CONNEXIONS IMPLANT/PILIER LA QUÊTE DU GRAAL - Clinic n° 05 du 01/05/2021
 

Clinic n° 05 du 01/05/2021

 

Dossier

Julien PACCHIONI*   Pascal AUROY**  


*PH, Unité fonctionnelle d’implantologie orale, CHU de Clermont-Ferrand. Exercice libéral en implantologieet parodontologie, Clermont-Ferrand.
**PU-PH, Laboratoire de recherche clinique en prothèse odontologique, UFR d’odontologie. Unité fonctionnelle d’implantologie orale, CHU de Clermont-Ferrand.

La connexion entre le pilier et l’implant est bien plus que le simple moyen de solidariser les éléments prothétiques aux implants car elle participe à la pérennité du traitement en assurant durablement la transmission des contraintes occlusales à l’implant et aux tissus de soutien. Le choix du type de connexion est donc stratégique. Preuve en est le foisonnement d’architectures spécifiques proposées par les fabricants. Mais toutes les connexions ne se valent pas. Leur design et la qualité de leur fabrication déterminent leur comportement mécanique et leur influence sur les tissus péri-implantaires.

Les thérapeutiques implanto-prothétiques occupent désormais une place de choix dans les traitements de nos patients partiellement ou complètement édentés [1, 2]. Cependant, ces traitements ne sont pas exempts de complications. En effet, la survie à long terme montre que le taux de succès peut être affecté par la résorption de l’os crestal, sous l’influence de facteurs biologiques, tels que la colonisation bactérienne de l’interface implant/pilier [3, 4], ou biomécaniques et prothétiques [5].

Dans ce marché dynamique et concurrentiel où les fabricants ont multiplié les innovations, chaque système implantaire est caractérisé par l’architecture spécifique de son interface implant/pilier (tableau 1).

CLASSIFICATION

La plupart des interfaces implant/pilier entrent dans une classification communément admise qui les regroupe en connexions externes et internes. Les connexions externes ont généralement un hexagone en saillie sur la plate-forme de l’implant (figure 1A). Les connexions internes présentent des architectures variées creusées dans la plate-forme implantaire.

Les connexions internes sont elles-mêmes subdivisées en connexions internes non coniques, présentant des hexagones, octogones ou des lobes internes (figure 1B), et en connexions internes coniques (figure 1C), appelées abusivement « cône morse », qui ont une architecture et des propriétés particulières [6].

MÉCANIQUE

Mais, au-delà du design de la connexion, c’est le comportement mécanique de l’interface entre le pilier et l’implant qui doit être pris en considération. Dans la majorité des cas, la coaptation entre le pilier et l’implant n’est assurée que par l’intermédiaire d’une vis. Le maintien au long court de ce type de connexion dépend de la géométrie et de l’alliage du titane de la vis mais aussi des tolérances d’usinage appliquées par le fabricant aux éléments de la connexion.

Puisque seule la vis est mise en tension et qu’un jeu fonctionnel nécessaire à l’insertion existe entre les deux contreparties de la connexion, on parle dans ce cas de connexions passives (HE sur la figure 2).

À l’inverse, certaines connexions, se faisant par un emmanchement sans jeu de la majeure partie de l’interface entre le pilier et l’implant, sont dites actives (CI sur la figure 2). Dans ces connexions, il n’existe pratiquement pas d’espace entre les composants, les deux parties étant intimement encastrées, et l’on parle parfois de « soudure à froid ». Les contraintes mécaniques subies par le pilier sont transmises directement à l’implant. Ce n’est donc plus la vis qui maintient la connexion et assure la transmission des contraintes. Par conséquent, les couples de serrage peuvent être moindres, pouvant parfois même aboutir à la suppression de la vis devenue inutile (implants Leone® et Bicon®).

L’expression la plus répandue de connexion active est la connexion conique interne où le long cône mâle du pilier s’emmanche dans le cône femelle de l’implant. Mécaniquement, ces connexions se rapprochent des cônes d’emmanchement ou cônes d’outillage utilisés dans l’industrie et les machines-outils. Néanmoins, s’échelonnant de 22,2° (ETK Naturactis®), 12° (Dentsply Ankylos®), 5° (Leone®) à 3° (Bicon®), de conicité totale, elles n’atteignent pas les valeurs Morse toutes inférieures à 3° (norme ISO 296).

Quelles que soient ses spécificités, la connexion implant/pilier doit impérativement répondre à deux objectifs primordiaux : la stabilité et l’étanchéité.

STABILITÉ DE LA CONNEXION

Les phénomènes de dévissage et de fracture de la vis sont bien décrits dans la littérature.

Pour les connexions externes, à cause de leur faible emmanchement, la principale complication affecte la vis de serrage qui doit assurer seule la stabilité de la coaptation du pilier sur l’implant. La vis est très exposée aux composantes transversales des contraintes occlusales qui la sollicitent en traction et en cisaillement, provoquant son desserrage et parfois sa fracture (figure 3).

La connexion interne est moins sensible à ce phénomène car l’emmanchement du pilier dans l’implant contribue à moins solliciter la vis. De ce point de vue, l’emmanchement conique est le plus performant car l’emboîtement en friction du cône mâle du pilier dans le cône femelle de l’implant contribue à transmettre directement les contraintes occlusales du pilier à l’implant sans solliciter la vis.

Les couples de serrage prescrits par les fabricants pour les vis de piliers à connexion conique interne peuvent donc être plus faibles (environ 20 N cm) que pour les connexions internes non coniques (environ 25 N.cm) et que pour les connexions externes (30 à 35 N.cm). Mais les piliers sont plus sollicités, pouvant les conduire exceptionnellement jusqu’à la fracture (figure 4).

Les différentes causes d’échecs de traitements implantaires sur une période de 5 ans sont recensées dans la revue de littérature de Jung qui analyse 1 558 implants de cinq fabricants différents, dont il en ressort 12,7 % de dévissage [7]. Il faut cependant rapporter que dans cette analyse, si l’on ne prend en considération que les systèmes à connexion interne, le nombre de dévissage est ramené à 5,8 %. Ce qui est toujours trop mais reste modéré.

Les fractures sont assez rares et ne représentent que 0,35 % pour les vis et les piliers confondus et 0,14 % pour les implants [7]. C’est très peu mais les conséquences cliniques sont importantes car il est long et fastidieux, parfois même impossible, d’éliminer de l’implant les fragments de vis ou de piliers fracturés, ce qui rend l’implant inutilisable (figure 3).

Au-delà de l’architecture des connexions, ce sont les tolérances et la précision d’usinage appliquées par les fabricants qui déterminent la stabilité de l’interface entre le pilier et l’implant. Le jeu inhérent à la précision de fabrication présente deux conséquences majeures :

- il se concrétise à l’insertion du pilier dans l’implant par une multitude de positions disponibles entre les butées horaires et anti-horaires des dispositifs anti-rotationnels de la connexion. Cela crée un aléa de positionnement du pilier dans l’implant d’autant plus important que le jeu est grand : c’est le rotational misfit des Anglo-Saxons (figure 5). Les conséquences sont esthétiques et occlusales pour les éléments unitaires mais remettent aussi en cause la passivité de l’armature pour les éléments pluraux ;

- il a également été bien démontré que l’augmentation du jeu en rotation favorise le dévissage du pilier et affecte l’étanchéité de la connexion [8, 9].

Dans la majorité des dévissages ou des fractures de vis, il s’agit de connexions passives où la vis est l’unique système de solidarisation du complexe implant/ pilier. Les connexions actives, permettant de mieux dissiper la charge à l’interface implant/pilier [10], réduisent ces complications techniques [11]. Bien entendu, toutes ces considérations ne s’appliquent qu’à des connexions originelles, non modifiées, d’implants et de piliers de même marque (figure 6), dont seul le serrage précis au couple recommandé par le fabricant permet de réduire le nombre d’incidents techniques [12].

ÉTANCHÉITE DE LA CONNEXION

L’étanchéité et la stabilité de la connexion implant/pilier sont corrélées. Les jeux importants et les connexions passives favorisent la présence de hiatus à l’interface implant/pilier et permettent la colonisation bactérienne de ces micro-espaces. De même, ils autorisent l’ouverture et la fermeture dynamique de ces micro-espaces sous les contraintes occlusales, véritable micro-pompe aspirant et rejetant la soupe inflammatoire constituée de bactéries, de cellules épithéliales ou conjonctives et de leur contenu vers le péri-implant (figure 1A).

Pour Hansson [10], seules les connexions coniques assurent l’étanchéité statique et dynamique de l’interface implant/ pilier. Ainsi, d’une méta-analyse de 2018 [13], il ressort que la perte osseuse péri-implantaire observée autour d’implants ayant une connexion interne ou conique est moindre que celle d’implant à connexion externe. De plus, il semble que la connexion interne conique induise moins de perte osseuse péri-implantaire que la connexion interne non conique, à cause de son faible hiatus empêchant la colonisation bactérienne de l’interface implant/ pilier [14, 15] mais aussi en diminuant les micromouvements lors des sollicitations fonctionnelles [6] (figure 1C).

Les connexions internes et surtout coniques internes semblent donc être plus favorables au maintien du niveau osseux crestal à court et moyen termes que les connexions externes passives dont seule la mise en place juxta-muqueuse, qui éloigne verticalement le hiatus de l’os, limite ou supprime leur effet délétère sur le péri-implant (figure 7).

DÉPORT JONCTIONNEL HORIZONTAL

Tout aussi important pour la préservation de l’os marginal que le type de connexion lui-même [16], le platform-switching [17], que nous traduirons en français par « déport jonctionnel horizontal », a été envisagé à partir de 1985. Ce concept, bien décrit par Baumgarten en 2005 [18], a été suggéré suite aux observations de la préservation osseuse péri-implantaire autour d’implants de gros diamètre (5 et 6 mm) sur lesquels avaient été mis en place des composants de diamètre standard (4,1 mm). En ramenant la connexion entre l’implant et le pilier vers le centre de l’implant, le micro-hiatus et l’infiltra inflammatoire associés sont éloignés de l’os, ce qui réduit significativement sa résorption cervicale [19] (figure 1C).

Une revue de littérature [20] compilant 81 études met en avant les bénéfices résultant de l’association d’une connectique conique interne et du concept de platform-switching permettant non seulement une stabilité et une étanchéité meilleures de la connexion mais aussi son déplacement vers l’axe de l’implant.

Cette association est considérée comme la morphologie qui préserve le mieux les niveaux verticaux de l’os crestal [20], qui optimise la cicatrisation et qui préserve l’os péri-implantaire, ce qui améliore la stabilité des tissus mous. Néanmoins, elle n’améliore pas le taux de survie qui reste similaire à celui des autres formes de connexion [21, 22].

CONCLUSION

Tous les types de connexion permettent de réussir une réhabilitation implanto-prothétique bien que la perte osseuse péri-implantaire à court et moyen termes semble être moindre pour les connexions internes.

Les connexions internes coniques paraissent plus avantageuses, garantissant une étanchéité et une stabilité meilleures de l’interface implant/pilier. Elles réduisent l’incidence du desserrage des vis et améliorent la répartition des charges occlusales.

Associées au déport jonctionnel horizontal, les connexions coniques internes sont sans doute la forme actuellement la plus aboutie et biologiquement la plus performante des connexions implant/pilier.

BIBLIOGRAPHIE

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Liens d’intérêts

Pascal Auroy déclare des liens d’intérêts avec Dentsply Sirona et Zimmer Biomet en tant qu’expert et déclare que le contenu de cet article ne présente aucun conflit d’intérêts. Julien Pacchioni déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.