Extraction-implantation immédiate dans le secteur antérieur : comment repousser les limites en fonction du dessin de l’implant ? - Implant n° 4 du 01/11/2014
 

Implant n° 4 du 01/11/2014

 

DOSSIER CLINIQUE

Élias Khoury*   Dominique Boucly**  


*Chirurgien-dentiste
DU Implantologie et Reconstitution Osseuse Maxillo Mandibulaire
Activité exclusive : Implantologie Reconstitution Osseuse.
DEA génie biologique et Biomédical
Diplomate de l’ICOI International Congress of Oral Implantologists
83 bvd Exelmans 75016 Paris
**Chirurgien-dentiste
118 ave Felix Faure 75015 Paris

La perte d’un élément dentaire entraîne inexorablement une perte osseuse volumétrique. La préservation tissulaire consiste à régénérer et stimuler l’os alvéolaire en postextractionnel immédiat. L’extraction-implantation immédiate tend à limiter la perte volumétrique ; cet acte répond à des conditions spécifiques, biologiques, cliniques et mécaniques.

Cet article présente un cas clinique d’extraction-implantation immédiate dans une situation a priori compromise. Les étapes cliniques sont décrites et un suivi sur 24 mois permet d’évaluer la pérennité du traitement réalisé.

Une édentation non compensée entraîne inexorablement une résorption osseuse postextractionnelle. Il est acquis aujourd’hui qu’en fonction d’un certain nombre de paramètres et de certaines situations cliniques, il est possible de régénérer l’os perdu et permettre une restauration prothétique implanto-portée.

Mais ne serait-il pas plus opportun de tenter de limiter cette résorption par une extraction non traumatique pour l’alvéole osseuse et un éventuel comblement alvéolaire avec des biomatériaux, associés ou non à une implantation immédiate ?

Une extraction-implantation immédiate nécessite, outre l’examen clinique, des clichés radiographiques 2D et 3D pour mieux appréhender les parois et le volume osseux ainsi que la qualité tissulaire. La présence éventuelle de tissu de granulation ou d’un kyste est a priori un obstacle à la pose simultanée de l’implant.

Le dessin de l’implant, son état de surface et sa capacité à assurer un ancrage immédiat et stable dans l’os résiduel pourraient, sous certaines conditions, repousser les limites des chirurgies.

Cet article traite d’un cas d’extraction-implantation immédiate où les conditions locales ne semblaient pas a priori favorables. Mais la technique chirurgicale, la gestion des tissus mous et les propriétés physico-chimiques de l’implant ont permis de traiter avec succès une situation clinique esthétiquement compromise en l’absence de pose immédiate de l’implant.

Les patients sont de plus en plus demandeurs d’un traitement le plus rapide possible qui évite autant que faire se peut le port prolongé de prothèses provisoires amovibles. L’extraction-implantation immédiate supprime le deuxième temps chirurgical.

QUELQUES RAPPELS

Implantation différée : extraction d’une dent et pose de l’implant après un certain nombre de semaines de cicatrisation osseuse.

Implantation immédiate postextractionnelle : extraction d’une dent, assainissement de l’alvéole et des tissus mous puis pose de l’implant dans l’axe le plus favorable prothétiquement : pratiquement toujours plus palatin ou lingual que l’axe de la dent naturelle extraite pour anticiper la résorption de la paroi osseuse vestibulaire. Cet acte doit être complété par une gestion, à l’aide de biomatériaux, du hiatus entre l’implant et les parois alvéolaires pour limiter leur résorption.

Extraction, implantation avec mise en esthétique immédiate : l’étape précédemment décrite est suivie de la pose d’un pilier provisoire et d’une couronne transitoire en sous-occlusion, avec des parois parfaitement dessinées et polies, pour éviter de nuire à la cicatrisation des tissus mous.

MODELAGE ET REMODELAGE OSSEUX

L’os, durant toute la vie, est en perpétuel remaniement ; il subit des modifications internes et externes. Il faut distinguer :

– le modelage osseux dû à une force externe (comme un traitement d’orthodontie ou la pression d’un appareil amovible) et qui agit, par le jeu des ostéoclastes et des ostéoblastes, sur la forme de l’os ;

– le remodelage osseux qui est la régénération interne permanente et la cicatrisation naturelle des tissus calcifiés.

RÉPARATION OSSEUSE POSTEXTRACTIONNELLE

En 2003, Cardaropoli et al. [1] ont décrit les phases de la réparation osseuse postextractionnelle : une extraction entraîne un saignement suivi de la formation d’un caillot. Quelques jours plus tard, le caillot évolue en tissu de granulation. La transformation de ce dernier en tissu conjonctif, vers le 14e jour, signe le début de la minéralisation à partir des parois résiduelles. Au bout de 30 jours, le tissu osseux est formé et occupe une grande partie de l’alvéole. Il s’agit d’un os minéralisé qui s’organise progressivement pour aboutir, au bout de 60 jours, à un tissu osseux mature où la moelle osseuse occupe 75 % du volume, démontrant l’organisation trabéculaire.

REMODELAGE DES CRÊTES ALVÉOLAIRES

En absence de stimulation interne par la racine extraite, l’os s’atrophie [2] et subit une perte volumétrique (perte d’abord dans le sens transversal puis dans le sens axial).

En 2005, Araújo et al. [3, 4], sur 12 chiens, ont permis d’évaluer la résorption vestibulaire consécutive à des extractions dentaires pratiquées à la mandibule. Plusieurs semaines après les extractions, les parois vestibulaires se sont résorbées plus rapidement que les parois linguales.

Kingsmill [5] a publié, en 1999, une étude sur les facteurs locaux et généraux qui jouent un rôle dans le remodelage de la mandibule. Il distingue :

– les facteurs fonctionnels [6] qui, « grâce à l’effet de stress mécanique de l’os, limitent la résorption » (présence ou absence de dents voisines, sollicitation musculaire, nature et importance des forces appliquées, répartition des points de contact, présence de prothèses, durée du port des prothèses) ;

– les facteurs anatomiques, c’est-à-dire forme du faciès, taille de la mandibule, profondeur des alvéoles dentaires, qualité osseuse (nombre des cellules osseuses), vascularisation, insertions musculaires ;

– les phénomènes inflammatoires, qui influent sur la résorption osseuse ;

– les traumatismes postextractionnels ;

– la présence initiale d’une infection ;

– la maladie parodontale ;

– les inflammations muqueuses ;

– les défauts d’hygiène ;

– les facteurs systémiques, soit l’âge (plus il est avancé, plus la résorption peut être importante), le sexe, l’état ostéo-musculaire, les éventuelles pathologies associées, les addictions (le tabac diminue la vascularisation de l’os).

CONDITIONS D’EXTRACTION-IMPLANTATION IMMÉDIATE

Plusieurs paramètres conditionnent les extractions-implantations immédiates [5, 7, 8] :

– les conditions locales tiennent essentiellement compte de la qualité et de la quantité tissulaires [9] :

• le biotype fin serait, sans aménagement particulier, un obstacle à la bonne cicatrisation et à la stabilité au long cours,

• un tissu gingival kératinisé épais permettrait une bonne couverture du lit implantaire et protégerait les éventuels biomatériaux de comblement,

• le volume osseux doit être abondant avec une intégrité des parois palatine et vestibulaire ; une paroi vestibulaire de 1 mm serait un bon support pour les tissus mous,

• la vascularisation des tissus osseux et mous garantirait une intégration des implants,

• une hauteur osseuse apicale de quelques millimètres au-delà de l’alvéole fraîchement édentée aboutirait à la bonne rétention de l’implant ;

– les critères liés à l’implant :

• le dessin implantaire (macroscopie) joue un rôle déterminant dans la stabilité primaire ; les spires apicales doivent avoir une configuration particulière,

• l’état de surface de l’implant. Les cellules osseuses n’interagissent qu’avec la surface de l’implant. Celle-ci, par son traitement physico-chimique, accélérerait la stabilité du caillot sanguin au contact de l’implant et favoriserait l’ostéo-intégration ;

– les critères chirurgicaux jouent un rôle fondamental dans le résultat prothético-esthétique :

• le niveau crestal de la crête résiduelle doit être équivalent ou légèrement en retrait par rapport aux dents voisines,

• l’émergence de l’implant doit être plus palatine que les dents naturelles.

Les lacunes et défauts osseux seront comblés avec des biomatériaux résorbables.

PRÉSENTATION D’UN CAS CLINIQUE D’EXTRACTION-IMPLANTATION IMMÉDIATE

Le respect de certaines règles précédemment citées nous a permis de repousser les limites d’une extraction-implantation immédiate réduisant ainsi la résorption alvéolaire.

Une jeune patiente de 19 ans consulte pour le remplacement de 2 incisives centrales maxillaires ayant subi, quelques années auparavant (vers l’âge de 14 ans), un traumatisme qui avait conduit à un ­traitement canalaire et à une reconstitution prothétique.

La patiente ne présentait aucune symptomatologie et ne se plaignait d’aucune douleur. L’examen clinique endobuccal mettait en évidence un aspect tout à fait sain des tissus mous (Fig. 1) et une qualité suffisante (biotype épais) pour pronostiquer un bon comportement du site à traiter.

L’occlusion était de classe I avec un engrènement parfait des deux arcades.

Les radiographies rétroalvéolaire et panoramique (Fig. 2 et 3) en possession de la patiente ne laissaient absolument pas présager d’une perte osseuse importante. Certes, les racines à apex largement ouvert, traitées endodontiquement, semblaient fragilisées. Une étude tridimensionnelle du site a été réalisée, mettant en évidence une destruction osseuse périradiculaire et alvéolaire vestibulaire importante au niveau de la 11 (Fig. 4 à 6).

La décision d’extraire et de poser simultanément les implants ne pouvait être prise avant la chirurgie vu l’importance du tissu de granulation entourant l’excès de pâte d’obturation et la résorption radiculaire. La rupture de continuité de la paroi vestibulaire au niveau d’au moins une des incisives (dent 11) plaçait le praticien devant un dilemme : extraire, cureter avec ou sans comblement alvéolaire, au risque de voir l’effondrement vestibulaire s’installer, ou poser simultanément un implant en essayant de préserver la partie restante de la paroi vestibulaire.

La patiente ayant été informée qu’une mise en esthétique après implantation immédiate était impossible et que la pose simultanée d’implants en postextractionnel n’était pas acquise, une prothèse amovible provisoire est préalablement préparée.

Des anesthésies locales à l’articaïne 1/200 000, para-apicales vestibulaires, étendues au bloc incisivo-canin, avec un rappel palatin sont réalisées.

Une extraction atraumatique des dents 11 et 21, sans lever en première intention un lambeau vestibulaire, est effectuée (Fig. 7). À l’issue de cette extraction, une incision de pleine épaisseur est réalisée en respectant les papilles des dents adjacentes. Le lambeau récliné avec minutie met en évidence la rupture de la corticale de l’alvéole vestibulaire de la 11.

Le tissu de granulation est cureté facilement et un rinçage des alvéoles à l’eau oxygénée et à la Bétadine(r) assure un site de forage sain (Fig. 8 et 9).

Le foret pilote a pour rôle, dans ce cas précis, de chercher un ancrage apical pour les éventuels implants. Une fois cet ancrage assuré, la préparation définitive est achevée avec une émergence palatine des implants (Fig. 10 et 11).

Deux implants Kontact(r) (Biotech Dental) de 3,6 mm de diamètre et de 12 mm de longueur sont posés. La stabilité primaire est assurée par le dessin implantaire et les spires terminales très rétentrices (Fig. 12). En effet, les spires principales et secondaires, progressives, associées au léger sous-forage apical, assurent un blocage implantaire parfait. Le tiers apical de l’implant et la totalité des parois implantaires palatines sont en contact intime avec l’os. Des vis de fermeture, de 2 mm de hauteur en 11 et plate en 21, permettront la cicatrisation à l’abri des sollicitations mécaniques (Fig. 13).

Le choix de la vis de 2 mm est dicté par la position sous-crestale de l’implant. Cet enfouissement assure une repousse osseuse sur le plateau implantaire (platform switching) et évitera au deuxième temps opératoire d’éliminer l’éventuel recouvrement osseux de la vis de fermeture.

Le hiatus créé ainsi que les défauts corticaux sont comblés à l’aide de biomatériaux allogéniques résorbables (Gen-Os OsteoBiol(r), Tecnoss Dental). Pour assurer un bon modelage des crêtes, une membrane résorbable (Evolution(r)) est appliquée (Fig. 13). Les sutures sont réalisées au Vicryl 3/0 (Fig. 14) et la prothèse provisoire est posée en évitant toute pression sur les parois vestibulaires. Un contrôle radiographique est effectué (Fig. 15).

Durant le contrôle postopératoire à 15 jours (Fig. 16 et 17), les fils encore non résorbés à ce stade sont déposés. La cicatrisation est bien amorcée et le contour tissulaire est régulier.

Après 5 mois de cicatrisation osseuse, l’intrados de la prothèse provisoire résine est rebasé à deux reprises (à 15 jours d’intervalle) au niveau de l’émergence idéale des dents pour stimuler la formation des papilles (Fig. 18). L’ébauche de collet est nettement visible.

Les vis de cicatrisation tissulaire affineront l’émergence prothétique (Fig. 19). La grande variété de diamètres et de hauteurs de col offerte par ce système permet de compenser l’enfouissement des implants et l’épaisseur gingivale. Une anesthésie locale est indispensable pour découvrir les implants. Au niveau de la 11, une vis de 5 mm de diamètre et de 3 mm de hauteur est posée.

Quant à la 21, la vis sélectionnée est de 4 mm de diamètre et de 1 mm de hauteur de col. La prothèse provisoire est évidée pour éviter une surpression sur les vis de cicatrisation.

La maturation gingivale est obtenue 3 semaines après la mise en place des vis de cicatrisation (Fig. 20). L’étape prothétique peut alors démarrer. Les phases classiques successives de prise d’empreinte (Fig. 21 à 26), d’installation des piliers en zircone et de pose des couronnes en céramique (Fig. 27 à 29) sont réalisées (travail prothétique effectué par M. Claude Canton et l’équipe du laboratoire LDA, Gentilly).

Les papilles vont progressivement se dessiner et l’aspect esthétique s’améliore de semaine en semaine (Fig. 30).

Le contrôle radiographique par cone beam au bout de 24 mois montre la stabilité osseuse et le maintien de contours alvéolaires normaux (Fig. 31 à 33).

Vingt-quatre mois après la pose des couronnes, la maturation tissulaire se poursuit, optimisant de semaine en semaine le rendu esthétique (Fig. 34).

DISCUSSION

L’extraction des incisives, si elle n’avait pas été complétée par un comblement osseux, aurait abouti à une perte osseuse alvéolaire importante accompagnée d’un sérieux effondrement des tissus mous.

Le comblement a été possible uniquement en raison de l’absence d’infection des sites d’extraction et du curetage minutieux et complet des alvéoles.

Il aurait été possible d’extraire les incisives, de combler les alvéoles et de poser les implants dans un second temps. La durée du traitement aurait été rallongée de plusieurs mois et une étape chirurgicale supplémentaire se serait imposée.

Le dessin implantaire joue un rôle déterminant dans l’obtention de la stabilité initiale. Les implants posés (Kontact(r), Biotech Dental), par leurs spires progressives autobloquantes, le remplissent parfaitement. Les spires accessoires augmentent d’une façon non négligeable la surface de contact avec l’os.

CONCLUSION

L’extraction-implantation immédiate, qui a fait l’objet de nombreuses études expérimentales et cliniques, séduit de plus en plus les patients et les praticiens.

Chaque fois que cette technique est réalisable et répond aux critères cliniques bien définis, elle sera préférée aux protocoles conventionnels. Elle permet non seulement de réduire les étapes chirurgicales mais aussi de préserver les tissus osseux et mous et d’éviter des rattrapages secondaires.

Les patients, de plus en plus informés, réclament une réduction des délais de traitement et du nombre des interventions. Le praticien doit bien analyser chaque cas et évaluer non seulement les chances de réussite mécanique mais aussi l’intégration esthétique du travail réalisé.

Bibliographie

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  • 3. Araújo MG, Lindhe J. Dimensional ridge alterations following tooth extraction. An experimental study in the dog. J Clin Periodontol 2005;32:212-218.
  • 4. Araújo MG, Wennström JL, Lindhe J. Modeling of the buccal and lingual bone walls of fresh extraction sites following implant installation. Clinical Oral Implants Research 2006;17:606-614.
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