Les vitrocéramiques au disilicate de lithium se valent-elles toutes ? - Clinic n° 11 du 01/11/2022
 

Clinic n° 11 du 01/11/2022

 

Revue de presse

Internationale

Philippe FRANÇOIS  

L’Empress 2 ainsi que l’IPS e.max Press (Ivoclar) ont été deux vitrocéramiques pressées, renforcées au disilicate de lithium qui ont révolutionné la pratique de la dentisterie à tel point que la dernière est pratiquement devenue un nom générique. Elle est également proposée sur une forme usinable pré-cristallisée bleu/violette depuis des années : l’IPS e.max CAD (Ivoclar). Ces céramiques ont trouvé leur popularité dans l’excellent ratio esthétique/propriétés...


L’Empress 2 ainsi que l’IPS e.max Press (Ivoclar) ont été deux vitrocéramiques pressées, renforcées au disilicate de lithium qui ont révolutionné la pratique de la dentisterie à tel point que la dernière est pratiquement devenue un nom générique. Elle est également proposée sur une forme usinable pré-cristallisée bleu/violette depuis des années : l’IPS e.max CAD (Ivoclar). Ces céramiques ont trouvé leur popularité dans l’excellent ratio esthétique/propriétés mécaniques/aptitude au collage et ont permis de démocratiser la réalisation de restaurations partielles collées céramiques comme les facettes ou les onlays avec des épaisseurs de préparation réduites.

Longtemps brevetés par la société Ivoclar, les compositions chimiques et les paramètres de cristallisation à l’origine de l’obtention des cristaux de disilicate de lithium sont partiellement tombés dans le domaine public, amenant de nombreux concurrents à proposer des formulations similaires.

Parmi ces nouvelles formulations estampillées « disilicate de lithium », on peut retrouver par exemple des céramiques destinées à la pressée (LiSi Press, GC Corporation ; Amber Press, Hassbio) bien que le domaine des céramiques usinées soit actuellement bien plus concurrentiel entre les fabricants. Ainsi, on retrouve désormais des disilicates de lithium usinables avec des innovations revendiquées comme celles renforcées au dioxyde de zirconium (Vita Suprinity, Vita Zahnfabrik ; CEREC Tessera, Dentsply Sirona), celles usinables sous forme cristallisée (GC Initial LiSi Block, GC Corporation ; n!ce, Straumann), ou encore celles avec une translucidité variable selon le temps de cristallisation (Amber Mill, Hassbio).

De plus, à côté de ces références bien connues des prothésistes français, se trouvent également sur le marché nombre de génériques (pressables ou usinables) non étudiés que l’on peut acheter sur des sites d’e-commerce généralistes bien connus.

Nous sommes alors en droit de nous demander si toutes les vitrocéramiques au disilicate de lithium ont des propriétés comparables.

OBJECTIF DE L’ÉTUDE

Cet article est une étude in vitro publiée dans la revue Dental Materials, l’une des plus prestigieuses dans le domaine dentaire. Elle vise à s’intéresser à la composition cristalline de ces céramiques mais également à leur ténacité. Cette ténacité, qui peut se définir comme « la résistance à la propagation d’une fissure préexistante », est essentielle pour caractériser la résistance à la fracture de matériaux fragiles dont font partie les céramiques dentaires.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Onze vitrocéramiques dentaires commerciales à base de lithium ont été évaluées : IPS e.max CAD, IPS e.max Press, Celtra Duo, Suprinity PC, Initial LiSi Press, Initial LiSi Block, Amber Mill, Amber Press, n!ce, Obsidian et CEREC Tessera. La composition chimique de leurs verres de base a été mesurée par spectroscopie de fluorescence aux rayons X et par spectroscopie d’émission optique à plasma induit, de même que la composition de leur verre résiduel en soustrayant les oxydes liés à la fraction cristallisée, caractérisée par diffraction des rayons X et affinement de Rietveld et quantifiée avec précision par la méthode du facteur G. Le comportement de cristallisation est révélé par des courbes de calorimétrie à balayage différentiel. Les constantes élastiques sont fournies par la spectroscopie ultrasonore résonante et la ténacité à la rupture a été mesurée. La microstructure est révélée par la microscopie électronique à balayage à émission de champ.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Lors de la cristallisation des céramiques vitreuses renforcées au disilicate de lithium, un des objectifs est d’obtenir la plus grande proportion de cristaux de Li2Si2O5 donnant les propriétés les plus intéressantes, tout en sachant qu’il est impossible d’aller vers 100 % pour des raisons de résistance à la solubilité, de températures de cristallisation et d’initiateurs de cristallisation. De plus, la persistance d’une proportion de phase vitreuse est indispensable pour préserver une bonne aptitude au collage lors du mordançage à l’acide fluorhydrique. Les matériaux testés ont montré de grandes disparités de structure cristalline entre eux tant quantitativement que qualitativement.

Parmi les facteurs microstructuraux et mécaniques prédicteurs d’une bonne performance clinique, on peut noter :

– une taille des cristaux supérieure à 1 mm ;

– une organisation anisotropique des cristaux ;

– l’obtention d’une valeur de 2 MPa.m-1 est souhaitable pour ces vitrocéramiques renforcées au disilicate de lithium.

Parmi les matériaux testés, seuls 4 ont montré une taille des cristaux supérieure à 1 mm et de hautes valeurs de ténacité : IPS e.max Press, Initial LiSi Press et Amber Press pour les techniques pressées et IPS e.max CAD pour les blocs usinables. Les autres matériaux présentent une structure cristalline submicronique ou nanométrique. La corrélation à l’obtention d’une bonne ténacité semble liée à la taille de ces cristaux.

Les techniques pressées semblent amener généralement à un matériau final plus qualitatif en raison de l’orientation anisotropique des cristaux lors de la mise en œuvre au laboratoire. Les matériaux usinés présentent quant à eux une structure isotropique et seul IPS e.max CAD dépasse la valeur critique de 2 MPa.m-1. Cela ne veut pas dire que les autres blocs n’ont pas d’intérêt (notamment ceux ne nécessitant pas de cuisson de cristallisation pour les chirurgiens-dentistes réalisant des restaurations « au fauteuil ») mais juste qu’ils pourraient nécessiter des épaisseurs de préparation plus importantes pour développer des performances cliniques comparables. De plus, il convient de garder en tête que les résultats d’une étude in vitro ne peuvent être directement corrélés aux performances cliniques des matériaux.

CONCLUSION ET PERTINENCE CLINIQUE

Il existe pour les matériaux testés dans cette étude une grande variation sur les quelques paramètres structuraux et mécaniques testés. Le terme « disilicate de lithium » n’est donc pas un terme générique et tous les matériaux se réclamant de cette famille présentent des disparités sur les paramètres étudiés.

Il convient de rester vigilant sur le matériau choisi, face à la large gamme se développant sur le marché, ainsi que le procédé de mise en oeuvre (pressage versus usinage) dans les propriétés finales obtenues.

L’utilisation de céramiques disilicate de lithium « génériques » vendus sur les sites de e-commerce et non étudiés scientifiquement paraît hasardeuse, au vu des résultats obtenus sur les 11 matériaux réputés étudiés dans cette étude.