Implantologie non enfouie : principes biologiques - Implant n° 3 du 01/08/2005
 

Implant n° 3 du 01/08/2005

 

Dossier clinique

Gérard Aouate  

DCD, DSO, DUAPI Paris 7
41, rue Étienne Marcel
75001 Paris

Cet article décrit un cas de remplacement d'une dent cuspidée mandibulaire par un implant en 1 pièce selon la technique non enfouie. Il rappelle les spécificités de cette option thérapeutique par rapport aux autres techniques existantes et en présente l'intérêt pour la conservation du tissu muqueux.

Selon les publications de la fin des années 1980, l'implantologie comportait 2 options : la technique du système fermé et celle du système ouvert. Cette terminologie a rapidement été abandonnée pour celle de méthode enfouie et de méthode non enfouie.

Pour chacune de ces méthodes, un modèle d'implant, une technique chirurgicale, un protocole et des critères précis de succès reposant sur une argumentation rigoureuse ont été proposés [1, 2].Il a cependant été montré [3] que la pose d'implants prévus pour être enfouis selon une technique non enfouie ne modifiait pas leur cicatrisation. À partir de cette démonstration, un certain nombre d'auteurs et de cliniciens ont remis en question le principe alors prévalant selon lequel un implant ne cicatrise bien qu'à l'abri du milieu extérieur buccal, et modifié en conséquence leur protocole chirurgical : pose simultanée de l'implant enfoui et de son pilier de cicatrisation.

Ces deux protocoles chirurgicaux, enfouis et non enfouis, n'ont pas entraîné les mêmes résultats sur les tissus mous et les tissus durs. En effet, il a été observé que les implants enfouis pouvaient engendrer une perte osseuse de 2 mm dans les semaines qui suivent la pose du pilier de cicatrisation [4]. Ainsi, la position de l'implant par rapport à la crête osseuse semble primordiale : qu'il soit placé au ras de la crête osseuse ou à distance de celle-ci n'entraîne par le même comportement tissulaire.

Pour schématiser, 2 options existent en implantologie non enfouie :

- pose d'un implant non enfoui dont le col est transmuqueux ; cet implant est d'une seule pièce ;

- pose d'un implant enfoui surmonté dans le même acte opératoire d'un pilier qui est ainsi également transmuqueux ; cet implant est en 2 pièces.

Le résultat de ces deux configurations semble aboutir au même résultat : l'implant est visible ou en système ouvert.

Notons que la mise en charge immédiate, très pratiquée actuellement, correspond elle aussi à un système ouvert pour lequel les préceptes liés à l'enfouissement sont caducs.

D'autre part, pour ce qui est de la question de la distance du col de l'implant à l'os, des études analysent les réactions tissulaires de l'os et de la muqueuse selon ces deux options implantaires : enfoui 2 pièces comparé à non enfoui 1 pièce [5, 6].

En ce qui concerne les tissus mous, on observe que cette seconde option (implant non enfoui en 1 pièce) crée un espace biologique stable dans le temps dont la morphologie est similaire à celle d'une dent naturelle [7].

La stabilité est un critère déterminant en implantologie orale. Elle est le signe que la physiologie tissulaire est respectée et que le risque de développement d'une pathologie sera minime ou nul. Quelles manipulations chirurgicales permettent d'aller dans ce sens et d'instaurer cette constance tissulaire ?

Cet article propose au travers d'un cas clinique un modèle de manipulation de l'étage chirurgical (par opposition à l'étage prothétique) permettant de déboucher sur le temps prothétique.

Présentation d'un cas

La demande de correction d'un édentement récent par un implant est à l'origine de la consultation (Fig. 1). Mme L., âgée de 44 ans, s'est présentée pour le remplacement de 44. La dent fracturée au niveau corono-radiculaire n'a pas pu être récupérée. La patiente en bonne santé souhaitait une solution n'occasionnant pas d'inconfort et préservant son capital dentaire, l'esthétique devant répondre à l'harmonie générale de son sourire. Le traitement retenu a été la pose d'un implant Straumann® selon une technique non enfouie en un temps chirurgical. Le choix de cet implant non enfoui a été motivé par les raisons suivantes :

- il est très documenté avec plus de 3 000 publications à son sujet. En outre, c'est le système originel de l'implantologie non enfouie dont les caractéristiques principales restent inchangées. Il existe depuis 25 ans et sa fiabilité a été prouvée [8 - 10] ;

- sa surface rugueuse SLA (sablée à gros grains et mordancée aux acides) lui procure une qualité d'ostéointégration qui permet, dans les conditions normales, une mise en charge à 6 semaines [11] ;

- une seule chirurgie est nécessaire et la cicatrisation muqueuse s'accomplit d'emblée sans qu'aucun événement ne vienne ultérieurement rompre l'attache épithélio-conjonctive ;

- la phase prothétique de pose du pilier et de prise d'empreinte est facile à mener, car l'implant est accessible, à l'abri du sang et de la salive ; le positionnement erroné des parties secondaires est ainsi impossible et le contrôle radiographique est ainsi superflu ;

- son épaulement à 45° donne à la jonction avec la prothèse une dimension minimale, ce qui réduit cette zone considérée comme irritante pour les tissus. L'implant de 10 mm × 4,1 mm a été retenu après analyse de l'examen tomodensitométrique à l'aide du logiciel Simplant®. Il a été placé dans l'alvéole déshabité en voie de régénération osseuse (Fig. 2).

L'étape chirurgicale s'est déroulée en 4 phases : délimitation tissulaire (Fig. 3 et 4), abord chirurgical osseux (Fig. 5, 6, 7 et 8), mise en place de l'implant et replacement ou repositionnement muqueux combiné ou non à de la chirurgie plastique (Fig. 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17).

Discussion

Pour une situation donnée, le mode opératoire retenu fournit-il les éléments propres à satisfaire durablement les résultats obtenus, en l'occurrence l'esthétique et la fonction d'une restauration implanto-portée sous-tendues par le maintien de la physiologie tissulaire ? Les réponses à cette question sont longtemps restées obscures. Nous commençons seulement à entrevoir que la biologie implantaire dépend d'un certain nombre de facteurs.

L'hygiène buccodentaire, le dessin de l'implant et ses propriétés microtopographiques, le type d'abord chirurgical, la situation de la crête osseuse à la configuration métallique alloplastique, les propriétés et les limites périphériques de la prothèse sont les paramètres le plus communément cités. Certains auteurs rappellent ce qui est admis en parodontologie dans le domaine des rapports étroits unissant les tissus mous à l'os, tant en termes physiologiques que physiopathologiques : l'« invasion » de l'espace biologique produit une migration en direction apicale de l'appareil d'attachement et la perte consécutive de support osseux [12]. Cet argument est valable en implantologie quand un implant en 2 pièces est utilisé en technique enfouie [5, 13, 4].

À l'opposé, un implant en 1 pièce non enfoui partage de nombreux traits caractéristiques avec une dent naturelle - sans en déduire que la forme conditionne le comportement (Fig. 18).

Le dessin chirurgical des pièces tissulaires et leur replacement ne sont pas étrangers au positionnement implantaire ; une seule intervention pour un implant non enfoui suppose que l'acquisition de l'espace biologique tout comme la plastique gingivale se feront d'emblée (Fig. 19).

Cette approche qui fixe la place des piliers (à l'origine d'un micro-espace) hors d'atteinte de l'os procure également une cicatrisation muqueuse qui sera définitive en l'absence de seconde intervention (Fig. 20 et 21). La prothèse fixée sera posée dans un environnement muqueux favorable (Fig. 22 et 23). Ce micro-espace (« micro-gap »), s'il est au niveau de l'os et non pas à distance, permet d'observer des modifications histologiques du tissu osseux crestal qui va se résorber et du système d'attache qui va migrer dans le même sens, sans que l'on puisse donner une raison fondée sur les niveaux de preuves qu'elles sont les conséquences de l'inflammation coexistante [14].

La question toujours d'actualité porte sur l'origine de ces perturbations tissulaires : percolation bactérienne [15] ou irritation mécanique, liée à l'absence de fixité du pilier [16], vis-à-vis de l'os.

Aussi sur le plan purement clinique, plusieurs raisons plaident en faveur de ce protocole :

1. La gestion des tissus mous doit s'effectuer uniquement lors de la chirurgie ; l'incision située du côté lingual (ou palatin) permet de disposer d'une quantité de gencive plus importante (facilitant son réaménagement) par rapport à la situation où l'incision horizontale serait réalisée au milieu de la crête. Cette réorganisation de la gencive vestibulaire est importante, car elle préside à la croissance des papilles gingivales dont le rôle est déterminant dans l'obtention de résultats esthétiques.

2. Le tissu conjonctif enfoui sous le lambeau vestibulaire doit pouvoir être positionné avec précision mésio-distalement, mais également dans un plan vertical. Dans la mesure du possible, il doit toujours être immobilisé et suturé en une zone du lambeau vestibulaire telle qu'elle sera située à l'intérieur du lambeau, jamais plus apicalement que la jonction muco-gingivale. Effectivement, si ce greffon conjonctif était suturé sous cette jonction, c'est-à-dire dans la muqueuse alvéolaire, non seulement le bombé créé ne serait pas au bon emplacement (puisque trop apical), mais la laxité importante de cette muqueuse présenterait le risque d'un léger déplacement du greffon, entraînant sa fixation après cicatrisation en une zone erronée. Pour faciliter la manœuvre décrite ci-dessus, il faut rechercher, par une incision horizontale linguale, une large délimitation d'un volet vestibulaire.

3. Dans cette perspective de manipulations tissulaires, le col lisse, transmuqueux émerge dans la cavité buccale dès l'acte chirurgical initial et unique. Cela doit être considéré comme fondamental de la chirurgie implantaire non enfouie, car cela supprime l'utilisation du pilier caractéristique des techniques enfouies. Ce col est accessible pour la mise en œuvre des mesures d'hygiène. Cela est essentiel, car c'est à ce niveau que se situera la jonction implanto-prothétique et non à l'étage osseux comme c'est le cas dans les techniques enfouies.

4. La technique non enfouie est la seule à permettre une cicatrisation d'emblée des tissus mous qui sera en outre définitive, car non perturbée soit par une chirurgie de désenfouissement, soit par les manœuvres nécessaires accomplies sur le pilier de cicatrisation lors de la phase prothétique (dans la technique enfouie).

Conclusion

La technique non enfouie est simple à réaliser et offre au patient davantage de confort pour moins de temps passé au fauteuil. Aussi, nombreux sont les cliniciens à avoir modifié leur protocole opératoire dans le sens d'une démarche de pose implantaire non enfouie. Cependant, les implants utilisés, en 2 pièces, la première placée au niveau osseux et la seconde (le pilier) posée dans le même temps n'ont pas produit des réactions tissulaires (tissus durs et mous) aussi favorables que celles produites, dans un protocole chirurgical équivalent, avec des implants en 1 pièce. Ces considérations valent pour tous les cas de restauration en secteur esthétique comme en secteur non esthétique [17, 18] où le maintien du support osseux est crucial pour la stabilité gingivale, garante de la double satisfaction praticien/patient.

Après avoir émis l'hypothèse - idée encore solidement ancrée dans les esprits - que seule l'implantologie enfouie pouvait répondre aux exigences de la prothèse esthétique, il apparaît maintenant nettement que la biologie en est le déterminant et que l'implantologie non enfouie d'implants en 1 seule pièce y joue un rôle prépondérant.

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