LA TOXINE BOTULIQUE : UNE OPTION THÉRAPEUTIQUE FACE AUX DOULEURS MYO-FASCIALES MANDUCATRICES ET AU BRUXISME DU SOMMEIL - Clinic n° 03 du 01/03/2022
 

Clinic n° 03 du 01/03/2022

 

Dysfonction

Romain NICOT  

Université de Lille, Chirurgie orale et maxillo-faciale, CHU Lille. INSERM U 1008, Controlled Drug Delivery Systems and Biomaterials, Lille. Chirurgie maxillo-faciale et Stomatologie, Hôpital Roger Salengro, Lille.

La toxine botulique est une option thérapeutique pour de nombreuses pathologies neuromusculaires avec hyperactivité musculaire. De par ses propriétés myorelaxantes et analgésiques, elle est devenue une modalité de traitement possible dans la prise en charge de certains dysfonctionnements temporo-mandibulaires, principalement à type de myalgies, et dans la prise en charge du bruxisme du sommeil. En France, bien que de plus en plus utilisée, elle reste hors autorisation de mise sur le...


Résumé

La toxine botulique est une toxine produite par la bactérie Clostridium botulinum, responsable d’un blocage présynaptique de l’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire. Elle présente une action paralysante et une action antalgique propre en bloquant la libération d’autres neurotransmetteurs comme le glutamate, le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) et la substance P. La toxine botulique est une option thérapeutique pour de nombreuses pathologies neuromusculaires avec hyperactivité musculaire. Elle est devenue une modalité de traitement hospitalière possible, mais hors autorisation de mise sur le marché (AMM), dans la prise en charge de certains dysfonctionnements temporo-mandibulaires principalement à type de myalgies et/ou dans la prise en charge du bruxisme du sommeil. Son utilisation doit être réservée aux formes réfractaires à une prise en charge conservatrice et doit suivre des modalités précises afin d’éviter toute complication. L’objectif de cet article est donc de rappeler les modalités générales d’utilisation de la toxine botulique avant d’évoquer les principaux résultats publiés dans la littérature.

La toxine botulique est une option thérapeutique pour de nombreuses pathologies neuromusculaires avec hyperactivité musculaire. De par ses propriétés myorelaxantes et analgésiques, elle est devenue une modalité de traitement possible dans la prise en charge de certains dysfonctionnements temporo-mandibulaires, principalement à type de myalgies, et dans la prise en charge du bruxisme du sommeil. En France, bien que de plus en plus utilisée, elle reste hors autorisation de mise sur le marché (AMM) dans ces indications et réalisée en structure hospitalière. L’objectif de cet article est de faire le point sur l’utilisation de cette thérapeutique dans la stratégie de prise en charge d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire et dans le cadre du bruxisme du sommeil lorsque ceux-ci sont réfractaires à une prise en charge conservatrice. Nous rappellerons les modalités générales de son fonctionnement, ses potentiels champs d’application, les modalités pratiques de son utilisation et les principaux résultats publiés dans la littérature.

COMMENT FONCTIONNE LA TOXINE BOTULIQUE A ?

La toxine botulique est une toxine produite par la bactérie Clostridium botulinum. En Europe, seules les toxines A et B sont commercialisées en thérapeutique, la toxine botulique A étant majoritairement utilisée (Botox®, Allergan ; Xéomin®, Merz Pharma ; Dysport®, Ipsen). L’unique laboratoire commercialisant de la toxine B en France est Eisai avec Neurobloc®. La toxine botulique est responsable d’un blocage présynaptique de l’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire, responsable de l’effet paralysant. Elle présente en outre une action antalgique propre en bloquant la libération d’autres neurotransmetteurs comme le glutamate, le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) et la substance P. Il a également été observé un blocage de l’expression du récepteur vanilloïde VR1 (TRPV1, récepteur à la capsaïcine) [1].

DOULEURS MYO-FASCIALES ET BRUXISME DU SOMMEIL, POTENTIELLES INDICATIONS DANS LA PRISE EN CHARGE DES FORMES SÉVÈRES

Le consensus le plus récent définissant les critères diagnostiques d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire, datant de 2014, définit la douleur comme un axe central et sépare les douleurs musculaires (myalgies et douleurs myo-fasciales), les arthralgies et les céphalées attribuées à un dysfonctionnement temporo-mandibulaire [2, 3] (tableau 1). La douleur myo-fasciale est un trouble douloureux du système musculosquelettique pouvant affecter la région oro-faciale, avec une atteinte des muscles manducateurs. Une caractéristique principale de cette pathologie est l’existence de zones gâchettes, qui, lorsqu’elles sont stimulées par la pression, provoquent des douleurs musculaires locales ou projetées par rayonnement vers des zones anatomiques proches telles que les dents ou l’articulation temporo-mandibulaire, produisant ce que l’on appelle une douleur référée [3] (figures 1 et 2). La physiopathologie complexe est encore débattue, incluant entre autres des phénomènes de sensibilisation périphérique et centrale de la douleur, des mécanismes psychologiques, une influence des troubles du sommeil, le rôle de certains neuropeptides et neurotransmetteurs (glutamate, CGRP, substance P, récepteur TRPV1…) ou encore certains facteurs génétiques tels que les variations du polymorphisme nucléotidique de la catécholamine-O-méthyltransférase (COMT) [4]. Ainsi, l’utilisation de la toxine botulique répondrait à plusieurs des mécanismes physiopathologiques impliqués. Le bruxisme semble par ailleurs avoir une influence sur la pathogenèse et la perpétuation d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire [5, 6]. Le bruxisme est une hyperactivité des muscles masticateurs caractérisée par des contacts occlusaux répétitifs ou prolongés et/ou des mouvements involontaires de la mandibule et qui peut avoir deux manifestations distinctes : le bruxisme du sommeil ou le bruxisme de l’éveil [7]. Malgré la présence d’études hétérogènes et de formes circadiennes distinctes, la revue systématique de Jiménez-Silva et al., en 2017, concluait à une potentielle association entre bruxisme du sommeil et/ou de l’éveil et la présence d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire [6]. Toutefois, l’association la plus clairement retrouvée dans cette revue systématique était entre le bruxisme du sommeil et une douleur myo-fasciale, tandis que l’association était anecdotique pour le bruxisme de l’éveil. Ainsi, les formes les plus marquées de douleurs myo-fasciales et de bruxisme du sommeil semblent représenter les principales indications chez le patient réfractaire à une prise en charge conservatrice.

QUELLES SONT LES MODALITÉS D’INJECTIONS ?

La préparation du produit injecté se fait en diluant la poudre contenue dans les flacons avec du sérum physiologique injectable. Une dilution relativement « concentrée » est habituellement choisie dans ce type d’indication afin de limiter la diffusion aux muscles peauciers du visage (par exemple 100 U Botox® ou Xéomin® pour 1 ml de chlorure de sodium injectable) [8-10] (figure 3). Les injections peuvent se faire sous neurostimulateur, électromyogramme ou simplement à l’aide de repères anatomiques standardisés, dans la partie charnue des muscles masséters et temporaux, après une aspiration soigneuse afin de s’assurer de l’absence d’injection intravasculaire, avec un schéma similaire à celui décrit dans les figures 4 à 6. Une solution de 50 U Botox® ou Xéomin® est injectée en trois points dans les muscles masséters, tandis que 25 U Botox® ou Xéomin® sont classiquement administrés en deux points dans les muscles temporaux [10]. Le muscle ptérygoïdien latéral peut être injecté selon la symptomatologie mais il est préférable d’utiliser un neurostimulateur, un électromyogramme ou une technique d’injection guidée, afin d’éviter l’injection au niveau d’un muscle du voile qui serait responsable d’une rhinolalie transitoire de récupération parfois longue. Bien qu’il s’agisse d’un muscle manducateur clé, son injection échappe à la plupart des protocoles publiés dans la littérature sans réelle justification physiopathologique. Le schéma classique évoqué ici peut toutefois varier en fonction des zones gâchettes ou lorsqu’il existe une asymétrie faciale. Dans ce dernier cas, il peut être nécessaire de réaliser des injections asymétriques.

Il convient d’éviter de masser les points d’injection, d’avoir une activité manducatrice importante (mâchage de chewing-gum, conférences, etc.), de prendre un bain chaud ou de faire du sport dans les 24 à 48 heures suivant le geste d’injection afin d’éviter une diffusion de la substance injectée. Les principales contre-indications sont la myasthénie auto-immune, la grossesse ou l’allaitement maternel et l’allergie à l’albumine.

QUELLES SONT LES PREUVES DE L’EFFICACITÉ ?

L’injection de toxine botulique A associe l’action antalgique de la piqûre en elle-même à l’action pharmacologique de la toxine. La piqûre de zones gâchettes myo-fasciales est en effet une modalité de prise en charge des douleurs myo-fasciales à part entière, qui consiste à insérer une aiguille dans la zone gâchette détectée lors de la palpation musculaire afin d’obtenir un effet analgésique [11]. Elle est fondée sur une stimulation intramusculaire et une perturbation mécanique des fibres musculaires et des terminaisons nerveuses. Un autre mécanisme suggéré est la réduction de l’activité électrique. Elle a montré une certaine efficacité dans des essais contrôlés dans la prise en charge de patients présentant une douleur myo-fasciale temporo-massétérine, en améliorant les seuils douloureux à la pression et l’amplitude d’ouverture buccale. La piqûre peut être couplée à l’injection d’une substance pharmacologique telle qu’un anesthésique local, des corticostéroïdes ou de la toxine botulique A.

L’équipe de Freund et al. a été la première à décrire en 1999 l’utilisation de la toxine botulique A dans la prise en charge d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire à type de myalgie, montrant une amélioration des douleurs, de la fonction manducatrice et de l’ouverture buccale [10]. Par la suite, de nombreuses études ont été publiées, montrant souvent un bénéfice de cette thérapeutique à de multiples niveaux, y compris sur l’amélioration de la qualité de vie [9]. La littérature n’est cependant pas claire, retrouvant des contradictions dans les résultats obtenus [8]. La publication d’une récente revue systématique de la littérature par Patel et al. (2019) [1], incluant 11 essais contrôlés, pour la plupart randomisés, semble conforter ces résultats [1] avec une large majorité des études présentées ayant démontré une réduction des douleurs dans les groupes traités par toxine botulique par rapport aux groupes contrôles [1]. Malgré une diminution de la douleur chez les patients injectés avec de la toxine botulique, les résultats publiés par Guarda-Nardini et al. (2012) ont cependant souligné que la manipulation fasciale apportait de meilleurs résultats [12]. Une méta-analyse récente publiée en 2020 a conforté ces résultats en montrant que la toxine botulique A était plus efficace que le placebo pour la réduction de la douleur à 1 mois : différence moyenne de - 1,74 point (échelle 0-10) ; intervalle de confiance à 95 % entre - 2,94 et - 0,54 ; 3 essais randomisés contrôlés ; 60 participants ; I2 = 0 % [13]. Elle était jugée également plus efficace que le traitement conventionnel et la thérapie laser de faible niveau pour la réduction de la douleur à 1, 6 et 12 mois, mais moins efficace que la manipulation fasciale pour la réduction de la douleur à 3 mois.

Dans le cadre du bruxisme du sommeil et/ou de l’éveil, les revues systématiques récentes de la littérature, incluant principalement des essais randomisés contrôlés se focalisant sur le bruxisme du sommeil, ont montré que l’utilisation de la toxine botulique A permettait de réduire la fréquence des épisodes et la force masticatoire et de diminuer les niveaux de douleur qui en découlent, améliorant ainsi la qualité de vie des patients, au moins à court terme, sans toutefois permettre de conclure à une utilisation consensuelle [14-16]. Il doit être noté qu’il existe finalement peu d’études se focalisant sur le bruxisme de l’éveil et que toutes les études ne différencient pas les différentes formes circadiennes du bruxisme, ce qui complique la lecture des résultats.

Bien que les résultats soient encourageants, l’utilisation de la toxine botulique dans la prise en charge d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire et dans la prise en charge du bruxisme du sommeil reste à ce jour hors AMM en France et de réalisation hospitalière. Son utilisation dans le bruxisme de l’éveil n’est que très peu évaluée.

CONCLUSION

En 2021, la toxine botulique A est une solution possible chez des patients présentant une douleur myo-fasciale et/ou un bruxisme du sommeil marqué réfractaires aux traitements conservateurs. Cette prise en charge efficace reste toutefois hors AMM et à décider selon l’importance de la symptomatologie et après échec de la kinésithérapie oro-maxillo-faciale et des traitements occlusaux.

BIBLIOGRAPHIE

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Liens d’intérêts

Romain Nicot déclare des liens d’intérêts avec Merz Pharma France en tant que consultant et déclare que le contenu de cet article ne présente aucun conflit d’intérêts.