APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE D’UN CAS CLINIQUE COMPLEXE DE LA PRISE DE DÉCISION AU PLAN DE TRAITEMENT - Clinic n° 10 du 01/10/2021
 

Clinic n° 10 du 01/10/2021

 

Pluridisciplinaire

Florian NADAL  

Exercice libéral, Foix.

De nombreuses publications, dans les revues spécialisées, les livres ou, plus récemment, sur les réseaux sociaux, détaillent de façon exhaustive la plupart des techniques à notre disposition pour traiter nos patients.

Mais la clé de voûte d’une thérapeutique reste l’élaboration du plan de traitement, pas simple à appréhender et peu souvent décrit. Le cas clinique présenté détaille un mode de réflexion, dans une approche globale, pour aborder un cas complexe et le résoudre.

Une patiente de 54 ans nous est adressée par son praticien pour des mobilités dentaires et des pertes de substances dentaires prématurées sur ses dents maxillaires notamment. Lors de la consultation, le motif de la demande de la patiente est repris et elle souhaite également une prise en charge esthétique.

La difficulté de ce cas clinique est la combinaison d’une usure avancée avec une parodontite stade 3 généralisée grade B [1].

ÉLABORER LE PLAN DE TRAITEMENT

Lorsque le praticien est confronté à un cas qu’il juge complexe, il est souvent difficile d’établir un projet de traitement lors de la première consultation.

La première consultation permet de recueillir les éléments cliniques et paracliniques et de réaliser éventuellement les examens complémentaires nécessaires (radiographies, 2D, 3D, empreintes physiques ou numériques, etc.). Un bilan photographique doit être systématisé avec un protocole simple, rapide et reproductible pouvant être réalisé en quelques minutes (figures 1 à 5) [2].

Le protocole est défini avec l’équipe soignante et le matériel doit être disponible immédiatement lors du bilan initial (écarteurs photographiques, contrastors, miroirs…).

Le patient pourra être revu lors d’un second temps si nécessaire, lorsque la complexité du cas nécessite une réflexion plus approfondie ou d’autres examens complémentaires (prise d’arc facial, vidéos, etc.).

Un temps imparti pour la réflexion concernant les travaux sur les cas complexes doit être défini dans le planning hebdomadaire du praticien, en disposant de préférence du bilan photo/radiographique. Ce créneau permet d’élaborer le ou les plans de traitement de façon sereine et d’effectuer une estimation des honoraires associés.

Pour les cas pluridisciplinaires ou qui demandent du temps pour évaluer le pronostic de certaines dents ou la compliance du patient, il peut être judicieux de rédiger un devis provisoire (phases de stabilisation parodontale, prothèses temporaires, etc.).

PHASE PRÉCLINIQUE

De nombreux logiciels sont aujourd’hui disponibles pour nous aider à bâtir un projet de traitement global (Digital Smile Design®, projets virtuels par des logiciels tels que PowerPoint®, Smilecloud®, etc.) et ce, parfois, en quelques minutes avec des photographies précises [3].

Cela a été le cas ici afin de prévoir des élongations coronaires notamment et retrouver une courbe esthétique frontale et un alignement des collets (figure 6). En effet, des égressions compensatoires par le biais de l’usure, associées à une inflammation gingivale, ont modifié la ligne des collets.

1RE PHASE CLINIQUE

Un bilan parodontal va précéder toute thérapeutique afin d’évaluer les facteurs de risque ainsi que la possibilité de diminuer les mobilités dues aux pertes d’attaches, accentuées par des traumas occlusaux, de mettre fin aux saignements et d’assainir le parodonte. Un microscope à contraste de phase nous permet très simplement d’évaluer l’activité microbiologique (figure 7) et un statut parodontal avec des radiographies rétro-alvéolaires est réalisé. Le sondage en début de traitement n’est pas systématique dans notre pratique compte tenu de l’inflammation gingivale importante à cet instant.

Deux séances de débridement parodontal vont nous permettre d’évaluer l’observance de la patiente, la réponse du parodonte au traitement et la diminution des mobilités. Ces phases de temporisation et de réflexion sont indispensables lors de traitements complexes pour obtenir l’adhésion du patient aux séances thérapeutiques et valider notre plan de traitement. Cette phase a duré 4 mois pour ce cas (figures 3 à 8).

Les séances de débridement parodontal ont consisté en un assainissement parodontal non chirurgical, associé à des soins locaux antiseptiques quotidiens réalisés par la patiente elle-même, à raison de 2 fois par jour (figure 9).

2E PHASE CLINIQUE

La première phase clinique ayant été validée avec une amélioration de l’état parodontal, le projet esthétique est repris. Grâce au guide de gingivectomie issu du projet virtuel [4] et fourni en fichier STL prêt à l’impression par le logiciel Smilecloud®, une gingivectomie modérée, associée à une élongation coronaire, est réalisée. Après avoir levé un lambeau de pleine épaisseur, un assainissement parodontal permet d’éliminer les calculs tartriques restants en vision directe.

Nous utilisons des fraises Komet® H207D.316.012 pour les élongations coronaires sur contre-angle bague rouge ayant un marquage laser à 3 mm de la partie travaillante.

Les préparations pour les restaurations adhésives en céramique sont réalisées sur dents vivantes dans la même séance et les sutures 6/0 monofilament sont placées avant la temporisation par résine bis-acryl (figures 10 à 15).

Il est à ce stade primordial de s’assurer que la patiente puisse continuer à assurer les soins antiseptiques locaux par le passage de brossettes interdentaires, avec le mock up en place.

Après 2 mois de plus de cicatrisation, la suite du traitement peut avoir lieu. L’ensemble de ce traitement est effectué uniquement avec des empreintes numériques (Caméra iOS iTero® Element 2).

De façon un peu exceptionnelle, il est décidé de réaliser les restaurations d’usage maxillaire avant de traiter la mandibule. En effet, nous souhaitions éviter un port trop long de résines provisoires maxillaires.

De façon plus conventionnelle et si l’on se réfère à l’article princeps de Vailati [5], les secteurs postérieurs maxillaires et mandibulaires sont, en règle générale, traités en premier.

Un implant (Zimmer Biomet TSV® 4,1 × 11,5) a été posé en 15 pour supprimer le cantilever distal à risque mécanique important (14 et 15 étaient jumelées avec absence de la 15). La technique bilaminaire ou 3 steps est mise en place pour une conservation maximale des tissus dentaires. La perte tissulaire par érosion est importante en palatin, les sensibilités aux stimuli (froid) sont très importantes et invalidantes pour la patiente.

Une préparation palatine a minima avec une limite proche du bord gingival de type congé est réalisée [6]. Aucune autre forme de préparation palatine n’est faite, le laboratoire exploitera l’empreinte numérique pour reconstruire les tissus manquants avec des facettes palatines en composite usiné et maquillé (figure 16). Dans ce cas clinique, le composite Cerasmart® GC est utilisé. Les blocs de composite CFAO peuvent s’usiner dans de faibles épaisseurs ; les retouches occlusales en sont également facilitées.

La précision de l’isolation est primordiale. Après assemblage des facettes palatines, un nouveau wax up a été demandé au laboratoire et nous permet de réaliser un second mock up de 14 à 24 sur les faces vestibulaires uniquement.

La préparation des faces vestibulaires se fait selon la technique décrite à travers le mock up de façon à calibrer les préparations et à conserver le maximum de tissus [7]. Des fraises calibrées Komet® 868A.314.021 sont utilisées puis des fraises à congé, granulométrie verte puis rouge, permettent de finir les préparations. Les dents sont bien entendu toujours vitales. La communication avec le laboratoire passe par la prise de couleur des futures restaurations mais également par la transmission de la couleur du substrat (Teintier Ivoclar Natural Die®) ; le prothésiste pourra ainsi affiner son choix du lingot pour les pressées de céramique (figure 17).

L’essayage des biscuits pour les reconstructions esthétiques est systématique afin de valider les proportions et la couleur. Pour ce cas clinique, on visualise davantage au travers des photographies cliniques l’harmonie de la courbe esthétique frontale avec la courbure de la lèvre inférieure, la fermeture insuffisante de l’embrasure cervicale médiane et la longueur insuffisante de la 14, couronne sur implant.

La transmission des photographies à la patiente lors de l’essayage permet d’avoir un retour rapide des impressions « à froid » du nouveau sourire et de l’avis des proches (figures 18 et 19).

Les restaurations en céramique peuvent donc être modifiées et achevées au laboratoire afin d’optimiser les états de surface. Elles seront ensuite assemblées sous champ opératoire.

Notre séquence clinique habituelle – qui est à modérer selon les épaisseurs – pour les facettes en céramique est de les assembler au composite réchauffé (Calset, composite de restauration Essentia® GC) 2 par 2, incisives centrales, canines puis incisives latérales [7].

Des bandes de matrices métalliques permettent de protéger les dents adjacentes lors du sablage (Aquacare Twin®). Ce type de sableuse permet une micro-abrasion pour préparer les tissus dentaires ; une solution hydroalcoolique Aquasol® permet le nettoyage optimal des tissus en favorisant l’élimination et la projection des particules d’oxyde d’alumine (figures 20 à 22).

3E PHASE CLINIQUE

Avant le traitement mandibulaire et afin d’assurer une stabilité parodontale et de contrevenir à une occlusion encore imparfaite, une gouttière maxillaire nocturne de contention, confectionnée par thermoformage sur les derniers modèles imprimés, a été placée.

Les secteurs postérieurs maxillaires sont ensuite traités : tout d’abord les anciens composites, amalgames et tissus carieux résiduels sont déposés sous champ opératoire puis le scellement dentinaire immédiat (IDS) est effectué.

Le protocole d’IDS choisi dans ce cas clinique, compte tenu des sensibilités existantes, fait appel à un adhésif auto-mordançant SAM2 Clearfil SE Bond® de Kuraray. Un composite fluide Génial flow® GC est déposé sur l’adhésif puis polymérisé sous un gel de glycérine. Les préparations pour overlays seront ensuite terminées [8] (figures 23 à 25).

Une nouvelle séance clinique permettra de venir assembler les 6 overlays postérieurs. Dans ce cas, il s’agit d’overlays également en Cerasmart® GC assemblés sous digue multiple, secteur côté droit puis côté gauche.

Nous choisissons de préférence la digue Nictone® en épaisseur heavy qui permet de mettre à distance les tissus, d’assurer une étanchéité parfaite et d’éviter des risques de déchirure lors du sablage ou des phases de polissage.

4E PHASE CLINIQUE

La dernière phase du traitement a consisté à réaliser des composites stratifiés en méthode directe, afin de rallonger les dents du bloc incisivo-canin mandibulaire et de retrouver un guide antérieur efficace.

La patiente n’a pas souhaité réaliser d’alignement dentaire mandibulaire. Nous le lui avons proposé pour diminuer l’encombrement et avoir un meilleur résultat esthétique mais le coût déjà important du traitement, le surplus de durée du traitement d’alignement et la faible visibilité des dents mandibulaires dans le sourire lui ont fait renoncer à cette option thérapeutique.

Un wax up préalable a été monté par le laboratoire à partir des nouvelles empreintes. Une clé en silicone linguale réalisée au cabinet sur le wax up nous permet de stratifier le composite [9]. Notre choix s’oriente pour le composite : pour quelles raisons ?

• Il n’y a aucune préparation des tissus, simplement un léger sablage de surface par Aquacare®.

Des préparations pour facettes nous donneraient un résultat plus pérenne probablement dans le temps mais seraient trop mutilantes. Le respect du gradient thérapeutique oriente souvent notre choix pour des composites stratifiés ou injectés dans le secteur antérieur mandibulaire pour des raisons de rapidité de la méthode, de coût également et d’un service esthétique rendu qui semble convenir à la plupart de nos patients (figure 26).

• Il est souvent nécessaire de procéder à 1 ou 2 séances de polissage supplémentaires mais les retouches sont rapides, qu’elles soient additives ou soustractives, pour ajuster l’occlusion [10].

En fin de traitement, un nouvel examen parodontal est réalisé : bilan de sondage, bilan radiographique sur les dents ayant nécessité une attention particulière et nouvel examen microbiologique au microscope à contraste de phase. Ceci pour s’assurer de la fermeture des poches et de l’absence de saignement et de mobilité (figures 27 à 31). Nous donnons aussi à la patiente des conseils à réaliser pour la maintenance (prescriptions des brossettes inter-dentaires adaptées, type et fréquence des soins antiseptiques)

Une contention maxillaire collée de canine à canine en palatin assurera l’absence de migrations éventuelles secondaires et la stabilité du traitement (figures 32 et 33).

DISCUSSION

La prise en charge de cas cliniques complexes est toujours un défi. Le praticien est architecte du projet de traitement, décideur et réalisateur des étapes cliniques en collaboration avec son équipe, les assistantes, le laboratoire de prothèse (Prothesia Mickael Griet) et avec les patients qui doivent aussi être acteurs afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles et les maintenir dans le temps.

La difficulté de ce cas clinique a été de savoir si la solidarisation des dents maxillaires était d’emblée indispensable, si leur conservation était tout simplement possible. Ce type de plan de traitement nécessite du temps afin d’apprendre à connaître le patient, d’obtenir sa confiance et son adhésion dans toutes les phases cliniques.

Le choix de réalisation de la technique bilaminaire est discutable. La conception des doubles facettes par rapport à des préparations périphériques est motivée par la conservation maximale des tissus existants. En effet, la quasi-absence de préparation palatine et la conservation des faces proximales n’affaiblissent en rien la structure de la dent. La décision de maintien des dents existantes n’a pu être possible qu’après une thérapeutique initiale parodontale, dans laquelle la patiente joue un rôle important en observant les recommandations qui lui sont données.

La résolution de cas complexes tels que celui-ci doit reposer sur une réflexion tel un « architecte » du plan de traitement global, en s’appuyant sur tous les outils à notre disposition (projets virtuels, photographie, radiographies, etc.).

Simplifier la réalisation des multiples étapes cliniques par une planification initiale est essentiel.

BIBLIOGRAPHIE

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Liens d’intérêts

L’auteur déclare des liens d’intérêts avec Zimmer Biomet en tant que conférencier et déclare que le contenu de cet article ne présente aucun lien d’intérêts.