Serge Armand : À la recherche des sommets ! - Implant n° 3 du 01/09/2020
 

Implant n° 3 du 01/09/2020

 

Implant a rencontré

Serge Armand  

Président du congrès de l'ADF 2019, membre de l'Académie Nationale de Chirurgie Dentaire, conférencier international apprécié et auteurs de nombreuses publications dans le domaine de la prothèse, de la parodontologie et de l'implantologie, le professeur Serge Armand exerce et enseigne à la Faculté de Chirurgie Dentaire de Toulouse dont il est responsable du DU d'implantologie.

Soigner et transmettre font partie de ses passions et constituent le fil rouge de sa...


Président du congrès de l'ADF 2019, membre de l'Académie Nationale de Chirurgie Dentaire, conférencier international apprécié et auteurs de nombreuses publications dans le domaine de la prothèse, de la parodontologie et de l'implantologie, le professeur Serge Armand exerce et enseigne à la Faculté de Chirurgie Dentaire de Toulouse dont il est responsable du DU d'implantologie.

Soigner et transmettre font partie de ses passions et constituent le fil rouge de sa vie professionnelle.

Très tôt dans sa carrière, il a souhaité réunir la parodontie et la prothèse fixée, pourtant antagonistes lorsqu'il a débuté, et la suite logique de cet engagement initial a été la spécialisation en implantologie.

Il en a vécu pleinement les évolutions multiples depuis une trentaine d'années, la dernière en date concernant l'introduction au sein de sa consultation des techniques du numérique et de l'intelligence artificielle en implantologie. Il les met en œuvre à tous les stades du traitement : analyse pré-implantaire, imagerie, chirurgie assistée par navigation et réalisation prothétique.

En tant qu'enseignant et praticien, il a toujours ressenti le « besoin d'échanger avec les autres ».

Ce contact humain, Serge Armand le retrouve aussi dans le sport, sa passion étant tournée vers la montagne sous toutes ses formes. Le week-end venu, quand son agenda professionnel le lui permet, il met cap au sud en direction des sommets pyrénéens car il est un grand amoureux de sa région. « Je suis un Occitan enthousiaste ! » dit-il avec fierté.

Il nous livre avec lucidité et franchise sa vision de l'implantologie.

Propos recueillis par Michel Metz

Quel est votre parcours et depuis combien de temps exercez-vous vos fonctions ?

S. Armand Mon parcours professionnel est intimement lié à la faculté d'odontologie de Toulouse ; dès l'obtention de mon diplôme, j'ai pu gravir les différents échelons d'un cursus type d'enseignant en tant qu'attaché, assistant puis maître de conférences à temps partiel, ce qui m'a permis de mener parallèlement une activité libérale d'omnipraticien. En 2006, j'ai choisi le plein-temps hospitalo-universitaire et je suis devenu professeur d'université-praticien hospitalier en conservant une activité libérale exclusive en implantologie au sein de l'hôpital.

Je dois avouer que j'ai traversé toutes ces années d'activité professionnelle avec bonheur et passion. J'ai eu la chance que cette période ait bénéficié d'une effervescence exceptionnelle dans tous les domaines de notre métier et d'y avoir participé en tant qu'acteur comme soignant et comme enseignant.

SOIGNER ET TRANSMETTRE ont constitué le fil rouge de ma vie professionnelle.

Quelle a été l'évolution de l'implantologie dans le milieu hospitalo-universitaire ?

S. Armand L'enseignement de l'implantologie en 2e et 3e cycle a débuté à la faculté de Toulouse en 1995 ; cette discipline a été considérée pendant de très nombreuses années comme devant être réservée à un nombre restreint de praticiens « spécialistes ». Son introduction dans les programmes d'enseignement est le résultat d'une réflexion simple qui consiste à considérer que l'implantologie est incontournable dans les traitements que nous proposons et que tout étudiant devait pouvoir réaliser les phases chirurgicales et prothétiques inhérentes à cette discipline.

Durant ces 25 années, l'enseignement dispensé a suivi l'évolution très importante des protocoles implantaires et l'élément majeur de cette évolution est la prise en compte que la finalité thérapeutique en implantologie est prothétique et que le projet prothétique est l'architecte du traitement.

Quel regard portez-vous sur l'implantologie avec votre recul ? Quels sont vos certitudes ou vos doutes sur l'implantologie contemporaine concernant les domaines chirurgicaux ou prothétiques ?

S. Armand L'implantologie est le résultat de la confrontation positive de trois disciplines, la chirurgie orale, la parodontologie et la prothèse, c'est ce qui fait sa richesse mais explique aussi parfois sa complexité.

En médecine, il faut se méfier des certitudes et le concept d'aujourd'hui peut être l'erreur thérapeutique de demain ; ma seule certitude à l'heure actuelle est qu'aucun implant ne peut remplacer une dent dans toute sa spécificité et qu'il faut être parodontologiste avant d'être implantologiste. « CONSERVONS LES DENTS » : j'assiste à trop de conférences, je lis trop de publications dans lesquelles on extrait des dents qui pourraient être conservées dans le but de poser des implants.

Deux paramètres importants parmi d'autres qui justifient la conservation de la dent :

• l'espace biologique – dénommé depuis peu structure bi-tissulaire supra-crestale – est d'origine cicatricielle autour de l'implant, contrairement à la dent où il est le résultat de son arrivée naturelle sur l'arcade ; son architecture et son organisation tissulaire expliquent une efficience moindre pour l'implant en termes de barrière entre le milieu buccal et le tissu osseux péri-implantaire pour assurer la stabilité tissulaire ;

• l'absence de proprioception desmodontale qui explique bon nombre d'échecs biomécaniques en implantologie.

Quant aux doutes, ils se doivent d'être nombreux ; douter c'est progresser.

La remise en cause permanente, l'analyse critique des traitements que nous réalisons sont nécessaires pour être en adéquation avec les données acquises de la médecine.

Au-delà des doutes, j'ai aussi quelques inquiétudes concernant l'implantologie, parmi celles-ci j'aimerais en citer trois :

• la dérive vers des surtraitements implantaires nécessitant des extractions dentaires non justifiées par le contexte parodontal ;

• le désir légitime des jeunes praticiens de se former dans cette discipline ne justifie pas des formations accélérées sans pratique clinique dispensées par des structures d'enseignement non validées ;

• la recrudescence des péri-implantites ; nous avons connu les « 30 glorieuses » en implantologie et nous risquons de vivre les 10 ou 20 douloureuses. La perte de l'ostéo-intégration est multifactorielle et tous les facteurs étiologiques de la péri-implantite ne sont pas encore totalement cernés. En outre, les protocoles de traitement des péri-implantites proposés sont multiples mais aucun ne présente un pronostic de guérison reproductible.

Quel est selon vous le design idéal d'un implant pour éviter le risque infectieux ?

S. Armand Le risque bactérien en implantologie est soumis à de multiples facteurs, citons de façon non exhaustive :

• la mise en place cicatricielle de l'espace biologique et sa stabilité en fonction des matériaux utilisés ; cet espace épithélio-conjonctif constitue une barrière biologique protectrice vis-à-vis du tissu osseux péri-implantaire ;

• la nature et l'état de surface des matériaux concernés ;

• le type et le niveau de la connexion entre implant et structure prothétique : la précision d'ajustage et l'herméticité entre les composants permettent de limiter les micro-mouvements et les micro-percolations bactériennes sources de non-stabilité du tissu osseux.

En fonction de ces critères, l'implant idéal me paraît être l'implant tissue level, implant monobloc à connexion supragingivale avec un col lisse transgingival de 3 millimètres permettant la mise en place et la stabilité de l'espace biologique.

Malheureusement, ce type d'implant n'est pas utilisable dans toutes les situations cliniques, notamment sur le secteur antérieur où le col lisse est à l'origine d'un déficit esthétique souvent rédhibitoire.

Comment voyez-vous l'implantologie de demain ?

S. Armand L'émergence du numérique et de l'intelligence artificielle est inéluctable et modifie de nombreux protocoles thérapeutiques en médecine et en odontologie. L'implantologie n'échappe pas à cette révolution numérique et ce à toutes les phases du traitement implantaire à savoir :

• l'analyse pré-implantaire, l'imagerie et la planification ;

• la phase chirurgicale avec la chirurgie guidée ;

• la réalisation prothétique par CFAO après empreinte optique.

Cet apport technologique bouleverse largement les schémas classiques de soin et tout praticien doit prendre conscience que cette évolution est inéluctable. Ne pas en tenir compte, c'est prendre le risque à moyen terme de ne plus être en adéquation avec les données acquises de la médecine.

L'outil numérique n'est là que pour rendre service aux praticiens et non pas pour dicter le choix des protocoles : ce n'est pas en achetant la technologie que l'on achète la compétence. En d'autres termes, l'utilisation de l'intelligence artificielle doit s'appuyer sur l'expérience « du terrain » et la connaissance du praticien en implantologie pour pouvoir utiliser ces nouvelles techniques afin d'améliorer ses résultats.

À titre personnel, nous avons décidé au CHU de Toulouse de numériser la totalité de chaîne thérapeutique des traitements implantaires que nous réalisons avec notamment l'utilisation de la robotique passive chirurgicale par navigation.

Si c'était à refaire, pensez-vous à un ou plusieurs cas cliniques que vous auriez traités différemment avec vos connaissances actuelles ?

S. Armand J'ai le douloureux privilège de revoir en consultation des patients que j'ai traités il y a plus de trente ans et le résultat à long terme n'est pas forcément celui que j'espérais lorsque j'ai réalisé le traitement.

Il est certain que je ne traiterais pas aujourd'hui ces patients de la même façon du fait des évolutions multiples de notre pratique clinique.

Devant ce constat, ma ligne de conduite permanente dans mes décisions thérapeutiques est de retarder les échéances en choisissant la solution qui ménage l'avenir, la solution la plus conservatrice et la moins mutilante. De ce point de vue, le choix implantaire ne peut pas être une solution de première intention dans de nombreuses situations cliniques.

L'exemple type est le traitement des agénésies des incisives latérales du maxillaire : du fait du jeune âge des patients et de l'atrophie osseuse, je pose la plupart du temps l'indication d'un bridge collé avec une seule ailette de collage sur une des deux dents adjacentes.

Décrivez-nous une journée type de votre activité professionnelle.

S. Armand Une journée type est celle du lundi ; elle est consacrée exclusivement à l'implantologie dans le cadre du diplôme universitaire d'implantologie dont j'ai la responsabilité.

• 8 h 30 : réunion de staff (enseignants, prothésistes et étudiants du DU) où l'on passe en revue tous les cas programmés dans la journée.

• 9 h 30 à 17 h avec interruption d'une heure pour le déjeuner : traitement des patients au sein du CHU avec chirurgie sur deux blocs (6 à 8 interventions dans la journée) et traitement prothétique sur huit fauteuils. Tous les cas traités sont iconographiés à toutes les phases du traitement.

• 17 h à 19 h : bilan de la journée et planification chirurgicale et prothétique des cas à venir.

Quand vous avez du temps libre, comment en profitez-vous ?

S. Armand Le goût du travail et le sport jalonnent ma vie et sont indissociables car les deux permettent d'aller vers l'autre, de se confronter et de s'enrichir à son contact.

Mon activité sportive est résolument tournée vers la montagne ; j'ai pratiqué pendant 15 ans le ski de compétition, belle école de vie, et je pratique toujours le ski alpin, le ski de randonnée ou héliporté et le cyclisme en montagne.

Routard dans ma jeunesse, les voyages sont désormais professionnels pour la plupart mais je réalise un voyage par an sur une destination lointaine.

Un dernier point que vous souhaitez ajouter ?

S. Armand Vous remercier tout d'abord de m'avoir proposé cette tribune pour m'exprimer.

Un traitement médical est le fruit d'une rencontre entre un patient et son praticien où l'humanité joue un rôle prépondérant. Notre métier est passionnant mais demande un investissement personnel important et ne peut s'accommoder d'une implication a minima. Pour trouver l'énergie nécessaire, il faut aimer ses patients, message que j'essaie toujours de faire passer auprès de mes étudiants.

Aucune technologie, aucun robot, ne peuvent répondre pour l'instant à cette exigence essentielle...