Plaidoyer pour l'implantologie accessible - Implant n° 3 du 01/09/2018
 

Implant n° 3 du 01/09/2018

 

IMPLANT À LA RENCONTRE

Quel est votre cursus et depuis combien de temps exercez-vous ?

Jean-Pierre Bernard : Tout d'abord merci pour votre confiance et cette interview qui m'honore.

Cette question m'oblige à repartir loin en arrière puisque c'est en 1980 que j'ai débuté ma carrière universitaire à la Faculté de Médecine de Genève, après une formation en médecine puis une spécialisation en stomatologie et chirurgie orale et maxillofaciale à Paris. Fin 2014, après 34 ans...


Quel est votre cursus et depuis combien de temps exercez-vous ?

Jean-Pierre Bernard : Tout d'abord merci pour votre confiance et cette interview qui m'honore.

Cette question m'oblige à repartir loin en arrière puisque c'est en 1980 que j'ai débuté ma carrière universitaire à la Faculté de Médecine de Genève, après une formation en médecine puis une spécialisation en stomatologie et chirurgie orale et maxillofaciale à Paris. Fin 2014, après 34 ans comme universitaire à temps plein, j'ai pris ma retraite de professeur, chef de la division de stomatologie, chirurgie orale et radiologie dentaire et maxillofaciale et de vice-président de la section de médecine dentaire de l'université de Genève. Je suis maintenant responsable de l'éducation et de la formation clinique pour l'Académie suisse internationale d'ostéo-intégration et de recherche maxillofaciale.

Quel regard portez-vous sur l'implantologie ? Quelles sont vos certitudes ou vos doutes sur l'implantologie contemporaine concernant les domaines chirurgicaux ou prothétiques ?

Jean-Pierre Bernard : Un regard toujours aussi passionné et la certitude, comme tous ceux qui ont pratiqué la médecine dentaire avant l'ostéo-intégration, d'avoir vécu une révolution permettant de remplacer les dents perdues avec des résultats extrêmement favorables à long terme. Avec, pour les patients, la disparition de la peur de l'édentement et, pour les praticiens, un changement très important dans les modalités de traitement.

À terme, pour moi, la place de plus en plus importante de l'implantologie en médecine dentaire ne fait aucun doute. Je constate uniquement des délais plus longs que ceux que j'avais envisagés dans ce développement vers l'implantologie pour tous. Le bénéfice de l'implantologie, qui est une évidence scientifique très solide, est un moteur suffisamment fort pour permettre de franchir petit à petit tous les obstacles pour que l'implantologie prenne la place qu'elle mérite au sein de la médecine dentaire, dans une approche médicale respectant les principes et les différentes étapes de la médecine dentaire préventive, conservatrice et reconstructive.

Quel est le sujet d'actualité en matière d'implantologie le plus pertinent pour les praticiens ? Et celui qui va le devenir ?

Jean-Pierre Bernard : Comme tous les autres domaines scientifiques, l'implantologie nous a démontré que l'acquisition de connaissances est continue. Lors des premières présentations des possibilités de l'ostéo-intégration par le groupe du Pr Bränemark au début des années 80, tout semblait établi de façon définitive... Très rapidement et de façon continue pendant les 35 dernières années, de nombreux travaux, en particulier ceux de l'ITI auxquels j'ai eu la chance de participer, et ceux de très nombreuses équipes scientifiques internationales ont amené une progression constante des connaissances, permettant de rendre l'implantologie de plus en plus accessible.

Concernant le point scientifique et clinique le plus pertinent pour les praticiens, c'est celui qui a été mon engagement pendant toute ma carrière universitaire et le demeure au sein de l'Académie suisse internationale d'ostéo-intégration. Que chaque praticien comprenne l'intérêt de l'implantologie pour tous ses patients et qu'il soit capable de les traiter dans les conditions habituelles de réalisation des soins dentaires dans son cabinet.

C'est en 1987, à l'instigation du professeur Urs Belser, responsable de la division de prothèse fixe et occlusodontie, que nous avons organisé à Genève le groupe d'implantologie de la section de médecine dentaire, en collaboration étroite entre chirurgie et prothèse, et que nous avons poursuivie pendant la totalité de nos carrières universitaires. Dès le début de cette activité, nos étudiants y ont été associés avec la mise en route immédiate d'un programme d'enseignement théorique, mais surtout une formation clinique, puisque les traitements implantaires étaient réalisés par les étudiants avec une participation active à toutes les étapes cliniques de traitement. Petit à petit, l'utilisation d'implant est devenue le moyen standard de remplacement de toute dent absente pour les étudiants qui, dès le début de leur activité clinique personnelle, pratiquent l'implantologie comme tous les autres gestes cliniques qu'ils ont pratiqués pour traiter les patients pendant leur formation.

Cette intégration de l'implantologie comme traitement de base dans les centres cliniques des écoles dentaires, comme nous l'avons pratiqué depuis 30 ans, n'est malheureusement toujours pas la règle et, en 2017, après une sélection plus que rigoureuse et 6 années d'études, de nouveaux diplômés peuvent n'avoir aucune expérience clinique personnelle des traitements implantaires et même ressentir une incapacité à intégrer l'implantologie dans leur exercice professionnel.

Je milite depuis 30 ans pour que cette pratique clinique de routine de l'implantologie par les étudiants soit intégrée dans toutes les cliniques universitaires de médecine dentaire comme nous l'avons fait à Genève et je suis certain que, même avec beaucoup trop de retard, cela finira par se faire. L'implantologie est une discipline de base que tout médecin dentiste doit connaître, intégrer à ses plans de traitement et, s'il le souhaite, pratiquer. Il ne s'agit pas d'une pratique complémentaire non nécessaire à tous qui est le domaine habituellement prévu pour les diplômes d'université. Il est de la responsabilité des dirigeants politiques et universitaires de prévoir l'intégration de l'implantologie théorique et surtout clinique au cursus de base de tous les étudiants en médecine dentaire. C'est dans ce domaine qu'il est donc pertinent de tout faire sur les plans scientifique et clinique pour que, après 30 ans d'évidence scientifique de la qualité des résultats, l'implantologie devienne partout un mode de traitement accessible à tous les praticiens et à tous les patients. Les connaissances acquises au cours des années sont très utiles pour faciliter cette accessibilité et il est très important qu'elles soient transmises pour permettre aux praticiens et, donc à leurs patients, d'en profiter.

Comme nous l'avons fait pour nos étudiants à Genève et dans tous les endroits où il a été possible de le faire – conférences, congrès, participation à des programmes de formation internationaux –, c'est aujourd'hui mon engagement au sein de l'Académie suisse internationale d'ostéo-intégration et de recherche maxillofaciale dont le but essentiel est le transfert des données scientifiques et de la recherche vers la clinique. Nous organisons pour cela des programmes de formation par accompagnement clinique (CITC, Clinical Implant Training Concept) à cette implantologie avancée et sûre fondée sur les preuves scientifiques.

Cet apprentissage par la pratique clinique, encadré par des cliniciens expérimentés, motivés et formés à cet accompagnement, permet aux praticiens d'acquérir les connaissances nécessaires en les intégrant à leur réalité clinique, ce que permettent difficilement nombre de manifestations centrées sur des domaines très ponctuels ou encore des pratiques individuelles souvent mal adaptées à l'activité d'omnipraticiens nouveaux utilisateurs.

En parallèle de l'évolution des connaissances concernant les approches cliniques et la réalisation des traitements, nous avons observé des évolutions du matériel dont les caractéristiques actuelles validées par de nombreuses études scientifiques aident à une utilisation plus accessible, par la réalisation de techniques moins invasives. Ces progrès ont malheureusement été accompagnés, comme pour la majorité des autres produits, d'une augmentation progressive des coûts, élément qui freine le développement de l'implantologie. De façon récente, des fabricants réputés commencent à utiliser les progrès techniques pour fournir des produits répondant à tous les éléments de qualité, conformes aux connaissances scientifiques actuelles, à des coûts beaucoup plus accessibles. Il est essentiel que les praticiens soient informés de cette évolution leur permettant de faire profiter plus de patients des intérêts de l'implantologie.

Dans le domaine scientifique, un point important me paraît devoir être exposé aux praticiens : il s'agit de celui du métal utilisé pour la fabrication des implants. Depuis le début des travaux scientifiques touchant l'ostéo-intégration, les équipes de recherches initiales, celle du Pr Bränemark en Suède et celle du Pr Schroeder en Suisse, ont toujours utilisé et recommandé l'utilisation de titane pur, connu pour sa bonne tolérance biologique, et la plupart des systèmes les plus anciens sont toujours fabriqués en titane pur.

Actuellement de nombreux systèmes sont proposés en titane de grade 5. Cette appellation peut prêter à confusion. En effet, seuls les grades de titane de 1 à 4 correspondent à du titane pur, le titane indiqué de grade 5 est en fait un alliage de titane avec de l'aluminium et du vanadium (Ti-4Al-6V). Cette précision n'est pas systématiquement indiquée et, parfois même, le matériel dans lequel les implants sont fabriqués n'est pas précisé. Au cours des dernières années, de plus en plus d'études scientifiques présentent une implication potentielle de métaux, en particulier l'aluminium, dans la survenue de maladies neurologiques dégénératives incluant la maladie d'Alzheimer. Pour cette raison, de nombreuses équipes de recherche travaillent et publient sur la mise au point de nouveaux alliages de titane pour éviter le risque potentiel lié à la présence d'aluminium.

Il est important que les praticiens tiennent compte de ces éléments scientifiques et adaptent leur pratique en privilégiant les produits en titane pur pour éviter tout risque potentiel et, au moins, transmettent ces informations à leurs patients. L'aluminium est un des éléments participant à la méfiance de certains patients, les amenant à refuser l'utilisation de vaccins. Employer des implants contenant de l'aluminium sans les en informer pourrait mettre en cause la responsabilité du praticien pour non-respect de l'obligation d'information.

Si c'était à refaire, pensez-vous à un cas clinique que vous auriez traité différemment ?

Jean-Pierre Bernard : Trente ans d'activité clinique, c'est 30 ans d'acquisitions scientifiques nouvelles, il est donc évident que cela peut amener des différences. Mais pour moi, il s'agit non pas d'un important changement de principes mais plutôt de l'acquisition d'une tranquillité à appliquer ceux que nous avons utilisés dès la fin des années 80 en opposition aux recommandations qui étaient présentées comme indispensables par les équipes suédoises. Cette attitude m'a valu l'honneur d'être considéré par certains, en France, comme le représentant d'une école suisse en opposition à la notion d'une école suédoise. C'était agréable mais très exagéré puisque, même si j'ai eu l'honneur d'y participer et d'en faire la promotion, le leader de l'école suisse était le professeur André Schroeder de l'Université de Berne qui l'a concrétisée par la création de l'ITI devenu un moteur très important de l'acquisition de connaissances nouvelles.

Il en a été ainsi de la pose des implants en condition d'asepsie habituelle utilisée pour les soins dentaires – avec une technique en un temps dite non submergée –, de l'utilisation d'implants à surface rugueuse – qui nous ont permis de diminuer le nombre et la longueur des implants, de raccourcir les délais de cicatrisation, de l'utilisation de connexion prothétique conique interne – gage de résistance mécanique et d'étanchéité –, principes tous aujourd'hui validés par la littérature scientifique internationale.

Mon attitude vis-à-vis d'un cas d'implant aujourd'hui est ainsi très proche de celle du même cas il y a 30 ans avec seulement la tranquillité acquise par la validation scientifique de nos choix de l'époque.

Et l'implantologie de demain ?

Jean-Pierre Bernard : Il est toujours difficile et risqué d'essayer de prédire l'avenir.

L'implantologie de demain sera ce qu'en feront ses acteurs, bien sûr les praticiens et les patients mais aussi les structures professionnelles et universitaires, les responsables politiques, les évolutions techniques, les conditions socio-économiques, l'évolution du système de santé, sans oublier l'industrie du domaine... Les possibilités sont la poursuite de la tendance à une évolution commerciale de la profession avec l'utilisation d'implants restant élitistes, avec des soins de niveaux différents avec ou sans implant ou, au contraire, l'utilisation de l'implantologie comme une technique de routine de service médical, associant une simplicité de réalisation à des résultats très favorables avec un excellent bilan coût/bénéfice. Ma formation médicale de base, la notion de médecine dentaire telle qu'elle est organisée en Suisse, la satisfaction pour les praticiens et les patients de la réalisation de soins les mieux adaptés aux besoins médicaux et les moins invasifs possibles me font bien sûr espérer cette dernière éventualité.

Sur l'exemple développé à Genève et proposé dans les programmes d'accompagnement clinique CITC, je pense que l'implantologie pourrait être partout demain ce qu'est l'implantologie aujourd'hui dans ma pratique de routine et chez les collègues suisses et étrangers qui ont participé aux activités de notre groupe.

Chaque praticien peut pratiquer les traitements implantaires. Ceux-ci sont réalisés en routine de la façon la moins invasive possible, y compris le coût des traitements.

Les indications sont le remplacement des dents perdues, après la réalisation des étapes habituelles de médecine dentaire préventive et restauratrice.

Le bilan préopératoire comprend un examen clinique soigneux et un bilan radiographique respectant les règles de radioprotection. Le recours exceptionnel aux examens 3D doit être justifié par un besoin spécifique et le patient doit être informé de l'irradiation plus importante.

La pose des implants est réalisée dans les conditions habituelles de réalisation des soins au cabinet dentaire. En routine, les implants sont posés 6 à 8 semaines après les extractions et mis en charge définitive 8 semaines après la pose. Les implants sont posés avec une simple incision crestale sans réalisation d'incisions vestibulaires.

L'utilisation d'implants de titane pur de grade 4B à surface de rugosité et mouillabilité optimales permet la pose d'implants de dimensions réduites qui, associés à des techniques d'expansion osseuse localisées verticales ou transversales, rendent exceptionnelle la réalisation d'augmentations osseuses pré-implantaires.

La partie essentielle du traitement est le placement parfait des implants en position et axe pour la réalisation de la future structure prothétique. La participation de l'aide opératoire à ce contrôle permet de poser parfaitement les implants sans nécessiter l'utilisation d'un guide chirurgical et de limiter les coûts et éventuellement l'irradiation.

Le choix d'un système d'implants associant l'ensemble des éléments techniques correspondant aux connaissances scientifiques actuelles, au tarif le plus favorable possible comme commencent à le proposer des sociétés qui veulent soutenir l'accessibilité de l'implantologie à tous, permet de diminuer les coûts de traitement.

Cette approche invasive a minima rend l'implantologie très accessible, avec une limitation de la durée et de l'agressivité du traitement ainsi que du risque de complications et de leur gravité : elle permet des résultats très favorables correspondant aux souhaits des patients. Elle permet aussi une limitation du coût des traitements qui nous amène actuellement à évaluer, avec l'Unité d'action sociale de la Clinique universitaire de médecine dentaire de l'Université de Genève, l'utilisation des implants dans les traitements sociaux en raison d'un rapport coût/résultats à long terme très favorable. Comme nos choix opposés aux recommandations classiques il y a 30 ans, la proposition d'une implantologie de service médical accessible à tous, y compris aux traitements sociaux, peut paraître provocatrice. Il s'agit pourtant du même type de réflexion appuyée sur la réalité de notre vécu clinique : l'implantologie peut être proposée à tous comme traitement dentaire de routine. Il suffit de volonté et de temps pour que cette réalité soit, petit à petit, une évidence.

Votre activité vous laisse-t-elle du temps libre et comment en profitez-vous ?

Jean-Pierre Bernard : Après avoir eu pendant plus de 30 ans le plaisir de participer aux activités d'enseignement, de recherche clinique et d'organisation universitaire à la Faculté de Médecine de Genève, le début de cette période de retraite libère du temps qui me permet de m'engager plus dans la transmission de l'expérience acquise, en particulier par le développement des programmes d'accompagnement clinique développés dans de nombreux pays avec l'Académie suisse internationale d'ostéo-intégration.

L'implantologie m'a permis de découvrir de nombreux pays et d'établir des relations avec de nombreux collègues devenus des amis. La liberté offerte par la retraite va me permettre de passer un peu plus de temps avec eux et de visiter un peu leurs pays.

En dehors de cette double activité de formation et de loisirs, mon activité principale de retraité est très importante, c'est ma fonction de grand-père... Mes trois enfants m'ont fait le plaisir de me donner six petits-enfants dont nous nous occupons pendant une partie de leurs périodes de vacances. Mon fils s'étant installé à Nouméa, nous passons depuis ma retraite quelques mois d'hiver près de lui à profiter d'activités nautiques qui m'ont toujours attiré et dont les conditions en Nouvelle Calédonie sont exceptionnelles. Et dans le monde numérique actuel, il est même possible d'y préparer les futurs programmes d'implantologie pour tous !

Propos recueillis par Michel Metz