RESTAURATIONS POSTÉRIEURES DIRECTES GESTION DE L’OCCLUSION - Clinic n° 02 du 01/02/2022
 

Clinic n° 02 du 01/02/2022

 

Occlusodontie

Mickael COTELLE  

Ancien attaché au Service de Chirurgie maxillo-faciale, CHRU de Lille. Chargé d’enseignement, DU d’implantologie de Lille. Président du CNO Nord, Secrétaire national du CNO. Exercice libéral en occlusodontie exclusive, Arras.

À l’heure où la CFAO prend de plus en plus de place dans l’exercice quotidien, il reste des indications de restaurations directes qui permettent de mettre en pratique le côté artistique de la profession, en recréant une face occlusale s’intégrant dans l’occlusion statique mais aussi dynamique du patient [1].

L’enseignement universitaire et/ou post-universitaire permet de maîtriser parfaitement la morphologie occlusale de...


Résumé

L’évolution des connaissances, des matériaux et des techniques permet aujourd’hui de réaliser des restaurations postérieures directes pérennes. Assez curieusement, l’étape du réglage occlusal continue de provoquer une certaine inquiétude, des interrogations, voire des réactions épidermiques, amenant parfois à une gestion non maîtrisée et à un résultat insatisfaisant. Pourtant, le respect d’un protocole simple permet d’envisager sereinement cette étape et d’obtenir une réelle satisfaction esthétique et fonctionnelle, pour le praticien comme pour le patient.

À l’heure où la CFAO prend de plus en plus de place dans l’exercice quotidien, il reste des indications de restaurations directes qui permettent de mettre en pratique le côté artistique de la profession, en recréant une face occlusale s’intégrant dans l’occlusion statique mais aussi dynamique du patient [1].

L’enseignement universitaire et/ou post-universitaire permet de maîtriser parfaitement la morphologie occlusale de chaque dent (figure 1) et d’en percevoir les intérêts fonc tionnels (figure 2). Il peut toutefois être utile de rappeler la localisation optimale des points supports de l’occlusion qui serviront à caler et à stabiliser l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) lors de la déglutition (physiologique) mais aussi à guider la cinématique et notamment la mastication (figure 3).

Une restauration postérieure directe aura donc toutes les chances de concerner un ou plusieurs points supports ainsi qu’une partie des aires fonctionnelles. Les reproduire sera un impératif, tout en préservant l’existant évidemment.

COMMENT OPTIMISER LE RÉSULTAT ESTHÉTICO-FONCTIONNEL ?

Par enregistrement préalable de la morphologie existante (stamp technique)

La stamp technique, ou technique du tampon, permet de recréer précisément la morphologie occlusale de la dent à soigner puisque cette morphologie est enregistrée avant de gérer la lésion carieuse (figure 4).

Évidemment, cela nécessite que la face occlusale soit intacte. Cette technique est donc réservée aux dents présentant uniquement une atteinte non cavitaire [2], c’est-à-dire aux caries de types 1 à 4 selon la classification ICDAS (Baltimore, 2005).

Cette technique peut apparaître comme idéale pour les praticiens réfractaires à la sculpture occlusale mais il faut noter que ses indications sont peu fréquentes. De plus, elle nécessite une grande rigueur dans le respect du protocole [3, 4], la quantité optimale de composite à mettre en place et lors du choix de sa consistance : trop flow, les reliefs ne seront pas présents ; trop dense, il sera difficile de remettre en place le « tampon ».

Par mise en occlusion avant photopolymérisation

La tentation peut être grande, dans les cavités de classe I et pour ceux qui n’utilisent pas la digue, de demander au patient de venir en occlusion avant la photopolymérisation, afin que la dent antagoniste s’engrène dans la dent en cours de soin et façonne ainsi la table occlusale.

Cette méthode présente, entre autres, deux inconvénients majeurs :

- un contact entre la salive et le composite non photopolymérisé ;

- en cas de manque de matériau et donc de sous-occlusion, cela nécessite une décontamination de surface et l’apport d’incréments complémentaires, ce qui constitue une réelle perte de temps et de qualité.

C’est donc une technique à oublier définitivement.

Quelles autres options ?

Par montage en excès du matériau, puis sculpture

Le soin réalisé doit bien sûr s’intégrer à l’occlusion statique et dynamique du patient, sans la modifier. Comment vérifier cela de manière précise ?

En faisant appel à la perception des patients

Technique probablement la plus utilisée, elle présente pourtant de nombreux inconvénients. En effet, en dehors de l’expérience propre de chacun, faire appel à la perception du patient pour évaluer le bon équilibre occlusal (pour le patient un travail de qualité signifie une absence de différence par rapport aux sensations de début de séance), c’est s’exposer à 4 cas de figure.

• Le soin s’intègre de suite à l’occlusion statique et dynamique du patient, qui ne décrit aucune gêne : c’est le cas rêvé, découlant des compétences du praticien et/ou d’une part de chance, la proportion étant difficile à estimer…

• Le patient perçoit une différence mais ne déclare aucune gêne importante et estime « qu’il s’y fera sans difficulté ». Quelle est alors l’attitude à adopter ? Il est tentant de faire confiance à l’analyse du patient ce qui, reconnaissons-le, n’est pas très rigoureux ni professionnel. La gêne est réelle et aisément identifiable lors du contrôle aux papiers marqueurs (figure 5). Elle est gérée, par soustraction, jusqu’à l’obtention du confort, signifiant à priori un travail de qualité. Parfois ceci ne se produira pas et amènera à la dernière situation.

• Le patient décrit une gêne, non identifiable lors du contrôle aux papiers marqueurs, ce qui est la moins agréable des situations mais, malheureusement, pas la moins fréquente. Comment évaluer alors si le patient est trop « occluso-conscient », si le soin est en sur-occlusion minime, si l’intensité des contacts est bonne mais pas leur localisation, si le soin est en sur-guidage ou si, notion négligée, le soin est en sous-occlusion, le patient percevant un déficit de contact et donc de calage qu’il analyse comme une gêne ? Cette situation engendre un stress, voire un agacement, et peut même être source de conflit.

Certains cas créent donc une situation peu confortable, amenant le praticien à regretter d’avoir fait appel aux sensations du patient. De plus, cela peut conduire à effectuer d’innombrables retouches soustractives, souvent jusqu’à l’excès, impactant le résultat esthétique et fonctionnel et donc la satisfaction du praticien mais aussi celle du patient.

SYNTHÈSE

En dehors des indications, limitées, de recours à la stamp technique, il apparaît donc que la technique la plus fiable est celle décrite et conseillée par Abjean [5].

• L’observation préalable des contacts statiques et dynamiques existants. À l’aide de papiers marqueurs, il est aujourd’hui aisé de mettre en évidence les contacts statiques existants en OIM, puis les surfaces de guidage existantes lors des mouvements d’analyse et lors des mouvements physiologiques (figure 6). Cette étape sera réalisée avant la gestion de la lésion carieuse afin de mettre en évidence toutes les références, dont d’éventuels contacts et/ou surfaces qui pourraient être perdus lors du curetage.

• L’enregistrement de ceux-ci. Les étapes successives de gestion de la lésion carieuse [6] amènent un effacement partiel, voire total, de ces marques. Il convient donc d’enregistrer ce que nous pourrions appeler le schéma fonctionnel du patient. Pour cela nous disposons de la photographie (figure 6) ou de la possibilité de compléter un schéma dentaire (figure 7).

• L’exécution du soin avec un montage en excès du composite (figure 8). Avec l’expérience, il devient rapidement possible d’exagérer a minima la quantité afin de s’éviter une séance d’équilibration longue, fastidieuse, et un gâchis de matériau. Une pré-sculpture des reliefs occlusaux sera réalisée à l’aide de pinceaux.

• Une équilibration soustractive avec contrôles répétés et rapprochés à l’aide de papiers marqueurs et de fraises adaptées, et ce jusqu’à retrouver l’ensemble des contacts statiques et dynamiques pré-existants sur l’arcade, aux mêmes endroits bien sûr (figures 6 et 9). Le praticien pourra alors en toute sérénité expliquer au patient que, s’il perçoit une différence, celle-ci ne sera que transitoire et s’explique par le fait d’avoir retrouvé un ou plusieurs contacts occlusaux ayant disparu auparavant du fait de la cavité.

En dehors de l’enregistrement préalable du schéma fonctionnel existant, il est intéressant de réaliser deux observations.

• Observation du relief global des arcades. Il est vivement conseillé d’observer le relief global des dents du patient, relief très subjectif et susceptible de varier dans le temps (en cas d’attritions, d’érosions) et qu’il faudra respecter lors de la sculpture occlusale, la dent reconstituée devant s’intégrer au schéma fonctionnel du patient. « Ultra-sculpter » une face occlusale dans une bouche aux reliefs plats ou mettre à plat une face occlusale dans une bouche où cuspides et sillons sont marqués n’a pas de sens et sera source de perturbations immédiates (interférences potentielles ou perte d’efficacité masticatoire).

• Observation préalable du relief de la ou des dents antagonistes. La ou les dents antagonistes méritent toute notre attention, notamment en cas de perte de relief suite à un soin ou une prothèse. Difficile en effet d’espérer que notre soin soit fonctionnel si la dent antagoniste ne le permet pas. Une explication rapide ou, plus efficacement, une photo permettra d’expliquer au patient les intérêts de revoir ceci en même temps.

DISCUSSION

Le cas présenté ci-dessus doit normalement soulever quelques remarques, interrogations et/ou critiques. En effet, peut-on considérer le soin comme terminé alors que l’intensité des surfaces de guidages en 14/15 est modifiée ? D’autant que cette situation doit logiquement être accompagnée d’une sensation de gêne par le patient !

Modification de l’intensité des surfaces de guidages

La première option est de considérer que les contacts et reliefs créés sur la 16 sont encore trop importants et qu’il faut les atténuer pour retrouver exactement la situation initiale.

La seconde option est de considérer que, si les surfaces de guidage sur 14/15 sont aussi présentes en pré-opératoire lors de mouvements masticatoires, c’est peut-être parce que la dent immédiatement postérieure a perdu du relief et donc ses capacités fonctionnelles. Lui redonner sa morphologie optimale redistribue les contraintes de façon plus physiologique, les molaires ayant pour rôle d’encaisser la majorité des contraintes mécaniques.

À noter ensuite que, si le soin du cas clinique exposé était en nette sur-occlusion, le contact et le guidage en distal de 17 auraient disparu ou auraient été modifiés, ce qui ne semble pas être le cas. Ceci peut être vérifié par interposition d’un papier marqueur 8 ou 12 microns, celui-ci ne devant pas pouvoir être retiré lorsque le patient est en occlusion.

Concernant la sensation du patient

Il est évident que dans ce cas, sauf retouche, il percevra une nette différence, probablement exprimée comme une gêne. La barrière entre différence transitoire et gêne durable est mince. Seul l’enregistrement préalable du schéma existant permet de vérifier si le soin optimise le calage (via les contacts statiques créés) et les fonctions (via les surfaces de guidages créées), sans modifier l’OIM initiale ni les fonctions. Par logique un ajustage complémentaire sera donc nécessaire pour ce cas.

Un autre cas clinique est présenté figures 10 à 12.

Remarque. Selon la dent concernée et la taille de la cavité, cette technique d’équilibration « pas à pas » peut prendre du temps du fait des contrôles multiples aux papiers marqueurs 40 puis 12 microns. Le patient sera alors prévenu de la démarche en cours et de ses objectifs afin d’éviter qu’il ne pense que le praticien termine la séance laborieusement…

POURQUOI UNE TELLE EXIGENCE ?

Satisfaction personnelle

Bien que la nomenclature ne donne pas de prime à l’excellence, nous ne pouvons pas nous satisfaire de simplement « obturer une cavité ». Exprimer nos qualités manuelles permet de « garder la flamme » et de rester passionné.

Impact sur les notions de calage et de guidage

L’occlusion, pour demeurer stable et fonctionnelle, nécessite de préserver ou de recréer les points supports de l’occlusion, garants des notions de calage et de guidage. Ceux-ci permettent une OIM unique, répétitive, sans instabilité transversale, une déglutition physiologique [7] et une cinématique aisée.

Ne pas reconstituer une morphologie occlusale (par manque ou par excès de matériau) expose donc à perturber le calage, voire les guidages, et donc les fonctions. À noter que des reliefs sous-dimensionnés seront tout aussi néfastes car générateurs d’instabilité, d’usure accélérée des zones restant en contact et d’inefficacité masticatoire [8].

Enfin, ceci peut être source de dysfonction [9], en lien par exemple avec un réflexe d’évitement (lié tout autant à un contact prématuré qu’à une zone d’inefficacité masticatoire) ou par une perte d’adaptation du système musculo-articulaire consécutive à une occlusion devenue peu fonctionnelle [4].

Impact postural ?

Plus globalement, et sans entrer dans le sujet vaste et non consensuel de la relation entre occlusion et posture, il semble normal de respecter l’OIM des patients afin de ne pas solliciter une adaptation neuro-musculo-articulaire dont ils ne sont pas forcément capables.

Respecter l’OIM sous-entend de ne pas la perturber par un soin en excès (sur-occlusion, sur-guidage, contacts déflecteurs) ni par un soin sous-dimensionné (sous-occlusion, sous-relief).

En effet, les irradiations issues de la voie neurophysiologique réflexe peuvent atteindre la face (et se manifester par des névralgies, des céphalées) mais aussi les muscles cervicaux et dorso-lombaires, entre autres [4].

CONCLUSION

Sculpter une face occlusale est un des cœurs de la profession et doit être un plaisir et non une contrainte. Si l’on veut associer esthétique et fonction, il est impératif d’inclure le soin dans une occlusion statique et dynamique pré-existante (notion de schéma fonctionnel). Pour cela, l’unique moyen est d’avoir visualisé et enregistré ces notions avant le soin. Ceci ne prend que quelques instants et devient ensuite source de sérénité puisqu’il « suffit » alors de respecter l’existant sans avoir recours à d’autres critères subjectifs comme, par exemple, le ressenti du patient.

Un minimum de bases en occlusion est toutefois requis afin de maîtriser la localisation des points supports de l’occlusion.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Aboudharam G, Lehmann N. Restaurer une dent postérieure en technique directe : challenge ou geste rationnel ? Rev Odonto Stomatol 2018;47:15-29.
  • 2. Le Gall M, Lauret JF. La fonction occlusale, 3e éd. Paris : Éditions CdP, 2011.
  • 3. De Belenet H. 18 conseils pour réussir vos composites postérieurs directs. CLINIC 2019;40:509-514.
  • 4. Bennani Hassan S. La Stamp Technic : une réhabilitation occlusale fonctionnelle en méthode directe. Thèse de second cycle. Toulouse, juin 2018.
  • 5. Abjean J. L’occlusion en pratique clinique. Paris : Éditions Bodadeg Ar Sonerion, 2002.
  • 6. Longuet Tuet A. Restaurations directes des secteurs postérieurs. CLINIC 2021;42:861-868.
  • 7. Romerowski J, Bresson G, Tavernier B, Ruel Kellermann M. L’occlusion, mode d’emploi. Paris : EDP Sciences, 2014.
  • 8. Orthlieb JD, Brocard D, Schittly J, Manière-Ezvan A. Occlusodontie pratique. Paris : Éditions CdP, 2006.
  • 9. Carlier JF, Laplanche O. Troubles musculo-articulaires de l’appareil manducateur. Espace ID 2010;92:41-46.

Lien d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.