L’APPORT DES DISPOSITIFS ÉLECTRONIQUES D’ENREGISTREMENT DE LA CINÉMATIQUE MANDIBULAIRE DANS LE FLUX DE TRAVAIL NUMÉRIQUE
Flux numérique
Prothésiste dentaire, laboratoire AZM, Paris
Ayons à l’esprit quelques fondamentaux. La simulation de la dynamique mandibulaire d’un patient et la position de son axe charnière sont nécessaires dès lors qu’on aborde des réhabilitations complexes, pas nécessairement de grande étendue. C’est le rôle de nos articulateurs ajustables (figure 1). L’utilisation de tables de transfert du maxillaire selon des valeurs moyennes est une première approche, qui pourra...
Les dispositifs numériques d’acquisition de l’arc facial et des excursions mandibulaires d’un patient connaissent une popularité grandissante depuis quelques années en France. Sans qu’ils soient des outils nécessairement indispensables au dépistage des dysfonctionnements de l’ATM ou à l’élaboration d’un plan de traitement prothétique, ils se révèlent être d’une aide précieuse au quotidien, tant au cabinet dentaire qu’au laboratoire, pour mener à bien de manière ajustée et personnalisée le flux de travail prothétique.
Ayons à l’esprit quelques fondamentaux. La simulation de la dynamique mandibulaire d’un patient et la position de son axe charnière sont nécessaires dès lors qu’on aborde des réhabilitations complexes, pas nécessairement de grande étendue. C’est le rôle de nos articulateurs ajustables (figure 1). L’utilisation de tables de transfert du maxillaire selon des valeurs moyennes est une première approche, qui pourra suffire dans un petit nombre de cas seulement. Plus de 85 % de tous les travaux de prothèse sont encore réalisés aux valeurs moyennes ! L’utilisation d’un arc facial (figures 2-3), peu usitée car légèrement chronophage, affine la position de l’axe de rotation mandibulaire par rapport à l’axe transverse de l’articulateur, et donc la précision des mouvements excentrés mandibulaires. Enfin, l’enregistrement des déterminants postérieurs de l’occlusion - angles de Bennett et pentes condyliennes en particulier - permet de disposer de manière aboutie d’un avatar du patient offrant la possibilité de gérer finement au laboratoire les rapports occlusaux des réhabilitations (figure 4). Ces dispositifs sont restés peu usités car longs et fastidieux à mettre en pratique.
Un dispositif numérique permettant l’enregistrement simultané de l’arc facial et de l’axiographie en quelques minutes, avec un nombre de manipulations limité, a été développé dès les années 2000 par la société allemande Zebris (figure 5). Le logiciel Exocad s’est doté dès les années 2010 d’un module spécifique pour l’intégration dans la scène de design des données enregistrées - module Jaw Motion Import.
Dentsply-Sirona a développé quant à elle un autre système nommé Sicat-Function (figure 6). Des fabricants de caméras intra-orales, dont 3Shape et Medit, ont également inclus à leurs scanners des fonctions logicielles permettant l’enregistrement de petits mouvements mandibulaires. Enfin, la société française Modjaw® a présenté son propre dispositif en 2017 (figure 7), doté d’un logiciel d’analyse occlusale abouti facilitant grandement le diagnostic. Nous nous limiterons dans la suite de cet article à la description du système Zebris.
Les éléments aux différents enregistrements de l’occlusion sont (figure 8) :
- un dispositif placé sur le crâne du patient pendant les mesures, doté de récepteurs de signaux,
- une fourchette occlusale maxillaire pour l’enregistrement de l’arc facial,
- une fourchette para-occlusale mandibulaire pour l’enregistrement des mouvements excentrés mandibulaires,
- d’un émetteur de signaux placé au bout de ces fourchettes,
- un logiciel d’acquisition et d’analyse.
En quelques minutes de manipulation, on peut enregistrer :
- la position du maxillaire par rapport à l’axe charnière, par triangulation (figures 9 et 10),
- autant de relations occlusales que nécessaire à l’analyse (OIM, relation centrée, relation de repos, etc.),
- autant de mouvements mandibulaires que nécessaire à l’analyse (propulsion, latéralités, ouverture, rétrusion, mastication, phonation, etc., figures 11 et 12).
Le logiciel d’acquisition permet de générer ou d’exporter :
- une analyse occlusale statique ou dynamique des arcades sur empreintes réelles du patient (fichiers .stl ou .ply),
- un rapport de mesures (fichier.pdf) avec visualisation des graphes des déterminants postérieurs de l’occlusion (figure 13),
- un rapport numérique pouvant être importé dans la scène de design d’un logiciel adapté de CAO-CFAO, - un design de gouttière si nécessaire,
- un transfert de l’arcade maxillaire sur articulateur physique si nécessaire (figure 1415-16).
Toutes ces données aident non seulement au dépistage des dysfonctionnements des ATM, mais sont aussi précieuses dans l’analyse occlusale des rapports dento-dentaires du patient, et permettent d’en créer un véritable clone numérique aisément transmissible au laboratoire de prothèse.
Pendant le design en vue d’une planification - wax-up numérique - ou d’une réalisation de prothèse, les apports des données générées par les systèmes de modélisation de la cinématique mandibulaire sont nombreux. Dans des logiciels de conception et de fabrication adaptés, ils donnent le moyen :
- de placer automatiquement l’arcade maxillaire dans un articulateur virtuel par rapport à l’axe charnière (figure 17),
- de programmer automatiquement ce même articulateur avec les déterminants postérieurs de l’occlusion enregistrés au cabinet,
- de réaliser des adaptations dynamiques des modélisations en fonction des mouvements calculés sur articulateur virtuel.
De surcroît, toutes ces possibilités sont complétées par la visualisation des mouvements mandibulaires réels du patient - en dehors de tout articulateur virtuel donc (figure 18) - ainsi que des différentes relations occlusales enregistrées au fauteuil. Le prothésiste pourra donc modéliser les rapports dento-dentaires de la manière la plus ajustée, la plus personnalisée possible, suivant la relation occlusale retenue et les excursions mandibulaires enregistrées.
Si nous ajoutons à cela la visualisation dans la scène de design d’un scan facial 3D du patient, de photos cliniques ou d’une planification esthétique réalisée au cabinet, le geste prothétique s’en trouve encore guidé finement par l’échange de ces données avec le cabinet.
Ce système permet, grâce au rapport de transfert sur articulateur, de pouvoir sortir à tout moment d’un flux 100 % numérique si la solution cosmétique retenue l’exige. Dans le cas d’un bridge complètement ou partiellement stratifié, l’armature aura été conçue avec les solutions numériques énoncées précédemment, et le céramiste poursuivra et achèvera l’élaboration de la prothèse en cohérence avec les informations fournies purement numériquement, travaillant lui aussi sur un avatar fidèle du patient.
De même que les scanners intra-oraux ont bouleversé les méthodes de travail et transformé grandement le flux de travail au laboratoire, les arcs faciaux et axiographes électroniques ont remis en avant l’importance de la simulation du patient virtuel pour l’élaboration de la prothèse. Le temps de mise en œuvre, la difficulté et le nombre de manipulations ne sont plus un frein à l’utilisation de ces techniques d’acquisition pour le diagnostic des dysfonctionnements articulaires ou la modélisation ajustée des rapports occlusaux dans une scène de design. Les différents systèmes de digitalisation et de modélisation de la cinématique mandibulaire apportent les informations nécessaires à une synergie de travail cabinet-laboratoire performante, permettant au final de diminuer les temps d’ajustage des prothèses complexes.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.
[Première parution : L'Information Dentaire 2023;105(29):51-56]