CHAMP OPÉRATOIRE EN PROTHÈSE - Clinic n° 10 du 01/10/2021
 

Clinic n° 10 du 01/10/2021

 

Prothèse

Fixée

Anne-Sophie VAILLANT*   Pascale CORNE**  


*MCU-PH en prothèse, Faculté d’Odontologie de Lorraine, Service d’Odontologie, CHRU de Nancy.

En ces temps de crise sanitaire, l’avantage majeur de la pose du champ opératoire est la réduction de près de 98 % de l’aérosolisation bactérienne et virale.

PROTOCOLE

• Étape 1. Proposition d’indication des crampons à titre indicatif (figure 1).

• Étape 2. Il doit pouvoir se positionner en dessous de la ligne de plus grand contour (figure 2).

• Étape 3. La mobilisation du crampon avec les doigts ne doit pas compromettre la stabilité du crampon (figure 3).

• Étape 4. L’utilisation du gabarit permet d’assurer la position du champ opératoire en fonction des tissus périphériques. Sinon, une position centrale au sein de la feuille permet d’obtenir une largeur constante et d’éviter de devoir trop tirer sur la feuille lors du positionnement du cadre. Au moment de la perforation de la feuille, il faut s’assurer que cette dernière a été parfaitement découpée par la pince emporte-pièce en regardant par en dessous. La perforation doit être parfaitement ronde et sans encoche pour éviter une déchirure (figure 4).

• Étape 5. La feuille de digue est tendue et positionnée autour du crampon.

Cette dernière doit se trouver intégralement sous le crampon. Pour ce faire, il est souvent nécessaire de repositionner le crampon pour permettre le passage de la feuille sous les mors (figure 5).

• Étape 6. La mise en place de cordonnet élastique est une étape accessoire (figure 6).

• Étape 7. Le cadre à digue doit être disposé de façon à ce que tous les tissus péribuccaux (lèvres et nez) soient écartés du site opératoire (figure 7).

• Étape 8. Les ligatures sont placées dans l’espace sulculaire à l’aide d’une spatule à bouche et bien serrées afin d’assurer une bonne étanchéité sous le crampon (figure 8).

• Étape 9. Le Teflon® permet ainsi de protéger la dent adjacente de la procédure de collage (figure 9).

• Étape 10. La pièce prothétique doit parfaitement s’adapter sans être gênée par le crampon, la ligature ou le Teflon® (figure 10).

POUR ALLER PLUS LOIN

Décrite en 1864, le champ opératoire en odontologie, ou digue, est une technique permettant d’isoler une ou plusieurs dents du reste de la cavité buccale. Ce dispositif permet ainsi au praticien de réaliser ses soins à l’abri de la salive ou d’autres perturbateurs et assure une sécurité au patient. Son usage reste pourtant controversé : ses partisans ne peuvent pas s’imaginer travailler sans alors que ses opposants la dénigrent avec force, argumentant une mise en place fastidieuse et contraignante. Qu’apporte réellement la mise en place du champ opératoire ? Dans quelle condition est-elle réellement indispensable ? Et surtout, est-il possible de simplifier son utilisation en prothèse ?

QUAND DEVONS-NOUS POSER UN CHAMP OPÉRATOIRE ?

En ces temps de crise sanitaire, l’avantage majeur de la pose du champ opératoire est la réduction de près de 98 % de l’aérosolisation bactérienne et virale [1-3] pour le praticien. La COVID-19 a ainsi permis de démocratiser davantage l’utilisation du champ opératoire en France. Il protège ainsi tout autant le patient que le praticien des risques d’exposition tout en procurant un meilleur confort de travail. En effet, en repoussant les tissus mous, le champ opératoire améliore la vision de la dent à traiter pour le praticien [4] et optimise sa concentration [5]. Le praticien peut ainsi réaliser son acte sans songer aux risques de contamination de la zone traitée, et ce même au cours d’un protocole opératoire long [5] car il contraint notamment le patient à ne pas pouvoir refermer la bouche [6]. Il aide parfois ce dernier à limiter son réflexe nauséeux [7] en facilitant sa déglutition. La digue, en plus de réduire drastiquement le risque d’ingestion ou d’inhalation d’instruments [5], permet aussi l’utilisation de certains matériaux pouvant avoir des effets délétères s’ils sont mis en contact par inadvertance avec certains tissus de la cavité orale (comme les agents érosifs et/ou abrasifs, acide fluorhydrique par exemple, utilisés dans le traitement des anomalies de structures dentaire) [8, 9]. Malgré l’encombrement ressenti par le patient par la mise en place du champ opératoire, son utilisation peut contribuer à la diminution du stress du patient qui perçoit l’acte comme moins invasif [5]. La digue, qui limite le taux d’humidité au contact de la dent direct (fluide gingival, sang, salive) et indirect (respiration) à celui de l’environnement du cabinet [10], facilite l’assemblage des restaurations collées qui présentent ainsi un taux de succès statistiquement plus élevé que celles posées sans champ [11]. En effet, les matériaux composites de collage, globalement hydrophobes, voient leurs capacités améliorées par l’isolation étanche de la zone à traiter.

QUELS MATÉRIAUX POUVONS-NOUS UTILISER ?

La mise en place du champ opératoire consiste à isoler une partie de la cavité orale à l’aide d’une feuille de digue maintenue par différents dispositifs (crampons, ligatures ou cordons élastiques type Wedjet®). Les feuilles de digues sont commercialisées sous différents formats et en plusieurs épaisseurs mais leur différence majeure réside en la présence ou non de latex dans leur composition. Les feuilles à base de latex sont ainsi les plus utilisées. Elles sont de préférence épaisses pour limiter le risque de déchirure et offrent les meilleures propriétés d’élasticité en procurant une forte rétraction des tissus mous périphériques. On privilégie l’utilisation de feuilles fines pour les isolations unitaires [10] dont l’impact de l’épaisseur du champ opératoire sur les zones proximales sera ainsi moindre. En cas de risque d’allergie au latex, l’alternative est l’utilisation de feuille en silicone [12, 13], plus épaisses mais plus élastiques. Elles permettent une rétraction des tissus mous gingivaux moins importante [14] pour un encombrement plus conséquent mais un risque de déchirure moindre.

COMMENT CHOISIR SON CRAMPON ?

Il est intéressant de comprendre le rôle de chaque crampon ou clamp, ses points forts et ses faiblesses, afin de pouvoir faire son choix en fonction de la situation clinique. Les parties remarquables d’un crampon sont l’arceau (bracket), les points d’ancrage (tips), les ailettes latérales et éventuellement les ailettes antérieures (figure 11).

Les crampons sont préférentiellement en acier inoxydable mais ils existent aussi en acier plaqué ou en plastique. Leurs passages répétés à l’autoclave ne semblent pas affecter leur solidité [15] mais, à force d’être écartés puis resserrés, ils finissent tout de même par s’user au bout d’un certain temps. On dénombre plus d’une cinquantaine de morphologies différentes auprès des fabricants pour convenir aux différentes situations possibles [14], chacun proposant sa propre classification (couleur, numéro, lettre) [16]. Le choix du crampon dépend ainsi de la situation clinique, de la technique utilisée mais surtout des préférences de l’opérateur car il n’existe pas de règle absolue concernant le choix du clamp [5, 16, 17]. Le but est de choisir le crampon permettant la mise en place d’un champ opératoire étanche et stable. Il est donc opportun de s’assurer de la stabilité du crampon avant la mise en place du champ opératoire. Pour ce faire, une fois positionné sur la dent à traiter, ce dernier doit être légèrement mobilisé pour valider son choix [18]. Il doit ainsi être correctement positionné (en dessous de la ligne de plus grande convexité de la dent) [12, 19], être parfaitement stable sans risque de rotation pour assurer une rétention suffisante de la feuille de digue [20]. Dans les cas les plus extrêmes, il est aussi possible de le positionner sur la gencive. Une anesthésie est alors obligatoire pour soulager le patient et on utilisera préférentiellement des crampons à mors plongeants (figure 12).

Il existe deux familles de crampons, les crampons avec ou sans ailettes (figure 13), qui vont influencer la technique de mise en place du champ opératoire. Les crampons avec ailettes vont permettre de positionner le champ opératoire en une seule étape. La feuille de digue est ainsi directement placée sur le crampon et l’ensemble est positionné dans la bouche du patient. Cette technique limite les risques de déchirure mais complexifie la pose du crampon digue en place en diminuant l’accès visuel. Les crampons sans ailette nécessitent une pose de champ opératoire en deux temps avec risque de déchirure plus important. La mise en place de la feuille de digue se fait alors directement en bouche, parfois avec clamp déjà en place sur la dent [18]. Dans ce cas, il est plus aisé d’installer le champ opératoire à 4 mains (une personne pour la mise en place de la feuille, l’autre pour le positionnement du crampon).

QUELLE EST LA TECHNIQUE DE POSE IDÉALE : UNITAIRE OU PLURALE ?

La mise en place du champ opératoire peut être réalisée soit en technique unitaire (seule la dent concernée est isolée), soit en technique plurale (plusieurs dents sont isolées). La technique unitaire est à privilégier dès que possible en prothèse car non seulement elle permet d’isoler la dent à traiter mais elle limite également les excès de colle en proximal particulièrement difficiles à retirer après polymérisation. En revanche, il faut impérativement vérifier avant collage que la pièce prothétique s’insère parfaitement malgré l’épaisseur de digue. Cette technique n’est toutefois indiquée que pour les assemblages de pièces prothétique sur secteur cuspidé car, en secteur antérieur, la visibilité des dents adjacentes est nécessaire pour le positionnement des restaurations collées de type facettes.

La présence de limites prothétiques basses et/ou un collage en secteur antérieur requièrent préférentiellement une mise en place de champ opératoire en technique plurale. Cette méthode, légèrement plus fastidieuse car nécessitant plusieurs ligatures, est toutefois plus reproductible et s’adapte à toutes les situations cliniques. La dent traitée n’est plus obligatoirement impactée par la présence du clamp qui est positionné de préférence sur une dent plus distale. Plus le nombre de dents isolées est important, plus le champ opératoire est stable avec une tension sur la feuille de digue moins importante sur la dent à traiter. La mise en place d’une technique plurale permet ainsi l’assemblage de plusieurs éléments prothétiques et facilite le contrôle visuel du positionnement d’une restauration peu stable (telle qu’une facette). Toutefois, il faudra veiller à isoler les dents adjacentes au collage par la mise en place de bandes de Teflon® sur les zones proximales qui limiteront les excès de colle à ce niveau.

LE CHAMP OPÉRATOIRE EST-IL RÉELLEMENT INDISPENSABLE LORS D’UN COLLAGE EN PROTHÈSE ?

La mise en place d’un champ opératoire n’est pas aisée, nécessite un certain apprentissage et requiert quand même un peu de patience [3]. Il n’est pas rare de voir des vidéos ou formations en ligne ne préconisant pas sa mise en place pour un collage en prothèse. Mais, compromettons-nous réellement les chances de succès sans mise en place du champ opératoire ?

En fonction du contexte clinique et des matériaux utilisés, la réponse est « oui » car les matériaux de collage sont majoritairement hydrophobes. Un collage en présence d’humidité est ainsi de moindre qualité qu’un collage réalisé avec humidité contrôlée [11]. Toutefois, la réponse peut être nuancée par la diversité des matériaux de collage présents. Ainsi, l’utilisation de colles sans potentiel adhésif – qui nécessitent une préparation des structures dentaires par mordançage, rinçage, séchage, puis mise en place de primer et d’adhésif avec photo-polymérisation avant mise en place de la colle – requiert un champ opératoire étanche afin de réaliser chaque étape correctement. A contrario, une colle auto-adhésive qui ne nécessite ni préparation des structures dentaires ni application d’adhésif peut être utilisée sans champ opératoire. Dans ces conditions, une assistante dentaire dédiée à la protection du site opératoire – avec mise en place d’une double aspiration couplée à la mise en place de cotons salivaires – pourra limiter le taux d’humidité direct durant le court laps de temps opératoire. L’idéal étant la mise en place d’un champ opératoire pour tout collage, il peut arriver que certaines situations cliniques soient particulièrement complexes à isoler (limite infra-gingivale sur dent distale). Dans ces cas, il conviendra éventuellement de rectifier la thérapeutique choisie par une restauration qui ne requiert pas un assemblage par collage.

BIBLIOGRAPHIE

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Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun liend’intérêts.