Évaluation de la hauteur individuelle de l’espace biologique dans la chirurgie d’élongation coronaire sur parodonte sainAsessment of the individual biological width height in crown lengthening procedures performed on a healthy periodontium - JPIO n° 04 du 01/11/2011
 

Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 04 du 01/11/2011

 

Article

Jean-François KELLER*   Bernard CHAPOTAT**  


*Ancien interne, assistant hospitalo-universitaire
Faculté d’odontologie, université Claude-Bernard Lyon-1
Hospices civils de Lyon, Service de consultations et de traitements dentaires
Exercice privé, Vienne
**Exercice privé, Vienne

Résumé

L’effraction de l’espace biologique, par insertion de limites prothétiques sous-gingivales ou en surcontour, entraîne la survenue de complications parodontales. Afin de prévenir ces complications, une élongation coronaire doit être réalisée. Cette chirurgie parodontale consiste à déplacer en direction apicale les tissus mous adhérant à la dent et coronaires à la crête osseuse. Trop souvent, les élongations coronaires sont réalisées en se référant à une unique hauteur moyenne de l’espace biologique alors que l’une des principales caractéristiques de ce dernier est la grande variabilité de ses dimensions entre les individus ainsi qu’entre les différentes dents d’un même individu. Avant toute chirurgie d’élongation coronaire, il est indispensable de déterminer la hauteur individuelle de l’espace biologique pour chacun des sites devant faire l’objet de l’élongation. Cette préparation parodontale minutieuse et personnalisée permet d’améliorer les conditions parodontales et d’assurer un résultat fonctionnel et esthétique stable à long terme.

Summary

Breaking through the biological width by inserting subgingival or overcontoured prosthetic limits leads to the occurrence of periodontal complications. In order to prevent these complications, a crown lengthening procedure must be performed. This periodontal surgery consists in moving the soft tissues – which are adherent to the tooth and coronal to the bone crest – apically. Too often, crown legthening procedures are performed based upon a unique average height of the biological width, while one of the main features of this space is the wide range of variability of its dimensions among subjects and between the different teeth of a same subject as well. Prior to performing any crown lengthening procedure, it is essential to determine the individual height of the biological width for each involved (tooth) site. This careful and customized periodontal preparation allows to improve the periodontal status, and to ensure a long term, stable, functional and esthetic outcome.

Key words

Biological width, individual height, crown lengthening, prosthesis

Introduction

La chirurgie d’élongation coronaire est un acte fréquemment réalisé en parodontologie. Elle consiste à déplacer en direction apicale les tissus mous adhérant à la surface dentaire et situés coronairement à la crête osseuse alvéolaire. De nombreux auteurs ont évalué les dimensions de cet espace. Bien que constant d’un point de vue histologique, avec la présence systématique d’une attache conjonctive et d’un épithélium de jonction, l’espace biologique présente des dimensions très variables. Des variations importantes de la hauteur de cet espace sont observées entre les individus ainsi qu’entre les différentes dents d’un même individu.

L’insertion de limites prothétiques trop sous-gingivales ou la réalisation d’une élongation coronaire insuffisante est responsable d’une inflammation parodontale incontrôlée entraînant une perte d’attache. Pour cette raison, l’utilisation d’une hauteur moyenne de l’espace biologique, fréquemment distante des valeurs propres à chaque patient, présente un risque de complication parodontale non négligeable. C’est pourquoi, avant toute chirurgie d’élongation coronaire, il est indispensable de déterminer la hauteur de l’espace biologique de chaque site devant faire l’objet du traitement.

Cet article se propose de montrer l’intérêt de la détermination de la hauteur individuelle de l’espace biologique en vue d’une chirurgie d’élongation coronaire et la marche à suivre.

Espace biologique

L’espace biologique est communément défini comme la hauteur de tissus mous adhérant à la surface dentaire et situés coronairement au sommet de la crête alvéolaire. De nombreux auteurs se sont intéressés à la hauteur de cet espace et se sont rendu compte de sa grande variabilité (Gottlieb, 1921 ; Orban et Kohler, 1924). Depuis les travaux de Sicher, l’adhésion et la subdivision anatomo-physiologique de l’espace biologique ont été reconsidérées pour aboutir au concept actuel d’espace biologique (Sicher, 1959) lequel, entité anatomique unique, est divisé en deux compartiments histologiquement distincts. Il est donc défini pour la première fois comme la somme des fibres conjonctives supra-crestales (l’attache conjonctive) et de l’épithélium de jonction (fig. 1). Les principaux travaux portant sur l’espace biologique ont été menés par Gargiulo (Gargiulo et al., 1961) et Vacek (Vacek et al., 1994).

Dimensions de l’espace biologique

Gargiulo et son équipe ont mesuré la hauteur de l’espace biologique à partir de biopsies provenant de 30 sujets âgés de 19 à 50 ans (Gargiulo et al., 1961). Sur les coupes histologiques, qui ne présentaient aucun signe de pathologie ou d’inflammation parodontale, 325 sites ont été analysés. Des groupes ont été formés en fonction du niveau d’éruption passive des dents (fig. 1). Des modifications de la dimension de l’espace biologique, de l’épithélium de jonction et de la profondeur du sulcus ont été observées au cours de la physiologie de l’éruption (tableau 1). L’espace biologique, en effet, varie de 2,38 à 1,77 mm, la hauteur de l’épithélium de jonction diminue de 1,35 à 0,70 mm et, enfin, la profondeur du sulcus varie de 0,80 à 0,76 mm. En revanche, la dimension de l’attache conjonctive reste stable (de 1,03 à 1,06 mm) au cours de l’éruption dentaire. Ces mêmes auteurs observent également une grande variabilité de ces dimensions d’une coupe histologique à l’autre. Au stade I, la hauteur du sulcus varie de 0 à 2,62 mm, l’épithélium de jonction est compris entre 0,28 et 3,72 mm et l’attache conjonctive varie entre 0,04 et 3,36 mm. Pour conclure, ces auteurs donnent une valeur « moyenne » pour chacun des compartiments de l’espace biologique en faisant abstraction, malheureusement, de la localisation de la dent sur l’arcade, de la face de la dent, ainsi que du stade d’éruption. Les valeurs « moyennes » sont de 0,69 mm pour la profondeur du sulcus, de 0,97 mm pour la hauteur de l’épithélium de jonction et de 1,07 mm pour l’attache conjonctive. Dans cette étude, les éléments pris en considération (comme le niveau histologique de l’éruption passive de la dent) sont trop éloignés de la clinique.

Plus récemment, Vacek et son équipe ont analysé 10 biopsies de mandibules provenant de sujets âgés de 54 à 78 ans (Vacek et al., 1994). Des coupes histologiques non décalcifiées ont été utilisées afin d’évaluer la hauteur de l’espace biologique ainsi que la profondeur du sulcus. Des mesures ont été réalisées pour chacune des faces (mésiale, distale, vestibulaire, linguale ou palatine) et chacune des localisations sur l’arcade (antérieure, prémolaire et molaire). Aucune différence de la hauteur de l’espace biologique et de la profondeur du sulcus n’a été observée entre les différentes faces. Cependant, la localisation de la dent influence l’anatomie de l’espace biologique : les prémolaires et les molaires possèdent une attache conjonctive, un épithélium de jonction et un espace biologique significativement plus grands que les autres dents (tableau 2). La présence de limites prothétiques sous-gingivales, quelle que soit la nature de la restauration, augmente la hauteur de l’espace biologique. Dans ces conditions, l’épithélium de jonction est significativement plus long. Comme dans l’étude précédente, des variations importantes de la hauteur de l’espace biologique ont été objectivées entre les individus. Avec une valeur moyenne de 1,91 mm, il varie entre 0,75 et 4,33 mm. Cependant, dans cette analyse, seules les dents mandibulaires ont été considérées et aucun parallèle n’a fait avec les dents maxillaires. De plus, l’état de santé parodontal des biopsies n’a pas été évalué. Des profondeurs de « sulcus » et des pertes d’attache importantes (respectivement 6,03 et 8,73 mm) évoquent la présence de parodontites et ne reflètent pas forcément les dimensions d’un espace biologique sain.

Conséquences de l’effraction de l’espace biologique

La destruction incontrôlée des tissus de support (effraction de l’espace biologique) provoque l’apparition d’une inflammation parodontale ainsi que la migration apicale de l’épithélium de jonction (fig. 2). Cette inflammation ou la récession parodontale secondaire à l’effraction de l’espace biologique a des conséquences sur la qualité esthétique de la restauration. Enfin, la destruction de l’espace biologique peut également provoquer l’apparition de lésions infra-osseuses proximales compromettant la pérennité des dents restaurées (Papapanou et Wennström, 1991).

Deux hypothèses peuvent expliquer les conséquences de l’effraction de l’espace biologique. Selon la première, l’espace biologique serait une dimension nécessaire à la stabilité parodontale. Son effraction entraînerait un retour aux dimensions initiales (Viargues et Meyer, 1995). Selon la seconde, l’accumulation plus importante de plaque au niveau des limites des restaurations pourrait être responsable de l’apparition d’une inflammation chronique et d’une perte d’attache (Ferrus et al., 2006). De manière générale, plus les limites d’une restauration prothétique sont proches de l’attache épithéliale, plus l’inflammation gingivale qui en résulte est importante.

Indépendamment du risque parodontal, certains auteurs mettent en évidence l’augmentation du risque de caries secondaires lors de la mise en place des limites prothétiques en position sous-gingivale (Hammer et Hotz, 1979).

Variabilité de l’espace biologique

Comme nous l’avons vu précédemment, chaque étude visant à déterminer la hauteur de l’espace biologique présente de nombreux biais dans son analyse. De plus, les variations importantes des dimensions de l’espace biologique sont observées entre les individus. Vacek et son équipe ont en effet observé des variations de dimension de l’espace biologique comprises entre 0,75 et 4,33 mm (Vacek et al., 1994). De façon souvent trop simpliste, la valeur de 1 mm est attribuée à chacun des composants de l’espace biologique ainsi qu’au sulcus. Ces valeurs, inévitablement destinées à la compréhension de la physiologie de l’espace biologique, sont en réalité préjudiciables car des valeurs « moyennes » ne permettent pas de déduire les dimensions idéales pour une situation clinique particulière. Du fait des conséquences anatomopathologiques et de l’importance des complications lors de l’effraction de l’espace biologique, il nous semble plus approprié de mesurer la hauteur d’espace biologique de chaque site devant faire l’objet d’une élongation coronaire. C’est pourquoi, dorénavant, nous ne parlerons plus de hauteur « moyenne » mais de hauteur individuelle de l’espace biologique.

Évaluation de la hauteur individuelle de l’espace biologique

Dans les situations cliniques saines, il est donc impératif de réaliser la mesure de l’espace biologique et de la profondeur du sulcus. Lors de l’examen préchirurgical, la mesure clinique de cet espace sera réalisée en effectuant, sous anesthésie locale, un sondage jusqu’au contact osseux. L’évaluation de la hauteur individuelle de l’espace biologique n’est réalisée que sur les faces concernées par l’élongation coronaire. La mesure obtenue, ne faisant aucune distinction entre les divers compartiments de l’espace biologique, devra tout simplement être reportée à partir de la limite cervicale de la préparation prothétique en direction apicale. Cet espace nouvellement identifié doit donc correspondre à la hauteur radiculaire comprise entre la limite prothétique cervicale et le sommet de la crête osseuse en fin de chirurgie.

Chirurgie d’élongation coronaire

Avant tout traitement, il est impératif de déterminer les attentes du patient (esthétiques, fonctionnelles…). L’anamnèse est suivie d’un examen exobuccal puis endobuccal. Ces examens permettent de déterminer l’approche thérapeutique la plus adaptée au contexte clinique.

Examen

Il est impératif que le parodonte superficiel ne présente aucune inflammation. La texture, la couleur et le contour gingival doivent évoquer le caractère sain du parodonte. Cependant, il arrive parfois que l’inflammation soit profonde. Pour éviter toute complication chirurgicale, l’état non inflammatoire sera objectivé par l’absence de saignement au sondage au niveau des dents nécessitant une élongation coronaire (Lang et al., 1986). En effet, l’absence de saignement lors de l’insertion délicate d’une sonde parodontale au fond du sulcus permet de s’assurer de l’absence de toute lésion inflammatoire dans le sulcus gingival et, ainsi, d’écarter toute forme de gingivite qui aurait pu passer inaperçue lors de la simple inspection de l’état de surface du parodonte.

L’examen clinique doit être suivi d’un examen radiologique afin de déterminer le rapport racine/couronne clinique, de vérifier la qualité du traitement endodontique, de visualiser la position d’un éventuel trait de fracture et d’objectiver la hauteur du tronc radiculaire dans les secteurs postérieurs (Keller et al., 2007).

Technique chirurgicale

L’élongation coronaire chirurgicale consiste en une augmentation de la hauteur coronaire aux dépens de la racine. Au cours de cet acte chirurgical, il est important de dissocier deux étapes (Borghetti et Monnet-Corti, 2000). La première, qui concerne les tissus mous, vise à conserver ou restaurer le bandeau de gencive attachée. La seconde, qui concerne les tissus osseux, vise à rétablir la hauteur de l’espace biologique après déplacement du bord libre gingival à la position souhaitée.

Aménagement des tissus mous

Lorsque la hauteur de gencive kératinisée le permet, une gingivectomie à biseau interne est réalisée. Cette technique permet de déplacer le bord libre de la gencive attachée sans modifier la position de la ligne de jonction muco-gingivale (LJMG) tout en préservant une bande de gencive attachée suffisante. Lorsque la hauteur de gencive attachée est satisfaisante mais ne permet pas la réalisation d’une gingivectomie, le repositionnement apical du lambeau s’impose. Cette technique, qui déplace simultanément le bord libre gingival et la ligne de jonction muco-gingivale en direction apicale, permet de conserver toute la hauteur gencive attachée. Enfin, lorsque le tissu kératinisé est absent ou inférieur à 1 mm, une première chirurgie visant à restaurer une hauteur suffisante de gencive attachée est réalisée de façon à revenir dans l’une des deux situations précédentes.

Aménagement des tissus durs

Cet aménagement n’est réalisé que lorsque la distance séparant la préparation prothétique cervicale et le sommet de la crête alvéolaire est insuffisante. La résection de l’os support (ostéoectomie-ostéoplastie) permet de rétablir l’espace biologique compatible avec la santé parodontale. Lorsque la dent doit être restaurée avec une couronne, la hauteur sera de 5 à 6 mm. Cela permet de restaurer l’espace biologique auquel s’ajoute le sertissage prothétique (Libman et Nicholls, 1995). Ce sertissage assure une meilleure rétention ainsi qu’un moindre risque de fracture. L’ostéoplastie permet de restituer à l’os une morphologie physiologique. Cette résection osseuse peut être étendue aux dents adjacentes pour retrouver une architecture positive. La réduction de l’épaisseur des corticales permet, au niveau des faces vestibulaires des secteurs antérieurs maxillaires, d’améliorer l’esthétique parodontale.

La mesure répétée de la hauteur coronaire supra-crestale à l’aide d’une sonde parodontale permet de réduire les risques d’aménagement tissulaire insuffisant et d’effraction de l’espace biologique (Herrero et al., 1995). Il est en effet préférable de légèrement « surdimensionner » la hauteur individuelle de l’espace biologique afin d’obtenir, après cicatrisation, des limites prothétiques cervicales légèrement supra-gingivales car, à ce moment-là, il est plus simple de corriger de telles limites que de restaurer l’intégrité d’un espace biologique insuffisamment préparé.

Repositionnement du lambeau

Il est impératif de recouvrir parfaitement les corticales osseuses vestibulaires et palatines. Une exposition des corticales entraîne leur résorption excessive. L’immobilisation du lambeau (3 mm au-delà du rebord osseux) est obtenue avec des points simples. Dans les secteurs esthétiques, l’immobilisation à 4 mm permet d’augmenter la profondeur du sulcus pour cacher le joint dento-prothétique. Le positionnement du lambeau, en fin de chirurgie, définit de manière prévisible la future position du bord libre de la gencive après 6 mois de cicatrisation (Brägger et al., 1992).

Cicatrisation

Au cours des 3 premiers mois qui suivent l’élongation coronaire, des modifications morphologiques importantes sont observées. Après 6 semaines de cicatrisation, 85 % des sites subissent des variations de récession, de profondeur de poche et de perte d’attache inférieures au millimètre et 12 % des sites présentent une récession supérieure à 1 mm (Brägger et al., 1992). Entre les troisième et sixième mois postopératoires, la profondeur de poche, le niveau d’attache et le niveau osseux restent stables (Lanning et al., 2003).

La cicatrisation des tissus mous commence dès la première semaine. La cicatrisation osseuse est plus tardive et se manifeste par une résorption des corticales vestibulaires et linguales à partir de la troisième ou de la quatrième semaine (Pennel et al., 1967). Cette résorption, de 0,7 à 0,9 mm, permet la formation d’une nouvelle attache conjonctive supra-crestale (Carnevale et al., 1983). Après 6 à 9 mois de cicatrisation, une stabilité de l’espace biologique est observée (Wilderman et al., 1970). La hauteur de gencive attachée, quant à elle, est stable au bout de plusieurs années avec un retour progressif à sa position d’origine (Ainamo et al., 1992 ; Zucchelli et De Sanctis, 2005).

Cas cliniques

Madame D, 29 ans

Cette patiente consulte pour une restauration esthétique et fonctionnelle des arcades dentaires maxillaires et mandibulaires. Son bruxisme et son comportement anorexique ont en effet entraîné une usure marquée des dents maxillaires, une diminution de la dimension verticale d’occlusion ainsi que l’apparition de résorptions lacunaires vestibulaires des incisives inférieures. L’examen clinique endobuccal objective également la présence d’une hauteur importante de gencive attachée au maxillaire (fig. 3).

Une reconstruction cosmétique provisoire, réalisée en composite et en technique directe sur les dents ainsi que sur la gencive, permet de retrouver une dimension verticale d’occlusion satisfaisante ainsi qu’une hauteur coronaire esthétique (fig. 4). Au bout de 15 jours, le « schéma esthétique » est validé. Une prise d’empreinte de la reconstruction permet la confection d’un bridge provisoire en résine cuite (fig. 5).

Les reconstructions sont ensuite supprimées et, sous anesthésie locale, la mesure de l’espace biologique des faces vestibulaires est enregistrée (puisque ce sont les seules concernées par l’élongation coronaire) (fig. 6). Des hauteurs importantes de l’espace biologique (de 5 à 6 mm) sont mises en évidence pour l’ensemble des faces vestibulaires des dents 13 à 23. Les dents sont préparées et le bridge provisoire est mis en place, ce qui permet de visualiser l’importance de l’élongation coronaire. Une gingivectomie à biseau interne est réalisée afin d’obtenir une hauteur coronaire satisfaisante (fig. 7). Un lambeau de pleine épaisseur est élevé et le bridge provisoire est inséré sur les préparations dentaires (fig. 8). Le niveau osseux est ensuite modifié afin de restaurer l’intégrité de l’espace biologique. Une ostéoectomie-ostéoplastie de 5 à 6 mm par rapport à la limite cervicale du bridge provisoire est alors réalisée (fig. 9). La prothèse est rebasée (il est préférable de réaliser le rebasage avant de procéder au remodelage osseux afin de mieux visualiser la limite prothétique). Elle est scellée provisoirement et les excès de ciment sont éliminés avec précaution, les sutures sont ensuite réalisées (fig. 10).

À 3 semaines postopératoires, le bord libre gingival en regard de la 21 présente une récession mais la cicatrisation permet de retrouver une hauteur coronaire satisfaisante au bout de 3 mois (fig. 11). Les empreintes sont prises après 5 mois de cicatrisation et les prothèses d’usage maxillaire et mandibulaire sont réalisées (fig. 12).

Madame H, 54 ans

Cette patiente, qui présente une usure prononcée du bloc incisivo-canin supérieur, souhaite retrouver une « hauteur de dent plus importante » sans que ses dents paraissent « trop grandes » (fig. 13 et 14).

Une reconstruction cosmétique provisoire est réalisée en composite et en technique directe à l’aide de composites collés sur les dents et sur la gencive. Cette reconstruction provisoire est validée au bout d’une quinzaine de jours (fig. 15 et 16). Une empreinte de la reconstruction est prise et un bridge provisoire en résine cuite est réalisé en laboratoire.

La hauteur importante de gencive kératinisée permet d’aménager les tissus mous par une gingivectomie à biseau interne (fig. 17 et 18). Les dents 12, 11, 21, 22 et 23 sont préparées, un lambeau muco-périosté est élevé et le bridge provisoire est positionné sur les préparations dentaires (fig. 19). Le niveau osseux est visualisé. L’espace biologique ainsi obtenu ne correspond pas à la hauteur individuelle préalablement mesurée sous anesthésie locale. Une légère déhiscence au niveau de la 13, due à la simple élévation du lambeau muco-périosté, est manifeste. Une ostéoectomie-ostéoplastie est effectuée à l’aide d’une fraise diamantée afin de restaurer la hauteur individuelle de l’espace biologique (fig. 20 et 21). Le bridge provisoire est ensuite rebasé et scellé provisoirement.

Après 3 mois de cicatrisation, la gencive retrouve une couleur et une texture normales (fig. 22). L’empreinte des préparations est prise à 4 mois postopératoires et la prothèse d’usage est réalisée. La papille interincisive entre les deux incisives centrales n’est pas totalement reconstruite (fig. 23). Trois mois après, cette même papille vient complètement remplir l’embrasure (fig. 24).

Conclusion

Les élongations coronaires sont trop souvent réalisées en se référant à une hauteur moyenne et unique de l’espace biologique. Les travaux de Gargiulo et de son équipe, qui visaient à évaluer les dimensions des divers compartiments de l’espace biologique, ont conclu à une hauteur moyenne de 2,04 mm pour l’espace biologique et de 0,69 pour le sulcus. Ces valeurs moyennes ont trop souvent laissé croire que cet espace biologique était constant, alors que l’une de ses principales caractéristiques est son importante variabilité. La hauteur de l’espace biologique peut, en effet montrer des variations de 1 à 4 entre les individus ainsi qu’entre les différentes dents d’un même individu (Gargiulo et al., 1961 ; Vacek et al., 1994).

En raison des risques importants de complications parodontales lors de l’effraction de l’espace biologique, il nous semble indispensable de ne plus avoir recours à la notion de hauteur « moyenne » de l’espace biologique. La hauteur individuelle de cet espace, propre à chaque site devant faire l’objet d’une élongation coronaire, doit être mesurée et reportée lors de la thérapeutique parodontale. Cette préparation parodontale permet d’améliorer les conditions parodontales et, ainsi, d’assurer un résultat fonctionnel et esthétique stable à long terme.

BIBLIOGRAPHIE

  • Gottlieb B. Der Epithelansatz am zahne (The epithelial attachement). Deutsche Monatscher f. Zahnh 1921 ; 39 : 141.
  • Orban B, Kohler J. Die physiologisiche zahnfleischetasche, epithelansatz und epitheltie fenwuch erung. (The physiologic gingival sulcus). Ztschr F Stomatol 1924 ; 22 : 353.
  • Sicher H. Changing concepts of the supporting dental structure. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1959 ; 12 : 31-35.
  • Gargiulo AW, Wentz FM, Orban B. Dimensions and relations of the dentogingival junction in humans. J Periodontal 1961 ; 32 : 261-267.
  • Vacek J, Gher M, Asad DA, Richardson AC, Giambarresi LI. The dimensions of the human dentogingival junction. Int J Periodontics Restorative Dent 1994 ; 14 : 154-165.
  • Papapanou PN, Wennström JL. The angular bony defect as indicator of further alveolar bone loss. J Clin Periodontol 1991 ; 18 : 317-322.
  • Viargues P, Meyer J. L’espace biologique minimal. Détermination de ­l’allongement coronaire à minima. J Parodontol 1995 ; 14 : 269-277.
  • Ferrus Cruz J, Echeverria Manau A, Morente Mudarra S, Vignoletti F, Sanz Alonso M, Zabalegui I. Alargamiento coronario : importancia cl4inica y técnicas. Gaceta Dental 2006 ; 167 : 62-73.
  • Hammer P, Hotz J. Nach kontrolle von ein-bisfünfjährigen amalgam-composit und goldgufüllungen. Schweiz Mschr Zahnmed 1979 ; 89 : 301-314.
  • Lang NP, Joss A, Orsanic T, Gusberti FA, Siegrist BE. Bleeding on probing. A predictor for the progression of periodontal disease ? J Clin Periodontol 1986 ; 13 : 590-596.
  • Keller JF, Bernadac E, Douillard Y. Les élongations coronaires : intérêts fonctionnels et esthétiques. Clinic 2007 ; 28 : 721-730.
  • Borghetti A, Monnet-Corti V. Chirurgie plastique parodontale. Rueil-Malmaison : CDP, 2000.
  • Libman WJ, Nicholls JI. Load fatigue of teeth restored with cast posts and cores and complete crowns. Int J Prosthodont 1995 ; 8 : 155-161.
  • Herrero F, Scott JB, Maropis PS, Yukna RA. Clinical comparison of desired versus actual amount of surgical crown lengthening. J Periodontol 1995 ; 66 : 568-571.
  • Brägger U, Lauchenauer D, Lang NP. Surgical lengthening of the clinical crown. J Clin Periodontol 1992 ; 19 : 58-63.
  • Lanning SK, Waldrop TC, Gunsolley JC, Maynard JG. Surgical crown lengthening : evaluation of the biological width. J Periodontol 2003 ; 74 : 468-474.
  • Pennel BM, King K, Wilderman MN, Barron JM. Repair of the alveolar process following osseous surgery. J Periodontol 1967 ; 38 : 426-431.
  • Carnevale G, Sterrantino SF, Di Febo G. Soft and hard tissue wound healing following tooth preparation to the alveolar crest. Int J Periodontics Restorative Dent 1983 ; 3 : 36-53.
  • Wilderman MN, Pennel BM, King K, Barron JM. Histogenesis of repair following osseous surgery. J Periodontol 1970 ; 41 : 551-565.
  • Ainamo A, Bergenholtz A, Hugoson A, Ainamo J. Location of the mucogingival junction 18 years after apically repositioned flap surgery. J Clin Periodontol 1992 ; 19 : 49-52.
  • Zucchelli G, De Sanctis M. Long-term outcome following treatment of multiple Miller class I and II récession defects in esthetic areas of the mouth. J Periodontol 2005 ; 76 : 2286-2292.

Articles de la même rubrique d'un même numéro