Chirurgie implantaire prothétiquement guidée utilisant le flux numérique - Clinic n° 11 du 01/11/2018
 

Clinic_Hors série n° 11 du 01/11/2018

 

IMPLANTOLOGIE NUMÉRIQUE

Hélène LE HECHO*   Anne BOËDEC**  


*Chirurgien-dentiste
Study Club ITI Val de Loire
**Chirurgien-dentiste
Study Club ITI Pays de la Loire

L’analyse esthétique est primordiale avant d’engager toute thérapeutique. Les outils de planification moderne permettent de prédire les difficultés. La réflexion autour d’un positionnement optimal des implants en terme d’axe et d’émergence est privilégiée. Le guide pilote permet de positionner les implants dans l’axe choisi. Les techniques CFAO facilitent les réhabilitations prothétiques.

Le patient est un homme âgé de 48 ans, non fumeur et en bonne santé générale.

Il a subi un traumatisme bucco-dentaire six mois auparavant au cours d’une rixe.

Les dents 21 et 22 (incisives maxillaires centrale et latérale gauche) n’ont pu être conservées et sont actuellement remplacées par une prothèse amovible partielle à châssis métallique. Le bilan clinique fait apparaitre de légères récessions gingivales non visibles au sourire étant donné une ligne labiale moyenne. Plusieurs dents étant manquantes, la perte pré-existante des papilles interdentaires nécessitera une gestion des tissus mous pour un résultat esthétique optimal (fig. 1).

Les options de traitement sont discutées avec le patient (tableaux 1 à 3). Le cas est classifié comme Complexe du point de vue chirurgical (défaut osseux vertical), mais le patient refuse la solution thérapeutique de greffe osseuse. Il est donc choisi une chirurgie prothétiquement guidée en flux numérique afin de valider au préalable le projet prothétique avec le patient. Les dents 21 et 22 étant déjà extraites depuis 6 mois, la phase chirurgicale est un protocole de Type 3 (placement différé), suivie d’une mise en esthétique immédiate (prothèse provisoire fixée le jour de la pose de l’implant) [1].

Conclusion du cas

Voici comment les outils numériques nous ont permis :

- d’anticiper les difficultés : à travers l’analyse esthétique, la simulation du projet prothétique ;

- de planifier : le positionnement tri-dimensionnel des implants ;

- d’optimiser les profils d’émergence des restaurations pour améliorer l’esthétique dans un contexte de défaut vertical osseux ;

- de restaurer : en provisoire et en définitif.

Bibliographie

  • [1] Aparicio C, Rangert B, Sennerby L. Immediate/early loading of dental implants: a report from the Sociedad Española de Implantes. World Congress consensus meeting in Barcelona, Spain, 2002.
  • [2] Buser D. Optimizing Esthetics for Implant Restaurations in the Anterior Maxilla: Anatomie and Surgical Considerations. Int J Oral Maxillofac Implants 2004;19(supp):43-61.
  • [3] Levine RA, Huynh-Ba G, Cochran DL. Soft Tissue Augmentation Procedures for Mucogingival Defects in Esthetic Sites. 5e Conférence de consensus ITI, Bern 2013.
  • [4] Belser U, Jones JD, Keith SE, Higginbottom F. Prosthetic Management of Implants in the Esthetic Zone. Int J Oral Maxilofac Implants 2004;19(suppl):62-72.

PAS À PAS : Bilan, diagnostic et planification

Analyse esthétique (fig. 2)

Le patient présente un risque esthétique faible avec une ligne de sourire basse et une exigence modérée. L’utilisation du logiciel de planification va permettre de simuler le résultat esthétique, et d’obtenir la validation du projet prothétique par le patient.

La dent controlatérale 11, nécessitera une prise en charge conservatrice afin de corriger la fracture amélaire du bord libre et optimiser le résultat esthétique.

Empreinte optique

L’empreinte optique réalisée, va permettre d’exporter un fichier numérique STL après traitement par un logiciel dédié.

Projet prothétique : Modèles d’étude et Wax up virtuels (fig. 3)

Ce fichier STL est ensuite exploité par le logiciel de conception prothétique. Un modèle d’études et des wax-up virtuels sont alors finalisés. A ce stade il est facile de mettre en évidence le compromis esthétique par le choix d’une technique sans greffe osseuse. En effet, nous pouvons tout de suite constater le défaut d’alignement des collets des incisives centrales ainsi qu’une gestion difficile des papilles (distance du point de contact entre 11 et 21 supérieur à 7 mm par rapport à la crête osseuse) [2].

Modèles d’études physiques 3D (fig. 4 et 5)

Les modèles d’étude peuvent alors être imprimés par stéréolithographie.

Bilan radiologique et fusion des données (fig. 6 à 8)

L’examen radiologique complémentaire pré-opératoire (Cone Beam) est réalisé afin d’obtenir un fichier DICOM des volumes osseux. Les volumes osseux sont favorables pour la pose de deux implants. Nous confirmons un défaut vertical en site de 11 et un maintien du volume au niveau des dents adjacentes.

Les données STL et DICOM sont fusionnées après identification de points dentaires remarquables au niveau de l’examen radiologique et des modèles virtuels.

Les données esthétiques, prothétiques et osseuses sont alors associées pour pouvoir réaliser la planification implantaire.

Planification (fig. 9 à 11)

Les implants sont choisis en tenant compte des volumes osseux disponibles et du projet prothétique (couronnes unitaires transvissées).

Conception et fabrication du guide chirurgical (fig. 12 et 13)

A ce stade, la conception du guide chirurgical peut être réalisée à l’aide d’un logiciel de planification. Avant d’être imprimé en résine.

Le design du guide s’étend aux dents de part et d’autre de l’édentement afin d’assurer une bonne stabilité per-opératoire.

PAS À PAS : Chirurgie (fig. 14 et 15)

Les implants sont positionnés à l’aide du guide chirurgical après réalisation d’un lambeau muco-périosté (incision crestale et intrasulculaire des dents adjacentes) de 11 à 23 sans décharge verticale. Le col de l’implant en site de 11 est positionné plus de 3 mm en dessous de la jonction amélocémentaire de l’incisive controlatérale (lié à la présence du défaut osseux vertical pré-opératoire).

Un greffon de tissu conjonctif est placé au niveau vestibulaire pour corriger le défaut horizontal de tissus mous et compenser la part papillaire. Le prélèvement de tissu conjonctif est réalisé au niveau palatin tubérositaire, afin d’assurer une stabilité au long terme des tissus mous [3].

PAS À PAS : Prothèse

Prothèses provisoires (fig. 16 à 18)

Les corps de scannage sont respectivement positionnés sur les deux implants afin de réaliser l’empreinte optique pour les couronnes provisoires.

Cette technique permet de s’affranchir de l’utilisation de matériaux à empreinte conventionnelle, et de ce fait de toute sollicitation mécanique des tissus mous greffés.

Les couronnes provisoires sont usinées en VITA ENAMIC (céramique hybride monobloc) après fabrication par CFAO. Elles sont ensuite solidarisées par collage à des embases titane avant d’être positionnées en bouche.

Cette céramique a l’avantage de pouvoir être maquillée et d’avoir un état de surface optimal pour permettre une bonne maturation des tissus mous.

Les couronnes provisoires sont ensuite laissées en place pendant 3 mois. Selon la 3e conférence de consensus ITI Gstaad 2003, l’utilisation de restaurations provisoires avec un profil d’émergence adéquat est recommandé pour guider et modeler les tissus mous péri-implantaires avant la restauration finale [4].

Prothèses d’usage (fig. 19)

Deux couronnes en disilicate de lithium collées sur embases en titane, réalisés selon le même procédé, sont transvissées sur 21 et 22 et torquées avec une clé dynamométrique. Les puits de vissage sont obturés avec de la gutta chaude et du composite.

ITI Treatment Guide :

Implant therapy in the esthetic zone Single-tooth replacements Vol 1.

Protocoles de mise en charge en implantologie dentaire Vol 4.

Edentements étendus dans la zone esthétique Vol 6.

Procédures d’augmentation de la crête alvéolaire en implantologie Vol 7.

Classification SAC en implantologie dentaire.

DISCUSSION DU CAS

Dans un contexte conventionnel, une greffe osseuse verticale aurait trouvé son indication. Une analyse en terme de bénéfice/risque est primordiale et l’approche thérapeutique doit être adaptée et personnalisée pour chacun de nos patients. Pour notre patient, cette solution n’a pas été retenue.

Nous avons privilégié une réflexion autour d’un positionnement optimal des implants en terme d’axe et d’émergence. L’analyse esthétique a été primordiale avant d’engager toute thérapeutique. Les outils de planification moderne nous ont permis de prédire des difficultés en terme d’obtention des papilles et d’alignement. Après validation par le patient, le guide pilote a permis de positionner les implants dans l’axe choisi. Les techniques CFAO nous ont permis de réaliser deux couronnes provisoires de grande précision (sur piliers indexés, travail des états de surface) dans l’heure suivant l’intervention. Trois mois plus tard, les réhabilitations prothétiques d’usage ont été réalisées selon le même procédé.

Les outils numériques actuels permettent, à travers des analyses esthétiques rigoureuses de se rapprocher du résultat esthétique final et d’anticiper les difficultés.

L’objectif final étant de satisfaire au mieux le patient en respectant les recommandations émises par les guides de traitement ITI.