une implantologie sûre qui permettait d’obtenir des taux de succès importants. Ce que l’implantologie de l’époque ne permettait pas du tout.

En 1985, j’ai eu la chance de participer à une formation dirigée par Daniel Van Steenberghe à Louvain en Belgique pour apprendre à utiliser le système Nobel, seul système disponible à l’époque. Ceci a été une première expérience unique, d’autant plus qu’il fallait acquérir un équipement très onéreux après avoir reçu l’autorisation de l’utiliser par un expert de la marque. Cette façon de procéder indiquait l’exigence technique et technologique voulue par Brånemark lui-même. Quelques années plus tard, nous avons pu utiliser le système Straumann qui fut alors notre système de prédilection à la faculté de Strasbourg.

Depuis, j’ai toujours privilégié la mise en place d’implant dans un environnement parodontal assaini et optimal.

Quels conseils donneriez-vous à un praticien qui commence la chirurgie implantaire aujourd’hui ?

Choisir un cas simple pour son premier implant, en gardant en tête qu’il faut remplacer des dents absentes et éviter les alternatives prothétiques fixes sur support naturel et/ou amovible.

L’exigence de l’emploi du système Brånemark avait un intérêt indéniable qui était le compagnonnage. Chose que nous avons fait perdurer dans notre diplôme universitaire de Parodontologie et d’Implantologie, c’est-à-dire que l’équipe d’enseignants assiste les étudiants lors de toutes leurs chirurgies.

Ensuite, à propos des outils digitaux, il m’apparaît indispensable de savoir dépister quand le digital ne correspond pas à la réalité, savoir donc s’en rendre compte et savoir rectifier de façon plus traditionnelle. La main doit pouvoir corriger là où la planification est défaillante.

Enfin, dans la sélection des patients, le risque parodontal est l’élément indispensable à prendre en compte et à prendre en charge, ce qui demande un suivi encore plus vigilant. Cela en gardant l’objectif initial de la prise en charge parodontale, c’est-à-dire tenter de conserver les dents.

CLINIC : Pouvez-vous nous rappeler votre première expérience en implantologie orale ?

Steven ECKERT : J’ai été diplômé en 1977. À cette époque, l’implantologie orale ne présentait pas une bonne prédictibilité. J’ai débuté ma carrière de résident entre 1985 et 1988, période correspondant au tout début de l’implantologie moderne, celle de l’ostéo-intégration. L’histoire de ma rencontre avec P. I. Brånemark s’est faite à la clinique Mayo où il y donnait un cours. Au dîner, je fis sa rencontre avec celle qui deviendra mon épouse. Et il passa la soirée à discuter avec elle sans jamais aborder la dentisterie, ce fut une expérience unique. Malgré d’autres rencontres les années suivantes, ce fut le moment le plus long passé en sa présence.

Quels conseils donneriez-vous à un praticien qui commence la chirurgie implantaire aujourd’hui ?

Cela vous aidera d’avoir un mentor. Quelqu’un avec qui échanger, apprendre et partager.

Il est aussi important de savoir et de comprendre qu’il n’y a pas qu’un seul mentor, pas une seule personne qui détient le savoir. La savoir s’accroît, il existe plusieurs façons d’arriver à un résultat convenable.

Du point de vue du dentiste prothésiste, la possibilité implantaire rend des services tellement avantageux qu’il faut mettre le traitement en perspective au patient et lui faire comprendre l’enjeu d’un suivi régulier.

De plus, il apparaît aussi important d’identifier ses propres compétences et, surtout, ses propres limites. Il n’y a rien de mal de se retrouver face à ses limites. Au contraire, savoir vers qui orienter le patient quand la situation le requiert est une force. Il faut donc se constituer un réseau de partage de connaissances dans lequel chacun progressera.

Enfin, malgré la présence de structure de régulations comme la FDA (aux États-Unis), le choix de son système implantaire est un élément délicat et décisif.

Torsten JEMT a commencé à collaborer avec P. I. Brånemark en 1978 et a participé à la mise au point des premiers piliers individuels implantaires et des premières armatures en titane CFAO. Spécialisé en prothèse dentaire, il a cofondé la clinique Brånemark à Göteborg en 1986. Il en a été co-président jusqu’en 2000, puis président entre 2000 et 2009. Il a publié plus de 150 ouvrages scientifiques, donné des conférences dans le monde entier et il occupe actuellement un poste scientifique combiné à la faculté d’Odontologie en tant que professeur et coordinateur scientifique clinique au service de santé dentaire de la région de Västra Götaland, en Suède.

Henri TENENBAUM (France)

DCD, PhD, spécialiste qualifié en médecine bucco-dentaire, Professeur émérite de la faculté de Chirurgie dentaire de Strasbourg. Ancien responsable du département de Parodontologie, ancien Président de la section 57 du Conseil National des Universités, Membre de l’Unité INSERM 1260 Nanomédecine régénérative. Auteur d’ouvrages et de plus de 500 publications et communications nationales et internationales. Fondateur de la première formation universitaire en France de Parodontologie et d’Implantologie accréditée par l’EFP en 2010.

Steven ECKERT (États-Unis)

Après l’école dentaire en 1977, Steven E. Eckert a été résident au Mount Sinai Medical Center de Chicago et a enseigné la prothèse fixe à la Loyola University School of Dentistry tout en exercant en cabinet privé à Chicago. Il a été certifié en prothèse et a obtenu son Master à la Mayo Graduate School of Medicine, où il est maintenant professeur émérite. Le Dr Eckert est diplomate de l’American Board of Prosthodontics et membre de l’American College of Prosthodontists, de l’Academy of Prosthodontics, de l’Academy of Osseointegration et de l’American Academy of Maxillofacial Prosthetics. Il a siégé au conseil d’administration de l’American Academy of Maxillofacial Prosthetics et de l’Academy of Osseointegration et de l’Academy of Prosthodontics. Il a collaboré en tant que rédacteur en chef adjoint à The International Journal of Prosthodontics et The International Journal of Oral & Maxillofacial Implants, et comme rédacteur au Journal of Prosthetic Dentistry.