COLLAGE AUX SUBSTRATS DENTAIRES ET PROTHÉTIQUES DIFFICILES - Clinic n° 04 du 01/04/2023
 

Clinic n° 04 du 01/04/2023

 

Biomatériaux

Philippe FRANÇOIS*   Samuel MORICE**   Aurore DAOUDI***   Sarah BERGMAN****   Élisabeth DURSUN*****   Romain CEINOS******   Jean-Pierre ATTAL*******  


*MCU-PH en Biomatériaux, Université Paris Cité. Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris. Membre de l’Unité de Recherche en Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i).
**Maître prothésiste dentaire. Expert en CFAO. Laboratoire Argoat prothèses dentaires, Ploumagoar.
***Ancienne interne, Université de Paris Cité. Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris. Exercice libéral à Paris.
****Externe, Université de Paris Cité. Hôpital Bretonneau, AP-HP, Paris.
*****PU-PH en Odontologie pédiatrique, Université Paris Cité. Hôpital Henri-Mondor, AP-HP, Créteil. Membre de l’Unité de Recherche en Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i).
******MCU-PH en Odontologie restauratrice et Endodontie, Université de Nice. Hôpital Saint-Roch, Nice. Membre de l’Unité de Recherche en Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i).
*******MCU-PH en Biomatériaux, Université Paris Cité. Hôpital Charles Foix, AP-HP, Ivry-sur-Seine. Membre de l’Unité de Recherche en Biomatériaux Innovants et Interfaces (URB2i).

Coller une restauration ou assembler deux surfaces prothétiques ensemble n’est pas un choix philosophique jusqu’au-boutiste du « tout collage » mais, au contraire, une nécessité pour amener plus loin de nouvelles indications thérapeutiques. Quand le scellement ne permet pas de résoudre des situations esthétiques ou biomécaniques de façon minimalement invasive, le collage peut souvent le permettre.

Le collage aux tissus dentaires, tout comme aux substrats prothétiques,...


Résumé

Certains tissus dentaires ou matériaux prothétiques, que l’on peut qualifier de substrats, sont parfois réputés « difficiles » à coller. Beaucoup d’entre eux sont pourtant très fréquemment rencontrés dans nos pratiques cliniques et la maîtrise de leur collage est indispensable pour offrir de nouvelles potentialités cliniques à nos patients.

Cet article fait le point sur une grande partie d’entre eux, explique le mécanisme à l’origine de la nécessité de mettre en place une procédure adhésive spécifique et surtout donne des procédures fiables et reproductibles pour coller efficacement et durablement à leur surface.

Nous verrons alors que peu de substrats peuvent encore être qualifiés en 2023 comme « difficiles » si les procédures adéquates de collage sont appliquées.

Coller une restauration ou assembler deux surfaces prothétiques ensemble n’est pas un choix philosophique jusqu’au-boutiste du « tout collage » mais, au contraire, une nécessité pour amener plus loin de nouvelles indications thérapeutiques. Quand le scellement ne permet pas de résoudre des situations esthétiques ou biomécaniques de façon minimalement invasive, le collage peut souvent le permettre.

Le collage aux tissus dentaires, tout comme aux substrats prothétiques, relève majoritairement d’une composante micromécanique par interpénétration et non pas chimique par liaisons fortes. Cette rugosité de surface peut être obtenue par action mécanique (comme le sablage) ou par action chimique (comme le mordançage acide). De son côté, l’adhésion chimique (généralement permise par des primers) peut être vue comme une sécurité supplémentaire à la composante micromécanique.

Cette adhésion pourrait donc se résumer de manière extrêmement simplifiée par l’affirmation suivante : « Si je crée de la microrugosité, que je sais l’infiltrer avec un produit et que ce produit durcit et peut se lier à d’autres, alors je peux coller efficacement ». Les substrats difficiles sont soit ceux sur lesquels on ne sait pas créer une excellente microrugosité (comme la zircone) que l’on doit compenser par une composante chimique, soit des substrats où des substances relarguées (comme l’eau pour la dentine par exemple) qui perturbent l’infiltration et le durcissement de notre produit d’infiltration (l’adhésif).

Trois types de substrats difficiles peuvent être identifiés : les substrats dentaires, les substrats prothétiques et les substrats restaurateurs. Alors que les traitements de surface des substrats prothétiques nécessitent de trouver les bons produits et les bonnes combinaisons le plus souvent en ex vivo, les traitements de surface des substrats dentaires nécessitent en plus une bonne mise en œuvre dans des conditions plus difficiles en bouche. Les substrats restaurateurs (c’est-à-dire insérés en phase plastique) difficiles, dont les ciments biocéramiques sont a priori les seuls représentants, ne seront pas abordés ici car un article leur est dédié dans ce numéro (cf. article Jacquot B et al., page 262).

Concernant les substrats dentaires, on peut citer le collage à la dentine affectée, érodée, sclérotique, corrodée par l’amalgame ou intra-radiculaire, mais aussi le collage amélaire aux dents atteintes de MIH ou éclaircies avec du peroxyde d’hydrogène ou de carbamide. Le collage à la dentine cariée (notamment affectée), profonde, est un point crucial maintenant que les curetages partiels sont la norme pour éviter les effractions pulpaires sur dents vitales.

Concernant les substrats prothétiques, la zircone est le représentant le plus connu. Cependant, de nombreux autres substrats « difficiles » peuvent être rencontrés comme le PEEK, le PMMA ou encore les substrats métalliques comme le chrome-cobalt, lorsqu’il y a nécessité de réparation intra-buccale ou d’opacifier un inlay-core présent en bouche. Le titane peut également être considéré par certains comme un substrat difficile.

Cet article expose succinctement les différentes particularités de ces substrats, en essayant de donner simplement des protocoles et des clés pour les gérer du mieux possible. Il vise à être un mémento listant les protocoles de traitement recommandés. Enfin, par le biais des cas cliniques présentés « peu communs », il vise à attirer la curiosité du lecteur sur les nouvelles potentialités cliniques offertes par un bon collage à certains de ces substrats et, pourquoi pas, à susciter de nouvelles idées thérapeutiques…

COLLAGE AUX SUBSTRATS DENTAIRES

Dentine cariée profonde

L’évolution des concepts actuels du curetage carieux nous amène désormais à conserver de la dentine cariée affectée, voire infectée pour certains auteurs, en fond de cavité pour éviter les effractions pulpaires (il va de soi de rappeler que les limites périphériques doivent être parfaitement curetées avec de la dentine saine/de l’émail sain).

Les valeurs d’adhérence sont réduites d’un facteur deux [1] et la durabilité de l’adhésion sur la dentine affectée ou infectée est particulièrement compliquée à stabiliser en raison d’une plus grande humidité (et d’un moindre degré de minéralisation), d’une très forte concentration en MMP et de la présence d’une boue dentinaire plus épaisse [2]. Sur ces deux dentines, il semble plus important d’utiliser des stratégies d’adhésion auto-mordançantes, afin d’éviter le sur-mordançage sur une dentine déjà déminéralisée, et de favoriser les mécanismes d’adhésion chimiques (entre monomères fonctionnels et calcium des tissus durs) à l’origine d’une stabilité accrue [3].

Ainsi, les adhésifs universels ou les adhésifs auto-mordançants en deux temps apparaissent comme les plus intéressants [2, 3]. De plus, un brossage extrêmement actif de l’adhésif mono-flacon ou de son primer (systèmes complexes à deux flacons) durant 10 à 30 secondes apportera les meilleures valeurs d’adhérence [4, 5], notamment s’il contient un monomère fonctionnel (concept du nano-assemblage). Ce constat est également valable pour les autres tissus dentaires décrits ultérieurement dans cet article.

Dentine érodée

L’érosion dentaire est définie par la Fédération dentaire internationale (FDI) comme un processus multifactoriel menant à la perte de l’émail et de la dentine, faisant intervenir une dissolution acide qui n’est pas liée à la présence de bactéries et qui peut toucher toutes les tranches d’âge. C’est une des 4 formes d’usure avec l’abrasion, l’attrition et l’abfraction, bien que ce dernier mécanisme soit controversé.

Si l’érosion sur l’émail ne crée pas de problème de collage du fait de sa composition essentiellement minérale et non protéique, le problème est différent sur la dentine. En effet, du fait d’une usure progressive par fine couche de 0,5 à 3 µm, la zone superficielle d’émail érodé est éliminée lors du mordançage. Alors que la composition beaucoup plus protéique de la dentine peut conduire à rencontrer une couche de surface hypo-minéralisée (avec une trame protéique majoritaire), si l’épisode érosif est très récent, ou hyperminéralisée, si une reminéralisation a eu le temps de se produire.

Il convient alors d’éliminer cette couche de surface hypo ou hyperminéralisée perturbant nos procédures adhésives. Le passage d’une fraise diamantée, un sablage à l’oxyde d’aluminium, l’utilisation d’un laser pour potentialiser la surface ou, de manière plus anecdotique, un traitement à l’hypochlorite ont été montrés comme bénéfiques pour l’obtention des meilleures valeurs d’adhérence possibles [6].

La stabilité obtenue du collage sur cette dentine érodée avec un protocole adapté ainsi que l’évolution des matériaux prothétiques ont été à l’origine d’une révolution de la prise en charge de patients atteints de lésions érosives sévères généralisées avec des techniques comme la 3-step technique proposée par Torosyan et al. [7], puis la One-step No-prep proposée Oudkerk et al. [8] grâce au développement de la conception et fabrication assistées par ordinateur. Quelques étapes d’une réhabilitation complète par One-step No-prep, c’est-à-dire avec des table-top en composite (très fins dans le secteur postérieur sur substrat majoritairement dentinaire) sans la moindre préparation dentaire après une légère augmentation de dimension verticale d’occlusion sont exposés figures 1 à 5.

De plus, l’utilisation d’adhésif contenant des monomères fonctionnels à groupement phosphate comme le 10-MDP (10-methacryloyloxydecyl dihydrogene phosphate) et dans les adhésifs universels, semble bénéfique pour l’obtention des meilleurs résultats possibles [6].

Dentine sclérotique

La dentine sclérotique, également appelée d’un point du vue histologique dentine réactionnelle ou réparatrice selon la cellule à l’origine de sa sécrétion, trouve son origine dans une réaction du complexe dentino-pulpaire à une agression chronique. On la retrouve particulièrement associée aux pathologies d’usure attritives (bruxisme) ou abrasives (usure à 3 corps, brossage traumatique).

Cette dentine est très différente de la dentine saine par l’oblitération de nombreux tubules et la présence au contact du milieu buccal d’une couche hyperminéralisée (environ 15 µm d’épaisseur).

Comme pour le collage à la dentine érodée, il apparaît judicieux d’éliminer délicatement la couche la plus en surface hyperminéralisée de la lésion afin de rétablir les valeurs d’adhérence qui, sans cette manipulation, peuvent être réduites de plus de 40 % [9] (figures 6 à 10).

Cependant, cette action seule ne suffit pas car sous cette couche hyperminéralisée réside de la dentine dont les tubules dentinaires sont partiellement oblitérés. Bien que la majeure partie de l’adhérence développée par les systèmes adhésifs ne réside pas dans la macro-rétention obtenue par la présence de tags résineux dans les tubules dentinaires (mais par la micro-rétention), certains auteurs proposent d’y associer une augmentation du temps de mordançage de la dentine (lorsque ce mode d’application de l’adhésif est choisi) de 10 secondes. Il est également proposé de faire d’autant plus attention au frottement adéquat de l’adhésif sur la lésion pendant au moins 20 secondes et d’y associer un biseautage de l’émail, lorsque celui-ci est inclus dans la lésion [9].

Ces procédures additionnelles s’expliquent, en plus de la nature du substrat dentinaire sclérotique, par la nécessité d’optimiser l’adhérence des restaurations dans certaines configurations cavitaires défavorables, comme les restaurations de Classe V (cervicales) qui présentent le plus faible taux de survie dans le temps. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreuses études cliniques étudient les adhésifs dans cette indication [10].

Dentine corrodée par l’amalgame

Cette dentine représente une dentine partiellement déminéralisée (typiquement une dentine cariée affectée et donc re-minéralisable) colorée secondairement par des sels métalliques provenant de l’amalgame. Cette re-précipitation d’ions métalliques permet l’étanchéification des tissus sous l’amalgame (matériau qui n’a pas d’étanchéité intrinsèque). Si la dentine initiale n’est pas déminéralisée, cette coloration ne peut pas se produire selon certains auteurs [11], bien que cela reste discuté.

Toujours est-il que cette dentine présente des valeurs d’adhérence réduites par rapport à une dentine saine. Il apparaît préférable de mordancer à l’acide orthophosphorique la dentine sur un tel substrat d’autant plus que les sels métalliques oblitérant les tubules dentinaires empêcheront de générer des sensibilités post-opératoires [12].

Certains auteurs ont proposé des durées augmentées de mordançage mais le faible nombre d’études ne nous permet pas de trancher sur ce point. Dans tous les cas, il convient de garder en tête que des valeurs d’adhérence identiques à celles de la dentine saine ne peuvent être obtenues sur la dentine corrodée par l’amalgame.

Dentine intra-canalaire

La dentine intra-canalaire présente un certain nombre de particularités selon sa localisation et les différents produits qui ont pu être en contact avec les parois canalaires avant le collage d’une reconstitution par matériau inséré en phase plastique (RMIPP) ou d’une reconstitution corono-radiculaire coulée (RCRC).

Concernant sa localisation, il est maintenant bien montré que les valeurs d’adhérence diminuent dans la racine depuis la zone coronale jusqu’à la zone apicale. Ainsi, seuls les deux premiers millimètres radiculaires semblent vraiment offrir une contribution rétentive intéressante [13], ce qui amène à se questionner sur l’efficacité réelle du collage intra-canalaire.

Concernant les procédures à effectuer, l’effet délétère sur les valeurs d’adhérence des procédures endodontiques comme l’irrigation à l’hypochlorite de sodium à haute concentration (effet oxydant) ou l’utilisation de ciments à base d’oxyde de zinc d’eugénol (dérivés phénolés), interagissant avec la réaction de polymérisation, est largement documenté [14].

Lorsqu’une stratégie auto-adhésive est utilisée (colle auto-adhésive/système adhésif auto-mordançant à prise duale), l’utilisation d’acide orthophosphorique avant l’assemblage de la restauration intra-canalaire ou d’éthanol [14] optimise l’adhérence. Mais, face à la difficulté de généraliser la recommandation de mordançage avec l’ensemble des chimies auto-adhésives présentes sur le marché, l’utilisation d’éthanol en décontamination de la dentine intra-canalaire semble la meilleure solution.

Lorsque des systèmes plus complexes sont utilisés en association à des adhésifs utilisés en mode mordançage-rinçage, une décontamination à l’hypochlorite à faible concentration (hypochlorite diluée) semble la meilleure des procédures à mettre en œuvre avant le protocole spécifique de la colle associée. Cependant, l’éthanol semble également efficient et a été utilisé dans plus d’études [14].

Dans une logique évidente de simplification des procédures, l’utilisation d’un rinçage à l’éthanol systématique avant le collage intra-canalaire semble la procédure bénéficiant du meilleur rapport simplicité de mise en œuvre/efficacité [14]. On peut aussi s’interroger sur le véritable avantage de ces reconstructions fibrées, complexes à mettre en œuvre au niveau des étapes de collage dans la racine difficilement accessible, par rapport à la réalisation de moignons composites (philosophie no-post no-crown) dans la chambre pulpaire, avec des entrées canalaires bien plus simples à réaliser et exploitant les zones à bon potentiel de collage.

Émail MIH

L’hypominéralisation molaire-incisive reste une pathologie dont l’étiologie est encore mal connue malgré sa prévalence assez élevée dans la population. Pour un collage sûr, il est recommandé d’enlever tout l’émail hypominéralisé. Cependant, cela peut amener à des délabrements importants et une approche plus conservatrice, gardant l’émail hypominéralisé « dur », peut être envisageable. Toutefois, ce substrat est plus humide et plus riche en protéines (entre 8 et 20 fois plus que l’émail sain) [15]. Il est encore plus difficile de donner des recommandations incontestables de collage dans ce cas que pour les autres substrats dentaires car le nombre d’études in vitro est faible (en raison du peu d’échantillons hypominéralisés disponibles pour réaliser l’évaluation des procédures de collage) et les protocoles sont très disparates.

Toutefois, il semble qu’un mordançage de cet émail durant 15 à 30 secondes, suivi d’une déprotéinisation du tissu à l’aide d’hypochlorite de sodium avant la mise en place d’un adhésif, offre les meilleurs résultats [15].

Émail éclairci

L’émail éclairci n’est pas en tant que tel un substrat difficile car il est et reste sain. Cependant, l’action du peroxyde d’hydrogène et sa dégradation en espèces réactives de l’oxygène vont cliver les doubles liaisons des chromophores, mais également sursaturer en oxygène les tissus durs dentaires [16]. Or, il est bien connu que l’oxygène est un inhibiteur de la réaction de prise radicalaire des résines composites et altérera donc une procédure adhésive immédiatement réalisée après l’éclaircissement.

Deux stratégies sont proposées pour contrer cet effet : attendre un certain temps après l’éclaircissement, et ainsi laisser diminuer la saturation en oxygène des tissus dentaires, ou utiliser des agents anti-oxydants. Face à l’absence de standardisation des concentrations et de consensus sur l’anti-oxydant à utiliser [16], la temporisation de 1 à 3 semaines après un éclaircissement pour la réalisation de restaurations adhésives reste la règle faute de protocoles mieux validés [17].

COLLAGE AUX SUBSTRATS PROTHÉTIQUES

Le collage aux matériaux prothétiques peut également être problématique, doublement, car il convient de gérer cette difficulté au laboratoire de prothèse et en bouche.

Zircone

Bien que d’autres articles de ce numéro entrent plus en détail sur le collage à la zircone, il paraissait inconcevable, dans un article sur le collage aux substrat difficiles, de ne pas dédier quelques lignes à cette céramique polycristalline de plus en plus populaire grâce à sa polyvalence et à ses propriétés optiques ne cessant de s’améliorer.

La problématique actuelle est non pas de savoir si la zircone se colle, mais plutôt jusqu’où elle peut se coller ? Pour comprendre cette question, il faut revenir à l’introduction et à la phrase : « Si je crée de la microrugosité, que je sais l’infiltrer avec un produit et que ce produit durcit et peut se lier à d’autres, alors je peux coller efficacement ». Par son absence de verre (et donc l’impossibilité de créer de la rugosité avec l’acide fluorhydrique) et son extrême dureté (limitant l’efficacité du sablage à l’oxyde d’aluminium), elle pose au plus haut point le besoin de renforcer l’adhésion micromécanique par une adhésion chimique. Cela a été rendu possible notamment par la démocratisation du 10-MDP, présent uniquement dans le passé dans le Panavia 21 et Panavia F2.0 (Kuraray Noritake) puis tombé dans le domaine public.

Actuellement, quelle que soit la génération de zircone utilisée, le protocole est un sablage à l’oxyde d’aluminium (50 µm, 2 bars, pendant 10 s), suivi d’un primer contenant du 10-MDP [18]. Ce dernier peut être « pur » ou associé à un silane : on parle alors de primer universel (car capable de traiter la majorité des intrados prothétiques). Bien menés, ces traitements de surface peuvent donner des valeurs d’adhérence immédiates proches de celles des vitrocéramiques renforcées au disilicate de lithium [19]. La projection de particules abrasives recouvertes de silice comme le Cojet (3M ESPE), suivie de l’application d’un silane, donne également de bons résultats mais ce protocole est plus compliqué à mettre en œuvre. En cas de contamination après traitement de surface, l’utilisation d’un nettoyant spécifique est recommandée [20].

Dans tous les cas, étant donné la relative opacité des zircones (même celles de seconde ou troisième génération), des colles duales ou à chémo-polymérisation seule sont à recommander afin de compenser une éventuelle photopolymérisation peu efficiente. Les figures 11 à 14 illustrent l’efficacité du collage à la zircone bien réalisé, même en absence de macro-rétention.

PMMA

Parler du PMMA (Polymethylmetacrylate) comme matériau à coller peut surprendre certains tant il est assimilé aux provisoires réalisés en technique directe.

Pourtant, ce matériau ne cesse de gagner en popularité depuis qu’il est apparu sous forme usinée, avec des propriétés mécaniques et optiques intéressantes. Sa fragilité à l’usure, notamment hydrique, a été largement diminuée par l’ajout de crosslinkers dans les formulations usinées et par un taux de conversion optimisé par les méthodes industrielles. Certains auteurs l’utilisent même comme attelles de contention parodontales d’usage (figures 15 à 20), pour réaliser des mock-up flexibles de longue durée (dits snap-on/snap-off) ou encore des bases et dents des prothèses amovibles complètes usinées. La problématique, comme pour tout matériau usinable polymère, est son taux de conversion approximant les 100 % : l’idée encore une fois est de créer de la micro-rétention mécanique par projection de particules abrasives et de dissoudre partiellement la surface du matériau pour accroître la liaison avec l’agent de couplage.

Le protocole de référence semble être un sablage à l’oxyde d’aluminium (50 µm, 2 bars, pendant 10 s), suivi d’un primer spécifique visant à dissoudre partiellement la surface du PMMA [21]. Les primers spécifiques contenant du MMA (methylmetacrylate) comme le SR Connect (Ivoclar) ou ceux associant MMA et PETIA (pentaerythritol triacrylate) comme le Visio.link (Bredent) semblent les plus performants [22]. Si le praticien ne dispose pas de primer spécifique, un adhésif universel peut être utilisé par défaut après sablage, mais les valeurs d’adhérence immédiates et après vieillissement sont inférieures à celles du protocole idéal [23].

PEEK

Le PEEK (polyetheretherketone) est un matériau présenté depuis des années comme une potentielle solution pour faire face à l’interdiction de métaux comme le chrome-cobalt. Ce matériau extrêmement biocompatible présente une faible rigidité, associée à une piètre aptitude au collage par son hydrophobie importante, une faible énergie de surface et une micro-géographie difficilement modifiable. De plus, il n’existe pas en teinte « dent » et le PEEK nécessite donc un maquillage composite en situation esthétique [24].

Même si les données scientifiques sont manquantes, ce matériau peut cependant être utilisé en prothèse conjointe afin de mieux répartir les contraintes sur la dent délabrée, pour réaliser des ancrages radiculaires mais, surtout comme une alternative crédible pour réaliser des châssis en prothèse amovible (figures 21 à 23).

La stratégie de collage est similaire à celle décrite pour le PMMA au cabinet mais différente au laboratoire de prothèse. Le traitement de surface actuellement le plus performant serait l’acide sulfurique à 98 % (pendant 30 à 60 s), suivi de l’utilisation du Visio.link (Bredent) comme primer spécifique. Cependant, il ne semble réalisable qu’en laboratoire étant donné la dangerosité de cet acide. Lorsque celui-ci est amené à être réalisé au cabinet, le sablage à l’oxyde d’aluminium 50 µm (2 bars, pendant 10 s), suivi de l’application du Visio.link, semble le plus indiqué pour obtenir des performances proches du traitement de référence [25].

Titane et chrome-cobalt

Ces deux substrats sont parfois considérés, peut-être à tort, comme des substrats difficiles de collage alors que de nombreuses situations spécifiques peuvent nécessiter de coller le titane (comme l’assemblage sur Ti-base, attelles de contention orthodontiques ou parodontales) (figures 24 et 25) ou le chrome-cobalt (éléments prothétiques fixes en métal, ancrages radiculaires…).

Finalement, ces situations restent relativement bien gérées avec des valeurs d’adhérence satisfaisantes avec un simple sablage à l’oxyde d’aluminium 50 µm (pendant 10 s), associé à un primer spécifique contenant du 10-MDP (et parfois d’autres monomères fonctionnels) ou un primer universel. Le sablage réactif peut encore être ici considéré avec des valeurs d’adhérence comparables [26].

Pour le chrome-cobalt, l’utilisation d’une colle spécifique contenant du 4-META, capable de se lier au métal comme le Superbond (Sun Médical), ou de colles contenant du 10-MDP pour le chrome-cobalt et le titane, comme le Panavia F2.0 (Kuraray Noritake), peut également être considérée de par leur fort recul clinique. Toutefois, peu d’études les comparant aux traitements de surfaces plus récents comme ceux suscités permettent de trancher sur leurs performances par rapport à ces procédures plus récentes. Dans tous les cas, étant donné l’opacité de ces matériaux, des colles duales ou à chémo-polymérisation seule sont nécessaires car la photopolymérisation ne sera pas efficiente.

CONCLUSION

Que ce soit en méthode directe (restaurations directes ou réparations) ou indirecte, le praticien est chaque jour confronté à la problématique du collage sur différents substrats. Bien sûr, le collage sur la dentine, l’émail sain, la vitrocéramique, les ciments verre-ionomères ou les composites sont bien connus et réputés pour leur fiabilité. Mais il existe des substrats dits « difficiles » pour le collage ou sur lesquels nous sommes moins habitués à coller. Les substrats prothétiques et dentaires réellement « difficiles » sont finalement peu nombreux, hormis la dentine radiculaire profonde (et les ciments biocéramiques pour les matériaux restaurateurs), car des protocoles bien documentés existent et sont à la portée du praticien. La difficulté réside donc plus dans la connaissance des mécanismes d’adhésion avec la combinaison de la composante mécanique et chimique et dans l’application des procédures spécifiques, qui nécessitent comme toujours une vraie rigueur opératoire. Maîtriser tous ces protocoles offre alors l’accès à de nouvelles possibilités thérapeutiques…

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Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.