L'avenir, ce n'est pas le smartphone, mais la smart membrane - Implant n° 2 du 01/05/2019
 

Implant n° 2 du 01/05/2019

 

IMPLANT A RENCONTRÉ

ISTVAN URBAN  

Implant a rencontré Istvan Urban, praticien et conférencier leader en chirurgie reconstructive pré- et péri-implantaire, auteur de nouvelles procédures cliniques et chirurgicales, de nombreuses publications internationales et plus récemment d'un superbe ouvrage sur l'augmentation crestale horizontale et verticale*. Christian Molé et Philippe Russe ont pu s'entretenir avec lui au Urban Regeneration Institute à Budapest.

Propos...

Implant a rencontré Istvan Urban, praticien et conférencier leader en chirurgie reconstructive pré- et péri-implantaire, auteur de nouvelles procédures cliniques et chirurgicales, de nombreuses publications internationales et plus récemment d'un superbe ouvrage sur l'augmentation crestale horizontale et verticale*. Christian Molé et Philippe Russe ont pu s'entretenir avec lui au Urban Regeneration Institute à Budapest.

Propos recueillis par Christian Molé et Philippe Russe**

* Vertical and horizontal ridge augmentation. New perspectives. Chicago : Quintescence Publishing, 2017.

** Merci à Annie Malerbi pour son aide à la traduction.

Docteur Urban, les techniques d'augmentation osseuse pré- ou péri-implantaire s'enrichissent continuellement depuis les années 2000 de nouvelles procédures, de nouveaux protocoles et de nouveaux matériaux reconstructifs ou régénératifs. Si le recours aux greffes autogènes reste encore souvent décrit comme le « gold standard », l'apport des biomatériaux de substitution osseuse a permis de considérablement restreindre l'ampleur des prélèvements autologues. Et donc de diminuer les temps opératoires, la morbidité des sites donneurs et les conséquences gênantes pour nos patients. À l'image de ce qui s'est passé il y a quelques années dans le domaine de la parodontie, nous sommes progressivement passés de l'ère de la reconstruction à celui de la régénération osseuse. En effet, le recours aux membranes, matrices de séparation tissulaire et de sélection cellulaire, s'est quasi généralisé, que les apports soient réalisés sous formes de blocs, de particules ou bien d'un mélange des deux. À l'appui de votre expérience et de vos résultats publiés, vous proposez des formations particulièrement attractives et intéressantes sur des techniques innovantes de reconstruction crestale horizontale et verticale, et notamment la « sausage technique ». De nombreux praticiens attendent patiemment de pouvoir vous rencontrer ici à Budapest, pour continuer d'apprendre à faire croître démesurément les crêtes alvéolaires dans les pertes de substances étendues. Merci d'accepter de répondre à nos questions.

Christian Molé : Quel est, en quelques mots, votre parcours professionnel ?

Mon père était médecin et j'adorais l'accompagner à l'hôpital. J'y ai rencontré deux spécialistes en chirurgie orale et j'ai été passionné par ce qu'ils m'ont montré. J'ai ainsi décidé très tôt de m'orienter vers l'école dentaire pour devenir chirurgien. À 23 ans, lorsque j'ai terminé mes études dentaires, j'ai décidé d'aller à l'école de médecine mais, tout en suivant les cours, je me suis formé à l'hôpital avec les chirurgiens pendant 4 ans. Ensuite, j'ai choisi de partir à Los Angeles car j'étais très intéressé par la parodontie. Je suis devenu interne à UCLA, j'ai adoré, et je suis ensuite allé à Loma Linda car j'étais très attiré par tout ce qui concerne le tissu osseux.

J'ai ensuite fréquenté un grand nombre de sites de formation et de cours, j'ai pris beaucoup de photos puis, avec Judith, mon épouse, nous avons décidé de retourner vivre à Budapest. Je me suis alors réellement focalisé sur la régénération. J'avais initialement un petit cabinet avec juste un fauteuil, et c'est là que j'ai recueilli toutes les données que nous avons publiées par la suite. C'est à ce moment que j'ai également pris goût à l'enseignement, mais aussi à la recherche clinique et plus récemment à la recherche fondamentale.

CM : Dans la littérature, les résultats morphologiques en termes de régénération restent meilleurs avec les membranes non résorbables. Pourtant, vous avez souvent recours aux membranes résorbables : quels sont aujourd'hui vos critères cliniques de choix ?

Historiquement, nous avons longtemps travaillé exclusivement avec les membranes non résorbables pour les reconstructions verticales et horizontales. Accidentellement, en 2003, je me suis retrouvé face à une grosse complication. J'ai dû retirer la membrane non résorbable après 3 semaines environ, suite à une infection avec présence de fistules. Quand j'ai commencé à déposer la membrane, j'ai pensé que j'allais devoir enlever toute la greffe. Finalement, je n'ai retiré qu'une partie du greffon et j'ai constaté que le reste de la greffe était déjà très bien stabilisé à seulement 3 semaines. J'étais très surpris. Je me suis contenté de mettre en place une membrane résorbable sur le sommet du défaut, j'ai refermé le lambeau, et j'ai craint de perdre totalement la reconstruction pour ce cas. Mais lorsque je suis revenu sur le site à 6 mois, nous avions tellement d'os régénéré que nous pouvions placer les implants sans aucune greffe additionnelle. C'est alors que nous avons compris qu'il n'était peut-être pas si nécessaire finalement d'avoir recours uniquement à des membranes non résorbables. Nous avons débuté une étude clinique sur les augmentations horizontales, lorsqu'un mur osseux était toujours présent, en utilisant uniquement des membranes résorbables. Et c'est ce que nous avons mis en pratique depuis 2004, soit depuis 15 ans désormais. Nous avons développé pour cela la « sausage technique ». En revanche, pour les augmentations verticales, nous n'utilisons que des membranes en Gore-Tex® renforcées en titane, car nous avons davantage besoin de stabilité dimensionnelle.

Philippe Russe : Quel est votre point de vue sur les toutes premières membranes en Gore-Tex® renforcées ? Pourquoi a-t-on stoppé leur commercialisation ?

J'adorais les premières membranes Gore-Tex qui ne m'ont jamais posé de problème. Mais de nombreux chirurgiens ont commencé à les utiliser sans avoir les connaissances requises pour savoir correctement suturer et réellement refermer les tissus, et il y a eu beaucoup d'expositions. Le Gore-Tex expansé, avec ses innombrables micropores, est un système ouvert malheureusement parfait pour une colonisation bactérienne au travers de la membrane et vers la greffe osseuse. Il y a eu beaucoup d'infections et la compagnie a dit : « You know what ? We stop ! » Pour ces compagnies, ces membranes ne représentaient « que » quelques millions de dollars (!).

CM : Les biomatériaux actuels, disponibles en particules ou en bloc, peuvent-ils se dispenser de tout apport osseux autogène ? Qu'apporte réellement chaque fraction de matériau au cours de la cicatrisation primaire, et notamment pour la stabilité des résultats à long terme ?

Je pense très sincèrement que nous avons toujours besoin d'os autogène. Pour nos procédures d'augmentation, nous utilisons uniquement des particules (nous n'utilisons pas les blocs), et nous les mélangeons avec 50 % de copeaux autologues. La raison est que cela nous apporte des cellules et des facteurs de croissance dont nous avons besoin pour tout ce qui se trouve à distance du front osseux. Et ceci spécifiquement dans les augmentations verticales, car nous savons que l'os existant est très loin de l'endroit où nous allons avoir à poser les implants. Dans ces situations, nous savons que si nous n'utilisons pas cette stimulation biologique, cela va être un challenge totalement disproportionné pour l'os de croître autant.

PR : Est-ce que vous pensez qu'il est impossible d'avoir recours aux blocs car il n'y a pas d'induction de cellules ?

Vous pouvez utiliser des blocs autogènes. Je ne les utilise pas, mais vous pouvez le faire, bien entendu... En ce qui concerne les blocs fabriqués par les sociétés dentaires. Il y a différentes formules selon les sociétés qui les commercialisent. Je n'ai pas beaucoup d'expérience avec, mais je rencontre des patients où le bloc allogénique a disparu, ou bien où il y a des résorptions, ou encore des problèmes d'incorporation du matériau. Et c'est la même chose pour les blocs xénogéniques. Mais il y a autre chose : si vous utilisez des blocs allogéniques ou xénogéniques, lors d'une complication avec exposition, l'essaimage bactérien est facilité et il est impossible de l'enrayer. S'il y a une infection de faible degré avec une greffe particulaire, elle peut affecter quelques compartiments mais elle ne gagne pas toute la greffe, et vous avez plus de chance de pouvoir traiter la complication.

CM : Trois types de biomatériaux semblent pouvoir être utilisés en reconstruction ou régénération osseuse : d'origine humaine, d'origine animale et les synthétiques. Excluez-vous aujourd'hui certaines de ces formes et pourquoi ?

Pour moi, ce n'est pas important de connaître l'origine exacte de ces biomatériaux : le point clé est de savoir comment ils fonctionnent. Par exemple, il y a différents types de greffons xénogéniques. Il faut prendre en compte la topographie de surface de ce matériau qui doit être semblable à celle de l'os humain. Le sang peut dès lors très bien s'y fixer, et les cellules vont pouvoir y pénétrer. Vous pouvez avoir deux matériaux qui semblent identiques, mais si l'un est traité d'une certaine manière, avec des hautes températures par exemple, ses propriétés topographiques et physico-chimiques peuvent être modifiées, les pores peuvent se boucher, et le biomatériau deviendra difficile à incorporer. J'en ai essayé quelques-uns, mais de façon parfois très infructueuse. Je pense qu'il est très important pour une bonne régénération osseuse que soit préservée la structure naturelle de l'os, et que cela maintienne également la stabilité dimensionnelle du greffon.

CM : Dans le concept original de régénération (GBR ou ROG), c'est la création d'un espace de cicatrisation excluant les tissus non osseux qui garantit la nature et la pérennité du tissu néoformé. Aujourd'hui, les techniques dites régénératives se sont quelque peu éloignées de ce concept original de GBR. Les biomatériaux utilisés sous membranes jouent-ils simplement le rôle de piliers de soutien des membranes ou des matrices ?

Bien entendu, les biomatériaux jouent un rôle de soutien de la membrane pour éviter le collapsus. Les premières membranes ne possédaient pas de titane et elles pouvaient s'effondrer (ce qui est également le cas pour les membranes collagéniques). Mais cela ne se réduit pas à un simple soutien, cela permet également de stabiliser le caillot, d'interagir avec lui et de faire en sorte que le biomatériau soit bien intégré dans le tissu néoformé. C'est bien plus qu'un simple soutien, cela participe véritablement à l'architecture de la régénération.

CM : Plusieurs fabricants et distributeurs commercialisent des hydroxyapatites d'origine bovine, ou bien des allogreffes. Les diverses formules qui nous sont proposées (c'est-à-dire leur procédé de fabrication) sont-elles similaires ?

La réponse est non. Nous les avons testées, et la réponse est définitivement « non » ! Bien entendu, il faut se débarrasser des protéines et stabiliser le matériau. Pour cela, il existe une technique assez naturelle et si, en plus, vous disposez de la bonne dimension de particules, le matériau pourra parfaitement se stabiliser. Si ce n'est pas le cas, si vous portez le biomatériau à haute température par exemple, cela ne s'intégrera pas bien avec le reste de votre greffon. Et de façon malheureusement prédictible, il faudra retirer ces particules car elles ne seront pas bien incorporées dans la greffe. Ce ne sont donc pas tous les mêmes produits, même s'ils ont l'air d'être semblables à première vue.

CM : La bonne intégration esthétique et physiologique des prothèses fixées est totalement dépendante de la nature des tissus périphériques et notamment des tissus mous. En zone esthétique, les déficits morphologiques à reconstruire incluent le plus souvent une réadaptation chirurgicale de ces tissus mous (épaisseur et aspect tissulaire, kératinisation externe, etc.). Pour optimiser le rendu esthétique d'une reconstruction tissulaire par technique régénérative, préférez-vous débuter par l'optimisation initiale du tissu gingival afin de sécuriser la couverture muqueuse en per- et post-opératoire, ou bien préférez-vous au contraire effectuer cette retouche des tissus mous à but esthétique après le temps implantaire ?

C'est une très bonne question. Quand on a besoin d'une greffe de tissu mou, doit-on l'apporter avant, pendant, ou après la greffe osseuse ? Dans notre expérience, nous n'avons pas besoin de tissu kératinisé pour réaliser la reconstruction osseuse par régénération. Bien entendu, nous apprécions toujours d'avoir un peu de tissu kératinisé au départ, car cela sera plus facile pour suturer et déposer les sutures. Mais, en absence ou insuffisance de tissu kératinisé, dans notre expérience, nous ne greffons jamais de tissus mous avant. En revanche, nous allons très souvent modifier ces tissus mous pour disposer de tissu kératinisé autour des implants. Vous pourriez ne pas être d'accord avec moi, mais laissez-moi vous donner une explication ou un exemple : si vous faites une greffe de tissu mou à la mandibule dans la région postérieure, et si vous voulez pouvoir bien incorporer les sutures dans le tissu kératinisé, il en faut beaucoup. Si ce n'est pas le cas, en obtenir suffisamment ne sera pas très aisé et il faudra une première chirurgie invasive. En outre, après cicatrisation, il peut y avoir une plus ou moins forte rétraction tissulaire. Lorsque vous faites une greffe épithélio-conjonctive avant une greffe osseuse, il faut désépaissir le tissu d'origine avant de poser un greffon épithélio-conjonctif. Le tissu cicatriciel est alors moins bien vascularisé, souvent assez fin, et vous pouvez rencontrer des phénomènes de nécrose superficielle juste après votre chirurgie d'augmentation osseuse. Nous l'avons notamment remarqué lors d'apports de grandes étendues ou en zone antérieure. Nous croyons donc fermement qu'il faut réaliser ces chirurgies de tissus mous « après » les grosses augmentations.

En revanche, pour les cas les plus simples de régénération, et notamment lorsque nous implantons dans le même temps chirurgical, nous plaçons quelquefois des greffons conjonctifs par-dessus les membranes résorbables. Ainsi, tout est géré dans le même temps et nous n'avons rien à déposer. Nous avons aujourd'hui une bonne expérience de cet apport conjonctif durant l'augmentation par régénération dans les cas unitaires ou les petits défauts à régénérer. Et, habituellement, cela cicatrise de façon parfaite. Mais nous ne le faisons jamais sur les patients à risques, comme les fumeurs par exemple.

CM : Vos stages de formation à Budapest remportent une satisfaction reconnue auprès de tous vos participants. Leur mise en place vous demande, ainsi qu'à votre équipe, une énergie considérable. Cet enseignement est chronophage pour vous qui détenez déjà tous ces savoirs. Cela vous freine-t-il pour d'autres actions de recherche clinique à entreprendre, ou bien au contraire cela vous apporte-t-il de bons et nouveaux éléments au fur et à mesure des échanges avec les praticiens du monde entier qui viennent vous rencontrer ?

J'ai aujourd'hui une excellente équipe et ma femme s'investit beaucoup. Elle gère ma vie privée et organise ma vie professionnelle. Je n'ai jamais à m'en inquiéter. Les stagiaires me posent parfois quelques questions et j'essaie de leur apporter des réponses, mais je ne dépense aucun temps et aucune énergie pour organiser les cours. Je me contente seulement de sélectionner les cas cliniques pour les chirurgies en direct et pour les enseignements afin que les stagiaires bénéficient d'une bonne expérience pédagogique. J'aime qu'ils découvrent un large spectre de problèmes ou de pathologies, et pour cela, oui, je passe beaucoup de temps, c'est vrai ! Il est important à mes yeux que ces cas soient le reflet d'une vraie pratique clinique courante, durant les cours. Cette activité clinique n'empiète pas sur la recherche fondamentale : nous avons plusieurs projets de recherche, et plusieurs études en cours, et ces cours y confèrent un effet très positif. J'ai une pratique privée limitée à deux jours complets, plus les patients qui sont opérés lors des chirurgies retransmises en direct, et qui sont tous des cas de chirurgie avancée.

CM : Quelles sont aujourd'hui les perspectives d'évolution qui peuvent légitimement nous faire rêver en matière de reconstruction crestale ?

J'ai le futur en tête chaque jour, et c'est dans cet esprit que nous concevons les prochaines études. Par exemple, nous regardons les avantages ou inconvénients potentiels des membranes. Il faut une communication avec le tissu périosté et les cellules des tissus de recouvrement, car on sait qu'il s'y trouve des cellules pluripotentes qui contribuent efficacement à la formation osseuse. Nos études précliniques en cours, qui vont bientôt être publiées, montrent qu'il peut y avoir une interaction plus « intelligente » avec l'hôte. L'avenir, ce n'est pas le smartphone, mais la « smart membrane ». Dans ce sens, des avancées sont attendues avec le recours aux cellules souches et aux BMP, mais dans des proportions certainement très faibles et de différentes façons pour que la communication s'établisse positivement avec le périoste. Il nous faudra très certainement de nouveaux dispositifs plus adaptés (peut-être différentes variétés de perforations...) pour localement exclure la prolifération des tissus mous, mais aussi pour favoriser la communication avec le périoste. Il nous faut des barrières plus communicatives, et nous évaluons actuellement différentes versions de tels dispositifs « intelligents ». Mais il y a tellement de voies de recherche possibles pour l'avenir...