LAMBEAU DÉPLACÉ CORONAIREMENT BILAMINAIRE - Clinic n° 09 du 01/09/2021
 

Clinic n° 09 du 01/09/2021

 

Chirurgie

Parodontale

Julien MOURLAAS*   Benoit BERNAUD**   Marc GAUDIN***   Benjamin CORTASSE****  


*Ancien Résident Ashman Dept for Periodontology and Implant Dentistry, NYU. Exercice libéral limité à l’Implantologie et la Parodontologie, Orgeval.
**Exercice libéral, Saint-Chamond.
***Exercice libéral, Annecy.
****Exercice libéral limité à l’Implantologie et la Parodontologie, Pernes-les-Fontaines.

Le lambeau déplacé bilaminaire est souvent mal compris. C’est une technique dont l’efficacité est éprouvée et pourtant nombre d’entre nous sommes mal à l’aise avec sa mise en œuvre. Lorsque l’on parle de lever un lambeau de grande étendue par exemple, c’est une image brouillonne et sanguine qui imprègne l’esprit en plus du risque de morbidité. Pourtant, cette technique est la somme d’une multitude de temps chirurgicaux très précis qui, mis bout à bout, assurent un bénéfice indéniable : la possibilité de recouvrir des récessions radiculaires multiples, rapidement et avec une cicatrisation esthétique.

Dans le cadre du traitement des récessions, le but de la chirurgie plastique parodontale est d’obtenir le recouvrement radiculaire le plus important possible selon la situation clinique tout en assurant l’intégration esthétique des tissus greffés et manipulés. De nombreuses options ont été décrites pour satisfaire à cette exigence et, d’après le dernier consensus de l’AAP [1], les greffes de tissus conjonctifs constituent le gold standard. Parmi celles-ci, les lambeaux déplacés coronairement bilaminaires (associés à une greffe de tissu conjonctif) semblent assurer les meilleurs résultats en termes de recouvrement radiculaire et de gain de tissu kératinisé dans le traitement de récessions de Miller I et II unitaires et multiples [2].

La technique a fait l’objet de plusieurs évolutions significatives. En 2000, Zucchelli et De Sanctis [3] modifient le design initial du lambeau « en enveloppe » présenté par Raetzke [4] 15 ans plus tôt. Le tracé de papilles chirurgicales, déterminées à partir de la mesure de chacune des récessions, et la double dissection apicale du lambeau permettent un mouvement de rotation centré sur la papille inter-incisive et selon l’axe de la dent présentant la plus haute récession. Le rationnel est de limiter autant que possible le risque esthétique en supprimant les incisions de décharge. Des lambeaux mixtes, à une seule décharge, sont aujourd’hui décrits selon une approche micro-chirurgicale réduisant le risque de cicatrice [5]. La seconde évolution majeure intervient quelques années après seulement. En 2003, il est proposé de réduire la taille des greffons et de modifier leur positionnement apico-coronaire [6]. Un greffon plus fin et positionné apicalement à la jonction amélo-cémentaire (JAC) est moins à risque d’être exposé lors de la cicatrisation et assure un résultat esthétique plus satisfaisant. Dans cette technique, le greffon s’oppose au replacement apical des tissus lors de la contraction cicatricielle. Un greffon épais positionné au niveau de la JAC peut donc accentuer la tension qui s’exerce au niveau des papilles, points faibles et critiques des lambeaux repositionnés. Récemment, une variante a été proposée dans le traitement de récessions de Miller de classe IV [7] ou en régénération parodontale pour limiter l’impact esthétique du curetage chirurgical de défauts infra-osseux profonds [8].

La technique est donc incontournable et ses variantes (enveloppe, décharge rectangulaire, décharge triangulaire, fausse récessions, connective tissue graft wall technique) permettent de traiter efficacement une multitude de situations cliniques [9].

Cet article présente le temps par temps chirurgical du lambeau déplacé coronairement bilaminaire utilisé en présence de récessions multiples et adjacentes de Cairo I et II [10] au maxillaire.

TEMPS PAR TEMPS CHIRURGICAL

Remarque préalable : les photographies sont visualisées selon l’axe de travail du praticien.

Un patient se présente en consultation pour le traitement de récessions au maxillaire. La doléance est esthétique, il se plaint de dents « longues ». L’anamnèse médicale révèle que le patient est non fumeur, en bonne santé générale et qu’il ne suit aucun traitement médicamenteux. L’examen clinique montre des récessions de Cairo I et II de 16 à 26 incluses (figures 1 et 2).

La classification de Cairo, publiée en 2011, est particulièrement intéressante puisqu’elle donne un pronostic de recouvrement total en fonction de la perte d’attache proximale. C’est un premier niveau de lecture de la situation clinique, rapide et ne nécessitant qu’une sonde parodontale. Elle présente trois classes :

– classe I (RT1) : la perte d’attache est uniquement vestibulaire, la jonction amélo-cémentaire proximale n’est pas visible cliniquement. Le pronostic de recouvrement complet est de 74 % ;

– classe II (RT2) : la perte d’attache proximale est inférieure à la perte d’attache vestibulaire, la jonction amélo-cémentaire proximale est visible cliniquement. Le pronostic de recouvrement complet est de 24 % ;

– classe III (RT3) : la perte d’attache proximale est supérieure à la perte d’attache vestibulaire. Le pronostic de recouvrement complet est nul.

Il est proposé de réaliser un traitement de l’arcade complète en une fois par lambeaux déplacés coronairement bilaminaires. Bien qu’il n’existe aucun consensus à ce sujet, le patient est préalablement mis sous antibiothérapie (amoxicilline 1,5 g/j pendant 6 jours à partir de la veille) et corticothérapie (prednisolone 1 mg/kg/j en prise unique pendant 4 jours à partir de la veille).

Anesthésie

Une anesthésie (articaïne HCl avec adrénaline 1/100 000) traçante est réalisée, de distal des premières molaires en direction des incisives en coudant l’aiguille. Le but est de limiter autant que possible les perforations de la muqueuse par l’aiguille.

Design du lambeau : les papilles chirurgicales

Le temps par temps présenté ici est focalisé sur le secteur 1 mais l’intervention concerne l’arcade complète. La récession la plus haute est située sur la canine (figure 3). Le design du lambeau est donc réalisé à partir de 13 comme suit :

– mesure de la récession sur 13 : x mm ;

– report de cette mesure x + 1 mm sur les faces proximales mésiale et distale de 13 à partir du sommet de la papille mésiale et distale ;

– le même report est effectué pour chaque dent présentant une récession : la hauteur de récession augmentée de 1 mm est reportée sur la face mésiale pour les dents en mésial de 13 (12 et 11) et sur les faces distales pour les dents en distal de 13 (14 et 15) ;

– une incision en épaisseur partielle permet de connecter chaque report de longueur sur une face proximale au zénith de la récession de la dent adjacente (figure 4) ;

– la dissection est poursuivie jusqu’à une ligne imaginaire reliant les zéniths des récessions adjacentes.

Design du lambeau : levée en épaisseur pleine

Un micro-décolleur est ensuite utilisé pour lever le lambeau en épaisseur pleine en regard des dents (figure 5) jusqu’à 2/3 mm au-delà du contact osseux. Il est judicieux de commencer cette élévation par les extrémités du lambeau, là où les récessions sont les plus courtes et où la quantité de tissu kératinisé est la plus importante. L’élévation au collet de 13 est donc réalisée en dernier lorsque la laxité est maximale. Le lambeau n’a évidemment pas assez de laxité à ce moment pour se déplacer en coronaire (figure 6).

Design du lambeau : double dissection

Les tissus sont retenus au niveau de la ligne muco-gingivale (figure 7). La première dissection, dans un plan profond et parallèle au maxillaire, a pour but de libérer cette attache. Une lame 15C neuve est insérée de moitié environ (4 mm, la hauteur de la partie travaillante = 8 mm) et balaie les tissus des extrémités du lambeau vers son centre (figure 8). L’incision doit être aussi continue que possible. Immédiatement, le lambeau s’ouvre et on contrôle que l’attache tissulaire est rompue par le passage de la sonde parodontale en direction apicale (figure 9).

La deuxième dissection, dans un plan très superficiel, est quasiment perpendiculaire au maxillaire et doit permettre de libérer la muqueuse des insertions musculaires sous-jacentes. Une lame 15C neuve balaie les tissus à nouveau des extrémités du lambeau vers son centre, en soutenant la muqueuse le plus perpendiculairement possible au maxillaire (figure 10). Cette dissection est poursuivie très apicalement et étendue à la façon d’une enveloppe au-delà de 16 et 11.

Dans le même temps, les papilles centrale et distale de 16 sont tunnélisées.

Design du lambeau : désépithélialisation des papilles

Lors du déplacement coronaire du lambeau, les papilles chirurgicales sont suturées sur les papilles anatomiques. Celles-ci doivent donc être préalablement désépithélialisées. La pointe d’une lame 15C neuve permet de travailler la base des papilles aussi uniformément que possible (figure 11). Il est ensuite demandé à l’assistante de placer son aspiration au niveau du point de contact par abord coronaire. Le tissu à éliminer est maintenu en l’air par l’aspiration et le sommet de la papille est travaillé à l’aide de micro-ciseaux chirurgicaux (figure 12). Le lambeau est terminé (figure 13).

Préparation radiculaire

Une préparation mécanique et chimique des surfaces radiculaires est réalisée pour améliorer le recouvrement et limiter la formation d’une poche. Dans un premier temps, la partie exposée et sondable des racines est curetée (figure 14). Un gel d’EDTA 24 % (Prefgel, Straumann) est ensuite appliqué pendant 2 minutes (figure 15) puis rincé abondamment par une solution saline pendant 1 minute. Le rôle de l’EDTA fait l’objet d’une controverse actuellement mais le rationnel est d’exposer le collagène pour favoriser la stabilité du caillot.

Positionnement du greffon

Un greffon épithélio-conjonctif est prélevé au palais. Son épaisseur est d’environ 1,5 mm. Il est ensuite travaillé sur une compresse humide à l’aide d’une lame 15C neuve pour en éliminer l’épithélium et les éventuels amas graisseux. Son épaisseur finale est inférieure à 1 mm. Autant que possible, le greffon doit être placé légèrement sous la jonction amélo-cémentaire (JAC) (figure 16).

Une erreur commune à ce moment de la chirurgie est de placer le greffon coronairement à la JAC (figure 17).

Le greffon est stabilisé par deux points en O au niveau des papilles désépithélialisées à l’aide d’un fil de suture d’acide polyglycolique (PGA) tressé résorbable 7-0 et d’une aiguille de 8 mm Reverse Cutting 3/8 (Stoma) (figure 18).

Suture du lambeau

Des points suspendus sont réalisés depuis les extrémités du lambeau vers la canine qui est donc suturée en dernier. À titre d’exemple, voici la séquence du premier point :

– l’aiguille pique la papille chirurgicale distale de 11 maintenue en position coronaire idéale à l’aide d’une pince à disséquer diamantée ;

– l’aiguille traverse la papille anatomique et ressort en palatin ;

– elle passe sous le point de contact mésial de 11 par le chas ;

– l’aiguille pique la papille mésiale de 11 à sa base et ressort en palatin ;

– elle passe sous le point de contact distal de 11 ;

– le nœud est réalisé en faisant attention que le fil plaque les deux papilles en leur centre.

Un fil PGA tressé résorbable 6-0 et une aiguille 16 mm Reverse Cutting 3/8 sont utilisés (Hu-Friedy). Il est crucial de faire attention aux éléments suivants :

– placer le fil au centre de la papille autant que possible ;

– piquer en base de papille pour emporter un maximum d’épaisseur et réduire le risque d’exposition.

Si les points sont correctement réalisés, le lambeau sertit intimement les bombés cervicaux et il est possible de manipuler la joue et les lèvres sans mouvement du lambeau ni écoulement de sang aux collets (figure 19).

Post-opératoire et suivi

Le patient est libéré pour 10 jours. Pendant cette durée, il lui est demandé de ne pas brosser la zone greffée.

Le patient suit la prescription suivante :

– antibiothérapie à partir de la veille de l’intervention et à poursuivre sur 6 jours au total (pas de consensus à ce jour) ;

– corticothérapie : prednisolone, 1 mg/kg à partir de la veille et à poursuivre sur 4 jours au total ;

– paracétamol : 1 g toutes les 6 heures pendant 48 heures à partir de l’intervention ;

– Hyalugel spray : pulvérisation sur site greffé matin, midi et soir jusqu’à la dépose des sutures ;

– mélange d’une noisette de gel d’arnica et de 2-3 gouttes d’huile essentielle d’Helichryse en application cutanée en couche épaisse toutes les heures le jour même.

Le patient est revu à 10 jours pour dépose des sutures (figure 20). Il lui est ensuite demandé d’utiliser pendant 15 jours une brosse à dents post-opératoire. Le patient rentre ensuite dans une phase de maintenance à 6 mois. Conformément à ce qui est rapporté dans la littérature, la situation à 6 mois (figure 21) ne subit qu’une modification négligeable [11].

CE QU’IL FAUT RETENIR

• Le lambeau déplacé coronairement bilaminaire permet de traiter avec succès une situation présentant des récessions de Cairo I et II multiples. Certains points sont décisifs.

• Le design « en enveloppe » présenté dans cet article est applicable au maxillaire dans le cas de récessions multiples, adjacentes et hiérarchisées.

• L’utilisation d’aides optiques et d’instruments de micro-chirurgie est nécessaire pour pouvoir manipuler les tissus et les sutures.

• L’obtention de papilles chirurgicales ad integrum et celle d’une laxité suffisante pour déplacer les tissus sans tension sont les deux éléments clés de cette technique.

• Le greffon ne recouvre pas les récessions, il s’oppose au replacement apical du lambeau lors de la cicatrisation, il est donc placé sous la JAC.

• Les sutures, réalisées selon une séquence précise, placent les tissus sans les tracter.

• La sélection du patient est déterminante et sa capacité à suivre strictement les conseils post-opératoires est décisive.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 11. Jepsen K, Stefanini M, Sanz M, Zucchelli G, Jepsen S. Long-term stability of root coverage by coronally advanced flap procedures. J Periodontol 2017;88:626-633. [doi: 10.1902/jop.2017.160767]

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.