Recouvrement radiculaire et reconstruction papillaire par greffon conjonctif enfoui sous un lambeau vestibulaire tunnelisé et tracté coronairement - JPIO n° 1 du 01/02/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/1998

 

Modèle Clinique

R. Azzi *   D. Etienne **  


*Département de Parodontologie
Service d'Odontologie
Hôtel-Dieu-Garancière
**Université Denis-Diderot Paris VII

Résumé

Si le recouvrement radiculaire est prévisible, la régénération ou la reconstruction chirurgicale des papilles interdentaires est plus difficile à réaliser. A ce jour, seuls quelques cas de reconstruction ont été publiés et il n'existe pas d'études sur la prévisibilité de cette technique, pas plus que de publications sur le recouvrement radiculaire de classes 3 et 4.

Les deux cas présentés dans cette publication font partie d'une étude préliminaire et nous permettent de décrire la technique chirurgicale pour obtenir un recouvrement radiculaire et la reconstruction des papilles interdentaires au cours de la même intervention.

Summary

While root coverage is predictable, surgical regeneration or reconstruction of a lost papilla is more difficult to obtain. To date only few successful case reports have been reported and there are no studies that report a predictable technique to obtain papilla reconstruction, nor root coverage on Class 3 and Class 4 recessions.

The two cases presented here are part of a preliminary study, where we outline a surgical technique to obtain simultaneous root coverage and papilla reconstruction.

Key words

Root/coverage, papilla/reconstruction, connective tissue/surgery

L'indication du traitement chirurgical des dénudations radiculaires est posée essentiellement en présence de sensibilité dentinaire ou d'une demande esthétique. L'évolution des exigences esthétiques de nos patients a favorisé le développement de techniques chirurgicales sophistiquées et plus performantes.

La greffe gingivale a été préconisée par Björn (1963) et Nabers (1966) pour corriger des problèmes mucogingivaux associés ou non à des récessions gingivales.

En fait, les auteurs ne recherchaient qu'un approfondissement vestibulaire et une augmentation ou création de hauteur de gencive attachée kératinisée. Sullivan et Atkins (1968) proposèrent cette technique pour corriger des récessions et obtenir un recouvrement radiculaire. Grupe et Warren (1956) ont recherché une meilleure intégration gingivale en utilisant un lambeau pédiculé déplacé latéralement lors de la correction de récessions gingivales étroites et isolées. Cette technique s'avérait favorable en présence de déhiscence radiculaire étroite et d'une zone adjacente importante de gencive kératinisée. Les résultats étaient cependant moins prévisibles en présence de récessions importantes et/ou multiples. Smuckler (1976) utilisant cette technique obtenait un recouvrement total dans 72,362 % des cas.

La survie des greffes gingivales sur des racines dénudées étant peu prévisible, Bernimoulin et coll. (1975) réalisent une chirurgie en deux temps. La greffe de gencive permet initialement l'augmentation de la hauteur de la gencive attachée et, dans un deuxième temps, un lambeau avancé coronairement permet un recouvrement total dans 43,9 % des cas.

Edel (1974) proposa l'utilisation de tissu conjonctif désépithélialisé prélevé au niveau du palais pour augmenter la hauteur de gencive kératinisée. Mais, cette greffe fine de tissu conjonctif ne permettait pas la correction des récessions importantes.

Holbrook et Ochsenbein (1983) suggèrent l'utilisation d'une greffe de gencive épaisse et étirée pour recouvrir des dénudations radiculaires importantes tout en augmentant la hauteur de gencive kératinisée. Le succès était attribué à l'adaptation soigneuse au lit receveur par les sutures. Malgré une meilleure circulation sanguine collatérale, le pourcentage total de recouvrement obtenu est de 44 %.

Miller (1985) après surfaçage radiculaire, utilisation d'acide citrique et greffe gingivale épaisse encastrée au niveau du lit receveur obtient 87 % de recouvrement total dans le cas de récessions larges et profondes et 100 % dans le cas de récessions larges et peu profondes. Borghetti et Gardella (1990) utilisent des greffes gingivales épaisses et le pourcentage de recouvrement total est de 85,2 %. Il apparaît clairement pour tout clinicien que la survie du greffon est due à un problème de diffusion des fluides et de vascularisation. L'idée d'enfouir du tissu est séduisante et Langer et Calagna (1980) corrigent ainsi une perte de substance. Depuis, différentes techniques chirurgicales utilisant le tissu conjonctif enfoui pour le traitement des dénudations radiculaires ont été décrites par Langer et Langer, 1985 ; Ratzke, 1985 ; Nelson, 1987 ; Azzi et coll., 1991 ; Serfaty et coll., 1991 ; Ouhayoun et coll., 1993 ; Allen, 1994 ; Harris et Harris, 1994 ; Genon-Romagna et Genon, 1995.

Mais si le recouvrement radiculaire et une intégration chromatique des tissus greffés sont prévisibles, la régénération ou la reconstruction chirurgicale des papilles interdentaires est plus difficile à réaliser. A ce jour, seuls quelques cas de reconstruction de papilles ont été publiés (Azzi et coll., 1997 ; Shapiro, 1985 ; Beagle, 1992 ; Han et Takei, 1996 ; Shih et Allen, 1994) et il n'existe pas d'études sur la prévisibilité de cette technique ni sur le recouvrement radiculaire des récessions de Classe 4.

Le but de cet article est de décrire une technique chirurgicale fiable et prévisible pour obtenir un recouvrement radiculaire et régénérer complètement ou partiellement les papilles interdentaires en utilisant une greffe de tissu conjonctif enfoui sous les papilles et le lambeau vestibulaire sans incision de décharge.

Technique chirurgicale

Les patients sélectionnés, non fumeurs, sont traités préalablement par un détartrage-surfaçage radiculaire et présentent une hygiène buccale adéquate. Les zones à traiter présentent des dénudations radiculaires non associées à des poches parodontales. Après une anesthésie, les racines à recouvrir sont surfacées, les convexités réduites éventuellement à l'aide de curettes de Gracey puis rincées abondamment avec du sérum physiologique.

Stade 1

L'incision intrasulculaire vestibulaire est pratiquée autour du collet des dents avec une lame 15 orientée le long de l'axe de la racine. L'attache qui relie la gencive à la dent est sectionnée et la gencive marginale kératinisée préservée. Cette incision permet l'accès à une curette de Gracey aiguisée (5/6 - 11/12) pour désinsérer le tissu gingival au-delà de la ligne mucogingivale et libérer le lambeau vestibulaire autour de chaque dent. Les papilles désinsérées ne sont pas sectionnées et sont gardées intactes. Si une régénération papillaire est recherchée, l'incision intrasulculaire et interproximale est continuée du côté palatin respectant l'intégrité des papilles palatines qui sont désinsérées à leur tour.

Stade 2

On réalise ainsi un décollement gingival le plus souvent d'épaisseur totale. Ce lambeau libéré des insertions périostées est prêt à recevoir la greffe de tissu conjonctif. Les papilles désinsérées et le lambeau vestibulaire ainsi libéré sont déplacés coronairement sans tension pour recouvrir complètement le greffon conjonctif. Une perforation du lambeau vestibulaire peut compromettre la vascularisation et provoquer un échec.

Stade 3

Un second site chirurgical est créé pour prélever un greffon de tissu conjonctif ayant la forme requise pour être insérée sous le lambeau vestibulaire en regard des récessions. Le site le plus favorable est la zone rétromolaire maxillaire bien que la zone palatine puisse aussi convenir. La technique de prélèvement décrite en 1991 par Azzi et coll. est résumée ici : après désépaississement du lambeau palatin, en distal, deux incisions parallèles partent de la face distale de la molaire et s'arrêtent en avant de la ligne mucogingivale distale à la tubérosité. La distance qui sépare ces deux incisions parallèles est fonction de la profondeur de la poche présente et du volume de tissu fibreux. L'incision palatine du lambeau distal est continuée en mésial sur 2 ou 3 dents. Cette incision est festonnée dans l'épaisseur du lambeau palatin. Une troisième incision transversale est pratiquée entre ces deux incisions parallèles dans la gencive kératinisée pour éviter la muqueuse alvéolaire, les zones oropharyngées et des risques de saignement importants. Les deux incisions parallèles vestibulaire et palatine sont perpendiculaires et pénètrent d'un millimètre dans la gencive avant d'être à biseau inversé et orientées apicalement vers l'os. Les lambeaux vestibulaire et palatin sont réclinés laissant en place le tissu sous-jacent encore fixé à l'os et qui est ensuite désinséré et retiré en une seule pièce. Le tissu obtenu a une forme trapézoïdale en distal et présente une extension mésiale qui correspond à l'affinement du lambeau palatin. Il est préférable d'obtenir ce prélèvement en une seule pièce pour les greffes importantes. Le tissu prélevé est maintenu dans une compresse imbibée de sérum physiologique et le lambeau distal et le lambeau palatin sont suturés. On obtient ainsi une cicatrisation par première intention.

Stade 4

Le tissu prélevé est découpé pour avoir la hauteur et la longueur désirées, ainsi qu'une épaisseur uniforme (1 à 1,5 mm), l'épithélium kératinisé est retiré complètement à la lame 15 avant d'être inséré sous le lambeau vestibulaire libéré. Le tissu conjonctif greffé est totalement recouvert pour obtenir une cicatrisation optimale.

Un point matelassier à une extrémité du greffon va permettre de faire glisser ce greffon par le sulcus d'une dent du secteur opéré puis sous chaque papille de proche en proche jusqu'à la mise en place. Un deuxième point matelassier est réalisé (à l'autre extrémité du greffon). Ces deux fils maintiennent en place les côtés du greffon et n'interfèrent pas avec une traction coronaire sans tension du lambeau vestibulaire. Un point de suture en soie matelassier vertical (4,0) passe à travers le lambeau vestibulaire, le tissu conjonctif (greffon) et le transfixe au lambeau vestibulaire au niveau des papilles interdentaires.

Dans le cas où un recouvrement radiculaire et une régénération papillaire sont recherchés, l'ensemble « gencive-muqueuse vestibulaire-greffe conjonctive-papilles » est déplacé et maintenu dans une position plus coronaire grâce à des points de matelassier horizontaux suspendus au bord incisif des dents et autour des points de contact qui ont été fermés au préalable par un composite.

Discussion

La technique décrite par Allen (1994) est une variante de celle proposée par Ratzke (1985). Elle est appliquée aux récessions multiples et se caractérise par une incision intrasulculaire à biseau interne permettant à une curette de retirer l'épithélium sulculaire adjacent à la récession, de surfacer et de réduire la convexité des racines dénudées. En présence de tissu épais, une dissection en demi-épaisseur est faite allant apicalement et latéralement sur 3 à 5 mm au-delà de la récession. Les papilles sont désinsérées sans être déchirées. En présence de gencive fine, un lambeau de pleine épaisseur est préconisé.

Le tissu conjonctif recueilli est inséré sous le lambeau enveloppe et suturé en place. Seule la partie recouverte du greffon est désépithélialisée et l'auteur ne cherche pas à recouvrir la greffe par le lambeau. Une bande épithéliale marginale ou associée au tissu conjonctif reste donc exposée.

La technique décrite dans cet article se distingue de la technique de Allen par la libération du lambeau vestibulaire qui recouvre totalement la greffe conjonctive

(Cas clinique n°1. Fig 1a, b, c, d, e et f)

, par un décollement des papilles interdentaires et un déplacement de l'ensemble (lambeau-greffe-papilles) qui est stabilisé et suturé dans une position plus coronaire. Cette technique nous permet de traiter non seulement des dénudations de Classes 3 et 4 de Miller (1985), mais aussi de régénérer complètement ou partiellement les papilles interdentaires grâce au déplacement coronaire de l'ensemble lambeau-greffe-papilles interdentaires et à sa stabilisation durant les premiers jours de cicatrisation

(Cas clinique n°2. Fig 2a, b, c, d, e, f, g, h et i)

Cette proposition peut aussi être comparée à la « technique du sandwich » (Azzi et coll., 1991), dans laquelle un lambeau enveloppe sans incision de décharges verticales et déplacé coronairement pour recouvrir entièrement la greffe de tissu conjonctif a été préconisé.

Cette méthode de tunnellisation et de libération du lambeau vestibulaire nous paraît plus favorable pour obtenir un recouvrement radiculaire prévisible et un fondu gingival satisfaisant. Le résultat semble lié à une meilleure stabilisation du caillot et à une intimité parfaite entre le greffon, le lit receveur et le lambeau qui le recouvre. Le greffon profite non seulement d'une double vascularisation du lit périosté-lambeau de recouvrement, mais aussi et surtout de la vascularisation des papilles gingivales à partir du lambeau palatin. Le fait de recouvrir entièrement le greffon et d'avoir une plaie fermée augmente ses chances de survie et favorise le fondu tissulaire nécessaire pour l'obtention d'un résultat esthétique optimal. La technique décrite dans cet article semble particulièrement intéressante pour obtenir dans la majorité des cas un recouvrement radiculaire prévisible ainsi qu'une régénération complète ou partielle des papilles interdentaires.

Le sondage n'excède pas 2 mm au niveau des dents traitées et un parfait état de santé parodontale persiste tant que l'hygiène est satisfaisante. Les résultats obtenus sont meilleurs chez les non-fumeurs.

Des études complémentaires à moyen terme sont nécessaires pour évaluer la stabilité dans le temps de cette « régénération » papillaire.

Conclusion

Cette technique chirurgicale est cependant délicate lors de la manipulation des tissus surtout si la gencive est fine, les papilles étroites, ou si une hauteur conséquente (environ 3 à 5 mm) de tissu kératinisé doit être libérée pour manipuler le lambeau. Les premiers résultats sont favorables et on obtient une intégration esthétique optimale sans ligne de démarcation. Le recouvrement des récessions semble être plus prévisible et permet d'aborder le traitement des racines proéminentes associées à une perte des papilles interdentaires lors de la même intervention.

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