Revue systématique sur le développement, les applications et la performance de l’intelligence artificielle en médecine bucco-dentaire - Clinic n° 11 du 01/11/2021
 

Clinic n° 11 du 01/11/2021

 

Revue de presse

Internationale

Philippe FRANÇOIS  

L’intelligence artificielle est certainement l’un des sujets « techno » les plus tendances actuellement bien qu’elle ne soit pas récente car elle a été proposée dès 1955 par John McCarthy. Celle-ci est présente actuellement dans de nombreux domaines, dont la santé, et commence déjà à la révolutionner. Prenons l’exemple de la dermatologie parmi tant d’autres : actuellement, à partir d’une simple image prise à l’aide d’un smartphone, certains algorithmes ont...


L’intelligence artificielle est certainement l’un des sujets « techno » les plus tendances actuellement bien qu’elle ne soit pas récente car elle a été proposée dès 1955 par John McCarthy. Celle-ci est présente actuellement dans de nombreux domaines, dont la santé, et commence déjà à la révolutionner. Prenons l’exemple de la dermatologie parmi tant d’autres : actuellement, à partir d’une simple image prise à l’aide d’un smartphone, certains algorithmes ont des performances comparables - voire légèrement supérieures - au spécialiste pour suspecter la présence d’une lésion maligne.

Cela crée certes de nouveaux problèmes éthiques mais cet exemple nous fait prendre conscience de tout son potentiel dans le monde de la médecine bucco-dentaire. Quel orthodontiste n’a pas rêvé de prédire « au plus près » les déplacements dentaires potentiels de ses patients ? Quel omnipraticien n’a pas douté plusieurs secondes devant une radiographie afin de savoir si une lésion carieuse pouvait être suspectée ? Quel patient ne souhaiterait pas avoir un pronostic précis de chacune des interventions planifiées sur ses dents ? Ces trois exemples parmi tant d’autres justifient la volonté de faire le point sur ce sujet mal connu dans notre profession afin d’identifier les potentialités futures de l’intelligence artificielle mais aussi pour certains algorithmes déjà développés, d’analyser leurs performances. Cela permettra également à chacun d’entre nous, selon ses tropismes, d’imaginer à plus ou moins long terme un futur exercice mieux assisté pour donner les meilleurs diagnostics et soins à nos patients.

OBJECTIF DE L’ÉTUDE

Cette revue systématique vise à référencer et analyser les publications disponibles sur l’intelligence artificielle en médecine bucco-dentaire. Elle se propose également de dégager des tendances et d’identifier des axes d’amélioration pour les prochaines années.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Cette étude vise à investiguer le développement de l’intelligence artificielle en médecine bucco-dentaire à partir de publications scientifiques en anglais parues ces vingt dernières années.

La méthode PICO - population, intervention, comparateur, critère de jugement (outcome) - a été utilisée pour formuler clairement la question de recherche. De plus, les recommandations PRISMA ont été utilisées pour la rédaction de cette revue. De nombreuses bases de données couramment utilisées en médecine bucco-dentaire, incluant PubMed, ont été consultées afin de recueillir le plus d’études possibles. Des critères de sélection cohérents ont été appliqués afin de déterminer quels articles seraient analysés : 43 articles ont finalement été inclus.

Le respect de l’ensemble de ces points garantit au papier une certaine qualité.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

L’un des premiers points marquants de cette revue est que l’intelligence artificielle a rencontré un engouement scientifique plus tardif en médecine bucco-dentaire que dans d’autres branches médicales. Ce n’est, a fortiori, qu’à partir de 2017 qu’une croissance exponentielle de publications sur ce sujet a pu être notée.

De façon attendue, à la vue de l’évolution récente des logiciels dans ces deux disciplines, ce sont dans le domaine de l’imagerie (18 études) et de l’orthodontie (11 études) que le plus grand nombre d’études a été retrouvé.

• En imagerie, cette intelligence artificielle a montré une performance similaire à celle des experts afin de reconnaître spécifiquement une dent, d’identifier une lésion carieuse quelle que soit sa situation ou encore d’identifier des pathologies osseuses (ostéoporose), des syndromes (Sjögren) ou des lésions malignes.

• En orthodontie, c’est dans l’établissement des plans de traitement (comme la création des tracés céphalométriques) et les décisions d’éventuelles interventions chirurgicales pré-orthodontiques (dents à extraire, chirurgies osseuses…) qu’elle a montré des résultats très prometteurs.

D’autres domaines de la médecine bucco-dentaire, cependant moins étudiés, ont également vu le développement d’algorithmes dédiés avec succès, essentiellement dans le domaine du diagnostic ou de la planification comme l’endodontie (5 études), la parodontie (4 études), la médecine légale (3 études) et la chirurgie maxillo-faciale (2 études).

Il est à noter que certaines disciplines cliniques semblent à l’écart de ces développements comme l’odontologie pédiatrique ou, de façon extrêmement étonnante (lorsqu’on sait sa proximité avec la dermatologie), la pathologie orale.

CONCLUSION

L’intelligence artificielle, bien que développée depuis peu dans notre domaine avec un faible nombre d’études, montre déjà des intérêts potentiels dans l’amélioration de la précision du diagnostic, lors de l’établissement du plan de traitement ou de l’évaluation de son pronostic. Son implémentation dans nos cabinets représente également un potentiel gain de temps pour le praticien (qui à tout instant peut comparer son avis d’expert) et de sécurité pour le patient (qui reçoit presque un « double-avis » homme-machine).

Le chemin est encore long pour imaginer l’ensemble des disciplines concernées par l’intelligence artificielle dans un futur proche : l’imagerie et l’orthodontie seront à coup sûr les premières disciplines à systématiser son utilisation.

Pour finir avec une touche positive et humaniste, il est cependant à noter que, lors de l’analyse de la performance de ces systèmes, la plupart d’entre eux donnent des résultats comparables et non supérieurs à ceux donnés par des spécialistes qualifiés : ils ne visent donc pas à remplacer l’homme à terme mais ils l’assisteront afin de gagner en efficience et en reproductibilité dans son travail.

PERTINENCE CLINIQUE

- L’intelligence artificielle est une révolution programmée qui bouleversera nos habitudes cliniques.

- Le domaine du diagnostic semble le plus concerné par les progrès effectués ces dernières années : il est extrêmement probable de voir apparaitre prochainement des logiciels d’aide au diagnostic et à la planification du plan de traitement.