MODELAGE ET ENREGISTREMENT DES TISSUS MOUS DANS LES RESTAURATIONS IMPLANTAIRES FIXÉES DE GRANDES PORTÉES
Restaurations de grandes portées
Nicolas LAFERTÉ* Serge PODPOVITNY**
*Prothésiste dentaire LDL Ceramique, Saint-Brieuc
**Chirurgien-Dentiste Pratique privée, Saint Brieuc
En implantologie, nous connaissons l’importance de guider les profils d’émergence des tissus péri-implantaires lors des techniques de mise en charge et/ou esthétiques immédiates, dans tous les secteurs. Le principe est de conserver un profil d’émergence proche de celui de la dent naturelle [1], permettant un équilibre et une harmonie entre la...
Cet article présente une méthode clinique de transfert du conditionnement des tissus mous d’une arcade complète par une technique d’empreinte entrainant la prothèse transitoire. Un protocole « sans stress ».
En implantologie, nous connaissons l’importance de guider les profils d’émergence des tissus péri-implantaires lors des techniques de mise en charge et/ou esthétiques immédiates, dans tous les secteurs. Le principe est de conserver un profil d’émergence proche de celui de la dent naturelle [1], permettant un équilibre et une harmonie entre la gencive et les futures prothèses : l’alignement des limites cervicales, le maintien des papilles interdentaires et la compression des intermédiaires de bridge. À cette étape post-avulsion, l’implant est connecté à une couronne transitoire, qui a pour rôle, entre autres, de guider la cicatrisation des tissus mous. Les profils d’émergence sont obtenus par une technique compressive de conditionnement des tissus mous [2]. Il est possible d’intervenir à plusieurs reprises pour recharger les profils de la couronne transitoire avec des résines composites flow, jusqu’à atteindre les résultats souhaités (figure 1). Après maturation et cicatrisation des tissus mous et durs, une empreinte peut être réalisée pour concevoir la prothèse implantaire d’usage.
Pour cela, il est nécessaire d’enregistrer les berceaux muqueux cicatrisés. Cette opération délicate, décrite par Hinds [3], fait l’objet d’un protocole et consiste à personnaliser un transfert d’empreinte standard. En effet, il est facile de constater les différences de forme entre un transfert personnalisé et un transfert générique d’un catalogue. Cette technique permet de transférer dans une empreinte physique tous les résultats de la cicatrisation réalisée par les tissus péri-implantaires [4]. Pour ce faire, la prothèse transitoire est connectée à un analogue et l’ensemble est enfoui dans un élastomère, jusqu’à la ligne de plus grand contour de la couronne. Ensuite, le transfert d’implant est vissé à une réplique d’implant et de la résine composite fluide est injectée dans le négatif du silicone (figure 2). Le transfert personnalisé ainsi obtenu est vissé en bouche juste avant la prise d’empreinte (figure 3). À noter que toutes ces informations des profils d’émergence auraient été perdues en cas d’utilisation d’un transfert d’empreinte générique (figure 4).
Si cette opération est aujourd’hui bien connue et facilement réalisable pour les couronnes unitaires, qu’en est-il dans les cas de bridges ? Quel protocole pour réaliser les transferts personnalisés sur 4, 6, 8 implants ? Faut-il relier les transferts d’implants à l’aide d’une contention en résine ou en métal ? Comment enregistrer les profils d’émergence au niveau des intermédiaires de bridges sans perdre en précision ? Comment optimiser le bridge transitoire ostéointégré ? Comment transférer la Dimension Verticale d’Occlusion (DVO) et les rapports d’occlusion sans repartir de zéro ?
Pour répondre à toutes ces questions, cet article présente une méthode clinique de transfert du conditionnement des tissus mous d’une arcade complète par une technique d’empreinte entraînant la prothèse transitoire.
L’empreinte implantaire complète est une séquence des plus importantes, mais aussi des plus délicates pour répondre aux exigences de précision [5]. Il existe plusieurs débats pour l’enregistrement de ces empreintes (figure 5).
Pour réaliser une empreinte implantaire, d’après Prithviraj [6], on sait qu’à partir de quatre implants, il est nécessaire de solidariser les transferts d’implants. Cela assure une empreinte de qualité avec le minimum de distorsion. Cette technique permet de minimiser les erreurs de repositionnement des transferts dans les implants ou sur les piliers coniques afin d’assurer une passivité de la structure supra-implantaire à venir (figure 6).
L’un des reproches faits à la solidarisation des transferts d’empreinte par de la résine méthacrylique est la potentielle observation d’un coefficient de déformation pouvant aller jusqu’à 6 à 8 % [7]. La non-passivité de l’armature connectée aux implants augmente le transfert des forces sur l’os et, par conséquent, peut induire une résorption osseuse, la fracture du col de l’implant, le dévissage intempestif de la vis du pilier et la fracture de l’armature et des éléments cosmétiques.
Les matériaux d’empreinte lourds, Putty ou Hard Putty, Impregum et tout autre silicone ont des propriétés relativement précises. Il n’y a pas de différences significatives qui valideraient un matériau plutôt qu’un autre. Leur utilisation pour réaliser des empreintes implantaires complètes est validée [8].
Enfin, d’après Mirza et Mahroo [9, 10], la distance qui sépare les implants les uns des autres et les différences d’axes sont des facteurs aggravants qui peuvent compromettre la précision des empreintes.
Les matériaux en silicone assurent un enregistrement précis des transferts d’implants, mais ils ont l’inconvénient d’être très compressifs. Cela peut donc perturber la précision de l’enregistrement des tissus mous, notamment au niveau des intermédiaires de bridge. Seules les empreintes au plâtre ont un niveau de précision suffisant (figures 7 à 9).
Pour toutes ces raisons, la réalisation et l’essayage de clé en plâtre sont obligatoires [11] pour contrôler la précision de l’empreinte, valider le modèle de travail et s’assurer de fabriquer une infrastructure prothétique parfaitement passive (figures 10a, b).
Les qualités des scanners intra-oraux ne sont plus à démontrer, tant leur utilisation est maintenant quotidienne. Leurs utilisations dans des cas de réhabilitations simples ou de faible étendue fonctionnent redoutablement bien. Ces machines sont aujourd’hui capables de réaliser des empreintes de très grande qualité, ayant une précision de plus ou moins 10 microns (figure 11). Le chemin de scannage est l’un des facteurs les plus importants pour réaliser de bonnes empreintes et il peut être différent selon les systèmes [12].
Néanmoins, comme en méthode traditionnelle, réaliser une bonne empreinte sur arcade complète se révèle être un tout autre défi. Il est important de donner les moyens à la machine de ne pas se perdre dans l’espace.
Parmi les facteurs de risque à prendre en considération : les distances trop éloignées entre les implants ; les positions des méplats des scans bodys ; l’anatomie centrifuge et centripète des arcades maxillaire et mandibulaire.
Toutefois, il existe quelques solutions pour aider les caméras : au maxillaire, il est possible d’avoir recours à des marqueurs radio-opaques qui peuvent être placés sur le palais du patient (intervention plus problématique à la mandibule). Il est conseillé de relier les scans bodys entre eux avec un matériau radio-opaque. Le recours à la clé en plâtre pour valider les modèles de travail demeure incontournable avant d’engager beaucoup trop de temps.
À ce jour, en numérique, il semblerait que la méthode photogrammétrique soit la plus performante. Cependant, la précision globale des mesures des méthodes photogrammétriques et conventionnelles semble similaire [13].
Aujourd’hui, et surtout à l’avenir, les scanners intra-oraux permettront de réaliser des empreintes de grande précision et d’une plus grande rapidité. Pour enrichir les techniques, de nouvelles pièces arrivent dans les bibliothèques numériques, avec des nouvelles générations de piliers de cicatrisation plus adaptés aux morphologies dentaires et aux mises en charges immédiates, notamment l’apparition récente de pièces appelées scan bodys inversés facilitant l’enregistrement des profils d’émergence (figure 12).
Dès lors, après avoir atteint les objectifs de réhabilitation globale, comment appréhender la réalisation de la prothèse d’usage, sans repartir de zéro (figure 13) ?
En effet, la prothèse transitoire mise en place le jour de la chirurgie et de la pose des implants est en bouche depuis plusieurs mois.
Cette dernière a permis de valider les étapes d’ostéointégration des implants, de cicatrisation des tissus péri-implantaires, de fonction masticatoire et d’intégration esthétique (figure 14). La prothèse transitoire a pleinement rempli son rôle et elle valide à 90 % le travail. Seuls quelques ajustements fonctionnels (tels que la DVO, le recouvrement des dents) ou esthétiques (tels que les résorptions osseuses, le manque de papilles, la ligne du sourire, le soutien de la lèvre, le point inter-incisif, les formes, les états de surfaces ainsi que la couleur) seront à améliorer [14].
Pour capitaliser sur la prothèse transitoire, et éviter de réaliser des transferts personnalisés (l’opération multipliée par 4, 6, 8 implants peut se révéler fastidieuse et très longue), et afin d’éviter de ré-enregistrer la Relation Inter-Maxillaire et la DVO, au risque de se tromper, la technique de l’empreinte de situation du transitoire est tout indiquée.
Le praticien entraîne le bridge transitoire dans un porte-empreinte personnalisé à ciel ouvert, puis il réalise l’empreinte. Les répliques d’implant sont ensuite connectées au bridge avec des vis longues de transferts d’empreintes.
Ainsi, il est directement transmis, en une seule et unique action, les profils d’émergence implantaire et la compression des inters de bridge (figure 15) [15]. Le bridge parfaitement passif endosse le rôle de la clé en plâtre de validation.
Le modèle avec la fausse gencive en silicone et celui avec la prothèse transitoire sont ensuite placés sur un articulateur. La Relation Inter-Maxillaire, la DVO et le volume de la prothèse ont ainsi été transférés sur ce simulateur. Nous préconisons l’utilisation du Ditramax pour positionner la ligne du sourire dans le bon espace 3D. La prothèse transitoire est ensuite scannée puis retournée au cabinet dentaire.
Ces points majeurs et critiques sont transmis sans difficultés et avec la plus grande précision [16].
Pour réaliser l’infrastructure implantaire, le recours à la modélisation par CFAO assure une passivité optimale des armatures avec une précision industrielle de l’ordre de 10 microns.
Dans un premier temps, le modèle implantaire est numérisé à l’aide de corps de scannage (scan body) pour repositionner les implants dans l’espace 3D puis, dans un second temps, il est matché avec le fichier stl de la prothèse transitoire. Cela permet d’obtenir une réplique numérique parfaite de la situation en bouche.
À partir de cette projection tridimensionnelle du bridge transitoire vissé sur le modèle de travail et en occlusion, le travail de conception de l’armature d’usage peut commencer. À ce stade, il est encore possible d’améliorer l’intégration de la future prothèse d’usage en retravaillant quelques erreurs ou défauts visibles (figure 16).
Pour optimiser la résistance mécanique de l’infrastructure, il convient de préserver des connexions larges et étendues entre les éléments ; toutes les faces du bridge sont en zircone. Les morphologies occlusales, l’occlusion et la fonction dynamique de groupe sont également en zircone.
Pour garantir une très bonne intégration parodontale et afin de préserver un état de surface très lisse, la zircone en contact avec les muqueuses gingivales doit être parfaitement polie mécaniquement sans ajout de glazure ou de céramique feldspathique [17]. L’état de surface de la zircone permet la formation d’hémi-desmosomes avec le tissu gingival contribuant à la stabilité des tissus dans le temps.
Le matériau utilisé pour l’infrastructure est une zircone HTML, dégradée dans la teinte, avec une résistance de 1 200 MPa. Ce matériau qualitatif permet de ne pas utiliser d’embases titane pour piliers coniques. Ainsi, l’esthétique dans le secteur antérieur est améliorée en évitant l’effet grisâtre provoqué par ces pièces qui présentent un bandeau métallique périphérique (figure 17).
De plus, si nous savons aujourd’hui que les colles auto-adhésives et photo-polymérisables ont de hautes valeurs d’adhésion pour l’assemblage des matériaux titane et zircone, nous ne connaissons pas la durabilité des liaisons titane-colle-zircone dans un milieu humide face aux forces de cisaillement, et l’impact que peut avoir ce vieillissement sur la biologie des tissus environnants.
Seules des réductions homothétiques vestibulaires sont réalisées pour un apport de céramique feldspathique afin d’optimiser l’esthétique, les formes et la couleur de la restauration (figure 18).
Dans le cas d’une prothèse FP1, l’étanchéité obtenue par la compression entre le sulcus et la prothèse d’usage est biologiquement suffisante. Néanmoins, une attention particulière est portée pour laisser un accès suffisant, non excessif pour le passage de brossettes inter-dentaires. Les brosses fines et douces sont préconisées pour que cet entretien ne soit pas blessant pour les papilles.
Une fois par an, lors du rendez-vous de maintenance, le bridge est démonté pour un nettoyage global et en profondeur. À cette occasion, les vis usagées sont remplacées par des vis neuves. Des clichés radiologiques de contrôle sont réalisés.
Cette technique est rapide, fiable, économique et reproductible. Elle permet de capitaliser sur tout le travail de la mise en charge immédiate. On ne repart pas de zéro pour réaliser la prothèse d’usage mais, au contraire, la prothèse implantaire transvissée transitoire parfaitement intégrée est mise à profit pour optimiser la restauration d’usage. Cela représente un gain de temps, car le nombre de rendez-vous au fauteuil est moindre.
Les étapes de transferts personnalisés, de contention des transferts, la validation du modèle par une clé en plâtre et les étapes de prise d’occlusion sont réalisées en un seul rendez-vous, lors de la prise d’empreinte en entraînant la prothèse transitoire.
Cette technique nécessite une communication optimale entre le patient, le praticien et le prothésiste dentaire, mais sa fiabilité permet d’obtenir des résultats très satisfaisants dans un état de quiétude totale (figure 19).
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.