État de grâce - Implant n° 3 du 01/09/2007
 

Implant n° 3 du 01/09/2007

 

Éditorial

Xavier Assémat-Tessandier  

Rédacteur en chef

En France, l'élection d'un nouveau président de la République s'accompagne d'une période d'environ 3 mois de consensus général sur les décisions qu'il peut prendre dans son début de mandat. Les journalistes parlent d'état de grâce. Il est en général conseillé à la nouvelle équipe d'appliquer, dans ce délai, le maximum de réformes prévues dans le programme électoral de l'ex-candidat à la fonction suprême ayant atteint son but. Ceci peut s'expliquer par le consensus...


En France, l'élection d'un nouveau président de la République s'accompagne d'une période d'environ 3 mois de consensus général sur les décisions qu'il peut prendre dans son début de mandat. Les journalistes parlent d'état de grâce. Il est en général conseillé à la nouvelle équipe d'appliquer, dans ce délai, le maximum de réformes prévues dans le programme électoral de l'ex-candidat à la fonction suprême ayant atteint son but. Ceci peut s'expliquer par le consensus majoritaire qui vient de le porter à sa nouvelle fonction, puis le public, ou une partie du public, découvre que l'application des réformes interfère dans sa vie quotidienne, et le consensus initial fond, comme un morceau de sucre dans une tasse de café, pour se diluer dans le mécontentement, la grogne et la contestation. Les Français sont ainsi faits qu'ils acceptent volontiers des réformes dans la mesure où elles ne changent rien à leur vie, ni à leurs fameux avantages acquis.

Notre profession a connu, voici 1 an, une profonde modification du cadre de son exercice. Pour la première fois depuis la création de la Sécurité sociale, une profession médicale acceptait de participer au financement de l'augmentation de ses honoraires par la perte d'avantages acquis liés au conventionnement du praticien. Il semble que nous n'ayons pas fait école, puisque les médecins à qui l'on vient de proposer la même généreuse solidarité, pour combler le gouffre financier abyssal du déficit de la Sécurité sociale, ont rejeté en bloc l'idée même d'une telle éventualité. En plus d'une participation financière, les syndicats représentatifs signataires ont accepté un certain nombre de contraintes, comme le blocage des tarifs de prothèse au niveau de 2005 pendant 2 ans, l'introduction de quotas dans la restauration de dents délabrées, et la mise en place d'un arsenal répressif particulièrement inquiétant.

Contrairement au pouvoir politique, nous venons de bénéficier d'un état de grâce de 1 an, puisque à la fin du mois de juin, un organisme tripartite chargé d'observer l'incidence de la nouvelle convention sur l'évolution des dépenses dentaires a été mis en place. Mais, fait remarquable, les 3 instances constituant cet observatoire ne sont pas d'accord sur le résultat obtenu. Le principal syndicat dentaire (CNSD) se satisfait d'observer qu'aucun dérapage de l'évolution des dépenses n'est à déplorer, et qu'une réduction des dépassements sur les soins conservateurs et les actes de chirurgie peut même être constatée. Ce qui fait bondir les organismes d'assurance complémentaire, qui supportent le poids des dépassements par leurs engagements contractuels avec leurs clients, alors que la nouvelle convention les libérait partiellement de leur participation aux dépassements par le strict respect des actes conventionnés opposables, et la distinction des actes avec entente directe répertoriés sur la feuille SS, et les actes hors nomenclature notés à part. Les dépassements sur les actes de soins et de chirurgie les engagent à une participation que la nouvelle convention aurait dû éliminer. L'UNCAM (la Sécurité sociale), quant à elle, constate une augmentation de 3,5 % des dépassements sur les prothèses dentaires pour l'année 2006, contraire à l'engagement de blocage des tarifs sur 2 ans.

Un an après, l'état de grâce a volé en éclats, l'Assurance maladie brandit le spectre de la répression avec une intensification des contrôles (et l'application des mesures judiciaires dont elle s'est dotée ?). Les assureurs complémentaires demandent la suppression de la pratique des dépassements (et comptent sur l'Assurance maladie pour faire appliquer l'opposabilité stricte des actes conventionnés). Et les syndicats dentaires essaient de masquer le fait qu'ils ont engagé la profession dans une voie sans issue, où le pragmatisme comptable d'une structure libérale privée est de nos jours sans adéquation possible avec la généreuse idée de solidarité nationale qui, par définition, n'est pas du domaine public. Un certain nombre de confrères, en s'engageant dans la voie de l'exercice non conventionné, ont vraisemblablement compris que c'est la seule issue possible pour un exercice éthique serein de notre profession auprès de nos patients, en accord avec les dernières données acquises de la science.