« Le marché du low cost est amené à disparaître » - Implant n° 3 du 01/09/2016
 

Implant n° 3 du 01/09/2016

 

Implant

Implant a rencontré Olivier Lafarge, directeur de Dentsply Sirona France, et Hervé Baz, fondateur et gérant de Easy Implant. En quelques années, le marché de l'implant s'est recentré autour de nouveaux groupes, plus grands, issus de fusions de sociétés et, dans le même temps, l'implantologie low cost a trouvé sa place au sein des cabinets. Pourtant, dans ce secteur très concurrentiel, chacun doit trouver sa place... Interview croisée entre deux dirigeants, celui d'un groupe international qui fait face au défi de la croissance externe et celui d'une PME française orientée vers la moyenne gamme et le made in France.

Quel constat faites-vous de l'évolution du marché de l'implantologie ?

Olivier Lafarge : En 15 ou 20 ans, on a un peu tout vu ! Il y a 20 ans, le marché était détenu à 90 % par 5 entreprises qui ne détiennent plus que 65 % du marché aujourd'hui. Cela s'explique par l'arrivée de nouveaux acteurs, l'évolution des techniques, le durcissement de la réglementation... Il y a 15 ans, pour vendre un implant, il fallait essentiellement une norme CE, plutôt simple à obtenir. La législation sur les dispositifs médicaux évolue : il faut justifier et prouver toute allégation par des études. L'ouverture de l'offre et la variation des prix ont accéléré le marché. Évidemment, les coûts d'investissement de nos entreprises, appuyés sur des études cliniques, ainsi que ceux de la recherche et du développement ne pouvaient concurrencer des sociétés fabriquant avec des normes différentes, sans R&D ni études cliniques : les grandes entreprises se sont donc regroupées. Il existe deux positionnements sur le marché : la concentration des forces sur le premium d'une part, la diversification et augmentation de la gamme, d'autre part. Dentsply a choisi cette dernière stratégie il y a 4 ans avec la fusion entre Friadent et Astra Tech Dental. Avant, un spécialiste utilisait un seul système. Aujourd'hui, la plupart utilise deux systèmes : un premium et un middle market, avec d'autres qualités. C'est un véritable changement.

Hervé Baz : En 2010, on prévoyait une croissance à 2 chiffres jusqu'en 2017. Mais le marché a subi un coup d'arrêt en 2014 et la croissance a été quasi nulle en France, de 1 à 2 % au niveau mondial. La reprise s'est amorcée en douceur fin 2015 pour se poursuivre en 2016 : au premier semestre, notre croissance a atteint 17 % et nos exportations ont bondi de 65 % par rapport à la même période en 2015. Nous sommes régulièrement consultés pour fabriquer pour d'autres marques d'implants, souvent destinés à l'exportation. Même les Coréens, technologiquement à la pointe, reculent : intégrer un marché national est long et coûteux. Pour Easy Implant, l'avenir s'oriente vers les marchés émergents, où nous serons confrontés à du low cost.

 

Comment considérez-vous l'avenir du marché de l'implant ?

H. B. : Le marché du low cost est amené à disparaître, à moyen terme. Bientôt, il ne restera que le middle market et les principaux leaders, avec les tarifs des leaders ou des marques premium se rapprochant progressivement du middle market.

O. L. : La dépendance à l'implant va être de moins en moins forte. Pour vendre des implants, nous souhaitons ne plus parler uniquement d'implants. Un certain nombre de procédures cliniques existent pour chaque cas : nous voulons fournir une approche adaptée aux procédures plutôt que nous concentrer sur le produit. L'une de nos stratégies majeures est d'accompagner les praticiens dans la réalisation de leur procédure clinique avec l'ensemble des solutions adaptées au traitement : l'évolution du marché, c'est donc l'approche. Et la fusion des grands groupes le montre.

L'enjeu sera aussi de proposer des solutions de substitution. Le marché de l'implantologie français est en retard par rapport à celui d'autres pays : la démocratisation du marché va s'accélérer. Le marché de l'implant est tiré, en particulier, par les solutions digitales (guides chirurgicaux, piliers personnalisés...).

 

Comment proposez-vous, commercialement, les différentes offres de Dentsply Sirona ?

O. L. : Simplement en les positionnant de manière claire et différenciée. Par comparaison, prenez le cas du prêt-à-porter et du sur-mesure : deux cibles différentes, deux offres cohabitent, le marché reste clair. Nous devons participer à cette démocratisation de l'implantologie, solution la plus adaptée dans un très grand nombre de situations cliniques.

Du point de vue commercial, nos systèmes implantaires sont regroupés et présentés par la même personne. On bénéficie de la taille du groupe : Dentsply Sirona emploie 600 personnes en R & D. Nous avons la capacité de maîtriser 100 % des besoins d'un cabinet dentaire ; donc nous avons une compréhension de ces procédures cliniques. Ainsi, on parle moins de systèmes implantaires mais de tout ce qu'il y a autour, à commencer par l'anesthésie. La fusion avec Sirona renforce cette approche.

Nous avons un autre argument : existe-t-il une communication avec le patient pour lui dire « Je vais vous mettre un système implantaire mais attention, si vous sortez de France ou d'Europe, on ne sera peut-être pas en mesure de vous traiter en cas de problème » ? C'est notre force : nous sommes un groupe international.

 

Quelles différences existe-t-il entre une marque premium et un système middle market ?

H. B. : Grâce aux normes, il n'y a plus, comme il y a 10 ans, de grosses différences entre un système middle market et une marque premium. Le seul delta qui peut subsister, ce sont les coûts structurels. Les grands groupes sont mieux armés pour les études cliniques ou la vente des produits périphériques : reste à savoir où sont faites ces études cliniques... En France, elles sont coûteuses ; à l'étranger, elles le sont moins.

Nous, nous restons dans notre métier : la fabrication d'implants dentaires. Nous proposons également des produits périphériques sur des membranes, de l'os synthétique ou des services autour de la numérisation.

 

Qu'en est-il des réglementations ?

H. B. : Au niveau mondial, dans les années à venir, il n'y aura plus qu'un standard réglementaire calqué sur la Food and drugs administration (FDA), car elle demande beaucoup plus d'évaluations physico-chimiques et biologiques, avec, entre autres, cytotoxicité, toxicité systématique aiguë, hypersensibilité, irritation, l'effet pyrogène du titane et des autres matériaux utilisés... La réglementation européenne ne suffit plus : l'Europe se rend compte qu'elle a accumulé du retard et tend à se réajuster par rapport à la FDA.

 

Quelles différences faites-vous entre une marque low cost et des entreprises du middle market comme Easy Implant ?

H. B. : Le cahier des charges de la fabrication d'implants low cost tient en 3 pages, quand le nôtre en fait 60 ! Ces entreprises n'ont pas les mêmes fréquences, les mêmes contrôles de la production et des produits finis, les mêmes validations... Chaque recherche de contaminants issus de la fabrication engendre des coûts de l'ordre de 9 000 € ; une caractérisation métallique, c'est 10 000 € par composant... Dès lors qu'une étape du processus d'usinage est modifiée, il faut refaire une évaluation biologique et tous les essais nécessaires pour valider le produit fini. Même si l'on utilise une barre de titane certifié biocompatible, transformer ce titane en implant implique une caractérisation physico-chimique du produit fini. Un low cost qui souhaite vendre son implant 50 ou 60 € doit éliminer les coûts, dont ces contrôles ou validations intermédiaires. Chez Easy Implant, chaque semaine 5 produits stériles sur un carton de 500 sont prélevés pour faire des essais de biocharge (recherche de contaminants après nettoyage et avant stérilisation, NDLR). Ces produits sont perdus et détruits.

 

Que pensez-vous du low cost ? Les clones d'implants sont bien des copies quasi conformes des modèles originaux ?

O. L. : Vous avez dit « clone » et « quasi ». Donc effectivement, ce n'est pas identique. C'est comme un chargeur de téléphone. Si vous prenez un clone de chargeur, vous vous apercevez que cela ne marche pas aussi bien que les authentiques ! Et qu'en est-il des formations, de l'accompagnement des universités ? Nous sommes présents dans les 16 universités de France, sur plus de 1 000 formations, avec 147 experts sur le terrain. Nous estimons que c'est important d'accompagner non seulement par le prix, mais aussi et surtout par le service la profession.

 

Pouvez-vous nous donner le détail des coûts de production d'un implant ?

H. B. : Aujourd'hui, parmi les producteurs français, quelle que soit la marque de l'implant, le produit fini revient finalement pour tous au même prix. Les coûts de production pour le middle market tournent aux alentours de 20 € (hors taxes, NDLR) : nous avons les mêmes machines, les mêmes charges de techniciens, aux mêmes taux horaire, pour un prix de vente de 125 € HT. Les coûts structurels (personnel et environnement de travail) ont un impact important sur le prix : 35 %. Mais le véritable poste qui fait la différence est le marketing : de 40 à 50 % des dépenses. Easy Implant a fait le choix d'un marketing réduit, au profit du secteur réglementaire et de la qualité : aujourd'hui, les leaders du marché ne peuvent plus vendre un implant à 400 € mais, plutôt, aux alentours de 250 €. Il a fallu, pour les grands groupes, transférer les coûts du marketing vers d'autres services pour s'aligner avec le middle market et récupérer des parts de marché.

Pour Easy Implant, l'une des plus petites structures du middle market, le prix de vente de l'implant se répartit ainsi : 16 % de coût de production, 35 % de charges de personnel, 30% de marketing et 10 % pour la partie qualité et réglementaire, pour un objectif de 10 % de bénéfice chaque année. Car sans bénéfice, impossible de réinvestir et de se développer.

 

Quelle est la réactivité d'un système premium pour des améliorations ou des modifications de produits ?

O. L. : La réactivité dans la modification de produit dépend des normes et de nos processus d'amélioration. Nous avons des personnes qui se consacrent à la récolte de l'ensemble de ces propositions d'évolution, qui les confrontent à celles des experts de chaque pays ; le processus peut prendre entre 12 et 36 mois en fonction de la demande.

Il n'y a pas d'obligation légale sur les pièces détachées mais nos implants sont garantis à vie et nous assurons les pièces détachées sans limitation dans le temps. Si l'on prend par exemple, des implants qui sont sur le marché depuis longtemps, nous sommes en mesure de poursuivre le service autour de ce système. On peut décider d'arrêter l'implant, en revanche ce qu'il y a derrière l'implant, nous devons être capables d'en maintenir l'offre.

 

Et dans le middle market, quels sont les risques pour la maintenance à long terme d'un système et quelle réactivité peut-on attendre en termes d'amélioration des produits ?

H. B. : Les utilisateurs ont toujours peur de ne plus retrouver nos références, c'est normal. Une petite société comme la nôtre peut très bien être rachetée. Sur ce point, la réglementation est floue puisqu'elle stipule que si le fabricant indique dans le dossier technique une durée de vie de 10 ans pour l'implant, il est de facto en mesure d'assumer pendant 10 ans ö plus « 5 ans d'étagère » ö le produit. In fine, le fabricant décide seul de la durée de vie de son implant. Dans les cabinets dentaires, les dossiers des patients sont archivés pendant 10 ans. Ensuite, il n'y a plus aucune traçabilité, c'est un problème. Même pour les leaders, à la suite des regroupements opérés, il est devenu très complexe de refaire une prothèse sur un implant posé 15 ans auparavant, car des gammes complètes de composants ont été supprimées.

Pour la réactivité, il faut compter 2 ans entre la demande d'évolution et la mise en production d'un nouveau dispositif médical stérile. Cela s'explique, en autres, par toutes les évaluations biologiques et chimiques ainsi que par les essais de validation de l'emballage, dont les tests d'étanchéité sont d'une durée de 6 mois incompressibles.

Propos recueillis par Olivier Fromentin, Mehdi Farhat et Véronique Seignard

La dépendance à l'implant va être de moins en moins forte. Pour vendre des implants, nous souhaitons ne plus parler uniquement d'implants.

Il est devenu très complexe de refaire une prothèse sur un implant posé 15 ans auparavant.